Sara est une jeune fille qui grandit dans une famille d’éleveurs de chèvres. Ses parents scolarisent leurs douze enfants à domicile et leur enseignent les préceptes stricts de la Bible. Sara doit, conme ses soeurs, apprendre à être une femme pieuse, au service des hommes, et conserver sa pureté émotionnelle et physique intactes jusqu’au mariage. Lorsque Sara rencontre Colby, un jeune rodéo amateur, elle remet en question le seul mode de vie qu’elle ait jamais connu.
Festival de Cannes 2013 – Sélection officielle, Séance spéciale
Festival Corsica.Doc d’Ajaccio 2013
Festival Ciné-Jeune de Laon 2014
Festival Terra di Cinéma de Tremblay-en-France 2014
Avec : Sara Carlson, Colby Trichell, Tim Carlson, LeeAnne Carlson, Katarina Carlson, Christin Carlson
Réalisation & Scénario : Roberto Minervini
Directeur de la photo : Diego Romero Suarez-Llanos
Montage : Marie-Hélène Dozo
Son : Ingrid Simon, Thomas Gauder
Production : Denise Lee, Luigina Smerilli, Joao Leite
Roberto Minervini
Roberto
Minervini est né à Fermo en Italie. En octobre 2000, il s’installe aux
États-Unis où il travaille comme consultant financier. En 2001, après le
11 septembre, il change de vie et débute un master en médias à la New
School University de New York, avec l’objectif de devenir
photo-reporter.
Entre 2006 et
2007, il fait une thèse de doctorat en Histoire du Cinéma à l’Université
de Madrid, puis il part enseigner le cinéma (réalisation et écriture documentaire) à l’Université de Manille aux Philippines.
En 2007, il repart vivre aux États-Unis et s’installe au Texas, où il réalise 3 films (The Passage, Low Tide, Le Cœur battant), présentés et récompensés dans de nombreux festivals.
Tourné en Louisiane, The Other Side est son quatrième long métrage.
Filmographie
2015 THE OTHER SIDE
Festival de Cannes 2015 / Sélection officielle – Un Certain Regard
2013 LE CŒUR BATTANT (Stop the Pounding Heart)
Festival de Cannes 2013 / Sélection officielle – Séance Spéciale
2012 LOW TIDE
Mostra de Venise 2012 / Sélection officielle – Orizzonti
2011 THE PASSAGE
2006 LAS LUCIERNAGAS (court métrage)
2005 VOODOO DOLL (court métrage)
ENTRETIEN AVEC ROBERTO MINERVINI
Comment avez-vous rencontré les personnes que vous filmez dans LE COEUR BATTANT ?
J’ai rencontré la famille Carlson en 2009, par hasard, dans un marché
fermier où ils vendaient du fromage de chèvre. A ce moment-là, je
travaillais sur mon premier film, « The Passage ». Je leur ai demandé de
participer à une scène, dans laquelle le personnage principal, une
jeune femme en quête d’un guérisseur, trouvait l’hospitalité dans une
ferme. Tim, le patriarche de la famille Carlson, a accepté. Depuis, nous
avons développé des liens d’amitié et appris à nous connaître. J’ai
rencontré la famille Trichell grâce à un ami commun, Mean Gene Kelton,
un bluesman très populaire chez les Bikers. Depuis, j’ai suivi la
carrière de Colby dans l’univers du rodéo amateur, l’accompagnant avec
sa famille lors de spectacles locaux.
On imagine que ces
familles n’acceptent pas facilement qu’on entre dans leur intimité.
Comment avez-vous fait pour gagner leur confiance ?
C’est le résultat d’un long processus. Nous avons établi au fil du
temps une relation de confiance mutuelle et de proximité, sans laquelle
il aurait été impossible de travailler ensemble. J’étais plus fortement
intéressé par le fait de connaître leurs valeurs et leurs traditions
–que j’ai appris à respecter- que par le fait de les filmer. Chez moi,
c’est l’ethnologue qui l’emporte sur le cinéaste. Et ils le savaient.
Quelle est la fonction du scénario dans un tel projet ?
Je n’ai pas écrit de scénario avant le tournage. La seule matière dont
je me sois servi, c’était l’ébauche d’un récit, que j’aiensuite
développé au fur et à mesure, avec le concours des personnes filmées,
qui m’ont aidé à combler les blancs en me racontant les histoires qu’ils
vivaient. J’ai écrit un scénario avant le début du montage pour que
Marie-Hélène Dozo, ma monteuse, dispose d’une base de travail.
Combien de temps a duré le tournage ?
