Film soutenu

Hanezu, l’esprit des montagnes

Naomi Kawase

Distribution : UFO Distribution

Date de sortie : 01/02/2012

Japon – 2011 – 91 min

Dans la région d’Asuka, berceau du Japon, Takumi mène une double vie : tranquille avec Tetsuya son mari, passionnée avec son amant Kayoko, sculpteur qui lui fait découvrir les plaisirs simples de la nature. Takumi apprend qu’elle est enceinte. L’arrivée de cet enfant est l’occasion pour chacun de prolonger son histoire familiale et ses rêves inassouvis. Mais bientôt, Takumi devra choisir avec qui elle veut faire sa vie. Comme au temps des dieux qui habitaient les trois montagnes environnantes, la confrontation est inévitable.

COMPÉTITION OFFICIELLE – FESTIVAL DE CANNES 2011

LISTE ARTISTIQUE
Takumi Tohta KOMIZU • Kayoko Hako OSHIMA • Tetsuya Tetsuya AKIKAWA • Yo-chan (l’archéologue) Akaji MARO • Hisao (le grand-père de Takumi) Taiga KOMIZU • La mère de Takumi Kirin KIKI • Le père de Takumi Norio NISHIKAWA • La mère de Kayoko Miyako YAMAGUCHI • Yo-chan (l’enfant) Sen-nosuke TANAKA

LISTE TECHNIQUE
Scénario, photographie et réalisation Naomi KAWASE • Son Hiroki ITO • Direction artistique Kenji INOUE • Musique HASIKEN • Montage Naomi KAWASE, KANEKO Yusuke, Tina BAZ • Histoire originale Masako BANDO

Naomi Kawase

Naomi Kawase est née à Nara. Diplômée de l’Ecole de Photographie d’Osaka (aujourd’hui “Université des Arts Visuels d’Osaka”). En 1989, elle commence à réaliser des films en 16mm et 8mm pendant ses études. Son travail attire rapidement l’attention à l’échelle nationale et internationale.
En 1992, elle tourne DANS SES BRAS, où elle porte à l’écran la recherche de son père, qui l’a abandonnée dans sa jeunesse. Au Festival International du Documentaire à Yamagata en 1995, elle remporte le Prix d’Excellence de la section les Nouveaux Courants Asiatiques pour le portrait de sa grand-mère qui l’a élevée. En 1997, Kawase obtient la Caméra d’Or pour son film SUZAKU et devient la plus jeune lauréate de l’histoire du Festival de Cannes. En 2000, elle remporte les Prix FIPRESCI et CICAE au Festival International du Film à Locarno pour son film HOTARU. Dès lors, le travail de Kawase attire l’attention des cercles des cinéastes. Des rétrospectives de son travail sont organisées dans toute l’Europe. Son travail documentaire est également plébiscité, tels DANS LE SILENCE DU MONDE, une coproduction avec la chaîne Arte, et NAISSANCE ET MATERNITE, un documentaire sur son enfance, récompensé aux festivals internationaux de Locarno, Taiwan, Copenhague et Yamagata. En 2007, Kawase remporte le Grand Prix  du Festival de Cannes pour LA FORET MOGARI. Son dernier documentaire GENPIN a remporté le Prix FIPRESCI au Festival International du Film de San Sebastian en 2010. En 2009, Kawase reçoit le Carrosse d’Or de la Quinzaine des Réalisateurs. En 2010, elle préside le premier Festival International du Film de Nara.

Entretien avec Naomi Kawase (extrait)

LA NATURE JOUE UN RÔLE CENTRAL DANS VOS FILMS. POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS SUR LA RELATION QUE VOUS ENTRETENEZ AVEC ELLE ET LES ÉLÉMENTS NATURELS ?
Je vis avec l’idée que j’en fais moi-même partie intégrante. Aujourd’hui, bercés par l’illusion qu’ils peuvent tout faire, les hommes ont détruit la nature, ils ont échoué dans le projet de vivre avec elle. Je pense que la souffrance des gens dans les sociétés modernes est liée à notre incapacité à admettre que nous sommes un élément de la nature parmi d’autres. Dans mes films, on peut presque dire que l’homme joue des seconds rôles, je donne à la nature le rôle principal. Je cherche à réveiller chez les personnages ce sentiment de vénération et de crainte de la nature que les gens connaissaient dans le passé et qu’ils coexis- tent avec elle, dans le sens le plus pur. C’est quelque chose que je veux transmettre à mes enfants et que mes enfants transmettront à leur tour.

