Film soutenu

La bataille de Solférino

Justine Triet

Distribution : Shellac

Date de sortie : 18/09/2013

France 2013 - 1h34 – couleur – DCP – 1.85 – DTS

6 mai 2012, deuxième tour des élections présidentielles. Laetitia, journaliste télé, doit couvrir l’événement au cœur de la foule, rue de Solférino. C’est également le jour où Vincent, son ex, débarque, sûr de son droit de visite, pour revoir ses deux petites filles. C’est parti pour la bataille ! Autour d’eux, les gamines déchaînées, un baby sitter submergé, un nouveau mec vaguement «incrust», un avocat misanthrope, la jubilation et la détresse des français. Aujourd’hui, c’est dimanche, tout s’emmêle, rien ne va plus !…

Selection ACID, Festival de Cannes 2013

Avec : Laetitia Dosch, Vincent Macaigne, Arthur Harari, Virgil Vernier, Marc-Antoine Vaugeois…

Scénario, réalisation  Justine Triet
Assistant mise en scène  Benjamin Papin
Image  Tom Harari
Montage  Damien Maestraggi
Son  Julien Sicart
Mixage  Simon Apostolou
Etalonnage  Yannig Willmann
Direction de production  Camille Genaud
Studio de montage  Sonosapiens
Production  Ecce Film, Emmanuel Chaumet
Avec la participation du  CNC et de CINE +
En association avec  CINEMAGE 7

Justine Triet

Justine Triet est diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Elle a réalisé depuis différents films qui s’interrogent sur la place de l’individu au sein d’un groupe : Sur place (2007) tourné pendant les manifestations étudiantes, Solférino (2008) réalisé lors des élections présidentielles. En 2009, elle réalise Des ombres dans la maisondans un township de Sao Paolo. Vilaine fille mauvais garçon, son premier court métrage de fiction, realisé en 2010, a remporté de nombreux prix dans des festivals en France et à l’étranger (Prix EFA du film Européen à la Berlinale 2012, Grand Prix au festival Premiers Plans d’Angers, Grand Prix au festival de Belfort, présélection aux César du court-métrage 2013). La Bataille de Solférinoest son premier long-métrage.

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Un mouvement assez saisissant dans ton film nous fait passer d’une situation familière à un événement collectif qui lui donne une autre dimension.
Oui, le film commence dans l’intimité d’une famille, et il bascule brusquement lorsque l’on comprend que ça se passe le jour de l’élection de François Hollande. Je crois que je voulais contextualiser une histoire dans mon époque, ma ville, cette année-là. Une façon de dire que notre vie a une toile de fond, qu’elle ne se joue pas en dehors du monde.

Mais il y aussi un basculement de ton fréquent au coeur de chaque scène et pas seulement dans leur enchaînement.
Le mélange des tons, c’est ce qui m’intéresse le plus. C’est d’abord un rapport musical aux choses avant d’être théorique, la manière dont on peut ressentir un événement à un instant et autrement l’instant d’après, dans la continuité de ce qui se passe, ou même simultanément, avec des sentiments contrariés. D’ailleurs ça n’a pas lieu pour tous les spectateurs au même moment, certains sont encore dans le drame lorsque d’autres se mettent déjà à rire et vice-versa. Ce qui peut être perturbant : « pourquoi il rit l’autre, là ? ».

C’est comme si on avait le choix, on hésite, est-ce qu’il faut rire ou pas ?
C’est ce qui me plaît dans l’idée du drame, c’est qu’il y a toujours un moment où un détail, dont on n’a pas forcément conscience, vous ramène au ridicule, au dérisoire, à quelque chose d’hyper drôle en fait. J’ai toujours l’impression que la vie est plus riche qu’un genre. C’est pour ça que je joue sur ces changements de registres tout au long du film. Le suspense, la comédie, le tragique…

Tu n’as pas peur du lourd, du sale, du pénible…
Eh bien ça fait partie de la vie, je n’ai pas voulu faire un film « à projet », mais un film qui soit une aventure. Je ne veux pas jouer contre la réalité, mais avec. Moi, je vois à chaque instant des choses hilarantes au milieu d’autres désespérantes, c’est arriver à montrer ça qui me plaît : ce qui est sale, ce qu’on ne veut pas voir, ce qui est généralement caché, qui gêne alors que c’est là tout Le temps. Cette manière de tout lisser, l’hygiénisme ambiant, même quand c’est réaliste, dans le cinéma, à la télé, on n’en peut plus ! Souvent, les gens qui veulent faire des films réalistes croient à l’idée de pureté. Ce qui m’intéresse au contraire c’est l’impureté, à la fois dans la forme et dans le fond. Mes personnages sont « paumés et impurs », de grands enfants paniqués. Ils ont perdu leur savoir vivre. Je préfère la crudité des choses au fantasme ou au
conte moderne. Laetitia et Vincent sont parfois durs, monstrueux ou violents, mais ils sont vivants !

