La sapienza de Eugène Green
Film soutenu

La Sapienza

Eugène Green

Distribution : Bodega Films

Date de sortie : 25/03/2015

France / Italie - 2014 - 1h44- 1.85 - Couleurs - 5.1

À 50 ans, Alexandre a derrière lui une brillante carrière d’architecte. En proie à des doutes sur le sens de son travail et sur son mariage, il part en Italie accompagné de sa femme, avec le projet d’écrire un texte qu’il médite depuis longtemps sur l’architecte baroque Francesco Borromini.
En arrivant à Stresa, sur les rives du Lac Majeur, ils font la rencontre de jeunes frère et soeur, qui donneront un tout autre tour à cette échappée italienne.

Avec : Alexandre Schmid Fabrizio Rongione • Aliénor Schmid Christelle Prot Landman
Goffredo Ludovico Succio • Lavinia Arianna Nastro

Image : Raphaël O’Byrne • Montage : Valérie Loiseleux • Son : Mirko Guerra • Produit par : Martine de Clermont-Tonnerre (MACT Productions – France), et Alessandro Borrelli (La Sarraz Pictures – Italie)

Eugène Green

Eugène Green est né en Amérique du Nord. En 1969, il s’installe à Paris, où il fait des études de Lettres, Langues, Histoire et Histoire de l’Art. Il adopte la nationalité française en 1976. En 1977, il a fondé le Théâtre de la Sapience.
Son premier film, TOUTES LES NUITS est sorti en 2001, et a obtenu le Prix Louis Delluc du premier film. LE MONDE VIVANT présenté en 2003 à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, est sorti en novembre de cette année accompagnée du moyen métrage LE NOM DU FEU, projeté pour la première fois en 2002 au Festival de Locarno. En 2004, il a réalisé un troisième long-métrage, LE PONT DES ARTS, présenté à Locarno et sorti la même année. En 2005, il a réalisé un moyen métrage, LES SIGNES présenté en Sélection Officielle au Festival de Cannes, et dans la section Cinéastes du Présent à Locarno, en 2006. Un autre moyen métrage, CORRESPONDANCES, fait partie d’un triptyque, MEMORIES (les deux autres volets étant de Harun Farocki et de Pedro Costa), commandé par le Festival de Jeonju en Corée, et présenté aussi au Festival de Locarno en 2007, où il a obtenu le Prix Spécial du Jury. Il est également écrivain et a publié des essais, des contes et des livres de poèmes. Son premier roman La Reconstruction a été publié en 2008 aux éditions Actes Sud. En octobre et novembre 2009 deux nouveaux livres paraissent : des « notes » sur le cinéma : Poétique du Cinématographe chez Actes Sud et un roman : La Bataille de Roncevaux chez Gallimard. En 2014 il a réalisé un documentaire sur la culture basque, FAIRE LA PAROLE. En 2016 Eugène Green a réalisé LE FILS DE JOSEPH.

« Une œuvre d’architecture, comme un film, est une création humaine possédant sa propre forme, fonctionnant selon ses propres règles, et porteuse d’un présent
qui devient celui du spectateur. Dans les deux cas ce temps est un moment passager pour celui qui le connaît, mais c’est aussi un présent éternel, immuable dans l’existence de l’oeuvre, et vivant dans la conscience qui l’a vécu. »

Extrait de Poétique du cinématographe,
Eugène Green, Actes Sud, 2009


Propos du réalisateur

« Au cours d’un voyage, deux couples se rencontrent. L’un comporte un homme et une femme, l’autre, un frère et une soeur. Ils se défont pour former des couples nouveaux, de type mère-fille et père-fils, sauf que les membres ne sont pas du même sang. Dans un cas comme dans l’autre, on constate un échange, la femme française donnant à la jeune fille, italienne, sa langue, et l’homme, architecte, offrant au garçon une introduction au métier qu’il veut embrasser, en lui présentant l’oeuvre de Francesco Borromini. 

