Film soutenu

Il Buco

Michelanglo Frammartino

Distribution : Les Films du Losange

Date de sortie : 04/05/2022

Italie, France, Allemagne / 2021 / 1h33 / 4K / Dolby Atmos

Dans les années 1960, l’Italie célèbre sa prosperité en érigeant la plus haute tour du pays. En parallèle, un groupe de jeunes spéléologues décident eux, d’en explorer la grotte la plus profonde. À 700 mètres sous-terre, ils passent inaperçus pour les habitants alentours, mais pas pour l’ermite de la région. Ils tissent avec lui des liens d’un genre particulier. Les chroniques d’Il Buco retracent les découvertes et parcours au sein d’un monde inconnu, celui des profondeurs, où se mêlent nature et mystère.

Prix du Jury – Mostra de Venise 2021
Prix de la Meilleure Photographie – Festival des Arcs 2021

Avec : Paolo Cossi, Jacopo Elia, Denise Trombin, Nicola Lanza

Réalisateur : Michelangelo Frammartino • Chef opérateur : Renato Berta • Scénario : Michelangelo Frammartino, Giovanna Giuliani • Montage : Benni Atria • Décorateur : Giliano Carli • Son : Simone Paolo Olivero • Costumière : Stefania Grilli • Producteurs : Marco Serrecchia, Michelangelo Frammartino, Philippe Bober • Sociétés de production : Doppio Nodo Double Bind, Rai Cinema • Sociétés de co-production : Parisienne de production, Essential Films • Avec l’aide de : MIC- Direzione Generale Cinema, Eurimages, Calabria Film Commission, Regione Lazio, CNC-Aide aux cinémas du monde – Centre national de la Cinématographie – Institut français, Arte France Cinema, ZDF / Arte, Medienboard Berlin Brandenburg, Cinereach • Avec la collaboration et le patronage de : Pollino National Park, la commune de San Lorenzo Bellieei et la société de spéléologie italienne

Michelangelo Frammartino

Michelangelo Frammartino est né à Milan en 1968. Il a étudié l’architecture au Politecnico di Milano, où il a développé une passion pour la relation entre l’espace physique et les images photographiques, la vidéo et le cinéma. Après avoir obtenu son diplôme, il a poursuivi ses études à la Civica Scuola del Cinema de Milan, où il a conçu des installations vidéo influencées par les recherches artistiques du Studio Azzurro.
Le premier film de Frammartino, IL DONO (2003), tourné dans le village de ses parents en Calabre, a été présenté au festival du film de Locarno.
Son deuxième long métrage, LE QUATTRO VOLTE (2010), a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.
En 2013, l’installation ALBERI, une boucle de 26 minutes, a été présentée pour la première fois au MoMA PS1 et a ensuite été montrée dans d’autres musées, notamment au Festival Hors Pistes 2021 du Centre Pompidou.
IL BUCO est son troisième long-métrage, sélectionné en compétition à la Mostra de Venise 2021 où il a remporté le Prix du Jury.

Invitation à la programmation

METTRE À L’ECHELLE

Il Buco de Michelangelo Frammartino est un grand grand film de cinéma. Les administrateur.trices du GNCR étaient unanimes face à l’œuvre qui, après Le Quattro Volte, place à nouveau son public devant un spectacle plus grand que ses protagonistes. Plus grand que l’exploit, réalisé en 61 et qui fait la trame du film, d’explorer une des plus vastes et profondes grottes du monde. L’exploit est beau, mais il est à la mesure des hommes et des femmes qui le réalisent, c’est-à-dire tout petit. Le film donne à voir le monde qui les entoure, les englobe, les avale, leur échappe, à travers un travail sonore remarquable, qui « met à l’échelle ». Il raconte ce que seul peut mettre à jour l’œil de la caméra : l’inscription des vivants dans des paysages, le temps, qui passe différemment pour chacun, ou encore ce qui se déroule, en même temps, à quelques kilomètres de l’action….

Juliette Grimont
Programmation Cinéma le Gyptis – Marseille / Cinéma la Baleine – Marseille / Saint André des Arts – Paris


Note d’intention du réalisateur

LA NAISSANCE DU PROJET

Lorsque je tournais LE QUATTRO VOLTE à Alessandria del Carretto, le maire de la ville, Antonio La Rocca (Nino), lui-même spéléologue, m’a aidé à faire des repérages. Il me disait souvent combien le Pollino est merveilleux. Il trouvait que j’étais trop concentré sur la culture des arbres à l’époque – et voulait que je consacre au moins une journée entière à visiter la zone.

Le Pollino, un massif du sud des Apennins, à la frontière entre la Basilicate et la Calabre, est un territoire vaste et fascinant. Il présente des canyons, des sillons profonds où passent des rivières. Sa nature et sa faune sont extraordinaires, notamment les aigles royaux, les griffons et les loups. Pour me convaincre de la beauté du Pollino, Nino m’a d’abord conduit à l’entrée du Bifurto. Pour quelqu’un comme moi, qui n’est pas un spéléologue, cela ressemblait à un simple trou dans le sol. Situé au milieu d’un maquis méditerranéen assez commun, il n’était pas particulièrement fascinant. Je me souviens l’avoir regardé avec incrédulité.

