Film soutenu

La chute du ciel

Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha

Distribution : La Vingt-cinquième Heure

Date de sortie : 05/02/2025

Brésil, Italie, France | 2024 | 1h50

Les Yanomami, tribu indigène de l’Amazonie brésilienne, mènent une lutte acharnée pour préserver leur territoire et leur mode de vie ancestral face à la menace du « peuple de la marchandise ». À travers le discours puissant de Davi Kopenawa, chaman et porte-parole de sa communauté, le film offre une immersion profonde dans leur cosmologie et se fait l’écho d’un appel urgent à la sauvegarde de la forêt et à la redéfinition de notre rapport à la nature.


Quinzaine des Cinéastes Cannes 2024 

Davi Kopenawa, Justino Yanomami,GivaldoYanomami, Raimundo Yanomami,DinarteYanomami, Guiomar Kopenawa,RoseaneYariana, Communauté Watoriki

Réalisation et scénario | Eryk Rocha, Gabriela Carneiro da Cunha · Image | Bernard Machado · Son | Marcos Lopes · Montage | Renato Vallone · Conception sonore | Guile Martins · Mixage | Toco Cerqueira · Producteurs | Eryk Rocha, Gabriela Carneiro da Cunha, Donatella Palermo • Producteur associé | Richard Copans · Distribution | la Vingt-Cinquième Heure Distribution

Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha

Eryk Rocha, né au Brésil en 1978, sort diplômé de l’école de cinéma de Los Baños à Cuba en 2002. Il fait ses débuts avec Rocha Que Voa, long-métrage explorant l’héritage politique et culturel brésilien, sélectionné dans les prestigieux festivals de Venise, Rotterdam et Locarno. En 2004, son court-métrage Quimera, qui brouille les frontières entre art contemporain et cinéma, est en compétition pour la Palme d’Or du meilleur court-métrage au Festival de Cannes, marquant le début de sa carrière de documentariste expérimental. Au cours des deux décennies suivantes, Eryk Rocha se forge une réputation internationale avec plus de quinze films, mêlant documentaire et fiction, récompensés dans les festivals du monde entier. Parmi ses distinctions, on compte le prix du meilleur réalisateur au Festival de Rio pour Jards (2013), l’Œil d’Or du meilleur documentaire à Cannes pour Cinema Novo (2016) et le prix du meilleur film au festival Indie Lisboa pour Campo de Jogo la même année. En 2021, il parcourt à nouveau les festivals du monde entier avec Edna, avant de co-réaliser en 2024 La Chute du Ciel, présenté en avant-première mondiale à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes.

Gabriela Carneiro da Cunha, née au Brésil en 1982, est une artiste multidisciplinaire brésilienne, active depuis plus de 10 ans en Amazonie. Metteuse en scène, performeuse, cinéaste et militante pour l’art environnemental, elle est à l’origine du projet Margins – On Rivers, Buiúnas et Fireflies, qui cherche à visibiliser les diverses catastrophes écologiques que connaissent les rivières brésiliennes. Ce projet a donné lieu à des pièces de théâtre telles que Guerrilla or For Land There Are No Missing Persons (2015) et Altamira 2042 (2019), présentées dans des festivals européens majeurs, dont le Wiener Festwochen et le Festival d’Automne à Paris et au Centre George Pompidou. Productrice, actrice et cinéaste engagée, Gabriela a co-produit le long métrage Edna (2021) d’Eryk Rocha, qui a été présenté dans plus de 50 festivals à travers le monde. Elle a remporté le prix de la meilleure actrice au Festival de Rio pour son rôle dans Anna de Heitor Dhalia. En 2024, elle présente son premier long métrage en tant que réalisatrice, La Chute du Ciel, co-réalisé avec Eryk Rocha, inspiré du livre du chaman yanomami Davi Kopenawa et de l’anthropologue Bruce Albert.

