Hill of Freedom de Hong Sangsoo
Film soutenu

Hill of Freedom

Hong Sangsoo

Distribution : Les Acacias

Date de sortie : 08/07/2015

Corée du Sud - 2015 - 1h06 - DCP - 1.85

Mori, un jeune Japonais, se rend à Séoul afin de retrouver la femme qu’il aime.
Mais celle-ci est absente.
Attendant son retour, il s’installe dans une chambre d’hôtes et y fait différentes rencontres.

MONTGOLFIÈRE D’OR 2014 – FESTIVAL DES TROIS CONTINENTS, NANTES
SÉLECTION ORIZZONTI – MOSTRA DE VENISE 2014

Avec : Mori Ryo Kase • Youngsun Moon Sori • Kwon Seo Younghwa • Sangwon Kim Euisung

Réalisation et Scénario Hong Sangsoo • Productrice Kim Kyounghee • Image Park Hongyeol • Lumière Yi Yuiheang • Montage Hahm Sungwon • Musique Jeong Yongjin • Prise de son Yeajin • Son Kim Mir • Production Jeonwonsa Film Co.

Hong Sangsoo

Fils de parents divorcés, un officier de l’armée sud-coréenne, et une employée de maison de production de films, Hong Sangsoo découvre le cinéma en regardant les films hollywoodiens à la télévision. Au cours d’une conversation bien arrosée, un homme de théâtre suggère à ce garçon désoeuvré de se lancer dans la mise en scène. Hong Sangsoo s’inscrit alors à l’université de Chungang, à Séoul, dans le département « théâtre et cinéma ». Il part ensuite vivre aux Etats-Unis, étudiant au College of Arts and Crafts de Californie et à l’Art Institute de Chicago, où il réalise plusieurs courts métrages expérimentaux.
Il réalise en 1996 son premier long métrage, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits suivi deux ans plus tard du Pouvoir de la province de Kangwon et en 2000 de La Vierge mise à nu par ses prétendants. Salués par la critique et primés dans les festivals (Rotterdam, Vancouver, Pusan), ces trois films sortiront en France en 2003. Sangsoo y décrit avec un remarquable sens du détail le quotidien de jeunes Coréens, leurs relations de couple conflictuelles et leur malaise existentiel latent.
Suivront trois oeuvres coproduites par la France, Turning Gate en 2002, La femme est l’avenir de l’homme en 2004 et Conte de cinéma en 2005. Avec Woman on the Beach (2007), Night and Day (2008) et Les Femmes de mes amis (2009), le cinéaste confirme ses obsessions. Oscillant toujours entre l’expérimentation conceptuelle et le réalisme.
Ha Ha Ha et Oki’s Movie, réalisés en 2010, et Matins calmes à Séoul (The Day He arrives) en 2011, confirment le fait que, si chacun des titres semble répéter le précédent, il s’en distingue toujours subtilement et essentiellement.
En 2012, In Another Country dans lequel joue Isabelle Huppert est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.
En 2013, Haewon et les hommes (Nobody’s Daughter Haewon) est sélectionné au festival de Berlin. Sunhi (Our Sunhi) est présenté au festival du film asiatique de Deauville et reçoit le prix de la mise en scène au festival de Locarno. En 2014, Hill of Freedom reçoit la Montgolfière d’Or au festival des trois Continents à Nantes.

Filmographie

2018 Hotel by the river
2017
Grass
2017 Le jour d ‘après
2017 La caméra de Claire
2017 Seule sur la plage la nuit
2015 Un jour avec, Un jour sans
2014 Hill of freedom
2013 our Sunhi
2012 Haewon et les hommes
2012 In Another Country
2011 The Day he arrives (Matins calmes à Séoul) 
2010 Oki’s movies
2010 ha ha ha
2009 Les femmes de mes amis
2008 Night and Day
2007 Woman on the beach
2005 Conte de cinéma
2004 La femme est l’avenir de l’homme
2002 Turning gate
2000 La vierge mise à nu par ses prétendants
1998 Le pouvoir de la province de Kangwon
1996 Le jour où le cochon est tombé dans le puits

