Martin, dans le Tennessee, Chip Hines, un jeune garçon précoce de 6 ans, ne connaît que la vie avec ses deux papas, Cody et Joey. Et c’est une belle vie. Quand Cody meurt brutalement dans un accident, c’est avec force que Chip et son père adoptif réagissent afin de surmonter cette perte et continuer la vie qu’ils avaient commencée à construire à trois. Mais la sœur de Cody révèle à Joey qu’un vieux testament établi à la naissance de Chip, peu avant qu’il ne fasse partie de la famille, la désigne comme tutrice de l’enfant. Les années d’intégration de Joey dans la famille s’effritent peu à peu alors que Chip lui est enlevé. A l’incompréhension succède la colère et l’impossibilité pour Joey de trouver une solution. La loi n’est pas de son côté, mais ses amis si. Fort de leur soutien et des souvenirs avec Cody, il cherchera un chemin vers la paix avec cette famille qu’il considérait comme la sienne avant le drame, et essayera ainsi de se rapprocher de son fils.
SITE DU FILM (americain) : http://www.inthefamilythemovie.com
Avec : Chip Hines Sebastian Brodziak • Joey Williams Patrick Wang • Cody Hines Trevoe St. John • Betsy Lisa Altomare • Marge Hawks Susan Kellermann • Ed Conan McCarthy • Sharon Harriett D. Foy • Brent Zachary Sayle
Réalisateur Patrick Wang • Scénariste Patrick Wang • Producteurs Andrew van den Houten, Robert Tonino, Patrick Wang • Directeur de la photographie Franck Barrera • Monteur Elwaldo Baptiste • Musique Chip Taylor, Andy Wagner
Patrick Wang
Filmographie
2011 In the Family
2015 Les secrets des autres
2017 A Bread Factory partie 1 – Ce qui nous unit
2017 A Bread Factory partie 2 – Un coin de Paradis
ENTRETIEN AVEC PATRICK WANG
Quelle est votre histoire ?
Mes parents sont de Taïwan. Ils sont venus aux États-Unis pour faire
leurs études, dans le Missouri, et c’est là qu’ils se sont rencontrés.
Ensuite, ils ont tous les deux trouvé du travail à Houston, au Texas, où
je suis né et où j’ai grandi. Je suis allé au Massachusetts Institute
of Technology (MIT) dans l’idée de devenir physicien, mais j’ai fini
diplômé en économie, et j’ai travaillé dans cette branche pendant des
années avant de devenir réalisateur. À l’université, j’ai découvert le
théâtre, qui m’a donné les meilleures bases pour faire des films. Grâce
au théâtre, j’ai en effet appris les deux choses les plus importantes
pour réaliser En Famille : comment travailler et parler avec les acteurs
; et comment travailler et parler avec les artistes-techniciens. Quand
on passe du théâtre au cinéma, il faut bien sûr apprendre à manier de
nouveaux outils, mais en substance, je trouve que c’est pareil.
Quand et comment vous est venue l’idée du film ?
Il y a quelques années, j’ai rencontré Evan Wolfson, un avocat des
droits civiques d’exception. Il réfléchissait sur le mariage entre
personnes du même sexe, et sur le fait que cela mettait beaucoup de gens
mal à l’aise. À ses yeux, ce malaise ne doit pas être imputable
seulement à une regrettable étroitesse d’esprit. C’est un sentiment
légitime qu’il faut tenter de comprendre, car ces mêmes personnes qui ne
sont pas à l’aise avec le sujet ont aussi en eux quelque chose qui sert
ce pays depuis longtemps : le désir sincère d’être équitable, de se
montrer juste. Si l’on raconte une histoire qui montre que les choses
telles qu’elles sont aujourd’hui blessent des familles, éprouvent des
gens qui s’efforcent de vivre dans la dignité, ce désir d’équité peut
prendre le pas sur le malaise initial. C’est parfois par ce biais que
les changements se font. Cet esprit d’optimisme et de générosité a été
l’un des déclencheurs pour écrire le film.
Quels aspects personnels de votre vie quant aux relations amoureuses et à la parentalité avez-vous mis dans le film ?
