L'académie des muses de José-Luis Guerin
Film soutenu

L’Académie des muses

José-luis Guerin

Distribution : Zeugma Films

Date de sortie : 13/04/2016

Espagne • 2015 • 1h32 • DCP • HD • couleur • 5.1

L’amphithéâtre d’une université des Lettres. Un professeur de philologie distille des cours de poésie à une assistance étudiante composée principalement de visages féminins. A ce projet pédagogique qui convoque les muses antiques pour dresser une éthique poétique et amoureuse, les étudiantes se prêtent petit à petit, avec vertige et passion, au jeu d’une académie des muses bel et bien incarnée.
Projet utopique ? Invraisemblable ? Controversé ? Se succèdent des jeux de miroirs et de pouvoirs, de séduction et de désirs, où chacun joue son rôle, où le faux s’acoquine avec le vrai, où badinage amoureux et satire se conjuguent avec délice, sous les auspices de Dante, Lancelot et Guenièvre, Orphée et Eurydice.

Locarno International Film Festival • Grand Prix (Boussole d’Or)
Ciné Europeo de Séville • Prix Don Quixote – Tromso Film Festival • Festival Internacional de Cine de Cartagena de Indias (Colombie) – Prix du meilleur réalisateur

Avec : Raffaele Pinto, Emanuela Forgetta, Rosa Delor Muns, Mireia Iniesta, Patricia Gil, Carolina Llacher, Juan Rubiño, Giulia Fedrigo, Giovanni Masia, Gavino Fedrigo et
les étudiants de la Faculté de philologie de l’Université de Barcelone.

Réalisation José Luis Guerin / Montage José Luis Guerin / Son Amanda Villavieja / Montage son Marisol Nievas / Mixage son Jordi Monrós / Post-production Núria Esquerra / Etalonnage Federico Delpero Bejar / Production José Luis Guerin – PC Guerin – Los Films de Orfeo / Distribution Michel David, Marie-Sophie Decout, Nina Chanay – Zeugma Films / Avec le soutien de l’ACID et de l’ACOR

José-Luis Guerin

José-Luis Guerin est né en 1960 à Barcelone en Espagne, où il vit et travaille. Il fréquente et pratique le cinéma dès son adolescence, dans les années 70, dans l’Espagne franquiste. Fiction, essai, journal, documentaire, lettres, notes se mêlent comme pour atteindre un au-delà du cinéma, comme pour accéder à une autre vérité de l’image, par l’image.  Aujourd’hui, José Luis Guerin est l’un des représentants majeurs du cinéma d’auteur européen, de par sa capacité à créer une œuvre singulière, poétique, nourrie par le cinéma qui l’a précédé.

Filmographie

Los motivos de Berta, 1985
Souvenir, 1986
Innisfree, 1990
Le Spectre de Thuit, 1997
En construcción, 2000
Quelques photos dans la ville de Sylvia, 2007
Dans la ville de Sylvia, 2007
Guest, 2010
Dos cartas a Ana, 2010
Recuerdos de una manaña, 2011
Jonas Mekas / José Luis Guerin : Cinéastes en correspondance,
2009 à 2011
Le Saphir de Saint-Louis, 2015

ENTRETIEN AVEC JOSÉ-LUIS GUERIN

Comment est née l’idée, pour le moins singulière, de ce film ?
L’idée d’une « Académie de muses » a été conçue par une des étudiantes, Emmanuela Forgetta, qui l’a proposée au professeur comme point de départ et comme provocation à mon égard en tant que cinéaste. Évidemment cette idée n’aurait pas surgi si je ne m’étais pas trouvé là avec un dispositif léger pour filmer. J’ai accepté volontiers l’invitation à assister avec mon matériel à ce cours où il était question des troubadours, des pastorales, de l’amour, de Lancelot et Guenièvre… c’était un plaisir – je n’ai pas étudié à l’université. Sans aucune intention prédéterminée autre que celle d’accepter le jeu proposé par cette communauté littéraire, j’ai peu à peu remarqué que la pulsion vers la fiction animait la salle de classe et j’ai invité les étudiants à la mener jusqu’aux ultimes conséquences…

