La Vistite ou Mémoires et Confessions de José Manoel de Oliveira
Film soutenu

La visite ou Mémoires et Confessions

Manoel de Oliveira

Distribution : Epicentre Films

Date de sortie : 06/04/2016

Portugal, France - 1982 - 1h10 - Couleur 1.85 – Dolby SR D

En 1982, Manoel de Oliveira réalise, dans le plus grand secret, un film qui ne devait être visible qu’après sa mort.
Visite ou Mémoires et Confessions est un film autobiographique sur sa vision de la vie, son cinéma et la demeure familiale qu’il a tant aimée.

Festival de Cannes 2015 – Cannes ClassicsFestival Cinéma d’Alès 2016 – ItinérancesFestival Toute la Mémoire du Monde 2016

Avec : Manoel de Oliveira
Maria Isabel Brandão de Meneses de Almeida Carvalhais
Voix Off Teresa Madruga et Diogo Doria
Avec la participation de Manuel Casimiro de Oliveira, José Manuel de Oliveira, Adelaide Maria Trêpa et Isabel Maria de Oliveira

Réalisation Manoel de Oliveira • Dialogues Augustina Bessa-Luis • Voix Off Teresa Madruga et Diogo Doria • Image Elso Rocque • Son Joaquim Pinto et Vasco Pimentel • Montage Ana Luisa Guimaraes • Mixage Jean-Paul Loublier • Scripte Julia Buisel • Production Manoel de Oliveira • avec la Coopérative des Cinéastes Associés, Manuel Guanilho• Avec le soutien du Ministre de la Culture M. Lucas Pires et de l’Institut Portugais du Cinéma

Manoel De Oliveira

Fils de la bourgeoisie industrielle de Porto, Manoel de Oliveira, dernier d’une fratrie, est saisi par la passion du 7ème art à l’âge de 18 ans. Il débute comme acteur, mais c’est la réalisation qui l’intéresse. En 1931 il, tourne son premier court-métrage Douro Faina Fluvial, documentaire muet consacré à l’activité des ouvriers sur les rives du Douro, salué par la critique internationale.
Son premier long métrage Aniki bobo, est un film pour enfants sorti en 1942. Mais le climat politique portugais, ajouté au manque d’infrastructures cinématographiques sous la dictature de Salazar, l’obligent à mettre sa carrière entre parenthèses. Il peut enfin réaliser en 1963 son deuxième long métrage, Actes de printemps. Cette évocation de la passion de Christ voit le réalisateur s’éloigner du réalisme de ses débuts.
Avec la chute de Salazar, les années 70 marquent le grand retour de Manoel de Oliveira, auteur d’une tétralogie des amours frustrées, qui comprend notamment Amour de perdition et Francisca (remarqué à Cannes en 1981). Nullement prophète en son pays, Oliveira s’attire peu à peu les faveurs des cinéphiles du monde entier, grâce à des oeuvres exigeantes telles que Le Soulier de satin, adaptation-fleuve de l’oeuvre de Claudel en 1985, Les Cannibales, fable ironique présentée à Cannes en 1988, ou encore La Divine Comédie, qui relate les interrogations métaphysiques d’un groupe d’aliénés.
La consécration arrive en 1993 avec Val Abraham, une variation limpide autour de Madame Bovary qui fait sensation à Cannes Tout en s’entourant de fidèles collaborateurs (du producteur Paulo Branco au comédien Luis Miguel Cintra), il peut désormais faire appel à des stars comme John Malkovich et Catherine Deneuve (Le Couvent), Marcello Mastroianni (Voyage au début du monde), ou encore Michel Piccoli (Je rentre à la maison). Tournant régulièrement en France, le maître de Porto signe en 1999 une audacieuse transposition de La Princesse de Clèves dans le Paris d’aujourd’hui (Le Principe de l’incertitude en 2002), il se penche sur son passé dans Porto de mon enfance (2001) et sur celui de son pays dans les austères Parole et utopie et Le Cinquième empire (2005). Il réalise en 2005 Le Miroir magique et en 2006 Belle toujours (hommage au film de Bunuel Belle de Jour).

