Vincent, un adolescent, a été élevé avec amour par sa mère, Marie, mais elle a toujours refusé de lui révéler le nom de son père. Vincent découvre qu’il s’agit d’un éditeur parisien égoïste et cynique, Oscar Pormenor.
Le jeune homme met au point un projet de vengeance, mais sa rencontre avec Joseph va changer sa vie.
Avec : Vincent Victor Ezenfis • Marie Natacha Régnier • Joseph Fabrizio Rongione • Oscar Pormenor Mathieu Amalric • Violette Tréfouille Maria de Medeiros • Bernadette Julia de Gasquet • Paysan Jacques Bonnaffé • Philomène Christelle Prot • Philibert Adrien Michaux • Comédienne Louise Moaty • Chanteuse Claire Lefilliâtre • Théorbiste Vincent Dumestre
Scénario et réalisation Eugène Green • Image Raphaël O’Byrne • Son Benoît de Clerck • Décors Paul Rouschop • Costumes Agnès Noden • Musique Adam Michna Z Otradovic, Emilio de Cavalieri, Domenico Mazzocchi • Montage Valérie Loiseleux • Mixage Stéphane Thiébaut • Produit par Francine et Didier Jacob • Coproduit par Luc et Jean-Pierre Dardenne • Productrice exécutiveBelgique Delphine Tomson • Directeur de production Sylvain Marquet • Avec la participation de Centre National du Cinéma et de l’Image Animée • Le soutien de la Région Île-de-France • En partenariat avec le CNC, Tax Shelter du Gouvernement, fédéral belge, Casa Kafka Pictures–Belfius • En association avec Arte/ Cofinova 12 • Avec le soutien de Olivier Boré de Loisy • Une coproduction Coffee and Films, Les Films du Fleuve, Film Factory, TSF, En Haut des Marches
Eugène Green
Eugène
Green est né en Amérique du Nord. En 1969, il s’installe à Paris, où il
fait des études de Lettres, Langues, Histoire et Histoire de l’Art. Il
adopte la nationalité française en 1976. En 1977, il a fondé le Théâtre
de la Sapience.
Son premier film, TOUTES LES NUITS est sorti en 2001, et a obtenu le
Prix Louis Delluc du premier film. LE MONDE VIVANT présenté en 2003 à la
Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, est sorti en novembre
de cette année accompagnée du moyen métrage LE NOM DU FEU, projeté pour
la première fois en 2002 au Festival de Locarno. En 2004, il a réalisé
un troisième long-métrage, LE PONT DES ARTS, présenté à Locarno et sorti
la même année. En 2005, il a réalisé un moyen métrage, LES SIGNES
présenté en Sélection Officielle au Festival de Cannes, et dans la
section Cinéastes du Présent à Locarno, en 2006. Un autre moyen métrage,
CORRESPONDANCES, fait partie d’un triptyque, MEMORIES (les deux autres
volets étant de Harun Farocki et de Pedro Costa), commandé par le
Festival de Jeonju en Corée, et présenté aussi au Festival de Locarno en
2007, où il a obtenu le Prix Spécial du Jury. Il est également écrivain
et a publié des essais, des contes et des livres de poèmes. Son premier
roman La Reconstruction a été publié en 2008 aux éditions Actes Sud. En
octobre et novembre 2009 deux nouveaux livres paraissent : des « notes »
sur le cinéma : Poétique du Cinématographe chez Actes Sud et un roman :
La Bataille de Roncevaux chez Gallimard. En 2014 il a réalisé un
documentaire sur la culture basque, FAIRE LA PAROLE. En 2016 Eugène
Green a réalisé LE FILS DE JOSEPH.
ENTRETIEN AVEC EUGENE GREEN
Pour votre dernier film, Le Fils de Joseph, vous vous êtes basé sur le mythe du Sacrifice d’Abraham…
Le noyau de l’histoire pour chacun de mes films ou de mes romans vient d’ailleurs, dans un éclair, mais ensuite je le développe « mythiquement ». Pour les Grecs de l’époque classique, un mythe était une histoire dont le simple déroulement narratif comporte la possibilité d’exprimer une ou plusieurs vérités. Je connaissais des personnes qui étaient dans la situation de Marie et Vincent, c’est-à-dire une femme qui élève seul son enfant car le père n’a pas voulu le reconnaître d’une façon ou d’une autre. Je pense que les femmes qui ont pris la décision d’élever leur enfant seules sont des femmes courageuses, remplies de vie, d’une vie qu’elles souhaitent prolonger dans un autre être humain. Marie est consciente dans le film que la vie qu’elle mène est plus difficile à la fois pour elle et pour son enfant, chez qui peut naître une colère ou un sentiment de haine envers la mère. C’est de cette colère-là qu’est investi le personnage de Victor Ezenfis. Il ne comprend pas au début l’amour que sa mère lui porte et le courage qui l’anime. Il voit d’abord en elle une mère qui l’a privé d’un père, qui lui cache son existence. Il part à sa recherche mais la révélation qu’il aura n’est pas là où il l’attend.