Filmographie d’Eryk Rocha

COURTS MÉTRAGES
2004 – Quimera
2005 – Medula
2012 – La Rueda
2013 – Istanbul
2015 – El Aula Vacía “Igor”
2020 – Marcha à Ré

LONGS-MÉTRAGES
2002 – Rocha Que Voa
2006 – Intervalo Clandestino
2008 – Pachamama
2010 – Transeunte
2012 – Jards
2014 – Campo de Jogo
2016 – Cinema Novo
2019 – Breve Miragem de Sol
2021 – Edna
2024 – La Chute du ciel

Créations artistiques de Gabriela Carneiro da Cunha

2002 – Rocha Que Voa – Documentaire coréalisé avec Eryk Rocha
2013 – Riverbank Project: About Rivers, Buiúnas, and Fireflies | Projet de recherche artistique
2015 – Guerrilla Girls or to earth there are no missing person | Pièce de théâtre multidisciplinaire
2019 – Altamira 2042 | Performance immersive | Brésil | Présenté au Centre Pompidou Paris et au Festival d’Automne
2024 – La Chute du Ciel | Film coréalisé avec Eryk Rocha

NOTE D’INTENTION D’ERYK ROCHA ET GABRIELA CARNEIRO DA CUNHA

C’est en écoutant le désir du chaman Yanomami Davi Kopenawa de parler, avant qu’il ne soit trop tard, aux blancs et aux indigènes du monde entier, que nous avons décidé de travailler sur le projet du documentaire «La Chute du Ciel». Nous nous sommes librement inspirés du livre éponyme de Davi Kopenawa et Bruce Albert, avec qui nous avons développé une relation fructueuse au cours des sept dernières années. Il s’agit davantage d’un dialogue avec certains aspects du livre qu’une adaptation conventionnelle.
Le tournage a eu lieu pendant le rite Reahu, soit l’événement le plus significatif de la cosmologie Yanomami. La fête que nous avons filmée s’est déroulée en l’honneur du beau-père de Davi Kopenawa, un chaman important et respecté qui l’a initié au chamanisme. Ce rite est le fil conducteur de notre film: une invitation à pénétrer dans la cosmologie Yanomami et dans le monde des esprits, qu’ils appellent Xapiri. Le Reahu représente une forme de “mise à jour esthétique” du monde des esprits qui, selon les Yanomami, nous invitent à rêver plus loin, plus profondément. L’action même de rêver prend une dimension éminemment géopolitique lorsque Davi Kopenawa décrit ce qu’il perçoit comme la plus grande malédiction des non-autochtones: ils dorment beaucoup, mais lorsqu’ils rêvent, ne rêvent que d’eux-mêmes.

Le diagnostic est ensuite posé par Davi lorsqu’il assume son rôle de chef des Yanomami, l’une des positions les plus importantes et décisives pour la lutte contre l’exploitation minière illégale qui sévit en Terre Indigène Yanomami (TIY). Depuis début 2023, d’inquiétantes images des Yanomami circulent dans les médias nationaux et internationaux, exposant au monde la gravité de la situation sanitaire et humanitaire à laquelle ils sont confrontés, en particulier depuis les dernières années du gouvernement de Bolsonaro au Brésil: faim, paludisme, prostitution, déforestation, contamination au mercure etmorts violentes dues aux invasions, suite à une nouvelle ruée vers l’or sur le territoire. Les centaines d’enfants tués sans raison apparente ont mis en évidence la situation alarmante dans laquelle se trouvent les Yanomami, que beaucoup décrivent comme un génocide.

Le cinéma, dans son langage même, n’a pas seulement vocation à être un cri de colère ou de révolte. Il peut aussi parfois s’ériger en chant mélodieux, briseur de silence. C’est le moyen dont nous disposions pour faire résonner toute la beauté et le courage de ce peuple. Dans ce film, nous n’avons pas voulu reproduire les mêmes images médiatiques qui ont déjà été diffusées à grande échelle, mais plutôt créer un moyen d’expression esthétique, politique et cinématographique propre, qui mettrait en lumière la beauté, le courage et la vitalité des Yanomami et de la communauté Watoriki.