UNE LÉGÈRETÉ DE FAÇADE

par Vincent Thabourey

Impossible d’appréhender un film de Hong Sangsoo sans tenir compte de la vélocité avec laquelle le Coréen enchaîne les réalisations. Ce rythme effréné est constituant de sa filmographie et permet au spectateur de s’essayer au petit jeu des ressemblances et des différences. À raison d’un film par an, cheminant de festival en festival au gré des envies des sélectionneurs (Mostra de Venise et Festival des trois continents de Nantes pour Hill of Freedom), le cinéaste développe ainsi une œuvre feuilletonesque, un flux délicat qui se construit autour de thèmes et de scènes clés. L’addiction à cette série inavouée repose sur des repères savamment distillés, sur leur attente et leurs variations, mais aussi sur des personnages récurrents, même si leur visage change d’un film à l’autre : l’amoureux transi, le donneur de leçons, la séductrice qui s’ignore, l’inquisitrice moralisatrice… Aucun fan de Hong Sangsoo ne saurait renoncer aux tergiversations amoureuses de ces personnages, à leurs libations éthyliques ou à leurs discussions sans fin sur l’amour et le cinéma. Mais Hill of Freedom, passé le générique spartiate et sa ritournelle pimpante, se démarque des films précédents par sa forme épistolaire.
Une jeune femme coréenne a entre les mains les lettres que lui a adressées Mori, un prétendant japonais venu la retrouver à Séoul. Les lettres racontant la longue attente du jeune homme sont lues dans le désordre, imposant au film une chronologie aléatoire. Il va même manquer une missive, créant une ellipse impossible à localiser pour le spectateur, contraint de reconstruire le récit original. Cette astuce scénaristique a le pouvoir de rebattre les cartes du dispositif cher à Hong Sangsoo en jouant avec la temporalité de son récit. Cette question obsède Mori, le personnage central, qui lit un ouvrage dont le titre est d’une limpidité mystérieuse : « Le temps ». Selon lui, la continuité temporelle relève de la construction mentale. Ce questionnement philosophique nimbe le film d’une aura magique qui contraste avec la trivialité ambiante. Comme toujours chez Hong, le corps a ses raisons. Les repas, le sommeil, les pauses gourmandes ou les petits bobos rythment la vie de ces cœurs en déroute. Les discussions s’avèrent parfois prosaïques ou d’une effrayante banalité. Mori va ainsi développer une thèse bancale assez ridicule en expliquant qu’un petit chien s’appelle Mori (mot coréen désignant le rêve) parce que les chiens dorment beaucoup, donc ils rêvent beaucoup… C’est d’ailleurs ce caniche qui nous fait comprendre que l’histoire nous est livrée en vrac : sa disparition est exposée après qu’il a été retrouvé par Mori.
L’abolition des contraintes de temps s’accompagne en outre d’une porosité de l’intrigue principale avec des intrigues secondaires. Il en va ainsi d’une adolescente en crise qui se réfugie dans la pension où son père la retrouve et la ramène dans sa famille. L’histoire est d’une brièveté confondante, mais elle aura suffi à interférer avec celle de Mori, dont la quête amoureuse est sans cesse entravée par d’autres personnages apparemment secondaires, telle sa logeuse. Après avoir égrené des lieux communs sur les Coréens et les Japonais, elle le questionne sur le bonheur et le sens de la vie. À un autre moment ce sera le neveu de la logeuse ou le compagnon de la gérante du bar Hill of Freedom qui vont croiser sa route.
Nouer, dénouer, Hong Sangsoo excelle dans l’art de complexifier l’existence, de tisser des liens impromptus entre ses personnages dont les discours et les aspirations sont mis à mal par les petits drames contrariants du quotidien. Sous ses allures de comédie primesautière se dissimule une profonde et gracieuse réflexion sur le temps et le cinéma, une fable pudiquement autobiographique qu’on aurait tort de prendre avec trop de légèreté.

POSITIF, Juillet 2015


L’ART DE LA FUGUE OU LE SOJU EST SERVI !