Vous avez construit Le Fils de Joseph en parties, comme c’est souvent le cas dans vos films. Ici, ils font tous références à des passages bibliques.
Oui, le film est divisé en cinq parties qui toutes ont trait à des passages de la Bible : « Le sacrifice d’Abraham » où l’on voit le personnage de Vincent en but face à sa mère et à l’incompréhension de cette absence paternelle ; « Le Veau d’Or », sur le milieu de l’édition, avec ses jeux de pouvoir et sa tendance à l’idolâtrie ; « Le Sacrifice d’Isaac », où l’on voit Vincent tenter de sacrifier son père, dans un renversement du mythe ; puis « Le Charpentier », où s’établit, comme entre Jésus et Joseph, une relation filiale qui n’est pas fondée sur le sang ; enfin « La Fuite en Égypte », lorsque Joseph, Marie et Vincent partent de Paris pour rejoindre la Normandie. Ce rapport à la Bible est important pour moi, comme tout ce qui fait partie de ma culture, et donc de mon expérience vitale.
Pour la partie Le Veau d’or, vous revenez à une forme que vous affectionnez, la satire, pour parler du milieu littéraire comme avant le théâtre et la musique baroque dans Le Pont des Arts ou l’architecture dans La Sapienza. Quel rapport entretenez-vous avec cette forme d’expression ?
La satire m’est naturelle lorsqu’il s’agit de parler de milieux que je connais et dont je souhaiterais faire ressortir les traits un peu grotesques. Je n’ai pas particulièrement eu de problèmes avec les maisons d’éditions avec lesquelles j’ai travaillé pour mes livres, mais il y a toujours une dimension un peu risible lorsqu’on n’évolue que dans des cercles fermés. Je partage une partie de la colère de Vincent, mais pour moi, la satire est un moyen d’évacuer la colère d’une manière plaisante, qui laisse un espace libre pour l’amour.
Le personnage de Mathieu Amalric, Pormenor, qui joue un grand ponte dans le milieu de l’édition qui aurait en quelque sorte un pouvoir plénipotentiaire obscur, peut,
à première vue, sembler condamnable car moralement rédhibitoire. Mais on sent que son personnage a perdu quelque chose, ce qui lui donne un aspect humain qu’il n’y avait pas par exemple chez le personnage de l’Innommable dans Le Pont des Arts.
Il y a cette idée pascalienne qui dit que vous pouvez recevoir la grâce et la refuser. Le personnage de Pormenor a peut-être refusé une grâce reçue dans son enfance, ou du moins s’en est éloigné lorsqu’il a entamé son ascension dans le milieu littéraire. À la fin du film, Pormenor se rend compte peut-être qu’il est passé à côté de la vie. J’ai essayé de faire comprendre cela de façon discrète, aidé beaucoup par le jeu subtil de Mathieu Amalric dans la dernière séquence, sans pour autant racheter le personnage in extremis. Il me semblait toutefois important de pouvoir envisager cette dimension humaine chez un personnage qui semble par ailleurs dépourvu d’humanité.
Comme dans La Sapienza, la transmission ici entre Joseph et Vincent se fait dans les deux sens, chacun apporte à l’autre et permet ainsi au deux de se révéler, d’abord à eux-mêmes mais aussi au monde qui les entoure. La ville de Paris semble révélée dans sa vérité à Vincent qui la voyait auparavant hostile.
C’est vrai. Vincent a une révélation là où il ne s’y attend pas. Ce n’est pas dans son père biologique qu’il va retrouver cette figure absente de sa vie mais dans son oncle, dont
il ne connaissait pas l’existence, et dont il ignore, jusqu’à la fin, le lien de parenté qui existe entre eux. Cette transmission passe avant tout par la parole, mais également par l’art, intermédiaire qui leur permet de prolonger leur relation. Je ne conçois pas autrement l’art. Il doit être vital, c’est-à-dire qu’il doit recouper la vie d’une façon ou d’une autre.
La visite au Louvre permet à Joseph et à Vincent de se rapprocher. Ce que ressent Vincent lorsqu’il marche au Palais Royal et que le vent se lève est du même ordre que la révélation qu’il a face aux tableaux qu’il voit avec Joseph. Paris se révèle à lui, comme un personnage, de la même façon que Joseph et Marie se révèlent à lui et entre eux.