Cette situation dramatique permet d’aborder deux sujets que j’ai voulu traiter concernant l’état actuel de notre civilisation : l’architecture et la transmission. Mais les personnages ne songent nullement à une « restauration » de ce qui a été perdu, et qui ne peut jamais revenir sous les mêmes formes. Ni l’architecte ni son
élève n’imaginent faire des oeuvres néo-borrominiennes. La leçon qu’ils retiennent du travail du grand Tessinois, c’est que les formes architecturales les plus douées de vie ne sont pas celles qui cherchent simplement à pourvoir aux besoins matérielles, ni qui naissent en suivant des « règles », mais celles qui sont le fruit de l’imagination créatrice. Ils décèlent aussi chez Borromini ce qui doit être le but de l’architecte à toute époque, à savoir, donner aux gens des espaces où ils peuvent trouver l’esprit et la lumière.

En ce qui concerne la transmission, les personnages se rendent compte qu’elle est absolument nécessaire, mais si traditionnellement c’est la famille qui en sert de vecteur, un homme ou une femme qui sont des parents non par le corps, mais par l’esprit, peuvent remplir aussi bien cette fonction. D’autre part, le rapport pédagogique n’est pas à sens unique. Si les adultes ont des connaissances et une expérience qu’ils transmettent aux adolescents, ceux-ci ont des intuitions naturelles, qui n’ont pas été émoussées par la vie sociale et l’usure, et qui servent à rajeunir et à ouvrir la pensée de leurs aînés. Cette pédagogie, qui reprend le schéma platonicien, est une autre façon, comme le modèle architectural borrominien, de faire rentrer l’esprit et la lumière dans la vie des gens.

Étant une fiction, cette histoire concerne avant tout l’évolution d’êtres humains. Trois des personnages principaux sont opprimés par une présence fantomatique qui les obsède. C’est précisément à travers une absence, puis une nouvelle présence, et enfin la tutelle mystérieuse de Borromini, qu’ils arrivent à se libérer de la source de leur souffrance. »
Eugène Green