On part de quelque chose de très intime, cette femme empêtrée dans son quotidien, un cinéma de chambre, et puis tout à coup la foule, les élections, son boulot de chroniqueuse politique…
Oui, on passe de la petite histoire à l’Histoire tout court, un événement collectif qui va donner un autre éclairage à ce qui se passe. Ce qui m’intéresse c’est que les choses se mêlent et c’est la Présidentielle qui fait parler Laetitia. Lorsqu’elle fait son intervention télé, elle décrit avec effervescence la tension des français autour des résultats des élections, et c’est à la fois drôle et tragique, car on assiste d’une part au refoulement – dans son sourire contraint – et d’autre part à la traduction de ce qui la perturbe dans sa vie privée…

Mais ce qui est étonnant c’est que ce n’est pas une vue de l’esprit, que par le biais du récit, de la mise en scène, ça devient physique. 
C’était le pari du film de plonger les personnages dans un contexte qui les dépasse complètement, qu’on suive leur histoire à eux à travers ça, qu’on ait à les chercher, qu’on les perde, qu’on les retrouve. Le matériau documentaire fait constamment écho au récit intime. Et puis comme j’ai dit, il y avait aussi l’envie d’inscrire le film dans un moment précis, un événement qui concerne aussi tout le monde même si au fond on s’en fout. Je n’avais pas envie d’un contexte politique trop pointu sinon j’aurais choisi un moment plus spécifique ; le deuxième tour d’une Présidentielle, c’est à la fois marquant, et au fond complètement banal. Ca marche comme un miroir, une mise en abîme.

Pourquoi le PS plutôt que l’UMP ?
J’avais l’impression que ce serait trop facile de pointer des éléments cocasses à droite, on aurait vite versé dans la caricature. Je voulais qu’on voie les deux camps, comme dans une bataille, puisque c’est la métaphore du couple qui s’affronte, le côté duel. Mais je voulais surtout montrer à quel point la politique s’est vidée de son sens au profit d’un rituel médiatique, et c’était plus fort de montrer ça essentiellement du côté du PS parce que, bien que Sarkozy soit l’icône évidente de la politique-spectacle, ça affecte en réalité toute la sphère politique.

La foule est filmée comme un grand corps et on retrouve les personnages comme des particules qui le traversent.
C’est comme une bête, une spirale infernale et anxiogène, on est dehors dans la rue et en même temps enfermé. Et puis c’est l’idée, d’arriver à montrer que l’histoire des personnages est minuscule comparée à ce qui arrive, ce grand écart entre nos vies personnelles et puis tout à coup la puissance des événements. Pas parce qu’ils sont majeurs mais juste parce qu’ils nous dépassent. À dire comme ça, ça paraît con, mais quand on arrive à le faire ressentir, ça devient intéressant. Et puis c’était un luxe énorme d’avoir dix mille figurants et de les utiliser vingt minutes dans un film d’une heure et demie !

Vous étiez très organisés ?
Pour le second tour du 6 mai, nous étions ultra préparés, parce qu’on savait qu’on pouvait très vite être submergés par le nombre de scènes à tourner. Du coup, on a utilisé huit caméras en tout, réparties entre les sièges du PS, de l’UMP et Bastille. On a fait vingt-cinq heures de rushes en une seule journée et une partie de la nuit. C’était un enfer parce que ça suppose huit chefs opérateurs, la location d’appartements, des tonnes d’autorisations qui sont arrivées au dernier moment. Sans compter qu’il fallait être crédible auprès des militants. Du coup, c’était important d’avoir le logo d’une télé pour que les interventions de Laetitia paraissent authentiques et qu’ils la considèrent comme une vraie journaliste. Il fallait qu’ils y croient. La notion de risque, depuis mon premier film Sur place, fait partie de mon plaisir au tournage. J’adore ça et en même temps j’ai toujours très peur qu’il y ait un accident, un truc qui fasse que tout s’écroule.

