Namir part en Égypte, son pays d’origine, faire un film sur les apparitions miraculeuses de la Vierge au sein de la communauté copte chrétienne. Comme dit sa mère, « Il y a des gens qui la voient, il y a des gens qui ne la voient pas. Il y a peut-être un message dans tout ça. » Très vite l’enquête lui sert de prétexte pour revoir sa famille, et pour impliquer tout le village dans une rocambolesque mise en scène… Entre documentaire et autofiction, une formidable comédie sur les racines, les croyances… et le cinéma.
Sélection ACID – Festival de Cannes 2012
Section Panorama – Festival de Berlin 2012
Festival du Film de la Rochelle 2012
Lauréat Films en Cours – Festival de Belfort EntreVues 2011
Scénario Namir Abdel Messeeh, Nathalie Najem, Anne Paschetta
Image Nicolas Duchêne
Son Julien Sicart
Montage Sébastien De Sainte
Production Oweda Films
Ventes internationales Doc&Films
Namir Abdel Messeeh
est un réalisateur de cinéma et scénariste français né en 1974 dans une famille copte (chrétiens d’Égypte). En 2012, son premier long métrage, La Vierge, les Coptes et moi, conçu comme un mélange de documentaire et de comédie, commence par une enquête sur des apparitions de la Vierge en Égypte.
Entretien avec Namir Abdel Messeeh
Dans le film tu abordes différents sujets, les apparitions de la vierge, la croyance, la création, la production et la famille. Comment as-tu fait évoluer ton projet entre documentaire, comédie et fiction ?
C’est un projet qui s’est fait sur une durée de trois ans, donc forcément il a beaucoup évolué. D’autant que c’est un documentaire et qu’il y a eu des interactions avec le réel qui ont amené des modifications. Au départ, j’ai écrit une enquête sur les apparitions de la Vierge, de manière très documentaire. Je n’étais pas allé en Égypte depuis longtemps, donc je voulais aussi profiter de cette enquête pour retourner là-bas et retrouver des membres de ma famille. Il y a eu un premier repérage, puis je suis rentré en France avec une matière qui m’a permis ensuite de réécrire et réorienter le récit pour lui donner une cohérence. Là, l’écriture s’est apparentée à celle d’un scénario de fiction. Petit à petit, j’ai compris que je devais être un des personnages du film, devant la caméra, que pour que le film fonctionne il fallait qu’il raconte réellement mon trajet en Égypte. Pour que cette idée me vienne il a fallu un peu de temps, car j’ai une grande résistance à être filmé. Nous avons fait ensuite un gros travail avec le chef opérateur pour que j’apprivoise la caméra.
Pourquoi une enquête autour des apparitions de la Vierge ?
Mon désir premier était de relier quelque chose avec l’Égypte, par le biais des apparitions de la Vierge. Mais elles m’intéressaient vraiment. Le documentaire a été assez déceptif au sens où ce que j’ai réussi à obtenir, à comprendre, de ce phénomène, n’était pas à la hauteur de mes attentes. Du coup j’ai tourné la caméra dans l’autre sens et j’ai posé la question autrement : puisque cette réalité-là n’est pas à la hauteur de ce que j’attendais, qu’est ce que j’espérais trouver ? Je me suis dis que peut-être que moi aussi j’aurais eu envie de voir une apparition de la Vierge, et de là est venue l’idée de fabriquer cette apparition. Au début, avec ma scénariste, on en rigolait, mais l’idée a quand même trotté dans ma tête. A partir de là j’ai su que la bascule du film serait de proposer aux habitants du village de mettre en scène une apparition de la Vierge.
Quel a été l’accueil des villageois et de ta famille ? La première fois avec le projet d’enquête, puis avec celui de la reconstitution d’une apparition de la Vierge ?