Une sorte de règle du jeu s’est établie entre vous, le professeur et les élèves au cours du tournage ?
J’ai adopté progressivement un positionnement de cinéaste. La voix du professeur dans la classe, même si les étudiants se rebellent, ne laissent pas de répondre au modèle de la voix autorisée et unidirectionnelle et moi je devais nécessairement poser le problème de cette voix, la questionner. C’est de là que sont nées les scènes de dialogues en voiture, dans les cuisines, dans les chambres d’hôtel… dans la mesure où ce personnage se confronte aux autres dans l’intimité, où surgissent les contradictions, les nuances et, ce qui est le plus important, où les idées théoriques s’incarnent dans le vécu. et comment s’est construite

La forme du film ?
Je sens que cette forme de cinéma n’est possible qu’à partir de phases de tournages alternées avec des phases de montage : c’est de là que naît la véritable écriture dans ce film. Lors du montage on pèse, on évalue la force d’une phrase ou d’un geste capté par hasard, puis on tourne de nouveau pour obtenir un film et lui trouver une signification ou en révéler le sens. Il est probable que ces nouvelles images contiennent de nouveaux mystères à lever… Ce n’est pas l’« exécution d’un plan prédéterminé » mais une écriture et une réelaboration permanente qui se nourrit du matériel filmé lui-même.

La caméra filme souvent à travers une vitre, souvent à distance tout en étant serrée sur les personnages. le son, lui, est sur les personnages. comment déterminez-vous la place de la caméra et du son ?
Au début du film on est dans le registre de l’observation – la salle de classe est incontestablement un espace public – et ce choix impliquait que je passe à l’espace privé. Filmer le privé en restant en dehors, de l’autre côté de la fenêtre, évitait une rupture de registre tout à fait évidente mais aidait aussi les acteurs – non professionnels – à ne pas sentir une invasion de leur milieu naturel. Ensuite, dans les petites taches des reflets j’ai trouvé les pistes les plus intéressantes pour désigner ou évoquer un espace : un espace qui se voit à peine, mais qui est suggéré à partir de ces taches de couleur en reflet qui peuvent laisser deviner l’image d’une ville, de la circulation, de la forêt, de l’université… Les décisions formelles sont conditionnées par la nature de la production, par l’économie. Pour ce film j’ai travaillé en solitaire, sans autre équipe que ma preneuse de son habituelle, Amanda Villavieja. Je n’ai pas engagé de cameraman, ni de directeur de la photo et je n’ai pas eu recours à une lumière additionnelle ni à un directeur artistique. Face à cette précarité assumée il y avait le désir contraire de tout contrôler, le désir inhérent au cinéma de donner un sens à tout ce qui fait partie du cadre. Ce désir devait nécessairement se limiter au seul espace sur lequel pouvait s’exercer un certain contrôle : l’espace d’un visage, les visages de mes personnages.

Votre cinéma se joue des genres… comment avez-vous pensé la part de réel et la part de fiction dans ce film ?
Le professeur est un professeur, son épouse est son épouse, ses étudiants sont ses étudiants, tout le reste est fiction. Je pars d’une communauté préexistante pour créer avec elle une fiction. C’est par conséquent une fiction que je n’aurais pas pu entreprendre sans mon expérience préalable du documentaire. De la même façon mes documentaires ne seraient pas non plus ce qu’ils sont sans mon expérience de la fiction. Malgré cette hybridation de formes dans lesquelles je cherche une nouvelle dramaturgie il est très important pour moi de délimiter le terrain de jeu. Et dans le cas de L’Académie des Muses j’évite de présenter le film dans les forums de cinéma documentaire parce que je n’aimerais pas ce film s’il était perçu comme un documentaire, il serait laid, voire infect.

Le professeur est-il un double du cinéaste ? le cinéaste est-il un double du professeur ?
Seulement dans la mesure où professeurs et cinéastes sont des démiurges qui déclenchent de l’action tout autour d’eux.

Propos recueillis par Annick Peigné-Giuly, traduit de l’espagnol par Marie Delporte