La trajectoire intime d’une famille dont les parents se séparent. En l’espace d’une année, entre légèreté de l’instant et profondeur des sentiments, se tisse un portrait doux-amer de l’amour, traversé de fragments tendres, joyeux, parfois mélancoliques. Un regard sensible sur la beauté discrète du quotidien et le flot des souvenirs qui s’égrènent au rythme des saisons.
Festival de Cannes 2025, Cannes Première – Palme dog 2025
Liste artistique
Saga Garðarsdóttir, Sverrir Guðnason, Grímur Hlynsson, Þorgils Hlynsson, Ída Hlynsdóttir, Ingvar Sigurðsson, Katla Margrét Þorgeirsdóttir, Kristinn Guðmundsson, Anders Mossling, Stephan Stephensen, Halldór Laxness Halldórsson
Liste technique
Réalisation, scénario, image Hlynur Pálmason | Produit par Anton Máni Svansson (Still Vivid) et Katrin Pors (Snowglobe) | Producteur exécutif Hlynur Pálmason | Montage Julius Krebs Damsbo | Musique originale Harry Hunt | Assistant réalisateur Hilmar Guðjónsson | Son Björn Viktorsson | Décors Frosti Friðriksson | Costumes Nina Grønlund | Maquillage Katrine Tersgov | Directeur de production Margrét Einarsdóttir
Coproduction Maneki Films (Didar Domehri), Hobab, Film I Vast, Arte France Cinema | Ventes internationales New Europe Film Sales



Hlynur Pálmason
Hlynur Pálmason (né le 30 septembre 1984 à Höfn, en Islande) travaille comme réalisateur, scénariste et artiste plasticien. Après des débuts dans les arts visuels, il bifurque vers le cinéma et obtient son diplôme de l’École nationale de cinéma du Danemark en 2013. À la suite d’un premier long métrage, Winter Brothers (2017), qui reçoit un accueil favorable, il tourne Un Jour si blanc, projeté lors de la Semaine de la critique à Cannes en 2019. Son troisième long métrage, Godland (2022), est sélectionné pour Un Certain Regard à Cannes en 2022. Avec L’Amour qu’il nous reste, Hlynur Pálmason signe son quatrième long métrage, qui sera projeté dans la section Cannes Première en 2025. Il réside et travaille entre l’Islande et le Danemark avec son épouse et leurs trois enfants.
FILMOGRAPHIE
2025 – L’Amour qu’il nous reste
2022 – Godland
2019 – Un jour si blanc
2017 – Winter Brothers
Entretien avec Hlynur Pálmason
L’Amour qu’il nous reste semble marquer un tournant après vos œuvres précédentes, notamment Godland et son approche épique. Pourquoi vous être lancé dans un film si différent, à la fois dans ses thèmes et son esthétique ?
Je préfère me mettre au travail sans idées trop précises à l’avance, pour garder autant d’honnêteté et de spontanéité que possible dans mes films, en restant au plus proche de l’expérience humaine réelle. Quant aux sujets, je brasse toujours large. Celui-ci parle de la nature, de ce que l’on construit, reconstruit ou détruit, de ce qui nous rassemble et nous sépare, de problèmes de communication et de sentiments contraires. Mais en son cœur, c’est d’abord une œuvre sur la famille, dans le prolongement de mes courts et longs métrages précédents.
Souvent, on s’imagine que ce qui compte le plus, ce sont les grands événements, la politique. À mes yeux, le plus important dans la vie d’un être humain, ce sont les petites choses proches de nous, qui relèvent de l’intime : nos relations avec notre famille, nos frères et sœurs, nos enfants, la nature, l’endroit où l’on vit. Après Godland, je souhaitais raconter une histoire contemporaine, explorer notre époque. Je voulais filmer ce qui m’intéresse, ce qui m’entoure, le jardin, sans rien devoir construire ou reconstituer. Montrer les choses telles qu’elles sont, sans artifice.
Je ressentais l’envie et le besoin de parler de l’intime, de l’ordinaire ou même de la laideur, sans chercher le spectaculaire, le remarquable, la perfection. C’est un film sur le quotidien, le familier et l’étrange, avec un aspect onirique. Je voulais aussi que les choses soient fluides, en mouvement permanent, comme de l’eau.
