Film soutenu

La légende du roi crabe

Alessio Rigo de Righi & Matteo Zoppis

Distribution : Shellac

Date de sortie : 23/02/2022

Italie, Argentine, France – 2021 – 1 h 46

De nos jours, dans la campagne italienne, de vieux chasseurs se remémorent la légende de Luciano. Ivrogne errant dans un village isolé de Tuscie, Luciano s’oppose sans relâche à la tyrannie du Prince de la province. La rivalité grandissante entre les deux hommes, alimentée par les passions et la jalousie, pousse Luciano à commettre l’irréparable. Contraint à l’exil dans la lointaine Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine, l’infortuné criminel, entouré de chercheurs d’or cupides, se met en quête d’un mystérieux trésor enfoui qui pourrait bien être sa seule voie vers la rédemption. Mais sur ces terres arides, seules l’avidité et la folie prévalent.

Luciano Gabriele Silli • Emma Maria Alexandra Lungu • Severino Severino Sperandio • Le père de Luciano Bruno di Giovanni • Le Prince Enzo Cucchi • Les laquais Claudio Castori, Domenico Chiozzi • Lennox Darío Levy • Gauchito Mariano Arce • Le capitaine Jorge Prado • Ventura Daniel Tur

Réalisation et scénario Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis • D’après une histoire de Alessio Rigo de Righi, Matteo Zoppis, Tommaso Bertani, Carlo Lavagna • Directeur de la photographie Simone d’Arcangelo • Montage Andrés Pepe Estrada • Sound Design Catriel Vildosola • Direction artistique Fabrizio d’Arpino, Marina Raggio • Costumes Andrea Cavalletto • Décors Fabio Ferrara • Musique Vittorio Giampietro • Producteurs Tommaso Bertani et Massimiliano Navarra (Ring Films), Agustina Costa Varsi (Volpe Films), Ezequiel Borovinsky (Wanka Cine), Thomas Ordonneau (Shellac)•

Alessio Rigo de Righi
& Matteo Zoppis

Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis (nés en 1986) sont deux réalisateurs italo-américains. Leur collaboration a débuté avec le court-métrage documentaire Belva Nera en 2013 puis le long-métrage multi-primé Il Solengo. Leur travail se concentre sur les contes et légendes de la tradition paysanne et sur le mécanisme incomplet et
imparfait de la tradition orale qui finit par donner naissance à de nouvelles histoires. Leurs films ont été présentés dans de nombreux festivals comme l’IFF de Rotterdam, le festival du film de Göteborg, Art of the Real à New York, la Viennale, le BAFICI, le RIDM de São Paulo et ont été primés au Cinéma du Réel, à Doclisboa et au Torino Film Festival. La Légende du Roi Crabe est leur premier long métrage de fiction.

2015 Il Solengo
Torino Film Festival – Meilleur documentaire italien
Doclisboa – Meilleur film
International Film Festival Rotterdam- Sélection officielle

2013 Belva Nera (court-métrage)
Cinéma du Réel – Compétition internationale

ENTRETIEN AVEC ALESIO RIGO DE RIGHI ET MATTEO ZOPPIS

DES CHASSEURS D’HISTOIRES

Nous nous connaissons depuis le collège. Mais nos premières expériences dans le cinéma se sont faites séparément. Ce n’est qu’en 2013 que nous avons co-réalisé notre premier projet commun, Belvanera. C’est aussi le premier film que nous avons tourné à Vejano – ce village de la région de Tuscie devenu depuis le cœur de notre cinéma. C’est Matteo qui nous a conduits vers Vejano. Il connaissait Ercolino, un Romain installé là-bas depuis plusieurs années et qui possède un gîte au beau milieu d’un domaine où se réunissent régulièrement des chasseurs de la zone pour manger, boire et raconter des histoires locales. L’une de ces légendes, celle d’une panthère qui terrorisait le village, nous a donné l’idée de Belvanera. Pendant le tournage, les chasseurs nous ont raconté une autre légende, et nous avons alors réalisé un deuxième documentaire : Il Solengo. Cette fois encore, durant la réalisation du film, nous avons entendu une autre légende :
l’histoire de Luciano, le héros de La Légende du Roi Crabe.

