Film soutenu

Import Export

Ulrich Seidl

Distribution : Solaris Distribution

Date de sortie : 07/01/2009

Autriche - 2007 - 2h15 - 35 mm - couleur - langue : allemand/russe/slovaque

Deux trajectoires évoluent dans des directions opposées. Olga, jeune infirmière ukrainienne, part à la recherche du bonheur à l’Ouest où elle devient femme de ménage dans un service gériatrique en Autriche. Paul était agent de sécurité à Vienne. Au chômage, il prend la route avec son beau-père vers l’Est, en direction de l’Ukraine. Deux destins de jeunes gens à la recherche d’une nouvelle chance, qui se voient confrontés à la réalité crue.

Sélection officielle – Festival de Cannes 2007

Réalisation : Ulrich Seidl
Scénario : Ulrich Seidl, Veronika Franz 
Caméra : Ed Lachman asc, Wolfgang Thaler 
Ingénieur du son : Ekkehart Baumung 
Décors : Andreas Donhauser, Renate Martin
Montage : Christof Schertenleib 
Production : Ulrich Seidl Film Produktion GmbH 
Cofinancé par : Coproduction Office
Financé par : Österreichisches Filminstitut, Filmfonds Wien, Land Niederösterreich  
En collaboration avec : ORF (Film/Fernsehabkommen), ARTE FRANCE CINÉMA, ZDF/arte, Conwert Immobilien

Ulrich Seidl

Ulrich Seidl, né en 1952, habite à Vienne (Autriche). Ulrich Seidl est à l’origine de nombreux documentaires récompensés maintes fois lors de festivals internationaux (dont « Good News », « Animal Love » et « Models » ). Werner Herzog, qui le compte parmi ses dix réalisateurs préférés, a déclaré à propos de « Animal Love » : « Aucun film ne m’avait encore jamais offert une telle vue plongeante sur l’enfer. » « Dog Days », le premier film de fiction de Seidl, a reçu le Grand Prix du Jury au festival de Venise 2001. Deux ans plus tard, le réalisateur a fondé Ulrich Seidl Filmproduktion GmbH et produit « Import Export », film qui fut en compétition au festival de Cannes 2007.

FILMOGRAPHIE
2014 SOUS-SOLS 
2012 PARADIS: ESPOIR 
2012 PARADIS: FOI 
2012 PARADIS: AMOUR 
2007 IMPORT EXPORT 
2006  BROTHERS, LET US BE MERRY (court)
2004  OUE FATHER
2003 JESUS, YOU KNOW
2001 STATE OF THE NATION
2001 DOG DAYS 
1998 MODELS
1998 FUN WITHOUT LIMITS (TV)
1997 THE BOSOM FRIEND (TV)
1996 PICTURES AT AN EXHIBITION (TV)
1995 ANIMAL LOVE
1994 THE LAST MEN (TV)
1992 LOSSES TO BE EXPECTED
1990 GOOD NEWS
1984 LOOK 84 (fragment)
1982 THE PROM (court)
1980 ONE FORTY (court)

Une beauté froide comme la mort
L’Autriche d’Ulrich Seidl est bien ce pays que ses plus grands artistes, de Thomas Bernhard à Michael Haneke, haïssent avec une délectation enragée, une minutie clinique, une glaciale prévenance.
En 2001, Dog Days, le précédent long métrage du docteur Seidl, avait fait sensation au Festival de Venise en opérant sur ses compatriotes une découpe collective digne de l’étal de boucherie. Loin de cet exercice de massacre, Import Export n’est guère plus tendre, mais en revanche beaucoup plus convaincant.
Le film met en parallèle, de bout en bout, deux personnages, deux destins qui se ressemblent et qui se croisent. Olga, dans un faubourg sinistre de l’Ukraine, est une jeune mère célibataire dont le métier d’infirmière ne lui permet pas de joindre les deux bouts. Une amie l’introduit dans une boîte sordide où des filles russes dévoilent en direct leur intimité pour les voyeurs germaniques d’un site spécialisé. Paul, en Autriche, est quant à lui un jeune paumé, mutique et violent, qui perd sa petite amie à cause de son amour des chiens de combat, avant de perdre définitivement son emploi temporaire d’agent de sécurité.
Ces deux déclassés, en quête d’un nouveau départ, vont chacun tenter leur chance dans le pays de l’autre. Olga en Autriche, où elle devient bonne à tout faire dans une maison bourgeoise où les enfants l’insultent, puis femme de ménage dans une institution gériatrique, mouroir et miroir honteux de la société de consommation, où sa beauté déchaîne la jalousie hystérique et xénophobe d’une infirmière. Paul en Ukraine, où il accompagne son beau-père, une brute épaisse doublée d’un obsédé sexuel, pour y vendre à la maffia locale des rebuts de machines à jeux.