55 jours, même si la durée quotidienne était courte (jamais plus de 6
heures par jour) pour deux raisons principalement. D’abord, je filmais
de vrais gens, dans leur véritable environnement, et il fallait donc
adapter le planning de tournage à leur emploi du temps. Ensuite je
passais davantage de temps « sur le plateau » pour être avec eux, les
observer, que pour les filmer. Pour moi, ce temps d' »inactivité » a
autant de valeur que le temps de tournage, et c’est vrai pour tous mes
films : on attend longtemps, souvent en silence, que quelque chose se
passe, on essaie de capturer un élément visuel, sonore, palpable, qui
pourrait faire avancer l’histoire.C’est une méthode de tournage
archaïque, plus proche de la chasse que du cinéma. « Un cinéma de
chasseur », c’est ainsi que j’aime appeler cela en réalité.
Vous vous intéressez à la vie de famille, et à des individus
qui travaillent de façon simple. Mais dans votre façon de travailler
aussi, il y a quelque chose de familial et d’artisanal…
Absolument. Nous sommes seulement 4 sur le plateau. Et quand la caméra
est en marche, c’est pour longtemps, avec des prises ininterrompues de
20 à 30 minutes. Grâce à la longueur de ces prises, les personnages
s’habituent à la présence de la caméra, qui au bout d’un moment fait
pour eux partie du décor. Les frontières entre le film et la réalité se
dissolvent, les personnages et moi cohabitons harmonieusement, nous
partageons les lieux mais aussi les émotions et les sensations.
Quelles instructions donnez-vous aux personnes que vous filmez ? Diriez-vous que ce sont des acteurs ?
Dans ma façon de travailler, j’alterne l’observation pure et la mise en
scène. J’ai eu recours à la mise en scène pour certainesscènes
impliquant Sara, et qui exigeaient l’autorisation de ses parents
(lemeilleur exemple étant la scène du discours de LeeAnn à sa fille à
propos des garçons). Dans ces cas-là, Sara devait se sentir prête avant
de tourner cesscènes très intenses émotionnellement. Néanmoins, le
contenu de ces scènes, y compris les dialogues, est totalement
authentique et spontané, rien n’a étéécrit ou préparé, et on ne
refaisait jamais les prises. Les Carlson ont joué librement et d’une
manière qui soit en accord avec leurs pensées. Idem pour les Trichell. A
l’évidence, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’acteurs.
Avez-vous été autorisé à filmer tout ce que vous souhaitiez ?
Une fois qu’ils m’avaient ouvert leurs portes, j’ai eu un accès total.
Il y a simplement eu un accord entre Sara et moi sur quelques points
précis. Elle refusait de prier à voix haute, car ses prières
étaientuniquement destinées à Dieu. Je lui ai donc promis que je ne lui
demanderais jamais de prier avec des mots. Concernant le rodéo, tout
était permis, même être dans l’arène avec les taureaux, sans aucune
protection, ce que nous avons fait à plusieurs reprises.
Parlez-nous de votre collaboration avec Marie-Hélène Dozo, monteuse notamment de plusieurs films des frères Dardenne.
Marie-Hélène travaille seule pendant un mois, sans que je lui fournisse
de scénario, pour qu’elle puisse construire sa propre histoire en toute
liberté. Ensuite, nous travaillons ensemble avec le scénario que j’ai
écrit. Nous disposons donc de deux histoires, qui convergeront (ou pas)
durant le montage. Cette ambivalence est la condition nécessaire pour
soutenir notre dialogue créatif, qui dure deux à trois mois.
Quand avez-vous su que le film serait centré sur le personnage de Sara ?
Dès le début, j’avais décidé de filmer Sara et Colby séparément, chacun
dans son environnement. J’espérais voir apparaître un point de
convergence entre ces histoires parallèles. J’ai commencé à me demander
si je n’étais pas en train de tourner deux films en parallèle, ou un
film en deuxparties, « yin et yang » (taureaux et chèvres, énergies
masculine et féminine, force du corps et de l’esprit). Le point
deconvergence est venu grâce à la première rencontre entre Sara et
Colby. Durant cette rencontre, à la fois innocente et scandaleuse, j’ai
su que quelque chose se passait. Plus d’un mois après, à la fin de la
scène de « confessionnal » entre Sara et sa mère (une prise intense qui a
duré 27 minutes), j’ai réalisé qu’une histoire était en train d’éclore,
et j’ai décidé que le tournage était terminé.
Si le film décrit une société violente, il dégage aussi étrangement une grande douceur…
Je crois que cette douceur est celle qui caractérise Sara et Colby.
Tous deux sont jeunes, et commencent à comprendre pourquoi les choses
sont comme elles sont, et la justice ou l’injustice des règles que
d’autres ont instituées pour eux, avant eux. Je suis très conscient du
fortcontraste entre la société violente et l’innocence de la jeunesse,
un thème que j’ai exploré également dans « Low tide ». Je crois que mon
regard empathique sur ces deux jeunes gens atténue la brutalité de cette
opposition et confère au film une aura de douceur.
Quelle place tiennent les paysages du Texas dans votre inspiration ?