LE RÉCIT À TRAVERS LES LÉGENDES


Chaque nouvelle histoire racontée par les chasseurs était plus vaste que la précédente, mais aussi beaucoup moins détaillée. Celle de Luciano commençait à Vejano et se terminait en Amérique du Sud, dans la Terre de feu. Nous avions d’autre part peu d’informations sur ce personnage, sur l’époque précise des événements. Nous en avions moins encore sur ce qui lui est arrivé en Amérique. Il a fallu tout imaginer. C’est peut-être pour cela que nous avons progressivement basculé du documentaire vers la fiction.
Nous avons fait de nombreuses recherches. Nous avons par exemple cherché dans les archives des traces du voyage que, d’après nos amis chasseurs, Luciano aurait fait entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Nous avons trouvé plusieurs homonymes parmi les immigrants italiens en Argentine : l’un d’entre eux pourrait être Luciano. Nous nous sommes à notre tour rendus en Terre de feu, pour effectuer des repérages. Nous avons découvert un univers riche de récits et d’aventures invraisemblables d’Italiens émigrés. Nous voulions que, dans la partie argentine, l’histoire de Luciano fasse écho à tous ces mythes issus de la culture de l’émigration. Les chasseurs sont présents dès notre premier film. Mais, entre-temps, notre rapport avec eux a considérablement évolué, personnellement et professionnellement. Au début, ils étaient circonspects, voire méfiants. Ils se sont considérablement ouverts au fur et à mesure. Ils sont ainsi devenus plus acteurs. Ils ont commencé à nous suggérer des idées. Aujourd’hui ils sont beaucoup plus à l’aise devant la caméra qu’il y a sept ans. C’est désormais une vraie collaboration.

LUCIANO, EMMA & LES VILLAGEOIS


Il a été assez facile de trouver les rôles secondaires. Nous avons habillé les chasseurs et les villageois avec des costumes d’époque, et ils étaient prêts à jouer. En revanche, pour le rôle de Luciano, nous avons d’emblée décidé qu’il fallait que ce soit quelqu’un venu d’ailleurs. L’idée était que cette extériorité à la communauté puisse retentir dans le jeu en aidant à créer le personnage de paria qu’est Luciano. Nous avons assez rapidement pensé à un ami de longue date, Gabriele Silli. Gabriele n’est pas un acteur professionnel, il est artiste plasticien et vit à Rome. Gabriele a des traits de caractère proches du personnage, c’est pour cette raison que nous avons pensé à lui. Il s’est énormément investi pour le rôle. Il a passé deux mois à Buenos Aires pour apprendre l’espagnol. On peut dire qu’il a créé Luciano, y compris physiquement, comme une sorte d’œuvre d’art plastique. Il est devenu son personnage : depuis le tournage on l’appelle Luciano aussi dans la vraie vie. Pour le personnage d’Emma, – l’amoureuse de Luciano – nous avons découvert Maria Alexandra Lungu lors d’un casting. Pour nous Emma devait avoir une personnalité forte. Il fallait quelqu’un qui puisse tenir tête à Luciano et en quelque sorte dompter sa sauvagerie à lui. C’était vraiment un rôle clé. Peut-être son personnage est-il le véritable protagoniste du film. Le héros est sans doute Luciano, mais d’une certaine manière tout le film parle d’elle. Contrairement aux autres, Maria Alexandra Lungu avait de l’expérience en tant que comédienne. Elle a tourné avec Alice Rohrwacher dans Les Merveilles (2014). Nous avons fait plusieurs essais avec Gabriele et elle correspondait parfaitement à ce qu’on cherchait.

DE L’ITALIE À LA TERRE DE FEU ARGENTINE


Nous avons d’abord tourné la partie italienne à Vejano, en septembre. Nous voulions éviter les paysages brûlés typiques de l’été italien et pouvoir au contraire montrer une campagne verdoyante. Nous avons pu terminer le tournage de cette partie avant l’arrivée de la deuxième vague de Covid. Nous avons eu de la chance. Sur le tournage du film précédent, Il Solengo, notre équipe était réduite.
Parfois dix personnes. Parfois juste nous deux. La Légende du Roi Crabe a en revanche exigé une équipe plus nombreuse. Mais cela n’a pas été non plus un tournage traditionnel. Le principal défi était de trouver une méthode adaptée aux villageois qui ne sont pas des acteurs professionnels. On ne pouvait pas exiger d’eux qu’ils répètent la même scène vingt fois : en plan large, champ, contrechamp, etc. Il fallait éviter de trop découper l’action. Avec le directeur de la photographie, Simone D’Arcangelo, nous avons trouvé un arrangement assez hétérodoxe, mais qui nous a permis de travailler avec beaucoup de souplesse.
Pour la partie argentine nous avons tourné de manière beaucoup plus traditionnelle. Mais d’autres défis nous attendaient. La préparation a été complexe. Il a fallu imaginer un tournage ayant comme base la ville de Ushuaïa, mais s’étendant sur un rayon de 400 kilomètres, jusqu’à la côte atlantique de la Grande Île de la Terre de feu. La grande partie de la journée était dès lors consacrée aux déplacements. À chaque fois il y avait une ou deux heures pour y aller et autant pour rentrer. Cela nous aura pris en tout deux mois. Et le COVID évidemment représentait un défi supplémentaire.