Filmographie

1931 Douro faina flunial (doc), 1942 Aniki Bóbó, 1956 Artistes dans la ville (doc), 1963 La passion du Christ, 1963 A Caça, 1971 passé et présent 1975 Benilde ou la vierge mère, 1978 Amour de perdition, 1981 Fransisca, 1985 Le Soulier de Satin,  1986 Mon Cas, 1988 Les Cannibales, 1990 Non, ou la vaine gloire de commander, 1991 La Divine comédie, 1992 Le Jour du désespoir, 1993 Val Abraham, 1994 La Cassette, 1993 Le Couvent, Fiction 90’, 1996 The Party, 1997 Voyage au début du monde, 1998 Inquiétude, 1999 La Lettre , 2000 Parole et utopie , 2001 Je rentre à la maison, 2001 Porto de mon enfance, (doc), 2002 Le Principe de l’incertitude , 2003 Un Film parlé, , 2004 Le Ve empire – Hier comme aujourd’hui , 2005 Le miroir magique, 2006 Belle toujours,, 2007 Christophe Colomb, l’enigme – 2009 Singularités d’une jeune fille blonde – 2014 Le Vieillard du Restelo – 2011 L’Etrange affaire Angelica – 2012 Gebo et L’ombre

POURQUOI UN FILM POSTHUME ?

Par Jacques Parsi

Jacques Parsi a travaillé comme « conseiller littéraire » sur tous les films de Manoel de Oliveira depuis Amour de perdition (1978). Il lui a également consacré deux ouvrages : Conversation avec Manoel de Oliveira (Cahiers du Cinéma, 1996) et Manoel de Oliveira, cinéaste portugais au XX ème siècle (Centre Pompidou, 2001).

Contraint de quitter sa maison, construite à Porto au début des années 1940, Manoel de Oliveira décide de réaliser un film sur l’architecture, l’esprit et le vécu de cette demeure familiale dont il revendique une part de paternité. Il évoque des souvenirs qui y sont attachés puis, il s’intéresse successivement à d’autres souvenirs liés à d’autres lieux qui ont marqué sa vie. Au-delà des confidences que livre le réalisateur alors âgé de soixante treize ans, le spectateur peut identifier à l’image plusieurs signes familiers de l’oeuvre passée et surtout de l’oeuvre à venir d’un cinéaste qui a encore presque toute sa carrière devant lui. Il livre des réflexions sur les thèmes qui habitent ses films : la mort, la pureté, les femmes, la virginité, la sainteté… dans une longue séquence de plans fixes. Une visite d’amis, prétexte narratif du film, est l’occasion d’une visite des lieux nous rappelant que la maison est un des grands thèmes de l’oeuvre du cinéaste. Comme la maison a sa part de mystère, le film renferme peut-être des secrets qui se livreront avec les années. C’est sans doute pourquoi Visite ou Mémoires et Confessions était sous scellés depuis
presque trente-cinq ans. Par ailleurs, en faisant de son film une oeuvre posthume, Oliveira poursuit sa réflexion sur le cinéma. Après Amour de perdition et Francisca, juste avant Le Soulier de satin (1985) et Mon cas (1986), Visite ou Mémoires et Confessions se trouve à un moment décisif dans la maturation de l’esthétique du réalisateur. À l’époque, son analyse l’avait mené à nier la nature propre du cinéma, qu’il définissait comme un simple « procédé audiovisuel de fixation », une sorte de satellite du théâtre. Avec Mon cas, il approfondit sa réflexion en établissant une distinction matériel/immatériel entre ces deux expressions artistiques. Visite ou Mémoires et Confessions va implicitement plus loin.
Au « je ne suis pas là », immatériel, consubstantiel de la nature de l’oeuvre cinématographique, Oliveira substitue un « je ne suis plus là ». Si le spectateur voit à l’écran Manoel de Oliveira, du moins son image, c’est parce qu’il n’est plus là, qu’il n’est plus de ce monde. C’est son fantôme que nous voyons. Mais la vie continue, comme le suggèrent les lumières qui s’allument à l’étage, alors que les visiteurs prennent congé de la maison.