Il est difficile de ne pas s’interroger sur le degré d’autobiographie du film. Même s’il n’en est rien, pourquoi avoir écrit et réalisé un film plus personnel et plus proche, à certains égards, de votre propre vie ?
Je considère tous mes films comme personnels, car l’équipe et les acteurs sont souvent des proches et je connais en général les lieux de tournage, les maisons, les voitures… Je prends ce que je trouve autour de moi. C’était déjà le cas de mes autres longs métrages, mais c’est peut-être en effet mon film le plus personnel à ce jour – avec mon court métrage Nest – car mes trois enfants jouent dedans.
L’idée de L’Amour qu’il nous reste m’est venue pendant que je tournais Nest, pour lequel j’ai filmé mes enfants dans une cabane dans un arbre sur une période d’un an et demi. À force de filmer, j’ai commencé à me demander ce que faisaient les parents pendant ce temps, puisqu’ils étaient toujours hors-champ : on entendait parler d’eux, sans jamais les voir. Peu à peu, j’ai imaginé d’autres fils narratifs qui s’entremêlaient et s’enrichissaient mutuellement.
À l’origine, je pensais partir de Nest pour en faire un long métrage, puis le temps a passé, j’ai tourné Godland et Nest est resté un court. Je me suis mis à écrire une autre histoire : des enfants qui fabriquent un mannequin de chevalier, tandis que le temps et les saisons défilent autour d’eux. Je voulais que ces scènes fassent écho au fil central de L’Amour qu’il nous reste, qui offrait des possibilités aussi nombreuses qu’intéressantes. On s’est mis à filmer ces scènes (qui ont été intégrées à un court métrage intitulé Joan of Ark) il y a deux ans, tout en écrivant ce qui deviendrait le long métrage.
Comme j’ai besoin de capter ce que je vois, j’ai toujours une caméra avec moi, ce qui fait qu’un certain nombre de plans étaient déjà dans la boîte avant le début des prises de vues. La scène du toit soulevé progressivement, par exemple. J’essaie d’être le plus ouvert possible – on ne sait jamais ce qui va se présenter à nous.
La représentation de la relation entre les parents sonne très juste, avec sa complexité et ses zones grises. Il y a de l’amour y compris dans la séparation. Comment êtes-vous parvenu à obtenir cet équilibre ?
Dès le début de l’écriture, j’ai su très clairement que je ne voulais pas que le film ne fasse entendre qu’une seule voix ni prenne parti. Dans la vraie vie, on veut souvent quelque chose sans le vouloir, on ressent un sentiment et son contraire en permanence. Tout le monde est fragile et complexe, c’est ce qui donne matière à des personnages intéressants. Il fallait laisser le film ouvert aux interprétations, qu’elles soient émotionnelles ou narratives. On n’est jamais uniquement le gentil ou le méchant de l’histoire. Concernant la rupture des parents, l’important n’est pas pourquoi ils se quittent ni s’ils se remettront ensemble – à ce sujet, je ne donne ni ne cherche aucune réponse ni explication.
La question du film, c’est : que faisons-nous de notre temps ? Qu’est-ce qui compte vraiment ? Le temps qu’on passe avec sa famille, ceux qu’on aime, les souvenirs qu’on se crée. Et ça touche à la vie même, à la mémoire, au sentiment d’appartenance. Qu’arrive-t-il à une famille quand les parents se séparent, que deviennent les souvenirs et les moments partagés ? Que devient l’amour qu’il leur reste ?
On ne connaît l’amour que par son absence. Quand on l’a, on n’y fait plus attention et il nous en coûte parfois de discerner l’amour autour de nous, de voir la beauté de la vie. C’est ce sujet que je voulais aborder et faire ressentir au public. Peut-être que si nous cultivions simplement notre jardin, si nous respections nos voisins, nos enfants, la nature, le monde serait meilleur. Cela étant dit, toute chose, toute personne a un côté obscur et je ne souhaite pas projeter dans mes films une vision enjolivée de l’existence.