Mais toi, concrètement, comment tu faisais pour diriger toutes ces caméras ?
Je ne pouvais pas être partout, et plusieurs séquences devaient se tourner simultanément, pour des raisons de timing trop serré. J’ai décidé de rester avec les petites filles, le baby-sitter et Vincent, et j’ai laissé Laetitia seule avec son équipe. Aux environs de 20h, nous ne pouvions plus bouger tellement il y avait de monde, on l’avait anticipé, toutes les équipes étaient briefées à mort sur ce que chacun devait faire. Les portables ne passaient même plus. Il fallait accepter de lâcher prise… Comme pour toutes les scènes avec les gamines dans l’appartement, où je devais me planquer dans une pièce avec le retour vidéo pour que ma fille, l’une des fillettes, ne me réclame pas. Étrange de devoir expliquer à un chef op qu’il va gérer seul !

On sent ton envie d’accumuler des situations à l’intérieur desquelles il y a un désordre permanent : désordre dans les scènes, dans la vie des personnages, dans la structure même du film. Qui par ailleurs est très construit.
Je crois à une forme de bordel organisé de la mise en scène. C’est à dire, allier à une structure très écrite des éléments perturbateurs qui vont placer les acteurs dans une situation inconfortable parce qu’impossible à maitriser. Ce qui me plait, c’est que du coup, ça les aide à ne jamais se reposer sur le texte. Ils sont toujours à la limite du déséquilibre. Les bébés, le chien, la foule, les acteurs amateurs, sont ces éléments perturbateurs qui créent du désordre. Lorsque Vincent et Laetitia sont dans la foule, je voulais que naisse de cette situation un mélange d’excitation et de peur. C’était très drôle de voir les militants intervenir dans leur dispute rue de Solférino, un peu comme dans une caméra cachée, sauf qu’il n’y avait pas besoin de cacher la caméra, il y en avait partout !

Quelle est la part d’improvisation ?
Ça paraît improvisé ? C’est bien ! Je voulais que tout semble arriver à l’instant même, par surprise, par accident. En fait tout est très écrit, et réécrit au fil des répétitions qui intègrent ce que les acteurs sont dans la réalité. Et de nouveau « réécrit en direct » si je peux dire, avec les acteurs au moment du tournage. Le baby-sitter, il doit jouer, à partir d’un texte précis, mais il doit forcément composer avec ce qui arrive, les bébés pleurent, hurlent ! Il faut qu’il gère ! Et c’est vraiment ça, cette complexité que je veux trouver, qui ne vient donc pas de ce que les spectateurs prennent souvent – et tant mieux ça prouve que ça fonctionne – pour de l’improvisation. Au départ, je pense que je choisis les acteurs parce que je sens que quelque chose en eux rejoint vraiment les personnages dans leur manière d’être, de parler, de réagir. Je cherche à ce qu’il y ait un jeu de miroir entre le personnage et la personne qui l’incarne.

Comment as-tu choisi Vincent Macaigne et Laetitia Dosch ?
A peu près un an avant le tournage, j’ai rencontré Vincent par l’intermédiaire de Virgil Vernier et j’ai passé pas mal de temps avec eux, ils se voyaient tout le temps. Je cherchais quelqu’un qui puisse être crédible en mec potentiellement violent pour mon film. Si je n’avais pas découvert dans certaines situations sa colère, la manière très particulière qu’il a de s’énerver, je n’aurais peut-être pas pensé à lui faire jouer ce rôle. Et puis au fond ce qui passe dans le film rejoint un truc profond chez lui, je m’en suis aperçue peu à peu. Avec Laetitia Dosch, on se connaît très bien et on avait déjà travaillé ensemble. C’est une performeuse, une soliste, un ovni. Elle a un rapport de lutte avec le groupe auquel je me suis identifiée. Sa grande force, c’est son animalité. Ellea quelque chose d’indomptable. On le voit dans sa manière de bouger, elle a un corps d’enfant musclé !
D’ailleurs elle est constamment dans l’action alors que les hommes ne font que parler.

Elle est dépassée par cette journée infernale…
Oui, alors qu’elle représente la femme indépendante et active, elle se retrouve justement incapable de profiter de sa liberté, et, dépendante de son voisin, de sa meilleure amie, de son baby-sitter. Laetitia incarne une nouvelle génération de femmes, « qui passe la troisième avant d’avoir mis la seconde », à la fois fonceuse et au fond très perdue. On se rend bien compte que c’est pas si cool d’être une « femme libérée ». Ou que cette prétendue libération peut vite se transformer en double boulot, double peine.

