L’amphithéâtre d’une université des Lettres. Un professeur de philologie distille des cours de poésie à une assistance étudiante composée principalement de visages féminins. A ce projet pédagogique qui convoque les muses antiques pour dresser une éthique poétique et amoureuse, les étudiantes se prêtent petit à petit, avec vertige et passion, au jeu d’une académie des muses bel et bien incarnée.
Projet utopique ? Invraisemblable ? Controversé ? Se succèdent des jeux de miroirs et de pouvoirs, de séduction et de désirs, où chacun joue son rôle, où le faux s’acoquine avec le vrai, où badinage amoureux et satire se conjuguent avec délice, sous les auspices de Dante, Lancelot et Guenièvre, Orphée et Eurydice.
Locarno International Film Festival • Grand Prix (Boussole d’Or)
Ciné Europeo de Séville • Prix Don Quixote – Tromso Film Festival • Festival Internacional de Cine de Cartagena de Indias (Colombie) – Prix du meilleur réalisateur
Avec : Raffaele Pinto, Emanuela Forgetta, Rosa Delor Muns, Mireia Iniesta, Patricia Gil, Carolina Llacher, Juan Rubiño, Giulia Fedrigo, Giovanni Masia, Gavino Fedrigo et
les étudiants de la Faculté de philologie de l’Université de Barcelone.
Réalisation José Luis Guerin / Montage José Luis Guerin / Son Amanda Villavieja / Montage son Marisol Nievas / Mixage son Jordi Monrós / Post-production Núria Esquerra / Etalonnage Federico Delpero Bejar / Production José Luis Guerin – PC Guerin – Los Films de Orfeo / Distribution Michel David, Marie-Sophie Decout, Nina Chanay – Zeugma Films / Avec le soutien de l’ACID et de l’ACOR
José-Luis Guerin
José-Luis Guerin est né en 1960 à Barcelone en Espagne, où il vit et travaille. Il fréquente et pratique le cinéma dès son adolescence, dans les années 70, dans l’Espagne franquiste. Fiction, essai, journal, documentaire, lettres, notes se mêlent comme pour atteindre un au-delà du cinéma, comme pour accéder à une autre vérité de l’image, par l’image. Aujourd’hui, José Luis Guerin est l’un des représentants majeurs du cinéma d’auteur européen, de par sa capacité à créer une œuvre singulière, poétique, nourrie par le cinéma qui l’a précédé.
Filmographie
Los motivos de Berta, 1985
Souvenir, 1986
Innisfree, 1990
Le Spectre de Thuit, 1997
En construcción, 2000
Quelques photos dans la ville de Sylvia, 2007
Dans la ville de Sylvia, 2007
Guest, 2010
Dos cartas a Ana, 2010
Recuerdos de una manaña, 2011
Jonas Mekas / José Luis Guerin : Cinéastes en correspondance,
2009 à 2011
Le Saphir de Saint-Louis, 2015
ENTRETIEN AVEC JOSÉ-LUIS GUERIN
Comment est née l’idée, pour le moins singulière, de ce film ?
L’idée d’une « Académie de muses » a été conçue par une des étudiantes,
Emmanuela Forgetta, qui l’a proposée au professeur comme point de
départ et comme provocation à mon égard en tant que cinéaste. Évidemment
cette idée n’aurait pas surgi si je ne m’étais pas trouvé là avec un
dispositif léger pour filmer. J’ai accepté volontiers l’invitation à
assister avec mon matériel à ce cours où il était question des
troubadours, des pastorales, de l’amour, de Lancelot et Guenièvre…
c’était un plaisir – je n’ai pas étudié à l’université. Sans aucune
intention prédéterminée autre que celle d’accepter le jeu proposé par
cette communauté littéraire, j’ai peu à peu remarqué que la pulsion vers
la fiction animait la salle de classe et j’ai invité les étudiants à la
mener jusqu’aux ultimes conséquences…
Une sorte de règle du jeu s’est établie entre vous, le professeur et les élèves au cours du tournage ?
