Film soutenu

Le gang des bois du Temple

Rabah Ameur-Zaïmeche

Distribution : Les Alchimistes

Date de sortie : 06/09/2023

France - 2022 - 1h54 - 1,85 - 5.1

Un militaire à la retraite vit dans le quartier populaire des Bois du Temple. Au moment où il enterre sa mère, son voisin Bébé, qui appartient à un groupe de gangsters de la cité, s’apprête à braquer le convoi d’un richissime prince arabe…

Première Internationale | Sélection : Forum / Berlinale (Berlin, 2023)
Festival La Rochelle cinéma (La Rochelle, 2023)
Festival international du film Entrevues Belfort et Rétrospective Rabah Ameur-Zaïmeche (Belfort, 2022)
Première Mondiale | Sélection : Coup de coeur / 11eme FIFIB (Bordeaux, 2022)
Festival du Film franco-arabe de Noisy-le-Sec (Noisy-le-Sec, 2022)

Pons Régis LAROCHE • Bébé Philipe PETIT • Linda Marie LOUSTALOT • Mouss Kenji MEUNIER • Tonton Salim AMEUR-ZAIMECHE • Melka Kamel MEZDOUR • Nass Nassim ZAZOUI • Dari Rida MEZDOUR • Sly Sylvain GRIMAL • L’intendant du prince Lucius BARRE • Le prince Mohamed AROUSSI • Jim Slimane DAZI

Scénario, production, réalisation Rabah AMEUR-ZAIMECHE • Direction de production Sarah SOBOL • Musiques «La beauté du jour », ANNKRIST « Abdou » et « Manich mena », Sofiane SAIDI • Image Pierre-Hubert MARTIN • Prise de son Bruno AUZET • Costumes Julia FOUROUX • Décoration Mohamed AROUSSI • Montage Grégoire PONTECAILLE • Montage son, mixage Nikolas JAVELLE • Distribution LES ALCHIMISTES & SARRAZINK PRODUCTIONS

Rabah AMEUR-ZAIMECHE

Né en 1966 en Algérie, Rabah AMEUR-ZAIMECHE arrive en France en 1968. Il grandit dans la cité des Bosquets à Montfermeil, en Seine-St-Denis. Après des études en sciences humaines, il fonde en 1999 la société Sarrazink Productions. Depuis, il a produit et réalisé sept films.

Filmographie

2022 / Le Gang des Bois du Temple
Forum du Nouveau Cinéma de Berlin
Festival Entrevues de Belfort – FIFIB
Festival La Rochelle cinéma

2019 / Terminal Sud
Compétition internationale, Festival de Locarno
Festival de Toronto – Festival de Busan
Prix du meilleur long métrage français, FIFIB

2015 / Histoire de Judas
Prix du Jury oecuménique, Forum du Nouveau Cinéma de Berlin
Festival international de Toronto

2012 / Les Chants de Mandrin
Compétition internationale, Festival de Locarno
Prix Jean Vigo

2008 / Dernier Maquis
Quinzaine des réalisateurs, Festival de Cannes
Prix spécial du jury, Festival de Dubaï

2006 / Bled number one
Un Certain Regard, Prix de la jeunesse du Festival de Cannes

2002 / Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?
Prix Louis Delluc du premier film, Prix Léo Sheer de Belfort,
Grand prix Wolgang Stautde du Forum du Nouveau Cinéma de Berlin


INVITATION DU PROGRAMMATEUR

On pourrait se laisser tenter à trouver une généalogie à ce film, notamment l’œuvre de Jean-Pierre Melville, mais Rabah Ameur-Zaïmeche continue de faire un cinéma qui ne ressemble qu’à lui, consacré à une exploration fine des rapports de domination et une remise en question de hiérarchies acquises et violentes. Après la figure de Louis Mandrin et de Judas, le cinéaste revient au contemporain et s’attache à une communauté quasiment familiale de petits gangsters, et interroge avec leur ultime coup où se situe la véritable délinquance. On est face à une maitrise cinématographique qu’on avait presque oubliée depuis Dernier Maquis, et dont Terminal Sud, avec toutes ses imperfections, semblait finalement annoncer le retour ! Tout en constituant son film le plus accessible, Le Gang des Bois du Temple est aussi l’un des plus exigeants. Plusieurs séquences impriment la rétine et compteront assurément parmi les moments forts de l’année. 

Loïc Rieunier – Délégué général de l’ACOR – Association des cinémas de l’ouest pour la recherche


ENTRETIEN AVEC RABAH AMEUR-ZAIMECHE

Quel est le point de départ du film ?