Quand je suis allé les interviewer pour mon enquête, ça a été des discussions sans fin. Eux ils croient aux apparitions, et j’avais beau essayer de comprendre, regarder avec eux des vidéos sur lesquelles je ne voyais rien alors qu’eux voyaient quelque chose, ça ne menait nulle part. Je me suis rendu compte qu’on n’arriverait à rien par le biais du discours parce qu’il s’agit de quelque chose d’identitaire qui est de l’ordre de la croyance, et de croyances on ne discute pas. Ça ne passe pas par l’argumentation, ça n’est pas rationnel. J’ai compris qu’il fallait trouver un autre biais que le dialogue, et ça a été le film, le cinéma, la fabrication. Et finalement à travers cette re-création, qui est une fiction, le documentaire est encore plus présent, ça raconte plus de choses sur la croyance, sur le rapport à la foi et aux images, que tous les entretiens que j’avais fait auparavant ; d’ailleurs au final je n’en ai gardé que deux.
Comment as-tu travaillé avec les villageois ?
Je leur ai demandé de jouer, on a fait des séances de travail qu’on a filmées et qui sont celles qu’on voit dans le documentaire. On a juste filmé le travail qu’on a fait ensemble (essayer d’exprimer des émotions, de suspendre une fille avec des cordes…), il n’y en a pas eu en dehors de ça puisque la base était de filmer de manière documentaire un film en train de se faire. Il y a davantage eu un travail avec l’équipe, qui a été important et intense. L’équipe, Nicolas Duchene à l’image et Julien Sicart au son, connaissait bien sûr le scénario et on en avait beaucoup discuté. Notamment parce qu’elle ne parlait pas l’arabe et que comme j’étais dans le plan, à partir du moment où ça tournait je ne pouvais plus directement communiquer avec l’équipe. On a donc beaucoup parlé, en amont, de mes intentions. C’est notre complicité de longue date qui nous a permis de parvenir à filmer. Certaines scènes ont été captées de manière purement documentaire, d’autres ont davantage été travaillées, en réfléchissant à ce qu’on allait mettre dans le cadre. La scène sur le pick-up, où je rentre au village et croise mon cousin et un autre type que je connaissais quand j’étais enfant, est une scène qui a totalement l’air d’être une scène de fiction. Pourtant elle ne l’est pas. Le chef opérateur a déclenché sa caméra, il fait un panoramique et au bout du panoramique un type est arrivé pile dans le cadre. On l’a suivi, il est monté dans le pick-up. Dans cette scène on a l’impression que tout a été réglé au millimètre. Ces moments-là sont vraiment des moments de magie, où tout s’organise comme on l’aurait espéré.
Et l’écriture du film ?
Pour en revenir à la question de l’écriture. Quand je fais du documentaire, j’écris les scènes. Au lieu d’écrire les intentions, j’écris les dialogues. Par exemple, je savais qu’à un moment j’allais proposer quelque chose à ma mère, donc j’ai écrit les dialogues de la scène en devinant ce qu’elle allait me répondre. Ça n’était pas pour la diriger au moment du tournage mais pour me permettre d’avoir une idée de sa façon de réagir. Parfois le tournage se passait exactement comme ce que j’avais écrit, parce que je connais bien ma mère, parfois ça se passait très différemment. Mais le fait d’avoir réfléchi en amont me permettait d’anticiper et surtout de pouvoir rebondir assez vite si ça ne se passait pas comme prévu, de réorienter ce qui se passait pour retomber sur mes pieds d’une autre manière.
Est-ce que le travail a été différent avec ta famille égyptienne et les gens du village, que tu connaissais moins que ta mère ?
Oui, et c’est pour ça que l’écriture s’est faite aussi après le tournage. L’échec est une matière nourrissante. Quand on tourne quelque chose qui ne se passe pas comme prévu, notre travail de documentariste, de cinéaste, est de décrypter la matière que l’on a, qui raconte autre chose que ce qu’on voulait raconter, et de réécrire la scène à partir de là.
C’est au fond l’idée centrale du film.