La vie est faite de lumière et d’ombre, elle est drôle et brutale, pleine de contrastes. Même les enfants sont capables de créer et de détruire, comme on le voit dans l’histoire. La violence est intrinsèque à l’humanité, nous sommes une espèce singulièrement agressive. Cela aussi, ça a son intérêt. La vie et les personnes peuvent s’assombrir sans crier gare. Comme beaucoup de gens, j’ai souvent l’impression que le monde s’effondre autour de nous et il me serait impossible de faire un film où ça ne transparaît pas.
L’un des fils rouges du film, ce sont les efforts de l’artiste pour se faire reconnaître et comprendre, en parallèle des défis quotidiens de l’existence. Pourquoi avez-vous tenu à intégrer le cheminement d’une artiste et son art au film ?
Anna, l’une des protagonistes, est artiste, mère de trois enfants et récemment séparée de son conjoint. Elle traverse une période difficile, où elle est en quête non seulement de reconnaissance mais avant tout de sens, elle se cherche une place qui la stimule dans ce monde. Elle travaille beaucoup tout en s’occupant de sa progéniture et en gérant la maisonnée. On devine qu’elle se charge de tout le quotidien, tout en s’interrogeant sur ce qu’elle veut, ce que pourrait être sa motivation. Et quand elle échoue, elle se relève et réessaie.
Son processus artistique est très physique. C’est d’ailleurs comme ça que je procède moi-même : chaque automne, je dépose une série d’oeuvres dehors pendant les mois d’hiver et je vais les récupérer avant que la chaleur et l’humidité ne soient trop fortes. C’est fascinant de voir chaque étape : on dessine, on découpe des formes dans le fer, on les laisse par terre, on vient les ramasser, on les nettoie, on les sèche… Beaucoup des choses qui se produisent dans le film me sont arrivées à moi : par exemple, quand les chevaux détruisent une partie du travail d’Anna, ou quand une oie pond ses œufs au milieu des œuvres.
C’est donc l’un des sujets : une artiste qui cherche comment travailler dans ce monde, comment créer ce qui lui plaît tout en menant une vie intéressante et digne de ce nom, comment garder de l’exaltation dans la routine. Évidemment, c’est difficile de tout concilier : faire ce qu’on aime, payer ses factures, prendre soin de sa famille.
Dans le film, j’explore ces questions à travers le personnage d’Anna. Il y a des moments amusants car la vie d’artiste, ça veut aussi dire réussir à montrer son travail. C’est pour cela que j’ai inclus les scènes avec le galeriste – elles ont l’air dingues, mais le monde réel est souvent plus dingue que la fiction.
Anna n’est pas la seule en quête de sens. Son cheminement se juxtapose à celui de Magnus, son ex-conjoint, pêcheur, le père de ses trois enfants. Magnus a du mal à comprendre ses propres sentiments. On perçoit chez lui une colère sous-jacente, mais aussi de la tristesse et la douleur de la séparation. Il se sent exclu du quotidien de la famille. La vie qu’il s’était construite a volé en éclats. Pourtant il s’y accroche, tout en essayant de trouver sa place dans cette nouvelle configuration.
Vos enfants apparaissent dans tous vos films. Le tournage de celui-ci a-t-il été particulier ?
C’est le premier long métrage où ils figurent tous les trois, et où leur présence est centrale. Ils font partie intégrante du film, avec de longues scènes.
Les enfants sont le troisième fil rouge du film : ces trois frères et soeur qui fabriquent ensemble un mannequin (de chevalier) pour s’en servir de cible. On passe du temps avec eux, on apprend à les connaître et à comprendre comment, eux aussi, à leur manière, doivent s’accommoder de la réalité.
Je voulais avant tout filmer leur énergie ; je ne crois pas que j’aurais été capable de faire ce film sans ces trois gamins délurés et leur vitalité brute. On s’est beaucoup amusés et ils se sont intégrés d’autant plus facilement qu’ils connaissaient pour ainsi dire tout le monde sur le tournage. C’était vraiment un film fait maison.
On perçoit de la tendresse dans tous les aspects du film. Était-ce quelque chose de conscient dans votre approche ?