Virgil et Arthur, les personnages secondaires ont comme une distance malicieuse à ce qu’ils incarnent.
C’est vrai, ça introduit une nuance essentielle sans laquelle le film serait complétement tripal et monolithique, ils apportent leur musique propre. Dans la vie, ils ne sont pas acteurs mais réalisateurs, et nous sommes très complices. Les gens qu’on connaît intimement peuvent nous donner énormément parce que le désir de vivre des choses ensemble est fort. Mais il faut faire attention quand on associe amitié et cinéma, je pense qu’il faut être encore plus cruel avec ses proches, sinon ça devient vite complaisant et ça donne Les petits mouchoirs. Avec Virgil, qui joue le nouveau mec un peu glue de Laetitia, c’était spécial parce qu’il ne peut pas apprendre une ligne de texte, il faut qu’il se réapproprie tout. Ça donne quelque chose de très étrange qui était une source de conflits des fois avec l’équipe, mais j’ai adoré. C’est ça qu’il me fallait, ce décalage. Quand il revient à la fin du film, il apporte de la douceur, de l’humour et fait basculer la tension. Arthur Harari, qui joue le pseudo-avocat, c’est encore autre chose. Déjà dans la vie, c’est quelqu’un d’obsédé par l’idée de justice, il aemmagasiné tellement de rage contenue, il s’est très vite imposé dans le rôle de justicier. Et puis dans sa relation réelle avec Vincent, quelque chose se passait, un mélange d’amitié et de franchise. Il y avait un truc vraiment évident. Du coup chaque personnage a une couleur qui lui est propre, comme si chacun sortait d’un film différent. Ça crée quelque chose que je ressens dans la vie et que je trouve super fort, qui permet de parcourir des registres différents dans une même scène, une même action. Il y a contamination d’une personnalité par une autre. C’est comme si chacun avait affaire à une réalité qui l’empêche d’être dans la maitrise. Ça circule aussi de l’acteur au personnage, et vice versa. Dans la plupart des films sérieux à sujet sérieux, tu as l’impression que de A à Z, tous les comédiens jouent dans le même registre, dramatique, univoque. Alors que ça ne se passe jamais comme ça, dans la réalité il y a plein de contrepoints.

On t’imagine te débattre avec tout ça plus comme un sculpteur qui prend la matière à bras le corps que comme un peintre. Je pense à ça parce que tu ne sors pas d’une école de cinéma à la base, mais des Beaux-Arts, c’est ça ?
Oui je faisais de la peinture. Mais au bout de deux ans j’ai abandonné, et j’ai appris le montage avant de toucher à une caméra. En cours, on nous apprenait l’histoire de la vidéo et non pas du cinéma. J’ai découvert Frederick Wiseman, Allan King. A ce moment-là, je m’en fichais de la fiction. Ça a renforcé le goût du réel, de l’aventure, sortir de l’école, aller filmer ce qui se passe ailleurs. Dans Sur place, j’ai filmé les manifs du CPE, où plutôt les affrontements, juste pour comprendre ce qui avait lieu. Je voulais décortiquer la violence et l’absurdité qui s’en dégageait.

Mais justement comment en es-tu venue à la fiction à proprement parler ?
J’ai fait un autre film à base documentaire sur les élections de 2007, qui m’a servi pour l’écriture de La Bataille de Solférino ; j’observais la fabrication de l’événement, son absurdité et la tristesse qui se dégageait du manque d’élan de notre génération. Ce film n’a presque pas circulé. Quelque temps après j’ai fait un autre film au Brésil, Des ombres dans la maison, et là j’ai compris qu’il fallait faire l’inverse : partir de la fiction et se laisser contaminer par le réel.

Ça s’est enchainé très vite depuis ?
Pas si vite que ça en fait. J’ai fini ma première fiction courte, Vilaine fille mauvais garçon, il y a un peu plus de deux ans. Mais travailler avec Emmanuel Chaumet, mon producteur, a effectivement accéléré les choses.

Vous vous êtes rencontrés comment ?
Sur place a été sélectionné à ma grande surprise au Festival Hors Pistes de Beaubourg. Je l’avais tourné à l’arrache avec des amis et monté pendant un an dans ma chambre toute seule. Quand Chaumet est sorti de la projection, enthousiaste, il m’a contactée. C’était en 2007. A ce moment-là j’étais déjà engagée avec un autre producteur, avec lequel je suis restée deux ans. Ça ne s’est pas bien fini, j’ai donc repensé à Chaumet et je l’ai rappelé. Il était partant, très vite j’ai commencé à écrire Vilaine fille mauvais garçon et il a tout fait pour me faire tourner rapidement alors que nous avions très peu d’argent.