Oui. C’est ça qui était très compliqué au montage. Mon film est d’abord une enquête documentaire tournée au Caire, qui n’aboutit pas où je voudrais et qui m’amène vers un film plus personnel, plus familial. Au montage on aurait pu supprimer complètement la première partie et commencer au moment où j’aurais décidé d’aller vers un film plus personnel. Mais je trouvais intéressant que le film dévie, qu’on sente qu’il y a un changement de trajectoire à l’intérieur. Toute la difficulté qu’on a eu au montage, c’était d’arriver à ce que le spectateur n’ait pas l’impression qu’il y ait deux films en un mais que le tout fasse un seul film. Atteindre cette cohérence était un vrai enjeu pour moi. Pour y arriver, on a travaillé le montage pendant un an.
Sous une forme documentaire, LA VIERGE, LES COPTES ET MOI… offre un caractère très marqué par la comédie, c’est une démarche originale…
Il y en a eu bien d’autres avant moi… Après avoir fini le film, il y a eu des liens qui ont été faits, avec LOST IN LA MANCHA, qui raconte l’histoire catastrophique d’un film, même si c’est plus un making-of devenu un film. Les gens font des parallèles a posteriori, souvent plus avec la fiction, mais principalement parce que je me mets en scène. Je ne crois pas avoir eu des références particulières en tête. A l’école, j’ai été très influencé par Buñuel, les premiers films que je faisais étaient dans la référence, mais j’ai complètement mis ça de côté pour aller sur des choses beaucoup plus personnelles, familiales.
On ressent ta volonté de filmer l’Égypte, d’y retourner, de rencontrer les gens, de discuter avec eux.
Oui, il y a une volonté de quête, et de requête. Faire un film, c’est un moyen pour moi d’apprendre quelque chose. J’ai la liberté de poser des questions, même très bêtes, et d’aller y chercher la réponse. Prendre la caméra me permet naïvement d’aller la chercher. Donc oui, tourner et retourner en Égypte c’est aussi une envie de m’y confronter, et le film m’a offert cette occasion.
A quelle étape du projet l’aspect autobiographique a-t-il pris sa place ?
Je ne trouve pas que ce soit un autoportrait, je n’ai pas vraiment conscience d’avoir fait un film sur moi. J’ai davantage raisonné de façon à raconter des choses de l’Égypte, et parce qu’il me fallait un lien, je me suis dit, « le lien c’est le personnage, on va suivre Namir ». Mais je n’ai jamais pensé « je suis Namir ».
Non, Namir va me permettre d’aller parler de l’Égypte, des coptes et des musulmans, c’est un prétexte même si le terme est inexact puisque le film devient sa propre trajectoire, un moyen de filmer ces questions. Je n’ai pas cette conscience d’avoir fait un instantané d’un cinéaste à un
moment donné. Peut-être que dans dix ou quinze ans je me dirais qu’il y avait cette dimension-là, mais pas maintenant. Sur les tournages de fiction, j’ai remarqué que tu te focalises tellement sur le « comment tourner la scène », qu’à la fin tu aboutis à quelque chose qui est techniquement très bien mais où la vie est quelque peu exclue. Souvent sur mes précédents films de fiction, je regardais le hors champs, le plateau, et je me disais « il y a plein de choses géniales qui se passent là, sur l’équipe en train de travailler ». Ce qu’il y a autour du cadre peut être plus intéressant que ce qu’il y a dans le cadre. Mon envie de mettre ma caméra autour vient de là. Pour LA VIErgE, LES COPTES ET MOI… A chaque fois qu’il y avait un obstacle, plutôt que de le considérer comme empêchant la réalisation du plan, je me demandais comment il pouvait le nourrir. Essayer d’utiliser tout ce qui t’empêche de faire un film pour le faire. Par exemple, le générique: personne n’a cru au film, on n’a eu aucun partenaire financier. Au lieu de se plaindre, on s’est demandé quoi en faire. L’idée du générique est venue comme ça. Tout peut nourrir un film, y compris les échecs, ce qui ne marche pas.