À l’origine, il s’agit d’un fait divers survenu en 2014, au cours duquel un gang lourdement armé de la Seine-Saint-Denis attaque, sur une bretelle de l’autoroute A1 à hauteur de la porte de La Chapelle, un van noir transportant les affaires personnelles d’un prince arabe, un homme parmi les plus riches du monde. La tête pensante du coup était un Gitan du Val-d’Oise, dont l’oncle était l’une des grandes figures du banditisme… Pour lui, c’était à la fois un hommage familial et un véritable défi de se porter à sa hauteur. Et il s’était associé à une bande de lascars de la cité des Bois du Temple.

J’avais trouvé ce fait divers édifiant et l’avais, pour ainsi dire, gardé en réserve jusqu’à l’assassinat, en 2018, du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite, à Istanbul. J’étais sidéré à la fois par la brutalité de l’acte et par l’impunité d’une telle violence sanguinaire, commise par de hauts dignitaires si puissants qu’ils se croient au-dessus des lois et de la justice humaine. Nous avons décidé de mêler ces deux faits divers et d’en faire un nouveau scénario.

Où se situent les Bois du Temple ?

La cité des Bois du Temple se trouve à Clichy-sous-Bois, au Nord-Est de la Seine-St-Denis. Elle a été construite à la fin des années 60 sur des marécages au milieu des bois, tout près d’une vieille chapelle, d’une source réputée miraculeuse et de trois croix, dressées à proximité.

J’ai grandi dans la cité des Bosquets à Montfermeil et, enfants, nous traversions le Bois des Loups, frontière naturelle entre Montfermeil et Clichy, et allions jouer sur l’aire de jeux de la cité des Bois du Temple. Il y avait des tourniquets et des toboggans à deux bosses… Pour nous, c’était carrément les montagnes russes ! Lorsqu’il pleuvait, on allait s’abriter dans la chapelle et on se racontait l’histoire des trois croix : celle de trois pèlerins du XIIIème siècle qui avaient été dévalisés et ligotés par des bandits, puis délivrés par un ange. C’est peut-être comme cela que l’histoire du Gang a débuté…

Le temps a passé, et j’ai pensé à un hommage au film noir et aux quartiers populaires. On a toujours su que les brigands n’étaient pas forcément ceux que l’on croit… Il arrive parfois qu’un ange fasse sauter un rouage des rapports de domination où l’argent est roi, et libère un espace poétique dans l’engrenage fermé des déterminismes et des destins.

C’est à Clichy-sous-Bois que vous avez tourné ?

Non, nous avons tourné à Bordeaux dans la cité de Grand Parc, elle-même construite sur d’anciens marais. Elle était vouée à la destruction jusqu’au dernier moment, puis sauvée miraculeusement par l’UNESCO qui l’a classée au patrimoine mondial. Il y a des arbres magnifiques dans ce grand ensemble ingénieusement structuré, avec de larges espaces verts entre les immeubles. Et aussi une église moderne, l’église de la Trinité, dans laquelle nous avons tourné, après avoir été émerveillés par ses vitraux qui filtrent les couleurs, comme dans un tableau de Nicolas de Staël.

Nous avons également tourné à Marseille, pour ses lumières de nuit, ses autoroutes qui, après avoir survolé la ville, plongent dans des tunnels souterrains, sombres et inquiétants. En somme, que ce soit en banlieue parisienne, bordelaise ou marseillaise, les territoires urbains se ressemblent et se réinventent sans cesse. Traversant les fleuves et se répandant dans les vallées, ils s’effilochent sur les flancs de montagne et s’émancipent des centre-villes, transformés en musée d’attraction pour les touristes du monde entier.

C’est un film très politique qui nous parle de lutte des classes d’une manière contemporaine, en confrontant des habitants de banlieue et un prince émirati qui vient d’arriver là : ce sont deux visages de la France d’aujourd’hui, qui comportent des connotations intéressantes sur les identités arabes, multiples. Pouvez-vous nous parler de l’idée des fossés culturels et économiques qui sont mis en scène dans le film ?

En France, comme partout ailleurs, il vaut mieux être un Arabe riche, voire très riche, qu’un Arabe des quartiers populaires… Le racisme est d’abord une arme dirigée contre les pauvres, pour mieux les diviser. Les jeunes des quartiers issus des minorités en sont conscients et savent pertinemment qu’ils sont inscrits dans des rapports figés où ils sont les dominés. Par conséquent, certains d’entre eux refusent d’y participer. Ils préfèrent plonger dans des spirales délinquantes parce qu’ils portent en eux les germes de la révolte et de la contestation sociale, même s’ils sont loin des idéologies qui ont prôné la lutte des classes et dans lesquelles se retrouvait autrefois la jeunesse des milieux ouvriers.

Ils ont intégré que nos systèmes économiques et politiques sont dirigés par une caste oligarchique qui ne propose que des rapports de prédation.