J’ai essayé de ne pas parler de ma vie. Évidemment, je ne crois pas
qu’on puisse s’en détacher totalement, mais quand je raconte une
histoire, je m’efforce de penser aussi peu que possible à ce que je sais
déjà, et de m’interroger au contraire sur les autres. J’aime démarrer
mes projets avec des sujets qui me sont étrangers. Je n’ai pas d’enfant,
je ne suis pas en couple depuis longtemps et je ne vis pas dans le
Tennessee. Il y a certes des aspects de ma vie que l’on retrouve dans le
film – des relations, des échanges que j’ai eus avec des enfants, ou
mes observations des rapports entre parents et enfants – mais j’ai
préféré les laisser en arrière-plan pour mieux m’interroger sur les
personnages du film.
Quelle place votre père a-t-il tenue ?
Il a tenu une grande place dans la mise en œuvre du film. J’en avais
déjà écrit le scénario, mais je ne l’aurais pas réalisé moi-même si mon
père n’était pas tombé malade très soudainement. Sa maladie m’a rappelé
qu’on ne sait jamais combien de temps il nous reste. J’ai alors cherché à
faire quelque chose qui ait du sens pour moi. Le film était écrit, je
me suis dit que je pourrais le faire et j’en ai eu très envie. Mon père a
quitté ce monde en novembre 2010, deux semaines après la fin du
tournage. Il n’aura pas vu le film, mais je suis très heureux qu’on ait
pu en discuter ensemble.
D’une certaine manière, mon père est aussi très présent dans le film. C’était un homme qui invitait les autres à l’ouverture, à la confidence, et qui était plutôt discret. Mais il n’a pas eu une vie terne pour autant. Il était très énergique, il a accompli beaucoup et avec dignité dans des moments difficiles. Je voulais retrouver cet état d’esprit à l’écran. C’est un profil qui ne colle pas au modèle dramaturgique en vogue. Dans les films actuels, on a l’impression qu’il faut nécessairement des personnages complètement déglingués qui se font des choses horribles les uns aux autres. À mon sens, les personnages principaux ne sont pas obligés de sombrer dans les extrêmes, ils peuvent aussi être romanesques à l’image de ce que la vie est parfois. Il y a beaucoup à apprendre des gens qui savent naviguer à travers les tempêtes de l’existence.
Le personnage de Joey, même s’il n’est pas mon père à proprement parler, partage donc son état d’esprit. Mon père était un immigrant, j’ai pensé à lui pour les scènes où Joey se perd dans des méandres juridiques. Il est propulsé en territoire inconnu, dépendant de la bonté d’âme d’étrangers, mais avec un peu de chance et beaucoup de travail, il finit par trouver son chemin.
Comme scénariste, comment avez-vous conçu l’intrigue du film ?
Il m’est très difficile de commencer à écrire en ayant d’emblée en tête
la succession d’événements que l’on qualifie au final d’intrigue. Je
suis parti de ces deux pères avec leur petit garçon. Un jour, une scène
de leur vie quotidienne m’est apparue, et tous les trois ont beaucoup
piqué ma curiosité. Au départ, cette curiosité se cantonnait au moment
présent : à quoi ressemblerait un jour de leur vie ? Puis quand j’ai
senti que je maîtrisais assez leur présent, j’ai pu m’avancer dans le
passé, me demander ce qu’ils avaient vécu avant. À partir de là, mes
fondations bien posées, j’ai pu revenir dans le présent et explorer
l’avenir. J’ai soumis la famille à de profonds bouleversements, et parce
j’en étais venu à la connaître intimement, j’ai pu faire réagir les
personnages avec sincérité et suivre la voie qu’ils montraient. Cette
sincérité des réactions nous dit où il faut éviter d’aller. En
l’occurrence, cela m’a soufflé qu’une fin au tribunal tomberait à plat.
En fait, j’ai choisi de faire vivre à ces personnages les événements qui
les mettraient le plus à l’épreuve, qui révéleraient le plus
d’eux-mêmes, le pire comme le meilleur.
Avez-vous pensé à interpréter Joey dès le départ ?
Non. Je pensais au départ écrire le film, puis le confier à quelqu’un
d’autre. Je n’envisageais pas de le réaliser, de le produire ou de jouer
dedans. C’est mon producteur qui m’a suggéré de jouer Joey. Il avait
produit des courts métrages dans lesquels j’avais joué, et quand je lui
ai parlé du projet, il a eu le sentiment que je pouvais jouer ce rôle,
qu’au lieu de passer du temps à trouver un acteur et à lui expliquer le
personnage, je devrais le faire. J’ai mis un moment à même accepter d’y
songer puis, pendant plusieurs semaines, je me suis auditionné moi-même
histoire de vérifier que je ne courais pas droit à la catastrophe.