Chaque projet a son propre tempérament, fragile et étrange, sa propre personnalité. Ça tient souvent à des détails, dont il faut prendre soin pour éviter que tout ne s’effondre. Chaque film a son cœur, qu’il s’agit d’élever et de faire briller.
En l’occurrence, l’important était de créer une ambiance confortable et protectrice pour permettre aux acteurs et aux techniciens de travailler et de s’amuser ensemble. Je souhaitais une équipe aussi restreinte que possible, quelques personnes, pas plus. Un tournage réduit à l’essentiel, très libre. J’ai écrit le scénario avec cette intention, sans scènes compliquées à filmer ni grands décors. Seulement la caméra, un trépied léger, presque aucun éclairage. Sur tous les plans, je voulais faire simple et aller droit au but, pour saisir l’énergie particulière du film et obtenir un équilibre entre l’absurde et le comique, la beauté et la laideur, la famille et la nature, les enfants et les parents…
J’avais tout cela à l’esprit pour faire le film : souffler sur la flamme, trouver la bonne énergie, s’amuser avant toute chose. Parce que c’est tellement facile de tuer un film.
Pourquoi avoir suivi le cycle des saisons pour rythmer le film ? Et quel lien faites-vous avec certains des thèmes universels du film (la vie à la campagne, le passage du temps, l’éducation des enfants) ?
Le médium d’un cinéaste, c’est d’abord le temps, et je veux explorer toutes les possibilités qu’il m’offre. J’aime écrire et filmer sur de longues périodes, et m’en servir comme socle ou fil rouge pour bâtir mon film. Quand on travaille sur une histoire, on y pense constamment et tout nous y ramène : on entend ou on voit quelque chose dehors, et la scène commence à s’écrire dans notre tête. Cette manière de faire me permet de rêver plus profondément, de me perdre dans le projet, c’est ce que je préfère dans le processus créatif. Ainsi, je n’ai pas l’impression de faire des efforts, de forcer les choses, de faire rentrer une histoire au chausse-pied ; ça vient naturellement. Me laisser surprendre est primordial dans mes explorations de cinéaste.
Parmi les « présences » importantes du film, il y a les créations du musicien h hunt, qui comptent presque au rang de personnage ou de narrateur. Pourquoi avoir donné une telle place à la musique ?
Au début, je ne pensais pas intégrer de bande sonore en dehors de la musique diégétique. Puis je suis tombé sur l’album de h hunt intitulé Playing Piano for Dad, que je me suis mis à écouter en boucle tout en visionnant les rushes sans le son. Il y avait beaucoup de matière filmée et il fallait prendre des décisions pour le montage. L’atmosphère du disque collait vraiment bien à nos images. Alors j’ai contacté h hunt : le courant est tout de suite passé et on a évoqué une collaboration possible. Sa musique fonctionnait si bien avec les images qu’on en a utilisé beaucoup plus que ce que j’imaginais – je dois remercier ici le monteur Julius Krebs Damsbo, qui a l’art de marier le son et l’image. Il savait que je voulais la musique de h hunt dès le début du montage ; en fin de compte, on a inclus presque tout le disque.
À voir L’Amour qu’il nous reste, on dirait une histoire qu’il fallait « trouver » plutôt que planifier. Est-ce que le film a beaucoup évolué au cours du tournage et du montage ? Comment se sont passés le tournage et le travail avec les acteurs ?
Curieusement, beaucoup de gens s’imaginent que le scénario devait être très différent du montage définitif, mais ce n’est pas le cas. La seule différence majeure, c’est qu’on a ajouté des scènes avec les enfants et le chevalier. Ça tient probablement au fait que j’avais eu beaucoup de temps pour réfléchir au film : quand le tournage à proprement parler a commencé, j’étais prêt et tout le monde s’était imprégné du projet, ce qui nous a permis de suivre le scénario – tout en conservant une part de liberté, naturellement.
Concernant la distribution, il n’y a pas eu beaucoup de répétitions, mais nous avons travaillé ensemble avant le tournage pour prendre nos marques. L’essentiel à mes yeux était qu’on les prenne vraiment pour une famille, avec ses blagues, ses coups durs et ses moments de joie.