Vous avez eu l‘avance sur recettes du CNC du premier coup pour La Bataille de Solférino ? 
Oui, mais en fait on avait décidé qu’on tournerait qu’on l’obtienne ou pas puisque sinon c’était fichu pour cinq ans. C’est ce qu’il y a de bien avec Chaumet, il a un côté joueur, quand il y croit il se lance, qu’il y ait l’argent ou pas. Comme on espérait quand même avoir l’avance, on a demandé une dérogation pour filmer les scènes des élections. Mais tout le film a été conçu avec le minimum de moyens, et ça a été très vite une fois que la réponse est tombée.

Tu as travaillé avec le même chef op que pour Vilaine fille, mauvais garçon
Avec Tom Harari. On a un rapport assez spécial, souvent orageux, mais il était vraiment prêt à me suivre dans des trucs difficiles, et ça me mettait en confiance. Il ne fait pas d’obstruction quand il sait que c’est important pour moi de tourner, quitte à ce que je galère au montage parce que les choses n’étaient pas suffisamment prêtes. Il est très engagé et très à l’écoute de ce qui se passe, c’était essentiel pour ce film.

Tu as galéré au montage ?
D’abord, on avait une montagne de rushes. Ça m’a rappelé le dérushage documentaire où tu tournes beaucoup en attendant qu’un accident intéressant se produise. Là c’était beaucoup plus précis mais travailler en vidéo m’a permis de pouvoir laisser tourner la caméra sans compter. Du coup, il y a de vraies surprises, mais le casse-tête c’est de les retrouver ! Le monteur, Damien Maestraggi, a un avis très tranché sur les films qu’il monte, il désire et rejette fort. Il faut s’affirmer à côté de lui, et ça peut faire avancer plus vite. Ça m’asecouée, mais au final c’est bien.

Dans le prolongement de cette approche documentaire, ton rapport aux acteurs,ce mélange, ça donne quelque chose d’assez étonnant qu’on voit rarement au cinéma, en cherchant une ascendance, je pensais surtout à John Cassavetes
Certains de ses films sont très importants pour moi parce que je les ai découvertsjeune. Dans Minnie and Moskowitz, Love Streams, il y a un charme fou, une magie, et puis on ressent une proximité immédiate comme si on était invités àvivre un moment avec eux. Ce que je préfère chez lui c’est l’utilisation du son, je pourrais écouter ses films sans les voir. Mais en ce moment je consommebeaucoup de séries télé. Dans Girls par exemple, l’aspect girls band, telle quela série est vendue, est en fait détourné pour montrer une réalité beaucoup plus trash : comment la ville pousse les gens à s’enfermer chez eux ou comment unejeune fille deale avec ses pulsions impures au quotidien. J’ai des goûts plutôt hétéroclites, dans mon imaginaire cinématographique, Eustache côtoie les comédies des frères Farelly, Hapiness therapy de David O. Russel, ou Frownland le film génial et méconnu de Ronald Bronstein.

Il y a entre ces films et les tiens un trait commun, qu’on pourrait décrire comme une forme d’inadaptation aux normes.
Oui, ce sont des gens qui sont inadaptés à la société dans laquelle ils vivent et qui essayent quand même de rentrer dans le moule. Mais ils luttent avec leur passé. Dans Vilaine fille mauvais garçon Laetitia et Thomas tentent tant bienque mal de cacher les casseroles qu’ils trimballent, mais sans succès. Et dans La Bataille de Solférino, Vincent sort d’un séjour à l’HP, et doit prouver à tout le monde, malgré l’accord du juge, qu’il a le droit de voir ses enfants. Mais il reste l’objet de toutes les suspicions et son passé lui colle à la peau. D’unecertaine façon, Laetitia, qui paraît plus intégrée, est elle aussi obsédée parl’idée de la norme, même si on sent bien qu’elle n’est pas très nette non plus.Tout ça ne vient pas de nulle part, j’avais envie de montrer que cette violences’articule autour de quelque chose de collectif, une folie qui nous traverse tous et avec laquelle on se débat sans qu’on en soit toujours conscients.