AU SUJET DE L’ANTHOLOGIE MANYOSHU…
C’est un recueil de poèmes compilés entre la fin du 7e et la fin du 8e siècle. Il comporte 4.500 poèmes, écrits par des gens qui vivaient entre le nord-est du Japon et l’île de Jyushu, d’origines sociales diverses, depuis les empereurs jusqu’aux fermiers. La plupart des poèmes parlent d’amour entre hommes et femmes. A cette époque, les gens craignaient la nature et la vénéraient, forts de la croyance que des dieux habitaient les montagnes et les cours d’eau. Les gens vivaient en accord avec la nature, elle a une forte présence dans les poèmes du Manyoshu. Littéralement, “Manyoshu” signifie « collection de 10.000 vies », mais on pense que le titre a été choisi pour suggérer « 10.000 époques » – une collection qui se transmettrait pour l’éternité.

QU’EST-CE QUI VOUS A INTÉRESSÉ DANS CE POÈME DU MANYOSHU ?
Tout d’abord le fait que ce poème parle de trois générations différentes ; celle où le Manyoshu a été écrit, son passé, et un temps mythologique. Et puis aussi, ce mythe de deux hommes s’affrontant pour une femme, qui a toujours fait partie de notre histoire. J’ai été très touchée de savoir qu’il y a 1000 ans, un homme écrivait un poème à propos de son passé et d’un temps ancien. Le concept d’historicité et de mythologie existait déjà. J’étais excitée de ressentir à quel point notre histoire humaine est vaste et riche. De la même façon que quelqu’un vivant il y a 1000 ans écrivait à propos de son passé et de ses mythes, je souhaitais raconter une histoire à propos d’aujourd’hui, de notre passé et des temps anciens. Ainsi le film dépeint trois générations : Kayoko qui vit aujourd’hui, les gens qui vivaient avec la grand-mère de Takumi, pendant la seconde guerre mondiale, et également quel- qu’un faisant le lien entre il y a 1000 ans et aujourd’hui.

A PROPOS DU TITRE, HANEZU, QUELS SENS REVÊTENT SES SIGNIFICATIONS MULTIPLES, ET QUEL SENS LUI DONNER POUR CE NOUVEAU FILM ?
C’est un mot ancien, que ne connaissent pas les Japonais. En le réintégrant dans le présent, je voulais qu’on le ressente dans toute sa signification. Personne n’a la mémoire du sol, on ne peut vraiment saisir les réalités qui nous précèdent, c’est pourquoi j’ai seulement cherché à écouter les voix du passé pour tisser l’his- toire. Quel sens donner à la vie, si brève et si fugace – les mou- vements cycliques de la lune, les sentiments, le temps qui passe ? Je pense qu’il y a une vérité plus profonde dans les récits d’ano- nymes obstrués par les grands événements, et délaissés par le monde médiatique. Dans les poèmes de Manyoshu, le plus ancien recueil de poésies existant au Japon, nos ancêtres, qui vivaient sans avion ni voiture, devaient attendre pour recevoir la visite de leurs proches et de ceux qu’ils aimaient. Et ils ont écrit ces sentiments confus et profonds dans leurs poèmes. Pour les dépeindre, ils les transposaient aux fleurs et aux fruits de chaque saison. A notre époque, il n’y a plus besoin d’attendre les saisons. Avec ce principe – « tout, tout de suite » – qu’ils pensent être la richesse de leur mode de vie, les gens semblent avoir aujourd’hui banni la simple idée d’attendre, ils font de l’activité le principe central de leur vie. Si quelqu’un ne répond pas à une question, on insiste pour le forcer à répondre. Dans tous les aspects du travail, on donne la primauté à la rapidité. Mais nos ancêtres, avec cette faculté à attendre, n’avaient- ils pas au bout du compte un meilleur sens des priorités que nous aujourd’hui ? C’est dans cette perspective que j’ai mis en avant dans le film cette notion d’attente.

