Paul Château-Têtard, vieux garçon de 45 ans et pur produit du XVIe arrondissement de Paris, prend le métro pour la première fois de sa vie et tombe amoureux d’une jeune guichetière, Ava. Leur mariage n’est pas du goût de « maman », Adélaïde Château-Têtard, qu’on appelle aussi la Reine Mère. Pourtant cette dernière s’en accommode : un héritier serait le bienvenu. Mais le bébé tarde à venir… Une guerre sans pitié s’engage entre les deux femmes, la Reine-mère étant persuadée qu’Ava trompe son fils. Il doit bien y avoir un amant quelque part…
Ava Anaïs Demoustier • La reine-mère Josiane Balasko • Paul Philippe Katerine • Jérôme William Lebghil • Raoul Sergi Lopez • Dalac Philippe Duquesne • Maître Geoffroy Crépin Olivier Broche
Réalisation et montage Antonin Peretjatko • Scénario Antonin Peretjatko d’après la nouvelle « Il faut un héritier » de Noëlle Renaude • Production Mathieu et Thomas Verhaeghe • Image Simon Roca • Décors Jérémie Duchier • Musique originale Mathieu Lamboley • Son Marie-Clotilde Chéry • Direction de production Isabelle Tillou • Costumes Sidonie Pontanier •1er Assistant réalisation Stéphanie Téchenet • Casting Marine Albert • Régie Nathalie Dagès • Direction de post-production Francesca Betteni Barnes • Une coproduction ATELIER DE PRODUCTION, ORANGE STUDIO et AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA • Avec la participation de CANAL+ et OCS • En association à la production avec ARTE COFINOVA 16
Antonin Peretjatko
Antonin Peretjatko devient diplômé de l’école nationale supérieure Louis-Lumière en section cinéma (chef-opérateur) en 1999.
Son premier long métrage, La Fille du 14 juillet, est sorti sur les écrans en juin 2013. Avec Justine Triet, Guillaume Brac, Thomas Salvador, Yann Gonzalez et d’autres, il fait partie d’une génération de jeunes cinéastes français mise en avant par les Cahiers du cinéma en avril 2013, et dont certains sont révélés au grand public lors du festival de Cannes de la même année.
En 2017, Antonin Peretjatko tourne Panique au Sénat. Le tournage a lieu au château de la Ballue à Bazouges-la-Pérouse et à Rennes. Le film est tourné en 3D
FILMOGRAPHIE
2013 La Fille du 14 juillet
2016 La Loi de la jungle
2020 La pièce rapportée
ENTRETIEN AVEC ANTONIN PERETJATKO
C’est la première fois que tu adaptes un livre, en l’occurrence une nouvelle de la dramaturge Noëlle Renaude. Qu’est-ce qui t’ a inspiré dans cette histoire ?
C’est une nouvelle très courte, de huit pages, parue dans les années 1980 dans un magazine qui s’appelait Bonne Soirée. Toutes les semaines, Noëlle Renaude y écrivait sous pseudo une nouvelle. On m’a conseillé d’y jeter un coup d’oeil et c’est comme ça que je suis tombé sur « Il faut un héritier », qui est devenu « LA PIÈCE RAPPORTÉE ». Ce qui m’a plu tout de suite dans cette nouvelle, c’est une mécanique implacable dans le scénario, qui est caractéristique du vaudeville. La deuxième raison, c’est que la nouvelle parlait du rapport de classes, plus précisément du mélange de classes sociales. J’ai modernisé l’histoire en l’adaptant au contexte actuel, j’ai déployé l’accordéon en ajoutant des personnages et des situations… Quand on lit un roman, on a très vite des images qui viennent en tête. Le choix d’un mot plutôt qu’un autre donne une couleur différente à ce qu’on imagine. Ensuite, au scénario, il suffit de décrire les images qu’on a en tête.
Le générique de fin mentionne également comme source une nouvelle de Tchékhov, « Le Roman d’une contrebasse ».