Un film après l’autre, le petit monde d’Hong Sangsoo nous ramène à une géographie familière et mélancolique, et plus obliquement peut-être, à une manière de négociation avec le journal intime et l’autobiographie que le cinéaste détournerait au profit de ses fictions. Nos retrouvailles avec ce monde, alimentées par une cadence régulière d’un ou deux films par an, n’ordonne d’autre forme de connivence que le plaisir réitéré que nous prenons à ces miniatures géniales de la vie ordinaire. Chez Hong Sangsoo, les choses et les êtres sont déjà là avant que le film ne commence, et on s’active en cuisine avant même qu’on ne prenne place à table. La limpidité du style rappelle à cette antériorité des présences que le film accueille en les faisant bientôt danser selon des lois qui nous empêchent de prendre trop d’avance sur des personnages qui, tout Coréens qu’ils sont, nous ressemblent bien depuis l’autre bout du monde. On leur emboîte tout naturellement le pas jusqu’à l’enseigne la plus proche, là où le soju est servi, précipitant l’heure incertaine des rencontres et des séparations, des chassés-croisés entre vérités et mensonges. Les films d’Hong Sangsoo n’ont d’autre mouvement dramatique que celui des négociations complexes qu’engagent les personnages avec eux-mêmes et l’ordre des choses qui les entoure. De ce point de vue, ils semblent cheminer dans leur propre vie comme on avance en territoire étranger risquant dans la proximité construite avec leur entourage qu’elle devienne le théâtre de désordres affectifs et sentimentaux les plus troublants. 

Après un Coréen à Paris (Night and Day), une Française à Séoul (In Another Country) , c’est dans Hill of Freedom un Japonais, Mori, qui s’avance avec le désir de renouer avec un amour perdu de vue en Corée, Kwon. L’anglais sert de passerelle entre les personnages du film et si tous parlent avec un certain aplomb cette même langue dans une version simplifiée, elle n’en devient pas moins ironiquement source de quelques incompréhensions. Mais avant d’être un film parlé, Hill of Freedom (énigmatique nom d’un café) consiste en un paquet de lettres envoyées par Mori à Kwon. C’est le désordre provoqué par leur chute au sol qui ordonne à Kwon un nouvel ordre de lecture et au film sa chronologie accidentée. Chez Hong Sangsoo, ah ah ah ! on sait que le hasard a toutes les
manières de bien faire les choses.

On a régulièrement et avec justesse souligné l’affinité reliant Hong Sangsoo à Rohmer, et sans doute aussi à Ozu (pour l’épure) et Eustache (pour ses glissements subtils entre trivial et morale). Mais la manière des derniers films, dont Hill of Freedom signe un nouvel accomplissement, incite à regarder un peu ailleurs, tant du coté de la peinture, à cet endroit où l’on dispose le petit atelier du film comme d’autres (Degas) venait poser le chevalet en faisant varier les échelles de la perception répétée des choses, que de la musique où les tonalités dramatiques jouent des couleurs de saison et du temps comme de la réalité incertaine des sentiments. Entre la palette et la partition, le montage et le zoom redoubleraient les gestes de la baguette et du pinceau impressionniste, et le cinéma d’Hong Sangsoo déposerait l’idée de synthèse entre les arts pour lui substituer les beautés troublantes du côtoiement, du frôlement ou de la rencontre comme elles se réalisent dans ces vies ordinaires filmées entre plein air et musique de chambre. Notre Sunhi avait des airs de pop song douce amère, Hill of Freedom emprunte peut-être à l’art de la fugue tant Mori venu renouer avec Kwon semble vouloir la chercher plutôt que la trouver. Et si nous savons comme disait l’autre que « le bonheur n’est pas gai », les films d’Hong Sangsoo ont de grâce essentielle et salutaire qu’ils chuchotent élégamment dans le creux de notre oreille que ce n’est pas bien grave de faire du cinéma. On comprendra de suite pourquoi il nous importe autant de voir cette colline de la liberté s’élever, depuis ses 66 minutes seulement, aussi haut.

Jérôme BARON – Délégué général et directeur artistique du Festival des 3 Continents de Nantes
Hill of Freedom a remporté la Montgolfière d’Or lors de l’édition 2014.