Comme acteur, comment avez-vous construit votre personnage ?
Petit à petit. Je prends le temps d’imaginer la vie du personnage, de
sonder ses répliques. Les accents peuvent m’aident à cerner la façon
dont les gens pensent et ressentent les choses. Ce point essentiel,
ainsi que le lieu où se déroule l’action, sont les outils que je
privilégie pour enraciner les accents, plutôt que l’application
mécanique de la phonétique. Il m’a fallu quelques mois de travail sur la
voix de Joey pour bien la placer. Entre autres choses, j’ai discuté
avec des gens de la ville de Martin et j’ai pensé aux types d’accent du
Tennessee que j’avais entendus. Cela dit, le plus gros du travail a
porté sur le rythme auquel pense Joey.
L’allure physique de Joey tient à deux choses : c’est un homme manuel, et c’est un homme qui se sent très bien dans sa peau. Pour sa démarche, j’ai trouvé une paire de bottes idéale et j’ai convoqué mes souvenirs d’enfance au Texas. Du reste, quand on peut se permettre le luxe de prendre le temps de vivre avec un personnage, certaines choses émergent naturellement, inconsciemment. Il m’est arrivé de visionner des rushes et de me dire : « Mais d’où elle sort, cette gestuelle ? Elle est parfaite, mais allez savoir d’où elle vient. »
Je ne suis pas très Actors Studio. Je retrouve et quitte mon rôle très rapidement ; quand « Coupez ! » retentit, l’accent et la contenance du personnage se dissipent, et le réalisateur prend la main. Mais s’il m’était si facile d’entrer dans la peau de mon personnage sur le plateau, c’était grâce aux acteurs fantastiques avec qui je travaillais. Cette dynamique de groupe m’a totalement porté. J’ai engagé d’excellents acteurs, et il m’a suffi de réagir à leur contact.
Comme réalisateur, comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
Pendant l’écriture du scénario, je n’avais pas vraiment d’acteurs en
tête. Et une fois les acteurs choisis, je n’ai pas beaucoup modifié les
répliques. Sauf quelques exceptions que je compte sur les doigts de la
main, les dialogues du tournage sont ceux du scénario.
Ce qui ne m’a pas empêché de vouloir que les acteurs improvisent. J’aime l’improvisation, mais elle ne doit pas nécessairement être textuelle. Si on laisse assez d’espace dans l’écriture, les acteurs sont libres de toutes sortes d’interprétations. J’aime être surpris par l’interprétation, je trouve que cela peut être très bénéfique, surtout quand les personnages en viennent à se surprendre eux-mêmes.
Par exemple, dans le film, il y a une scène de flash-back où Joey et Cody se connaissent encore mal. Cody est ivre, et il a l’alcool triste. Bien qu’il vive alors une période éprouvante, la scène telle qu’elle était écrite ménageait une certaine légèreté de ton. Nous avons fait trois prises, chacune extrêmement différente, ce grâce au talent de mon partenaire de jeu, Trevor St. John. La prise que j’ai gardée est la seule qui renferme une certaine violence, où la légèreté que j’avais envisagée à l’écriture n’a pas pris corps. C’est également une prise qui rend moins évidente la façon dont la relation va se créer entre Joey et Cody. Comme si cette relation ne devait pas fatalement être. Si la scène avait été plus douce, on aurait eu l’impression à ce stade qu’ils allaient forcément finir ensemble. Tandis qu’avec cette hostilité de départ, émanant d’un personnage qui a à peine conscience de l’existence de l’autre, il restait bien plus de chemin à parcourir.
Cela permettait en outre de mieux révéler les personnages. On a d’un côté Cody, qui fait preuve d’une violence surprenante par rapport à ce que l’on a vu de lui jusqu’ici, et de l’autre côté, la réaction de Joey. À voir la décontraction, le sang-froid avec lesquels il gère la situation, on perçoit ce qu’il a pu traverser dans sa vie auparavant. La version finale de cette scène en dit donc très long sur ces deux hommes.
Comment avez-vous trouvé Sebastian Banes, qui joue Chip ?On a fait passer des auditions à une quinzaine de garçons d’entre 5 et 9 ans. Comme dans cette tranche d’âge, peu sont capables de retenir toutes leurs répliques, on a utilisé comme scène-test celle où il y avait le plus de dialogue. Sebastian avait 6 ans, comme l’âge du personnage dans le scénario, et il était doué d’une mémoire remarquable. Étaient également remarquables son intrépidité et son grand cœur. C’était un être pur. Tout précoce qu’il était, il n’avait rien de bizarre. Il était naturel et bourré de charme.