Pour donner un exemple, qui est l’une des raisons pour lesquelles il y a eu un gros clash avec mon producteur. Ma mère a vu la Vierge sur une cassette vidéo à Noël. J’ai été témoin de ça, ma sœur a été témoin de ça… J’ai commencé à imaginer le film à partir de là. Donc j’ai commencé à écrire un scénario, et j’ai convaincu un producteur à partir de là.
On commence le premier jour de tournage, le producteur me dit « évidemment c’est ta mère qui voit la Vierge, donc tu lui remontres la cassette, et tu filmes ça, ça va être une scène hyper forte. » On vient avec l’équipe, on installe la cassette vidéo sur la télé, je dis à ma mère « on va filmer une scène, tu me dis ce que tu vois », on lance la cassette, ma mère regarde, et me dis « je ne vois rien du tout. »
Ça commençait mal ! C’était le premier jour de tournage, et je devais expliquer au producteur qu’on avait mis tout ça en place, et puis rien. Je lui raconte la scène, il le prend très mal, et je lui dis « mais tu sais c’est pas forcement négatif, ça veut dire quelque chose aussi, ça veut dire juste, là, aujourd’hui elle ne la voit plus ». Ça montre qu’elle est dans un rapport compliqué à la croyance, que lorsque elle est entourée de gens qui croient, de coptes, elle la voit, mais toute seule elle la voit moins… C’est intéressant. Mais mon producteur avait lui l’impression que je l’avais mené en bateau. Même si moi aussi j’étais aussi déçu qu’elle ne voie pas, j’ai trouvé ça intéressant, ce rapport compliqué à la croyance. Cette contradiction m’a conforté dans l’idée qu’il fallait qu’elle devienne un des personnages du film.
Pendant le tournage, comment cela se passait ? Quel fonctionnement avez-vous adopté en Égypte ?
On a essayé beaucoup de choses différentes, parfois de l’ordre de la captation documentaire, parfois de l’ordre de la blague, parfois avec plus de mise en scène. Il y a des scènes où ma mère ne savait pas qu’on filmait, quand je l’appelle sur Skype par exemple : scène volée, mais spontanée, c’est un dispositif qu’on a utilisé pour plusieurs scènes. Pour d’autres, à l’inverse, on a mis en place un espace dans lequel on a fait rentrer les gens. Parfois on leur demandait de refaire ce qu’on leur avait déjà demandé, pour avoir quelque chose de meilleur à l’image. On a vraiment adopté plusieurs modes de filmage.
Comment les gens prenaient-ils le fait de tourner plusieurs prises ?
Là c’était important que je sois dans le cadre : comme j’étais le metteur en scène, on n’avait pas besoin de leur dire « on va refaire ». Je réfléchissais un peu, le cameraman changeait de place, et je leur disais « je reviens sur ce que tu m’as dit tout à l’heure… » Et c’est lui qui se mettait à redire ce qu’il avait dit. J’essayais de rester dans la spontanéité, pour éviter les reproductions, les imitations. Le fait que je sois devant la caméra, avec cette liberté d’intervenir tout le temps a permis aux gens d’oublier le dispositif, qui de toute manière était très léger, un ingénieur son, un cameraman, et moi. D’ailleurs c’était d’autant plus léger que l’équipe ne parlait pas arabe. Les villageois se sont sentis libérés par rapport à ça, puisque les gens qui les filmaient ne comprenaient pas ce qu’ils disaient.
Les différences culturelles ont servi le film. Contrairement à ce que je pensais avant de tourner, le fait que ce soit des occidentaux qui viennent les filmer n’a pas du tout été un obstacle. Tout d’un coup, ils étaient assez fiers qu’on vienne de l’étranger pour les filmer. Ils se sont dit « soit ils sont fous, soit ils pensent vraiment qu’on est des gens intéressants ». Cela a noué une relation de confiance qui a été fondamentale pour le tournage, malgré la barrière du langage.
Source et remerciements à Marion Pasquier et critikat.fr