Il a commencé à expliquer comment il l’avait détecté. Comment il avait passé des années de sa vie à le cartographier, en utilisant les anciens systèmes – avec la côte et un clinomètre. Comment il y était entré des centaines et des centaines de fois, pour en faire le relevé parfait. Comment il avait dormi et mangé là-dedans. Il y avait laissé une partie de sa jeunesse. Bien sûr, cet endroit avait une signification très spéciale pour lui. J’ai commencé à le comprendre. Nino a laissé tomber une pierre dans le trou et je me souviens qu’il a fallu 3 ou 4 secondes pour que la pierre touche quelque chose. C’était comme si la pierre était désynchronisée. C’est alors que j’ai vraiment compris. C’était en 2007.

En 2016, Nino a organisé une campagne exploratoire pour tenter de débloquer le « trébuchet », ce que j’avais jusque-là considéré comme le trou dans le sol. J’ai passé quelques semaines avec le groupe de spéléologues, à creuser, à m’interroger. Là, j’ai rencontré Giulio Gècchele, 82 ans, qui avait dirigé la première expédition en 1961. Il devint une source d’inspiration.

En 1961, alors que le boom économique mondial battait son plein en Italie, Giulio Gècchele et son jeune groupe de spéléologues, originaires du Piémont, se consacraient à un acte totalement gratuit. À l’opposé de la tendance de l’imparable trajectoire vers le ciel, ils entreprennent une expédition spéléologique, qui se termine par l’ascension d’une niche, d’un trou, d’une fissure dans la terre, et par la descente à une profondeur d’environ 700 mètres sous terre. Au fond de la péninsule italienne, ils ont découvert la deuxième grotte la plus profonde du monde, le gouffre du Bifuto. Ce record était inconnu des explorateurs eux-mêmes.

Au cours des mêmes mois, le monumental gratte-ciel Pirelli, un exemple vertigineux d’architecture, est achevé. L’édifice fait la une des journaux, bénéficie d’une large couverture médiatique et devient rapidement le symbole tape-à-l’œil d’une Italie ayant atteint l’objectif vertical le plus élevé. Pourtant, la découverte des spéléologues n’est pas rendue publique et reste aussi obscure que le sombre monde souterrain dans lequel elle a été réalisée.


INVASION

Mais nos merveilleux jeunes explorateurs étaient-ils eux aussi le produit de ces années ? Leur entreprise n’a-t-elle pas été, malgré eux, une forme de colonisation, une émanation du boom économique et de l’esprit d’optimisme qu’ils cherchaient à fuir ?

En descendant avec les outils de la science et de la raison sur une terre encore archaïque, en annotant et en dépeignant un lieu lié aux mythes et aux croyances, à l’aide des notes graphiques d’explorateurs studieux, n’ont-ils fait qu’esquisser, révéler et traduire le monde souterrain inconnu selon les mêmes paramètres et mesures numériques que le monde d’en haut ? Si tel était le cas, leur action, révolutionnaire pour l’époque, finit par être interprétée comme une attaque. Soudain, le dernier point de résistance informe et primitif qui n’avait jamais vu l’homme était envahi. Ses mesures et ses dimensions, qui étaient restées intactes et libres de toute classification, étaient maintenant enregistrées et déchiffrées. Ce qui n’était jusqu’alors qu’une croyance, un mythe et un mystère, allait maintenant être nommé et défini. Il cesse d’exister en dehors de la réalité et devient « l’abîme ».

Ces jeunes spéléologues, qui tentaient de résister à la mutation anthropologique qui se propageait rapidement en Europe, ont-ils accompli sans le savoir un acte de colonisation dans une zone de non-réalité ? L’ont-ils soumise à l’orientation de leurs boussoles, à la lumière de leurs lampes, au regard de leurs yeux, à la mesure de leurs mètres ? Leur lumière, qui défie l’obscurité et annule la magie du conte populaire, est-elle la lumière du Nord économique, de la connaissance et de la raison, qui dompte le mystère de la montagne ?

L’EXPLORATION DES TÉNÈBRES

IL BUCO est un film conçu pour être vu au cinéma, dans l’obscurité de la salle, avec d’autres. Plonger le public dans la même substance que les spéléologues.

En spéléologie, on ne voit pas les autres spéléologues. L’obscurité vous fait vous déplacer dans l’espace au gré de vos besoins, elle est sans vanité. La spéléologie n’est pas un sport – dans le sport, même au moment de la grande fatigue, on est toujours sous le regard du public, des fans, des caméras. La spéléologie, c’est dans le noir, sous terre, dans la boue. Les spéléologues sont habillés plus comme des nettoyeurs de rue que comme des athlètes.

Ce fut un défi de trouver le casting car l’idée d’être visible, de participer à un film ne les attirait pas. Ils voulaient rester dans l’obscurité, être sous terre.