Un enfant de cet âge ne pouvant a priori pas absorber beaucoup de consignes de mise en scène, j’avais décidé de le diriger non avec des mots, mais plutôt comme partenaire de jeu. Je pouvais accélérer ou ralentir le rythme, faire sentir les changements de ton et de comportement du personnage, et l’autre devait y réagir. Sebastian s’est avéré étonnamment doué pour ça, et ça lui plaisait beaucoup. C’était comme un jeu entre nous, qui nous maintenait en contact permanent et faisait planer une sorte de suspense ludique. Ensuite, j’ai découvert qu’en plus de cette sensibilité, et contrairement à ce que les adultes pensent généralement des enfants, il était capable de mémoriser cinquante consignes en même temps et de nuancer aisément son jeu. Avec un acteur si accompli, il suffit de laisser un peu de temps aux partenaires de jeu pour s’habituer l’un à l’autre, et de répéter pour s’assurer que l’on peut refaire la même scène plusieurs fois sans problème. Ensuite, il n’y a qu’à jouer.
Comment avez-vous créé l’univers photo avec votre chef opérateur, Frank Barrera?
Nous n’avons pas parlé du visuel tout de suite. On a parcouru le
scénario ensemble, car je voulais discuter avec lui de chacune des
scènes : « Que se passe-t-il ici ? En quoi cela nous intéresse-t-il ?
Qu’est-ce que les personnages taisent ? Quelles sont leurs émotions ? »
Je recherchais des points d’ancrage, quelque chose à quoi l’on puisse
revenir si l’on se sentait perdu. On a eu ce type d’échange pendant un
mois, et seulement ensuite, on a commencé à parler des aspects visuels,
plan par plan, scène par scène. On n’avait pas d’idée maîtresse, mais
peu à peu, les choses se sont mises à s’agencer naturellement. On n’a
pas pris beaucoup de notes, non plus. On avait un privilège dont
manquent la plupart des films indépendants : beaucoup de temps en
pré-production (plus de 5 mois). Cela nous a permis de laisser les idées
flotter de-ci de-là, de laisser les bonnes mûrir et les mauvaises
tomber d’elles-mêmes. Ce n’est pas la peine de trop se focaliser au
départ, parce que quand une idée est bonne, elle reste ; on ne peut plus
s’empêcher d’y penser.
En un mois ou deux, on a ainsi pu créer notre dialecte
cinématographique. Résultat, sur le tournage, on se comprenait cinq sur
cinq, à l’instinct. Et heureusement, parce qu’on n’a eu que trois
semaines pour tourner.
Voilà comment ça s’est passé avec Frank. Mais chaque artiste-technicien
a sa personnalité, c’est comme les acteurs. Je me souviens que la
première fois que j’ai parlé avec mon designer sonore, Johnny Marshall,
je lui ai demandé comment il imaginait le paysage sonore du film. La
première chose qu’il m’a dite, c’est : « Pour ce genre de film, la
musique originale est primordiale. » Ce à quoi j’ai répondu que je
n’envisageais pas de créer une B.-O. Après coup, il m’a avoué qu’il
pensait que sa réponse lui avait fait perdre le film. Mais ce qui m’a
justement plu chez lui, c’est qu’il a été assez ouvert d’esprit pour
revoir sa position et emprunter allègrement une nouvelle direction.
D’ailleurs, tous mes principaux collaborateurs avaient cette mentalité :
même déçus dans leurs attentes, ils travaillaient de bon cœur.
Vous avez choisi d’utiliser essentiellement des plans moyens et de ne couper que si nécessaire. Pour quelle raison ?
Comme j’étais novice en réalisation, j’étais assez tétanisé par le
montage. Je n’ai pas voulu me reposer trop dessus — on comprend mieux un
outil quand on ne l’utilise pas à tort et à travers. Un grand nombre de
plans pourraient en effet être qualifiés de plans moyens, mais ce n’est
pas si simple: la composition du cadre évolue à l’intérieur des plans ;
j’ai voulu créer une dynamique intrinsèque pour pouvoir les
transformer, passer du plan moyen au gros plan ou au plan large,etc.
Cela peut se faire très concrètement, par exemple en déplaçant les
acteurs du premier à l’arrière-plan. Mais on peut aussi contextualiser.