Une fois le film terminé, Manoel de Oliveira décide de confier le négatif et une copie du film à la Cinémathèque portugaise. Le film ne pourra être visible qu’après sa mort…

ENTRETIEN AVEC JOSÉ MANUEL COSTA

Directeur de la Cinémathèque Portugaise Musée du Cinéma depuis 2014

Pourriez-vous nous parler de la genèse de La Visite ?
Manoel de Oliveira tourne La Visite entre 1981 et 1982. Il a alors 74 ans et vient tout juste de terminer son dernier film, Francisca. Comme il le raconte dans le film, suite aux problèmes financiers de l’usine de textile familiale, il se voit contraint de vendre la maison qu’il a fait construire à Porto après son mariage en 1941, et dans laquelle il a vécu près de quarante ans. Il ressent alors le besoin de filmer cette maison, son architecture, son espace, son contenu. C’est de là que lui vient, je suppose, l’idée de raconter ses mémoires et de se confier à la caméra. Si la maison constitue le point de départ du film, sa rencontre avec Agustina Bessa-Luis, la grande écrivaine avec laquelle il avait déjà collaboré sur Francisca, est également un moment clé. C’est elle qui écrit le texte récité en voix-off dans le film par le couple qui visite la maison. S’entame alors une collaboration étroite qui donnera par la suite sept films : Val Abraham (1993), Le Couvent (1995), Party (1996), Inquiétude (1998), Porto de mon enfance (2001), Le Principe de l’incertitude (2002) et Le Miroir magique (2005).

Quelles sont selon vous les raisons qui ont poussé Oliveira à garder le film secret jusqu’à sa mort ?
Il n’a pas seulement demandé à ce que l’on ne montre pas le film. Il n’a accepté de le réaliser qu’à la seule condition qu’il ne soit pas montré. Et c’est également à la seule condition que le film ne soit vu qu’après sa mort que le soutien financier du ministère a été apporté. C’est très probablement un cas unique dans l’histoire du cinéma. Et on peut en effet s’interroger sur les raisons de ce choix de la part d’Oliveira. Je ne pense pas que ce soit parce que le film révèle des choses inédites, même si Oliveira a certainement dû se sentir plus libre d’exprimer son opinion, sachant que le film ne serait rendu public qu’après sa mort. Je pense que c’est véritablement par pudeur qu’Oliveira a souhaité garder le film secret de son vivant. Certes, l’usage de l’autobiographie dans le cinéma documentaire est déjà très courant, voire même banal en 1982. Pourtant, Oliveira n’en a jamais fait l’expérience. Il ne faut pas oublier qu’il appartient à une toute autre génération. Né en 1908, il réalise son premier film, Douro, Faina Fluvial, en 1931. A cette époque, tourner la caméra vers soi est un geste absolument exceptionnel. Ce qui était devenu trivial pour les autres en 1982 ne l’était pourtant pas pour lui. Le film est né de cette tension entre une envie de réalisation et un besoin de rester discret.

Quelles consignes Oliveira a-t-il laissées quant à l’utilisation du film ?
Il a déposé à la Cinémathèque Portugaise un négatif et la copie 35 mm. La seule consigne était de conserver le film et de le montrer après sa mort. Aucune autre directive n’a été formulée. Il faut savoir que le film a quand même été projeté deux fois à la Cinémathèque. Une première fois pour l’équipe du film, et une seconde fois dans les années 1990 pour quelques invités lors d’une projection privée. J’ai entendu dire qu’à la fin de sa vie, Oliveira se demandait s’il ne devait pas réaliser un autre film de ce genre, compte-tenu du temps qui s’était écoulé depuis son travail sur La Visite.