J’aimais l’idée de travailler avec des gens qui ne voulaient pas faire de film, qui ne voulaient pas être vus.

Dans la spéléologie, il y a presque une propension à la défaite, dans le sens où il n’y a pas de triomphe. Il n’y a pas de sommet à atteindre comme en alpinisme où l’on gagne, où l’on réussit dans l’entreprise. Dans la grotte, on ne sait pas où l’on va. Il n’y a pas de point fixe à atteindre. Lorsque l’exploration se termine, c’est une petite défaite. Le point d’arrivée est généralement un endroit laid, un endroit étroit, sale et boueux. Il y a toujours une sorte de mélancolie.

Cette vocation à la disparition, plutôt qu’à l’affirmation de la visibilité, était intrigante sur le plan cinématographique. Lorsque j’ai fait ma première expérience de spéléologie avec Nino, je me suis intéressé à cette exploration du noir – où l’élément cinématographique le plus fondamental, la lumière, est absent.

Le début de la spéléologie moderne, avec la fondation de la première société de spéléologie en France, se situe en 1895 – une année emblématique pour nous cinéastes, avec sa coïncidence avec la naissance du cinéma. Je ressens ce lien fort entre l’obscurité et le cinéma – ces faisceaux de lumière dans l’obscurité.

CARTOGRAPHIER L’INTIME

Un grand géologue français, François Ellenberger, homme de la terre, des volcans, des grottes, de l’intérieur de la planète, s’est retrouvé en camp de concentration. Contrairement à ses compagnons de détention – des penseurs célèbres, des philosophes, qui pouvaient continuer à exercer leur pensée, il ne pouvait exercer sa profession. Ellenberger s’est alors lancé dans une expérience très étrange qui consistait à étudier sa mémoire et ses rêves, son intériorité et son mystère, en utilisant des méthodes géologiques.

En parlant de l’âme du paysage, de l’inconscient de la montagne, du souffle des grottes, nous humanisons les territoires – mais dit par nous, cela ressemble à une ambition philosophique d’amateur. Le travail de recherche de 5 ans du célèbre scientifique Ellenberger, au cours duquel il s’est interrogé sur les similitudes entre l’intérieur de la planète et celui d’un homme, m’a encouragé à tenter cette juxtaposition entre le vieux bouvier et l’abîme du Bifurto.

J’ai progressivement découvert une relation forte entre les spéléologues et les bergers – à la fois sur le Pollino, mais aussi dans les Alpes Maritimes, et dans le Piémont. Les bergers sont ceux qui connaissent le mieux le paysage et les territoires montagneux. Ce sont eux qui sont interrogés par les explorateurs pour savoir comment le territoire est fait. Ils savent s’il y a des cavités. Ils connaissent les trous et les grottes – qui sont généralement des endroits dangereux pour eux – sauf les horizontaux, où ils peuvent mettre le bétail. Historiquement aussi, les grottes ont toujours été liées à des croyances et des traditions associées à la peur. Les bergers sont aussi ceux qui baptisent le territoire, qui donnent des noms aux sommets, aux endroits qu’ils ont l’habitude de traverser. Il y a un lien ancien fort que j’ai toujours rencontré depuis que je travaille dans la spéléologie. Même dans les vidéos du groupe spéléologique du Piémont, dans les films des années 50, du début des années 60, les bergers apparaissent avec leurs animaux. C’est une constante.


CHRONOLOGIE

1956-1958 Construction du gratte-ciel Pirelli à Milan par l’architecte Gio Ponti. La tour est commandée par le président du géant des pneumatiques Pirelli, Alberto Pirelli.

1958 Célébration de la pose de la dalle sur le toit de la tour Pirelli, qui atteint une hauteur de 127 m.

1958-1963 Années record du miracle économique italien

1959 Début du programme LUNA, dans le cadre duquel une série de missions de vaisseaux spatiaux robotisés ont été envoyées sur la Lune par l’Union soviétique.

4 avril 1960 La tour Pirelli est entièrement achevée. Elle devient un symbole non seulement de Milan, mais aussi de la reprise économique de l’Italie après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale.

12 avril 1961 Youri Alekseyevitch Gagarine, pilote et cosmonaute soviétique, devient le premier humain à voyager dans l’espace, franchissant ainsi une étape majeure dans la course à l’espace. Sa capsule, Vostok 1, a effectué une orbite autour de la Terre.

10 juillet 1961 Walter Bonatti (le plus grand alpiniste italien de tous les temps) tente l’ascension du Mont Blanc (toit de l’Europe) par la voie du Pilier Central du Frêney (qui deviendra plus tard la voie « classique »).

5 août 1961 Giulio Gècchele, Marziano Di Maio, Giuseppe De Matteis, Ginni Braida, Carla Lanza, Dario Sandero et les autres jeunes membres du Groupe spéléologique piémontais (GSP) de Turin arrivent dans l’arrière-pays calabrais inexploré du Pollino et découvrent le gouffre du Bifurto.