J’avais déjà fait quelque chose de similaire dans La Fille du 14 juillet : le passage dans la neige où deux personnages font de la luge était aussi adapté de Tchékhov. Cela faisait assez longtemps que je voulais adapter « Le Roman d’une contrebasse ». J’avais pensé à un moment faire un film à sketches à partir des nouvelles de Tchékhov, mais c’est très compliqué à financer. Finalement, la nouvelle de Tchékhov a trouvé sa place dans le film. Ce passage devient un noeud scénaristique : il provoque un changement chez un des personnages principaux, désormais tout le monde va s’entendre pour considérer que la belle mère ,est folle, ce qui précipitera sa chute.
Pourquoi as-tu fait le choix d’un narrateur en voix off ?
Le film est construit comme un puzzle, avec de nombreux flashbacks emboîtés les uns dans les autres. Ce narrateur omniscient guide le récit. Pour moi, la voix off devient intéressante si elle apporte quelque chose que l’image, le son ou le montage ne peuvent pas véhiculer, que ce soit dans le choix des mots ou la diction. Je considère la voix off comme une strate supplémentaire dans la composition d’un film : elle nuance, s’inscrit en faux par rapport à ce qu’on voit, fait des ellipses, colore un propos… Elle a un côté très ludique, elle peut jouer avec les codes seulement avec son phrasé, prendre parti grâce au choix des mots, etc. Par exemple, quand elle rapporte les pensées de la Reine-Mère à propos d’Ava : « Madame Château-Têtard savait qu’elle n’était pas allée chez sa filleule, et elle allait lui faire avaler ses mensonges, à cette sale petite pute. » La voix off prend parti, alors qu’elle est censée être neutre créant ainsi un effet comique.
L’ordre des scènes était-il déterminé à l’avance, ou le film s’est-il construit au montage ?
Quand on construit un récit, on a deux grandes possibilités : il y a soit la construction à la Fritz Lang, où chaque plan en appelle un autre, fait tomber le suivant, à la façon de dominos, soit la construction à la John Ford, où les séquences peuvent être relativement autonomes. Tout le monde connaît cette anecdote où le producteur de Ford vient sur le plateau en disant « On a une semaine de retard, que fait-on ? », et Ford déchire une séquence du scénario et répond « Maintenant c’est bon, on est à l’heure ». Dans LA PIÈCE RAPPORTÉE, il y a certaines séquences qui peuvent paraître autonomes, mais en réalité nous sommes dans un vaudeville où tout s’imbrique, les informations ne peuvent guère être déplacée. Le film joue constamment sur l’information que le spectateur possède par rapport aux personnages. Parfois il est en avance et parfois il est en retard. C’est une chose très agréable pour le spectateur. Par exemple, lorsqu’un personnage ment, c’est toujours intéressant de se poser la question d’où placer le spectateur par rapport au mensonge. Est-il au courant ou non ? Approuve-t-il le mensonge ? Dans quel état cela met-il le spectateur ?
Le rythme est différent, moins frénétique que dans les films précédents.
C’est effectivement plus posé, j’avais envie d’avoir des plans plus longs, en donnant une place centrale au jeu, ce qui n’était pas forcément le cas jusque-là. J’ai profité de l’occasion pour faire des travellings, des mouvements de caméra… J’ai bien aimé pouvoir apporter des nuances dans le plan grâce aux mouvements d’appareil. Pour autant j’ai continué à tourner en accéléré, à 22 images par seconde, mais comme ensuite on a corrigé toutes les voix, on ne le voit presque pas, on le sent. Quand on tourne, il faut toujours dynamiser les choses. Quand il fait gris, les couleurs sont ternes, les acteurs perdent leur tonus, la mise en scène devient molle. Il faut quelque chose qui envoie le balancier très loin du côté du peps. C’est pourquoi le choix de cette accélération des mouvements vient selon la météo, le jeu, l’humeur du moment. C’est comme changer de focale, il y a des plans qui demandent d’être accélérés, d’autres pas.
Les personnages sont aussi très travaillés, jusqu’aux petits détails – et notamment les costumes.