LA SAPIENCE
Note d’intention

  Ce film de fiction aborde deux sujets qui sont de la plus grande importance pour la civilisation contemporaine.
  Le premier est celui de l’architecture, qui plus que tout autre art, joue un rôle essentiel dans la vie quotidienne de chacun.  En regardant une architecture, et plus encore, un ensemble urbain, nous pouvons dégager une grande partie des idées et des croyances de l’époque de sa construction.  Un tel examen ne donne guère une image positive du monde contemporain.
  Qu’on arrive de la campagne ou du centre historique, quand on entre dans un des quartiers construits autour des villes européennes depuis la Seconde Guerre mondiale, on ne peut s’empêcher de sentir un malaise.  Dans ces zones, où des habitations, rationnellement conçues en termes de mètres carrés, de plomberie, et d’électricité, ont été empilées les unes sur les autres sous forme de tours ou de « barres », sans vraies rues, sans commerces, et sans lieu de communion de l’esprit ou de l’intellect, il est difficile de ne pas éprouver un fort sentiment d’angoisse et d’oppression.  Cette expérience se renouvelle en permanence pour ceux dont un tel décor constitue l’espace de vie quotidienne.
  Le second sujet abordé dans ce film est celui de la transmission.  Celle-ci constitue la base de toute civilisation, lui permettant de traverser le temps, et de s’adapter à de nouvelles conditions, sans renoncer à ses composantes fondamentales.  Or, dans la civilisation européenne contemporaine, on constate une rupture violente de la transmission, résultat à la fois du rejet de l’héritage culturel, de l’effondrement des structures familiales et sociales, et de la perte des croyances religieuses.
  Ces deux sujets semblent se prêter à un traitement documentaire.  Mais La Sapience est, je le répète, une fiction.  Dans son déroulement narratif, on voit se rencontrer, au cours d’un voyage, deux couples, dont l’un comporte un homme et une femme, l’autre, un frère et une sœur.  Ils se défont pour former des couples nouveaux, de type mère-fille et père-fils, sauf que les membres ne sont pas du même sang.  Dans un cas comme dans l’autre, on constate une transmission, la femme française donnant à la jeune fille, italienne, sa langue, et l’homme, architecte, offrant au garçon une introduction au métier qu’il veut embrasser, en lui présentant l’œuvre de Francesco Borromini.
  Cette situation dramatique permet d’aborder les deux sujets concernant l’état actuel de notre civilisation.  Mais les personnages ne songent nullement à une « restauration » de ce qui a été perdu, et qui ne peut jamais revenir sous les mêmes formes.  Ni l’architecte ni son élève n’imaginent faire des œuvres néo-borrominiennes.   La leçon qu’ils retiennent du travail du grand Tessinois, c’est que les formes architecturales les plus douées de vie ne sont pas celles qui cherchent simplement à pourvoir aux besoins matérielles, ni qui naissent en suivant des « règles », mais celles qui sont le fruit de l’imagination créatrice.  Ils décèlent aussi chez Borromini ce qui doit être le but de l’architecte à toute époque, à savoir, donner aux gens des espaces où ils peuvent trouver l’esprit et la lumière.  
  En ce qui concerne la transmission, les personnages se rendent compte qu’elle est absolument nécessaire, mais si traditionnellement c’est la famille qui en sert de vecteur, un homme ou une femme qui sont des parents non par le corps, mais par l’esprit,  peuvent remplir aussi bien cette fonction.  En plus, ce que constatent les deux adultes dans l’histoire, c’est que le rapport pédagogique n’est pas à sens unique : si eux ont des connaissances et une expérience qu’ils transmettent aux adolescents, ceux-ci ont des intuitions naturelles, qui n’ont pas été émoussées par la vie sociale et l’usure, et qui servent à rajeunir et à ouvrir la pensée de leurs aînés.  Cette pédagogie, qui reprend le schéma platonicien, est une autre façon, comme le modèle architectural borrominien, de faire rentrer l’esprit et la lumière dans la vie des gens.
  Étant une fiction, cette histoire concerne avant tout l’évolution d’êtres humains. Trois des personnages principaux sont opprimés par une présence fantomatique qui les obsède. C’est précisément à travers une absence, puis une nouvelle présence, et enfin la tutelle mystérieuse de Borromini, qu’ils arrivent à se libérer de la source de leur souffrance. Cet aspect de l’histoire est une façon d’aborder, en dehors de tout contexte religieux, le problème de la vie spirituelle, et du rapport au présent, dans le monde contemporain.
  Dès mon premier film, Toutes les nuits, j’ai trouvé des éléments d’un langage personnel qu’on peut considérer comme un « style », et qui me permet d’atteindre les buts que je me suis fixés dans l’expression cinématographique.  Dans tout autre art un style, loin de constituer une tare, est considéré comme un élément essentiel de la création artistique, et chez les cinéastes que j’admire le plus, comme Bresson, Antonioni, ou Ozu, on reconnaît leur style dans chaque plan. Mais une certaine banalisation de l’image filmée, par la télévision, internet, et les appareils numériques, tend a imposer l’idée qu’un film doit être une captation brute de la réalité.  Je conçois le cinéma autrement, et pour réaliser La Sapience, je compte utiliser la plupart des éléments stylistiques qu’on trouve dans mes autres films.
  Les principaux caractéristiques de ce langage sont une épure dans la composition des plans, un rythme lent mais soutenu, et une tentative de capter dans les éléments du monde, et surtout chez les êtres humains, l’énergie spirituelle dont ils sont animés, mais dont nous sommes rarement conscients dans la vie quotidienne.  J’espère pouvoir ainsi communiquer au spectateur le mystère de l’existence humaine, un point de vue sur l’architecture et la transmission dans le monde contemporain, et la magie des œuvres architecturales de Borromini.