Ainsi, j’ai parfois utilisé la nuque et l’arrière de la tête de Joey
pour remplir le cadre ; l’image est alors plus large mais, avec
l’exploitation de l’espace par défaut, on obtient un gros plan
contextuel de ce qui se passe dans le reste du cadre. Cette métamorphose
à l’intérieur des plans était essentielle, elle a créé une dynamique
visuelle sans montage ni mouvement de caméra.
Pourquoi montrer autant Joey de dos ?
D’une manière générale, je trouve qu’au cinéma, on voit trop les
visages et que les sentiments des personnages sont trop explicites. Mais
dans mon film, il y a aussi une raison moins avouée, qui est que je
suis conscient que, quand on regarde Joey, il ne correspond pas à ce
qu’on attendrait : il y a discordance entre son accent du sud des
États-Unis et ses traits asiatiques, surtout dans les premiers instants.
Pour que les spectateurs n’en soient pas trop perturbés, une solution
est de moins montrer son visage, du moins au début. Cela invite à faire
marcher son imagination, à se mettre à la place de Joey et à se sentir
de ce fait beaucoup plus concerné par ce qu’il vit.
Quand on met tout à plat, que trop d’informations sont données, on risque d’affadir le récit. Je voulais du mystère pour donner envie de voir le film. Je trouve qu’au cinéma, le mystère est la force la plus intéressante, et il peut irriguer le film dans plusieurs directions. Pour avoir l’impression d’avoir avancé, il faut avoir répondu à certaines questions. Et si le sujet et les personnages sont assez prenants, on continue la route. Comment saupoudrer l’information tout en créant de nouvelles questions et sans lasser le spectateur : c’est une sorte de ballet narratif. Avec des questions et des réponses savamment dosées, on est sûr que le film sera sincère et équilibré.
Je crois aussi que, dans la réalité, on apprend à connaître les gens au fil des questions qu’on se pose sur eux, et des réponses qu’on se trouve. Même si la manière dont l’information est livrée dans En Famille peut sembler inhabituelle pour un film, ce n’est pas si rare dans la vraie vie. On rencontre les gens à un moment donné, le plus souvent dans des circonstances banales, et ce n’est qu’avec le temps qu’on découvre, partiellement, ce qu’ils sont. On apprend leur histoire par petits bouts, dans le désordre, ce qui soulève d’autres questions. Puis, parfois, les circonstances amènent leur lot de réponses. Ce peuvent être des circonstances exceptionnelles, comme la déposition de Joey où, pour la première fois, il dévoile des aspects de sa vie avec Cody à la sœur et au beau-frère de celui-ci. Il arrive aussi qu’on soit proche d’une personne pendant des années et que jamais ne se présente l’occasion de connaître des pans essentiels de son histoire.
Dans les films où il est question de problèmes judiciaires,
les choses finissent le plus généralement en affrontement au tribunal.
Pourquoi n’est-ce pas le cas dans votre film ?Le meilleur moyen
pour faire un film plein de surprises est de laisser le film vous
surprendre pendant que vous êtes en train de le faire. Durant la phase
d’écriture, j’ai laissé l’intrigue se ramifier dans toutes sortes de
directions. Et pour savoir quand on est à côté de la plaque, il faut
être équipé d’une bonne jauge à honnêteté et être capable de se dire :
« OK, ça, c’est pas bon. » Or à chaque fois que le film passait les portes
d’un tribunal, ça sonnait faux. Ça sonnait faux par rapport à
l’attitude des personnages, mais aussi par rapport à l’état d’esprit
général, en ce sens que ce n’était pas à un tiers de décider de leur
sort à tous. Il y a assez de films dont le message est : « Allez,
battez-vous ! Plus fort ! » C’est à ça que mènent les procès : à de la
lutte structurée. Moi, je voulais autre chose.
Je ne savais pas quoi, au départ. Et puis tout s’est joué sur une scène
où Paul [interprété par Brian Murray], un avocat, conseille Joey.
Scénariste et personnage principal étaient alors aussi perdus l’un que
l’autre. J’ai essayé des dizaines et des dizaines de versions de cette
scène où Joey reçoit des conseils, pour voir si ça fonctionnait. Au
final, cette réflexion autour des conseils juridiques a été fort utile
et elle m’a révélé la fin du film. Si je n’étais pas arrivé à cette
solution, je crois que ce n’aurais pas été la peine de le faire.