Ce film demandait un travail en profondeur des personnages. Les costumes changent presque tout le temps. Pour Ava, au départ, elle a des tenues très légères, très libres (robes d’été, sandales, etc.), et plus elle s’intègre dans ce milieu de la grande bourgeoisie, plus son style vestimentaire devient strict. Elle finit avec un tailleur dans lequel elle peut à peine bouger les jambes. Même chose pour sa coiffure : au début, elle a les cheveux détachés et à la fin, elle se retrouve avec un gros chignon comme la Reine-Mère. Elle a pris sa place.
De quoi t’es-tu inspiré pour dépeindre l’univers familial des Château-Têtard ?
De la nouvelle bien sûr, mais surtout de ce qu’on peut observer dans le XVIe arrondissement. Mon assistante réalisatrice vient de ce milieu-là. C’était notre conseillère pour les tenues vestimentaires, le mobilier, etc. J’ai pu voir que je ne m’étais pas beaucoup trompé dans ce que j’avais imaginé. Toutefois j’ai essayé de mettre des comédiens de couleur, mais cela n’était pas crédible. On est sur du racisme de classe : on reste entre soi. C’est cela qui se joue dans le film, à travers le conflit entre Ava et la Reine-Mère : la difficulté à accepter quelqu’un qui vient d’un autre milieu social.
Le film est assez féroce politiquement, sur les origines de la fortune des Château-Têtard, la violence socioéconomique, les rapports de pouvoir et de domination qui s’exercent à tous les échelons de la société…
Je voulais montrer une richesse qui se fonde sur une absence totale de scrupules. On rend service aux dictateurs, on profite de l’Occupation, etc. : tout est un bon prétexte pour faire de l’argent. J’ai été effaré du nombre de grands patrons français décorés par Pinochet. Ava ne se pose pas trop de questions… un tout petit peu au début, quand elle fait remarquer que Pinochet était un dictateur. Mais quand on lui « démontre » par A+B que non, à partir de là elle ferme les yeux sur tout ce qui peut poser des problèmes d’argent. Quant aux rapports de pouvoir et de hiérarchie, ils sont partout. Ava se fait sanctionner par un collègue de la RATP qui sera lui-même plus tard viré au profit d’une machine… Tout le monde risque de perdre sa place. C’est la même chose dans les rapports domestiques : il y a la bonne qui s’en prend plein la figure, le chauffeur qui sert d’amant… Tout devient enjeu de pouvoir : prendre la Rolls, manger à table, disposer du mobilier (le trône, le Pinochet, etc.)…
Comment vois-tu le personnage d’Ava ?
Ava n’est pas quelqu’un qui cherche à faire la révolution, ni à faire exploser la famille. Elle veut seulement trouver sa place. Elle commence sur une chaise à roulette dans son guichet de métro, elle termine sur le trône de la Reine- Mère. La Reine-Mère se fait prendre à son propre piège : elle cherche à se débarrasser d’Ava, mais c’est elle qui finit par se faire éjecter. À la fin du film, on revient à la même configuration qu’au début, avec Ava qui s’est emparée du trône, et le nouveau chauffeur qui est aussi son amant. Je trouvais que le film serait plus fort dans son propos si le personnage d’Ava n’avait pas le souhait de faire sauter la marmite, mais qu’il finisse par être intégré à la famille, par s’y faire une place. Je ne voulais pas faire un film sur la lutte des classes. Ava n’a pas de conscience politique. Elle subit une condition de classe modeste et puis, par chance, elle pénètre un milieu aisé, avec tous ses avantages. Quand elle passe devant un bidonville, elle y prête à peine attention, elle constate des inégalités, mais ce n’est plus son problème. Le film montre une société où l’espoir de devenir riche enlève toute envie de justice sociale.
Le personnage de la Reine-Mère est également plus complexe qu’il n’y paraît.