Dans quel état la copie 35 mm se trouvait-elle ?
A la Cinémathèque Portugaise, nous essayons de conserver la technologie photochimique pour les films réalisés en argentique. Dès les années 1980, nous avons mis en place des chaînes de préservation qui garantissent la longévité des films. Dans les années 1990, nous avons décidé de tirer des interpositifs et des internégatifs, pour plus de sécurité. Et c’est ce qui a été fait pour ce film, avec l’accord d’Oliveira. C’est la seule préservation de film que nous avons réalisée sans que le film ne soit montré immédiatement après. Nous avons donc produit des sauvegardes du film car, si les copies sont conservées au froid, les couleurs sont toujours un peu altérées. Nous voulions ,une copie parfaite. C’est pourquoi nous en avons également tiré une nouvelle dans notre laboratoire. Nous avons ensuite procédé à un transfert numérique 4K de grande qualité pour la distribution commerciale. Mais nous préférons évidemment montrer la copie 35 mm qui reste la copie originale.

Le film prendra vie aux yeux du public en avril prochain.  Faut-il l’envisager comme un film réalisé en 1982, ou un film qui sort en 2016 ?
Je pense que c’est un film de 1982 et il est important de le rappeler. Sinon, on a tendance à parler de film posthume ou de film testament. Ce que ce film n’est pas, selon moi. Le film a évidemment une dimension testamentaire, mais quand Oliveira le réalise, il est en parfaite santé, très énergique et il travaille beaucoup. Il lui reste encore 32 ans à vivre. À cette époque, il ne peut donc pas ressentir la proximité de la mort, ce n’est pas envisageable. Il faut envisager le film davantage comme un besoin pour Oliveira de faire l’état des lieux d’une période douloureuse de sa vie, liée à la perte de sa maison. Son dernier long métrage, Gebo et l’ombre, ne date que de 2012. On peut donc aisément avoir l’impression que La Visite est son tout dernier nouveau film. C’est pourquoi il est très important de rappeler que le film a bien été réalisé au début des années 1980.

Peut-on voir le film comme le chaînon manquant entre Francisca et Le Soulier de satin ?
C’est tentant, c’est vrai. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Il ne faut pas oublier que, par le passé, Oliveira n’a pas pu filmer autant qu’il le souhaitait, et il est donc important pour lui, à cette époque, de ne plus s’arrêter de tourner. S’il a un projet qu’il ne peut pas réaliser dans l’immédiat, il se tourne vers un autre. A la fin de La Visite, on le voit travailler sur Non, ou la Vaine Gloire de commander. Mais ce ne sera pas son film suivant. Il ne pourra le réaliser que huit ans plus tard, en 1990. Entre temps, il rencontre à nouveau des problèmes de financement au Portugal, et c’est notamment grâce au soutien français qu’il peut tourner Nice, à propos de Jean Vigo (1983), Le Soulier de satin (1985), Mon Cas (1986) et Les Cannibales (1988). Il n’y a donc pas forcément de cohérence dans l’ordre chronologique de réalisation et de sortie de ses films. Ce qui est cohérent, en revanche, c’est sa collaboration avec Agustina Bessa-Luis, qu’il entame sur le film Francisca, ainsi que la splendeur de la mise en scène qui caractérise à l’époque son cinéma. On retrouve dans Val Abraham es grands paysages du nord du Portugal qui sont déjà présents dans La Visite, dans un registre complètement ,différent, beaucoup plus intimiste. On trouve par ailleurs dans ce film des clefs biographiques qui servent de repères, mais qui n’expliquent en rien les autres films. Il est néanmoins difficile d’imaginer quelle aurait été notre impression du film si on avait pu le voir à l’époque.

Le film vous en a-t-il appris plus sur Manoel de Oliveira ?
Je ne connaissais pas tous les détails biographiques de sa vie, mais les faits relatés dans le film étaient connus de beaucoup, y compris l’épisode de la prison. Oliveira en avait déjà parlé. Il n’y a pas de vraie révélation dans le film. Ce qui est nouveau cependant, c’est bien sûr cette manière de se mettre en scène et de dire les choses de manière directe. Si l’on a pu lire ou entendre jusqu’à présent des explications sur sa vision du monde et sur son oeuvre, c’est aujourd’hui lui qui les exprime face caméra. Lorsqu’il parle des femmes, de la religion, des actrices, il en parle de manière directe, très honnête et très vraie.
Et c’est cette émotion-là qui est nouvelle.

Entretien réalisé par Nicolas Azalbert à Paris, le 6 février 2016.