LA MUSIQUE : DES GENRES MULTIPLES


Dans La Légende du Roi Crabe on entend différentes musiques, chacune ayant une fonction différente. Il y a d’abord une musique chantée qui véhicule un contenu narratif. Nous avons pris des chants populaires traditionnels. Or, les chants populaires sont souvent composés d’une mélodie, toujours plus ou moins la même, et un texte qui peut au contraire varier beaucoup, de région en région, parfois de village en village. Il n’est pas rare de trouver dans ces textes des éléments qui renvoient aux personnages des légendes populaires. Certains villageois, par exemple, se souvenaient d’une chanson ou d’une partie qui parlait de Luciano. Était-ce vrai ? Peut-être parlait-elle d’une autre personne ayant eu une histoire similaire ? Peut-être avait-elle été réadaptée ? Allez savoir. Comme les légendes, chacun a sa version, et toutes les versions ont des éléments communs et des variations. C’est très clairement ce qui nous intéresse dans notre travail de cinéastes : repérer ces arborescences. Plus encore, il nous intéresse de les entretenir et de les prolonger. La tradition culturelle n’est pas une chose morte ou achevée. Pour la musique aussi, nous ne sommes pas limités à enregistrer ce qui existe : nous avons voulu dialoguer avec la tradition pour participer à son évolution.
Il y a ensuite une musique seulement instrumentale et qui dialogue avec les images. Le compositeur Vittorio Giampietro nous accompagne depuis Belvanera. Ce musicien est un véritable volcan d’idées. Il fait vraiment partie de l’équipe dès le tournage. Il a tout le temps été à Vejano avec nous. Difficile d’en parler en général, tant le résultat est le fruit d’un travail très ponctuel, très précis, scène après scène. Nous évitons l’usage hollywoodien – qui consiste à souligner ou amplifier par la mélodie l’émotion de la scène. Et nous cherchons au contraire à obtenir un effet de contrepoint par rapport à la ligne narrative du film.

UNE RÉALISATION À QUATRE MAINS

Entre nous, sur le tournage, il y a une sorte de division du travail. Mais qui n’est pas rigide et n’a pas vocation à être définitive. Il y a des compétences spécifiques. En général, on apprend et on évolue ensemble. La
Légende du Roi Crabe était notre premier film de fiction et il a fallu affronter des défis à chaque foisnouveaux. Nous avons des goûts communs. Nous aimons tous les deux les films de Monte Hellman, Mikhaïl Kalatozov, Akira Kurosawa… Dont on peut facilement repérer certains éléments dans La Légende du Roi Crabe. Sans doute, partageons nousune certaine idée du cinéma d’auteur. Ou plutôt, il faudrait dire que nous partageons l’idée selon laquelle le cinéma d’auteur n’est pas un genre cinématographique en soi. Ce qui nous intéresse, comme auteurs, c’est d’explorer le cinéma de genre. Dans la partie italienne et dans la partie argentine, nous nous sommes amusés à revisiter des figures et des scènes typiques du western. Du western, nous plaît entre autres l’idée qu’un lieu très égaré, un village peut devenir le coeur d’une histoire mythique. C’est la force du récit. La Légende du Roi Crabe part d’un lieu minuscule, un gîte où se retrouvent des chasseurs. Mais pour arriver au bout de l’histoire, il faut aller au bout du monde, en Terre de feu.

LE CRABE

Dans tous nos films, il y a un animal. Dans Belvanera c’est une panthère. Dans Il Solengo, un sanglier. Ici, il y a toujours eu un crabe. C’est une idée qui est née avec le film. Nous l’avons inventé. Il n’y a pas vraiment d’explication au choix du crabe. Il est vrai qu’en Argentine nous avons entendu un grand nombre d’histoires avec des animaux. Mais le crabe que Luciano utilise pour s’orienter en Terre de feu n’en fait pas partie. Il s’agit simplement pour nous d’un élément surréel et magique.