Les paysages du Texas n’ont pas la beauté « carte postale » de
l’Arizona, de la Californie ou du Nouveau-Mexique. L’environnement
naturel est hostile, tantôt marécageux, tantôt sec. On ne voit pas dans
le film la colonie de redoutables moustiques dont les piqûres m’ont
envoyé aux urgences, et on ne ressent pasl’humidité qui rend difficile
la respiration l’été (période à laquelle nousavons tourné). Et dans la
scène de l’étang avec Sara et ses soeurs, on ne voit pas le serpent de
deux mètres qui a mordu la chaussure de Sara, et qui a dû être soulevé
et jeté au loin par ses soeurs. J’aime le défi que représente ce
paysage, le respect et le savoir qu’il requiert -cela vaut pour
l’environnement naturel comme pour l’environnement social du Texas…
Diriez-vous que la frontière entre documentaire et fiction
n’est plus pertinente ? Votre film appartient-il à une de ces deux
catégories ?
C’est la question à laquelle j’ai le plus de difficulté à répondre. Je
suis perplexe face à la névrose généralisée de l’industrie du cinéma,
qui a besoin de classifier ces « films hybrides », considérés comme du
cinéma de seconde zone, qu’on appelle de façon affreuse « docufilm », «
docu-fiction » ou « docudrama ». Jean Rouch rejetait l’idée du
documentaire comme étant une description à distance, objective
etgénérale d’un comportement « typique ». Il a commencé à l’aborder comme
un récit cinématographique, en utilisant le montage pour condenser des
événements etcréer des juxtapositions dramatiques. Mais c’était il y a
plus d’un demi-siècle, à une époque où on débattait sur la légitimité du
travail documentaire d’unpoint de vue éthique et social. Aujourd’hui,
je suspecte que le besoin de séparer documentaire et fiction a surtout
une importance du point de vue dumarketing. Par rapport à mon approche
cinématographique, à l’esthétique et à la poésie de mon cinéma, cette
distinction est totalement superflue.
Depuis quelques années, de nombreux cinéastes indépendants
sont installés au Texas. Avez-vous le sentiment de faire partie d’une
« scène » ? Dialoguez-vous avec les autres réalisateurs ?
Je ne fais pas partie de cette scène et je ne connais aucun cinéaste du
Texas. Etonnamment, je me sens plus proche du cinéma italien
d’aujourd’hui -c’est celui auquelj’appartiens profondément. Je suis un
cinéaste italien avec une âme texane.Sergio Leone m’aurait bien aimé.
Au générique de fin, vous remerciez Carlos Reygadas et Mahmat Saleh-Haroun…
Carlos a visionné une version inachevée du film et son avis a été
précieux. Il suit et apprécie mon travail depuis « Low Tide ». Il
représente une vraie force dans le cinéma contemporain et j’admire
profondément son approche cinématographique. Haroun a été l’une des
premières personnes dans le monde du cinéma à s’intéresser à mes films
et à ma méthode, il y a plus de quatre ans. Depuis, il n’a jamais cessé
de me donner des conseils et de m’encourager.
Que retenez-vous de votre expérience à Cannes, où le film a
été projeté en présence des familles ? Comment ont-elles réagi en
sevoyant à l’écran ?
Cannes est de loin le moment le plus fort de ma carrière, et pas
seulement en raison du prestige lié à la projection du film dans un tel
festival. Au-delà de l’événement glamour, il y a des gens modestes qui
travaillent dans des petits bureaux et qui s’intéressent sincèrement aux
réalisateurs et à leurs oeuvres. Les familles du film ont elles aussi
ressenti cette belle énergie et cet accueil chaleureux. Tous avaient
déjà vu le filmavant, à l’exception de Colby, le jeune monteur de
taureau, à qui une célèbre intellectuelle a demandé, pendant la
projection, de bien vouloir enlever son chapeau de cowboy afin qu’elle
puisse voir l’écran. Colby s’est exécuté gentiment, même s’il m’a dit
que c’était la première fois qu’on lui demandait une chose pareille…
Je ne crois pas qu’ils aient été très surpris lorsqu’ils ont découvert
le film car ils avaient été très impliqués dans l’élaboration du film.
Tout au long du tournage, je les ai laissés regarder les rushes et ils
ont même manipulé la caméra pour filmer certaines séquences.Tous ont
acquis de solides connaissances des techniques cinématographiques. Sara
et ses soeurs ont pu les utiliser pour commencer à travailler sur un
documentaire consacré à leur passion pour les costumes datant de la
Guerre de Sécession.
Propos recueillis par Julien Dokhan, avril 2014
ENTRETIEN AVEC ROBERTO MINERVINI PAR LE FESTIVAL TERRA DI CINEMA (Tremblay en France)
pour plus d’infos : le site internet de « Terra di Cinema »