Cohérence esthétique
On ne devrait sans doute pas le dire, mais l’une des plus grandes vertus du film consiste à éviter ce que tout scénario bien calibré  organiserait inéluctablement pour ces personnages : leur rencontre. Ce faisant, Import Export ne se contente pas de prolonger pour la déjouer l’attente des spectateurs. Il témoigne plus essentiellement de la cohérence esthétique et morale de son propos, qui nous parle d’un monde où les frontières tombent plus sûrement  que l’inégalité sociale, et où la circulation des hommes et des  marchandises accroît la solitude des premiers et la prolifération des secondes.
Ce film tiré au cordeau et d’une beauté froide comme la mort nous parle de la marchandisation du monde, de l’instrumentalisation des corps et de l’humiliation des esprits par le sexe ou le travail, mais aussi, à l’occasion, de la fugitive tendresse que les laissés- pour-compte volent à ce monde subtilement inhumain.

Jacques Mandelbaum, Le Monde 23 mai 2008


Entretien avec Ulrich Seidl

Import Export a été tourné dans des conditions difficiles : moins trente degrés 
en Ukraine, proximité avec des mourants en Autriche… S’agit-il là de conditions extrêmes ou normales pour vous ?

Chaque film est particulier et je dois toujours me battre, mais les conditions extérieures me font rarement peur. Je pense que les images intenses et extrêmes ne peuvent voir le jour que dans des conditions elles-mêmes intenses et extrêmes.

Votre film s’intéresse aux flux migratoires entre l’Est et l’Ouest. Qu’est-ce qui a tout d’abord attiré votre attention: l’importation ou l’exportation de la force de travail ?
L’exportation. C’est en travaillant à un autre film que j’ai eu l’idée de faire  celui-ci. Lorsque je préparais Zur Lage, un documentaire en plusieurs parties, j’ai rencontré une famille de prolétaires dont tous les membres étaient au chômage. J’y ai vu le thème d’un film de fiction. En ce qui concerne l’importation, il y a des années que j’avais envie de réaliser un film en Europe de l’Est, parce que je me sens très proche des gens là-bas. C’est pourquoi j’ai commencé à écrire une histoire qui irait d’est en ouest, et une autre en sens contraire. 

Les rôles principaux sont-ils tenus par des acteurs professionnels ou par des amateurs, comme c’était le cas dans Dog Days, votre film précédent ?
Les deux acteurs principaux n’avaient jamais joué devant une caméra auparavant. Paul Hofmann, l’Autrichien, a une vie très proche du rôle qu’il joue dans le film.  Il est au chômage et traîne dans la vie en cherchant l’amour et la bagarre. Ekateryna rak était infirmière en Ukraine, et joue un rôle d’infirmière dans le film. Elle n’était jamais venue en Europe de l’Ouest, et ne compte d’ailleurs pas y rester.

Les deux personnages principaux ne se rencontrent pas dans le film. Pourquoi?
Dans le scénario, il était prévu qu’ils se croisent à la frontière, sans se parler. Je crois que n’importe quel scénariste aurait prévu la scène… mais lors du tournage,  je n’ai pas voulu montrer de frontière politique, puisque de toute manière elles sont en   train de disparaître. Il en va autrement des frontières sociales qui, elles, sont encore  bien solides.