J’ai adopté progressivement un positionnement de cinéaste. La voix du
professeur dans la classe, même si les étudiants se rebellent, ne
laissent pas de répondre au modèle de la voix autorisée et
unidirectionnelle et moi je devais nécessairement poser le problème de
cette voix, la questionner. C’est de là que sont nées les scènes de
dialogues en voiture, dans les cuisines, dans les chambres d’hôtel… dans
la mesure où ce personnage se confronte aux autres dans l’intimité, où
surgissent les contradictions, les nuances et, ce qui est le plus
important, où les idées théoriques s’incarnent dans le vécu. et comment
s’est construite
La forme du film ?
Je sens que cette forme de cinéma n’est possible qu’à partir de phases
de tournages alternées avec des phases de montage : c’est de là que naît
la véritable écriture dans ce film. Lors du montage on pèse, on évalue
la force d’une phrase ou d’un geste capté par hasard, puis on tourne de
nouveau pour obtenir un film et lui trouver une signification ou en
révéler le sens. Il est probable que ces nouvelles images contiennent de
nouveaux mystères à lever… Ce n’est pas l’« exécution d’un plan
prédéterminé » mais une écriture et une réelaboration permanente qui se
nourrit du matériel filmé lui-même.
La caméra filme souvent à travers une vitre, souvent à
distance tout en étant serrée sur les personnages. le son, lui, est sur
les personnages. comment déterminez-vous la place de la caméra et du son
?
Au début du film on est dans le registre de l’observation – la salle de
classe est incontestablement un espace public – et ce choix impliquait
que je passe à l’espace privé. Filmer le privé en restant en dehors, de
l’autre côté de la fenêtre, évitait une rupture de registre tout à fait
évidente mais aidait aussi les acteurs – non professionnels – à ne pas
sentir une invasion de leur milieu naturel. Ensuite, dans les petites
taches des reflets j’ai trouvé les pistes les plus intéressantes pour
désigner ou évoquer un espace : un espace qui se voit à peine, mais qui
est suggéré à partir de ces taches de couleur en reflet qui peuvent
laisser deviner l’image d’une ville, de la circulation, de la forêt, de
l’université… Les décisions formelles sont conditionnées par la nature
de la production, par l’économie. Pour ce film j’ai travaillé en
solitaire, sans autre équipe que ma preneuse de son habituelle, Amanda
Villavieja. Je n’ai pas engagé de cameraman, ni de directeur de la photo
et je n’ai pas eu recours à une lumière additionnelle ni à un directeur
artistique. Face à cette précarité assumée il y avait le désir
contraire de tout contrôler, le désir inhérent au cinéma de donner un
sens à tout ce qui fait partie du cadre. Ce désir devait nécessairement
se limiter au seul espace sur lequel pouvait s’exercer un certain
contrôle : l’espace d’un visage, les visages de mes personnages.
Votre cinéma se joue des genres… comment avez-vous pensé la part de réel et la part de fiction dans ce film ?
Le professeur est un professeur, son épouse est son épouse, ses
étudiants sont ses étudiants, tout le reste est fiction. Je pars d’une
communauté préexistante pour créer avec elle une fiction. C’est par
conséquent une fiction que je n’aurais pas pu entreprendre sans mon
expérience préalable du documentaire. De la même façon mes documentaires
ne seraient pas non plus ce qu’ils sont sans mon expérience de la
fiction. Malgré cette hybridation de formes dans lesquelles je cherche
une nouvelle dramaturgie il est très important pour moi de délimiter le
terrain de jeu. Et dans le cas de L’Académie des Muses j’évite de
présenter le film dans les forums de cinéma documentaire parce que je
n’aimerais pas ce film s’il était perçu comme un documentaire, il serait
laid, voire infect.
Le professeur est-il un double du cinéaste ? le cinéaste est-il un double du professeur ?
Seulement dans la mesure où professeurs et cinéastes sont des démiurges qui déclenchent de l’action tout autour d’eux.
Propos recueillis par Annick Peigné-Giuly, traduit de l’espagnol par Marie Delporte