Le film achevé est-il très différent ce que vous aviez en tête au départ ?
Oui, très, à deux égards. D’abord, il est beaucoup plus riche que ce
que j’aurais imaginé. Il y a une grande densité dans les détails ;
chaque aspect de la conception a apporté sa touche. Au terme du tournage
et de la post-production, on a atteint une densité sidérante.
L’autre aspect qui m’a surpris est la durée du film ; je pensais à
l’origine qu’il durerait 2 heures. Quand on tournait les scènes, elles
semblaient très bien — les acteurs assuraient, la magie opérait — mais
quand la scripte m’annonçait les durées, c’était bien plus long que ce
sur quoi j’avais tablé. Au début, j’ai cru que la scripte se trompait et
qu’on allait avoir un problème, mais ensuite, j’ai compris qu’elle
calculait les bonnes durées et qu’il fallait que je comprenne ce qui se
passait. « Pourquoi de telles durées ? Ça ne doit pas être si grave,
puisque tout le monde adore la façon dont les scènes sont réalisées. Et
elles sonnent juste. »
J’ai fini par comprendre que les acteurs faisaient quelque chose de
magnifique : ils combinaient ce que j’avais écrit à leur analyse de
l’information, en décidant que dire ou ne pas dire. C’est parfois dans
cette analyse, dans ce que l’on choisit de ne pas dire, que l’on se
révèle véritablement. Les scènes n’ont pas été rallongées
artificiellement pour tenter de créer une quelconque emphase ; elles
sont naturellement plus longues que ce qu’elles semblaient sur le papier
car leur contenu s’est étoffé. Parmi les nombreuses dimensions à
appréhender chez un personnage, il peut y avoir celle du temps. Et les
acteurs ont fait quelque chose de très subtil, quelque chose que je vois
rarement dans les films : ils ont pris leur temps.
À plusieurs reprises pendant la réalisation de ce film, j’ai décidé que
si quelque chose me paraissait étrange mais beau, je ferais en sorte de
le conserver. Je voulais que vivent ces choses uniques, que je n’avais
jamais vues. Et elles sont devenues des éléments clés du film.
Comment avez-vous choisi le titre du film [In the Family] ?
J’adore l’ambiguïté de ces trois mots, qui incluent et excluent tout à
la fois. C’est un mélange un peu étrange d’expressions propres à la
communauté gay : le mot « family » [« famille »] se substitue au mot « life »
dans l’expression « In the life » [qui signifie littéralement « Dans la
vie », mais surtout, dans ce contexte, « être gay »]. Tout en restant très
fluide, le titre convoie ainsi des sentiments très particuliers, très
forts.
À aucun moment dans le film ne sont énoncés les mots « gay », « homosexuel » ou « mariage ». Pour quelle raison ?
Ce n’était pas du tout une intention délibérée. Je me suis aperçu de
l’absence de ces mots quand j’avais écrit la moitié du scénario, et je
me suis dit : « Tiens, voilà qui est intéressant ». Des choses que je
m’attendais à voir et des mots que je m’attendais à entendre ne sont pas
venus. Et j’ai décidé de voir où cela mènerait.
Quand on saisit une personne à un moment donné de sa vie, il y a certaines choses que l’on ne voit pas et d’autres qu’elle ne dit pas. Or dans le film, les personnages ne parlent pas de l’identité avec ces mots-là. Cela ne vaut peut-être pas pour leur vie entière, mais dans les scènes du film, si.
Ces mots portant sur l’identité et les idéaux politiques, je savais qu’ils avaient une très forte charge et que leur absence pourrait donner davantage envie de voir le film. Mais en tant que scénariste, je n’avais pas d’aversion pour ces termes, je voulais simplement rester ouvert et fidèle à ce qui semblait sincère à ce moment-là dans la vie de ces gens-là.
Selon vous, que peut nous apprendre In the Family ?
Tout ce que je sais, c’est que ça m’a appris des choses à moi. Sur les
gens, sur la nature des conflits, sur la famille et sur ce qu’il est
possible de faire ou pas dans un film. Je n’ai pas réalisé In the Family
en pensant apprendre des choses aux autres. Je me suis fait mon
éducation, et je crois que si le film peut apporter quoi que ce soit,
c’est en ce qu’il reflète ce que j’ai moi-même gagné à suivre ma
curiosité.
Aaron Cutler est assistant à la programmation pour le Festival international du film de São Paulo, et il tient le site de critique cinématographique The Moviegoer.