Le concept d’Utupë est au centre de l’ontologie et de la cosmologie Yanomami. Il implique que c’est dans l’image de quelqu’un que se trouve sa vie et sa mort. Les esprits, êtres-images par excellence, vivent dans ce monde des images. L’Utupë est ainsi l’image de la personne, mais aussi son écho. Une fois rassemblés, ils forment le principe audiovisuel vital d’une personne Yanomami.
Notre découverte de l’univers Yanomami s’est ainsi révélée être une confluence entre différents cinémas: celui de la caméra, du micro et du montage, et celui de la théâtralité, du Yãkoana et du rituel. Le nôtre et le leur. Tous deux évoluant dans un effort inlassable de compréhension mutuelle, dans une forme de provocation, de tension et de liaison fertile, nous ayant permis de produire des images et des sons qui empêcheront peut-être le ciel de s’effondrer.Le tournage a été réalisé en équipe très réduite, pour permettre une rencontre sincère et réciproque avec nos hôtes. Nous avons été peu à peu guidés par ceux qui sont devenus pour nous les êtres du mouvement, en cheminement perpétuel le long des sentiers et des passages, toujours au rythme des chants et des vents.

Nous ne pouvions y voir qu’avec nos oreilles, nos ombres et nos transes. Le jour de l’attaque, les bruits glaçants des envahisseurs qui encerclaient les terres Yanomami nous ont rappelé la menace quotidienne que représente notre monde à nous, pour ceux qui nous ont accueilli à bras ouverts, jusque sous leur toit.En réalisant ce film, nous n’avons pas cherché à interpréter et à décrire la culture des Yanomami de manière exhaustive, dans tout ce qu’elle a de complexe et de profond.Il cherche à nous faire rêver avec eux, à nous faire créer le monde et tisser le ciel à leur côté. Il essaye de poser un regard nouveau, celui du chaman Davi Kopenawa, sur notre propre monde, le monde qui porte la marque du tueur.Dans son analyse, Davi Kopenawa va au delà de la tragédie qui affable les terres autochtones d’Amazonie, il brandit un miroir vers nous, pour nous confronter à notre propre reflet. L’expérience des Yanomami devient la nôtre. Pour mener son combat, Davi a souvent voyagé sur les terres des blancs. De son discours transparaît ainsi une compréhension fine et complexe du système capitaliste et de ceux qu’il appelle le «peuple de la marchandise». Il propose une analyse géopolitique précise, conscient que l’or arraché à ses terres traverse l’océan pour être raffiné puis consommé dans les pays du Nord, perpétuant la sempiternelle histoire, vieille de500 ans, du colonialisme et du néocolonialisme.

Notre troisième axe est celui de l’avertissement, posé par le mythe de «La Chute du Ciel» et par le concept Yanomami de la«Revanche de la Terre». Selon Davi, ce que nous, les Blancs, appelons la catastrophe climatique, n’est rien d’autre que la vengeance de la terre pour toutes les destructions commises par le «peuple de la marchandise»: celles des êtres vivants, humains et non-humains, comprenant l’extermination de ses ancêtres Yanomami.
A ce moment clé du documentaire, nous nous sommes vus confrontés à une question cinématographique et éthique: Quelles images et quels sons voulons nous mettre en scène, alors même que le ciel est sur le point de s’effondrer ?Alors que la caméra filme les chamans, occupés à parfaire cette couture céleste, l’écran passe soudainement au noir afin qu’aucune image ne puisse nous détourner des paroles de Davi Kopenawa. Ils s’adresse alors directement au public, à «NOUS». La séquence continue ensuite, nourrie d’un dialogue cinématographique avec le film d’Artavazd Pelechian «La Nature», qui nous plonge dans des images d’archives présentant notre monde en train de disparaître. Pelechian a toujours eu une influence considérable sur notre travail. C’est donc une grande joie pour nous d’avoir pu inclure ses images, en les liant intimement avec les paroles de Davi et la mythologie de La Chute du Ciel. En tant que réalisateurs, les mots de Davi encourageant les napë, Hommes blancs, à rêver davantage, résonnent aussi en nous comme un appel à la création d’un cinéma qui rêve loin, au-delà de lui-même.