DANS VOTRE FILM, LES ESPRITS, LES FANTÔMES NE SEMBLENT PAS VENIR DU PASSÉ COMME DES MORTS-VIVANTS. ILS ACCOMPAGNENT LES PERSONNAGES PRINCIPAUX DANS LEUR VIE.
Dans la tradition japonaise, nous avons conservé nos relations avec les morts et nous les laissons exister dans nos vies. Cet aspect de la tradition japonaise apparaît dans de multiples rites traditionnels. En ayant ces esprits à nos côtés, je pense que cela nous aide à développer une certaine solidité spirituelle. Nous utilisons souvent la nature, dans la culture japonaise, pour entrer en contact avec ces morts. Nous pensons qu’il y a des dieux dans la nature, qui font le lien entre les morts et les vivants. Dans mes films, ce sont les montagnes, les rivières, le ciel qui nous relient à ce qu’on ne peut voir mais qu’on peut sentir. L’industrialisation et la modernisation ont dévalué ces croyances. Je pense que nous nous mettons en situation instable, pour ne plus nous préoccuper que de développement économique. C’est pourquoi j’aimerais, si possible, que l’on retrouve un certain équilibre dans nos vies, en tant qu’être humain.

VOTRE FILM SE CARACTÉRISE PAR UNE FLUIDITÉ DE L’ESPACE ET DU TEMPS, UN CONTINUUM QUI SUBLIME LA RÉALITÉ.
En premier lieu, je crois que rien n’est définitif et l’incertitude est le fondement de mes films. Certains artistes le rapprochent du concept de MUJO en japonais. Le concept de MUJO, qui peut être traduit par « rien n’est certain ni pour toujours », nous fait rêver de choses qui seraient définitives et immuables. Notre désir de certitude et d’éternité est en contradiction avec la réalité de notre vie. Pour moi, dépeindre cette contradiction entre nos désirs et la réalité relève de la fiction, et justement de l’art. D’un autre côté, la science et la technologie essaient de créer de la certitude et de l’éternité. Mais, tout comme Steve Jobs est mort, nous savons que nous ne pouvons avoir accès à la vie éternelle. Pour nous qui sommes vivants actuellement, la seule chose que chacun puisse faire est de se rappeler de sa vie et de la vie des autres, et de les laisser exister dans nos souvenirs incertains. Nous avons des souvenirs instables et qui changent constamment ; l’art et la fiction tentent de conserver ces vies intactes. De ce point de vue, il n’y a pour moi pas de différence d’approche entre la fiction et le documentaire.

QUEL RAPPORT ENTRETENEZ-VOUS AVEC LA MODERNITÉ, QUI PEUT ÊTRE EN OPPOSITION AVEC LA NATURE ET LA TRADITION ?
La technologie est une création humaine. Il est important pour nous de l’utiliser à bon escient. Souvent la technologie est comme un doux miel qui nous emmène dans ses travers. Elle nous donne l’impression de nous arracher à notre condition naturelle d’être humain. Grâce à elle, nous pouvons maintenant arrêter d’utiliser certaines de nos capacités dont l’homme s’est servi tout au long de son histoire. Dans notre vie, nous grandissons grâce à certaines expériences : se promener, rencontrer une nouvelle personne… Si nous ne nous préoccupons que de ce que nous voulons obtenir dans la vie, nous perdrons ce type d’expériences simples. Quand nous agissons dans le monde, même une petite action, il y a l’acte de donner quelque chose à quelqu’un – pas seulement de faire quelque chose pour soi-même. Nous vivons en synergie avec les autres. C’est très important pour nous de le reconnaître car cela nous permet de savoir que nous pouvons changer le monde qui nous entoure. De façon inattendue, ce qui s’est passé à Fukushima a révélé mes inquiétudes indéfinies sur l’être humain. La technologie que nous avons créée nous mène à une crise de l’histoire humaine. Ce dont nous avons besoin n’est pas de convaincre les hommes de choisir tel ou tel chemin mais de construire un vrai dialogue.