Il y aussi la scène dans l’église où Le Poème Harmonique interprète un morceau de Domenico Mazzocchi…
Oui, c’est la même chose. À ce moment-là, Vincent a une révélation esthétique. Il ne comprend pas les vers en latin qui sont chantés, et qui parlent de la mort d’un fils et de la douleur de la mère, mais il en reçoit directement l’émotion par la musique et par l’énergie des interprètes. Quelque chose s’ouvre en lui et face à lui et il comprend l’amour que sa mère lui porte et son courage face à la vie. Juste après, il décide de présenter Joseph à sa mère, source d’une nouvelle relation. Suite à cette expérience esthétique, il y a deux couples qui se retrouvent ou qui se forment : Marie et Joseph, Joseph et Vincent. Garder le morceau dans son intégralité était important, car pour Vincent, comme pour le spectateur, l’œuvre musicale ne peut avoir de sens que dans son intégralité et dans sa durée.
On pourrait penser que le détour par la connaissance les éloigne justement de ce rapport immédiat au monde mais au contraire, il semble que cela leur permette
de se raccrocher aux choses autour d’eux, qu’elles soient inanimées ou pas.
Oui et c’est la différence qu’Alexandre, l’architecte de La Sapienza, fait à la fin du film lorsqu’il distingue le savoir de la sapience qui est le savoir qui conduit à la sagesse.
Ce savoir est acquis grâce aux connaissances, mais aussi à l’expérience de la vie. Il est important, à mon avis, qu’une personne appréhende le monde par l’art d’une façon directe, sans l’intervention de l’intellect, et que l’expérience esthétique lui fasse voir une autre réalité, lui révèle une autre vérité, que celle qu’il croit connaître.
Cette transmission entre Joseph et Vincent semble possible précisément car elle se joue entre un adulte
et un adolescent, tout comme les couples que formaient les personnages de La Sapienza. Au fond, je me considère encore comme un adolescent et il se trouve que j’ai beaucoup d’amis proches qui sont beaucoup plus jeunes que moi. La relation que j’ai avec eux me permet de maintenir en vie cette part de jeunesse qu’il y a en moi. J’estime qu’ils m’apportent autant que moi je peux leur apporter. La transmission se fait dans les deux sens. Il est vrai que dans mes précédents films les personnages avaient tous plus ou moins le même âge et qu’ils évoluaient ensemble. Dans La Sapienza et Le Fils de Joseph, la relation entre les adultes et les adolescents est peut-être plus proche de celle que j’entretiens aujourd’hui dans la vie.
Comment avez-vous choisi les acteurs adultes du film ?
Pour les trois rôles principaux d’adultes, il s’agissait d’acteurs que je connaissais bien, pour avoir déjà travaillé avec eux : Natacha Régnier dans Le Pont des Arts, Fabrizio Rongione dans La Sapienza, et Mathieu Amalric dans le moyen-métrage Les Signes. J’avais souvent vu jouer Maria de Medeiros, au cinéma et au théâtre, en français et en portugais, et c’était un plaisir de travailler avec elle pour la première fois. J’avais déjà partagé des expériences aussi avec la plupart des autres comédiens, au moins quand je faisais du théâtre. Le travail avec les acteurs, comme d’ailleurs avec l’équipe
technique, a été un grand bonheur.
Comment s’est passée la rencontre avec Victor Ezenfis, que nous voyons pour la première fois au cinéma.
Victor est un jeune d’une intelligence très fine et vive. J’ai rapidement senti qu’il pourrait incarner Vincent. Il a cette vie intérieure en lui qui sied au personnage. Je ne fais jamais d’auditions où je demande aux acteurs de jouer des scènes. Je leur demande seulement de se présenter car ce qui m’importe le plus, c’est de discerner cette vie intérieure et de voir de quelle façon elle transparaît. J’ai travaillé avec Victor comme avec n’importe lequel de mes acteurs. J’ai instauré une relation de confiance avec lui, qui nous a permis de travailler dans une parfaite harmonie, et je l’ai trouvé juste dans toutes les situations.
C’est la première fois que vous mettez en scène une scène d’amour.
La représentation d’un accouplement physique, oui. Au risque de choquer certaines personnes, je pense que la censure a permis l’érotisme qui me semble dorénavant perdu. Depuis le milieu des années 70, nous voyons tout, de sorte que devant les scènes de sexe, j’ai souvent l’impression d’assister à un cours de zoologie. Plus rien n’est suggéré, tout est dans une frontalité sans imagination. J’ai donc préféré filmer les ressorts du divan sur lequel Pormenor et sa secrétaire font l’amour, ce qui me semblait être une bonne façon, à la fois comique et un peu triste, car nous l’apercevons du point de vue de Victor, de suggérer l’acte érotique. Il faudrait pouvoir retrouver un peu du frisson lié à la pudeur et au désir, qui n’est rien d’autre que l’absence d’accomplissement. C’est ce que savent tous les grands poètes d’amour depuis Sapho. Un plan sur deux mains qui se touchent en dit plus sur le désir amoureux qu’une étreinte filmée entièrement et sans fard. ■
Propos recueillis par Hugues Perrot