LA GENÈSE DU PROJET

Le film est librement inspiré du livre éponyme écrit par le chaman yanomami Davi Kopenawa et l’anthropologue français Bruce Albert, à l’issue d’une collaboration de30ans entre les deux hommes.Plutôt que de chercher simplement à transposer le livre en images, les réalisateurs ont souhaité ajouter un chapitre cinématographique à l’œuvre littéraire, en se nourrissant de l’amitié développée depuis 2017 avec Davi Kopenawa, son fils Dário Vitório Kopenawa, Bruce Albert et plus largement avec les Yanomami de la maison collective de Watoriki et l’Association Yanomami Hutukara, co-productrice du projet.Dans La Chute du Ciel, Davi Kopenawa part de la prophétie Yanomami annonçant la fin du monde imminente, pour confronter les napë, blancs non-indigènes, aux enjeux humanitaires, environnementaux et climatiques. Il explique: «Ce film a pour but de montrer aux gens de la ville que notre façon de vivre et de travailler est différente de la leur. Elle ne détruit pas la forêt et ne nuit pas à notre terre mère. C’est un moyen de leur faire ressentir de l’amour, de l’empathie et du respect pour notre peuple, notre nature, nos rivières. Ainsi, les générations futures pourront entendre, elles-aussi, notre appel. Le film a une force et une énergie très puissante. C’est la force de la Terre Mère qui se manifeste à l’écran, pour que les gens de la ville en soient témoins, et apprennent à la respecter.»

RITES ET COSMOLOGIE DES YANOMAMI

Le documentaire s’articule autour du rituel funéraire du Reahu. Cette cérémonie, la plus importante dans la cosmologie des Yanomami, rassemble des centaines de proches du défunt dans le but d’effacer toute trace de son passage sur terre, lui permettant ainsi d’accéder à l’oubli absolu.le film dévoile peu à peu la cosmologie des Yanomami et le monde des esprits Xapiri. Il présente le travail des chamans, qui soutiennent le ciel et guérissent le monde des gangrènes introduites par les non-autochtones: l’exploitation minière illégale, le siège des terre autochtones perpétré par le «peuple de la marchandise», et la plus menaçante d’entre elles, la Revanche de la Terre.

LA GÉOPOLITIQUE DE LA TRIBU

Le tournage s’est déroulé dans la maloca des Watoriki, la grande maison circulaire dressé e au cœur de la communauté, où Davi Kopenawa et sa famille vivent. Il est situé en Terre Indigène Yanomami, le plus grand territoire indigène au Brésil, officiellement reconnu par le gouvernement brésilien en 1992 grâce à la lutte acharnée de Davi pour faire reconnaitre les droits de son peuple. Les Yanomami sont une société de chasseurs-cueilleurs vivant au nord de l’Amazonie, dont les contacts avec les sociétés industrialisées sont relativement récents. Leur territoire, situé entre le Brésil et le Venezuela, est l’une des plus grandes zone de forêt tropicale ininterrompue du monde.Au Brésil, on décompte encore environ 30 000 Yanomami répartis dans plus de 300 communautés. Toutes sont confrontées à une grave crise humanitaire, provoquée par l’invasion massive de mineurs et d’orpailleurs à la recherche de minéraux, principalement d’or et de cassitérite. Ces dernières années, le nombre de ces envahisseurs a atteint environ 20 000 individus, entrainant une nette augmentation des violences, la contaminations au mercure de l’eau et des poissons, la déforestation massive et la prolifération de nombreuses maladies inconnues des Yanomami, dont le paludisme. Les données gouvernementales montrent qu’au moins 570 enfants de moins de 5 ans sont morts sur le territoire entre 2019 et 2022. L’année dernière, malgré l’arrivée au pouvoir du gouvernement Lula, plus sensible à leur cause, 308 Yanomami sont morts au cours des 11 premiers mois, dont 104 avaient moins d’un an.