Josiane Balasko tenait à mettre plus de nuance dans le personnage. J’ai réécrit un petit peu pour complexifier le personnage. Par exemple, j’ai rajouté cette séquence de rêve, entre la Reine-Mère et Ava. J’avais envie que le personnage change, je voulais qu’elles deviennent amies – ce qui reste très mystérieux pour le spectateur avant qu’il réalise qu’il s’agit d’un rêve : c’est en fait un cauchemar qui dégouline de gentillesse. Par ailleurs, sa relation avec son fils (Philippe Katerine) a permis à Balasko de grandes variations de jeu. Ce qui est intéressant, c’est que ce personnage est certes le méchant, mais c’est aussi un rôle comique. Le jeu est beaucoup plus outrancier que pour le personnage d’Ava, par exemple. Ainsi il y a plusieurs registres de jeu qui peuvent se mêler au sein d’une même scène. À la fin, l’histoire d’amour avec le domestique est un échec, ça la rend assez sympathique. On se rend compte qu’elle n’est pas que méchante. C’est comme s’il y avait de la part du spectateur un transfert de sympathie d’Ava à la Reine-Mère au fur et à mesure que la première prend la place de la seconde. La situation s’inverse.
Des gilets jaunes à la théorie du ruissellement en passant par la suppression de l’ISF, on trouve beaucoup de références à l’actualité.
Il y a aussi une réalité documentaire qui passe en filigrane, avec le campement de tentes au nord de Paris. Comme c’est un film sur les classes sociales et les ultra-riches déconnectés de la réalité, je ne me voyais pas passer cette réalité sous silence. La question, c’est de savoir comment s’adapter à la réalité qui nous est imposée. Je tenais par exemple à ce que la Rolls passe devant un bidonville, qu’il y ait ce contraste qu’on pense ne voir que dans Tintin et les Picaros et qui existe maintenant en France. La voiture passe le long du périphérique avec des immeubles en construction. D’un côté il y a un bidonville, de l’autre il y a ces logements neufs que les premiers ne pourront jamais habiter. Je tenais aussi à injecter des références à l’actualité comme l’ISF ou la théorie du ruissellement. Pour la scène dans le guichet de métro, on a inscrit des tags « À bas Macron » – ce n’est pas forcément réaliste car on est dans le XVIe arrondissement, on s’attendrait à trouver « Vive Macron », mais c’est une manière de rappeler la condition sociale du personnage d’Ava lorsqu’elle passe devant. On voulait tourner ces scènes de guichet en décor naturel, mais on n’a pas eu l’autorisation du métro parisien. Si j’ai bien compris, c’est le contrôleur avec la barbe qui leur posait problème… puis le guichet remplacé par une machine… puis le collègue malveillant. Bref ils suggéraient fortement de réécrire la scène pour avoir l’autorisation… On a donc tourné ces scènes en studio.
Comment as-tu composé le casting ?
Les comédiens, je les vois un peu comme des couleurs, chacun va apporter sa touche, un contraste par rapport aux autres. J’ai parfois du mal à l’expliquer, mais cela détermine jusqu’aux décors et aux costumes associés au personnage. Quand on est en préparation d’un film et même en tournage, je pense que le réalisateur a les sens en éveil. On perçoit beaucoup de choses, on a un instinct surdéveloppé à ce moment-là. Ça doit faire partie de ce qu’on appelle l’inspiration… Après, ça retombe. Josiane Balasko était un choix assez évident pour jouer la Reine-Mère. Je savais qu’elle était capable à la fois d’une grande outrance et d’une grande retenue dans le jeu, ce qui correspondait parfaitement au personnage. Elle a une palette de jeu assez gigantesque. Quant à Ava, je voulais qu’on puisse croire au personnage quel que soit le milieu social dans lequel elle évolue. Il fallait que le personnage soit crédible aussi bien dans son guichet de la RATP que dans une demeure de la grande bourgeoisie. Anaïs Demoustier a ceci de particulier qu’elle a un physique beaucoup plus transformable que la moyenne. Elle fait partie de cette lignée d’acteurs qui peuvent se grimer très facilement. Philippe Katherine a ça aussi. Choisir les coiffures des comédiens c’est déjà faire de la direction d’acteur. Une fois la perruque de Philippe Katerine trouvée, une grande partie du personnage était donnée
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