Le casting a duré un an, le tournage deux hivers et le montage deux ans. Pourquoi l’élaboration de vos films est-elle toujours aussi longue ?
Parce que je ne suis pas rapide ! [rire] Non, en fait c’est parce que mes  scénarii ne sont que des guides de tournage. Je veux dire que lorsqu’un film démarre,  je pars en voyage avec mon équipe: nous avons bien un but, mais ignorons encore le chemin qui y mène. C’est tout un processus, et souvent nous restons en panne car   je ne sais vraiment plus comment faire pour avancer.

La mise en scène d’Import Export fait que cette fiction ressemble parfois étrangement à un documentaire…
Ce film est en réalité plus documentaire que Dog Days, puisqu’il a été   en grande partie tourné dans des lieux publics – dans une véritable agence pour l’emploi, une véritable agence de sexe sur Internet, et deux véritables hôpitaux.

À ce propos : les acteurs côtoyaient de véritables malades à l’hôpital.   Était-ce difficile de tourner avec des mourants ?
Les seules difficultés sont venues de l’administration et du personnel.   J’ai fait l’objet de pressions énormes visant à m’empêcher de tourner, principalement à  cause de scandales récents dans des services de gériatrie en Autriche. Plusieurs mois  avant le tournage, nous avons commencé à passer du temps avec les patients. Les acteurs, notamment Maria Hofstätter, ont travaillé deux fois par semaine à l’hôpital, en service de jour comme de nuit. Les patients qui étaient encore conscients nous ont accueillis avec plaisir, puisque le tournage rompait la monotonie de leur quotidien carcéral.

Dog Days, votre premier film de fiction, a remporté le grand prix du jury au festival   de Venise. Le succès a-t-il changé votre manière de travailler ?
Je ne pense pas. Pour moi, le tournage d’un film est toujours épuisant. C’est même souvent un calvaire. Je ne cherche pas la facilité, ni pour moi ni pour mon  équipe. Et chaque film est une aventure, un combat. Je n’ai pas la recette du succès.   Il est toujours possible de se casser la figure.

Ed Lachman, l’un des deux caméramans d’Import Export, vous a décrit comme un réalisateur qui s’intéresse à la morale, sans pour autant être un moraliste. Êtes-vous d’accord avec lui ?
Mon propos n’est pas uniquement de divertir le spectateur, mais aussi de   le toucher, voire de le déranger. Mes films ne critiquent pas des personnes, mais la société dans laquelle ils vivent. Et j’ai une conception claire de la dignité. Un film atteint son objectif lorsqu’il dépasse le divertissement et pousse le spectateur à découvrir quelque chose en rapport avec sa propre vie. Mon intention est de renvoyer au spectateur  une image de lui-même.

En tant que réalisateur, vous ne vous livrez pas à une critique sociale classique.   Vous montrez les choses, sans porter de jugement de valeur.
Je ne connais pas d’idéologie pour un monde meilleur, et je ne cherche   jamais à juger les individus. J’essaye seulement de jeter un regard impartial sur la vie.  Je crois que la réalité dépasse tout – toutes nos angoisses, toutes nos passions, l’angoisse de la mort comme la recherche passionnée de l’amour. 

On souligne souvent le pessimisme de vos œuvres. Et pourtant, vous utilisez aussi l’humour…
L’horreur, l’inévitable est souvent plus facile à supporter grâce à l’humour.   De plus, je cherche toujours à jeter un pont entre tragédie et comédie. Je ne pense pas qu’un optimiste soit à priori plus constructif qu’un pessimiste, et qu’il doive par conséquent être considéré comme plus positif. Quand on regarde le monde sans complaisance, il est dur de ne pas être pessimiste. Mais comme tous les pessimistes, je suis aussi attiré par la beauté.

Bien que choquant, Import Export pourrait être considéré comme le plus humaniste de vos films. Êtes-vous devenu plus doux, ou plus sage ?
Plus sage, j’aimerais bien ; plus doux, sûrement pas. Tous mes films sont   le fruit d’une conception humaniste du monde. Même ceux qui dérangent, qui provoquent ou qui choquent.