Une récurrence dans votre filmographie est l’attention portée aux exclus, aux démunis, qui doivent faire face aux difficultés de leur environnement, choisissant parfois d’aller au-delà de la légalité et de l’ordre établi. Pourriez-vous nous parler de cet aspect dans votre œuvre et de sa représentation spécifique dans Le Gang des Bois du Temple ?

Cela remonte à mon enfance. Dans les westerns, j’ai toujours préféré les Indiens à la cavalerie américaine… Dans les films de cape et d’épée, le camp des contrebandiers à celui des Dragons du Roi, la cour des miracles à celle de Versailles. Et dans les polars, les gangsters aux forces de police et aux détectives privés, les quartiers populaires aux salons parisiens… C’est comme ça, c’est une nature.

Dans Le Gang des Bois du Temple, les bandits sont souriants et fraternels. Ils forment une famille. Cela pourrait être la mienne… D’ailleurs, une bonne partie d’entre eux sont mes neveux, et ils ont adoré jouer les gangsters après avoir représenté les forces de l’ordre dans Terminal Sud. Il y a aussi quelques-uns des Apôtres de Histoire de Judas.

Les deux séquences musicales du film semblent également être l’une des clefs de voûte du récit, comme souvent dans votre œuvre.

La première séquence musicale a été tournée dans l’église de la Trinité pour une cérémonie de deuil. À l’intérieur de cet espace sacré, il y a une chanteuse qui se nomme Annkrist et qui nous offre une chanson de sa composition, intitulée La beauté du jour. Elle chante: “L’amour ne fait pas d’esclaves, mais des volontaires / Il faut avoir la peau suave et des nerfs de fer (…) Que le désir me surpasse, me tienne en alarme / Nul n’oublia nos cuirasses, non plus que nos armes. / Être magnanime et tendre, être qui suggère / L’amour qui ne saurait prendre son trésor de guerre”. Ce chant propulse littéralement le récit à mille lieux d’un début classique de film de braquage et nous entraîne dans une atmosphère de recueillement, étrange et abstraite, qui va régner jusqu’à la fin du film.

La seconde séquence musicale se déroule dans une boîte de nuit avec un raï électronique survolté, inventé par Sofiane Saïdi. La musique électrise le public dans lequel se trouve le prince arabe qui, hypnotisé, monte sur scène et se lance dans une danse éperdue, comme une transe venue du fond des âges… Lui aussi a le droit de se libérer de sa condition de classe et de ses déterminismes liés à l’oligarchie à laquelle il appartient. Il n’est pas seulement l’un des hommes les plus riches de la planète, il est surtout un être fragile, paradoxal, qui cherche à retrouver toute sa dimension humaine.

Nous avons été surpris par la qualité des performances de jeu. Nous voyons des acteurs connus comme Philippe Petit et Slimane Dazi, ainsi que des figures moins connues voire inconnues, venues d’ailleurs… Il y a notamment la présence marquante de Régis Laroche qui tient le rôle principal du film. À ce propos, qui est exactement Monsieur Pons ?

Monsieur Pons est un personnage pivot de la cité des Bois du Temple. Sa mère vient de mourir, et elle était un pilier du quartier – elle préparait autrefois des crêpes pour des minots qui ont grandi trop vite. C’est un ancien militaire de l’armée française, tireur d’élite, qui a bourlingué en Afrique, du Rwanda au Niger, du Tchad au Mali… Il a une petite retraite et se contente, pour seul loisir, de jouer aux courses de chevaux, passion qu’il partage avec les membres du gang… Et le prince arabe, aussi ! Il est magnifiquement interprété par Régis Laroche, qui jouait précédemment Ponce Pilate dans Histoire de Judas. Entre Monsieur Pons et Ponce Pilate, il n’y a qu’un pas ou un jeu de mots… Pour moi, c’est le même personnage : Ponce Pilate au XXIème siècle, cerné par des barres d’immeubles fermant l’horizon, qui commet le pire, un meurtre, mais vécu cette fois comme une rédemption. Ici, il ne s’en lave pas les mains, mais il boit de grands verres d’eau.

Histoire de Judas et Le Gang des Bois du Temple partagent cette même idée, celle d’un monde en ruines. Dans Le Gang, Pons apparaît comme un ange vengeur qui semble exiger par son geste, tout à la fois réel et symbolique, l’invention d’un espace vital et poétique dans un monde contemporain sans perspective, au bord de l’abîme, suspendu à sa violence systémique.

Il y a aussi Moh Aroussi qui, dans Histoire de Judas, interprétait Carabas, vagabond céleste se prenant pour le Roi des Juifs, et se trouve être, ici, le prince arabe, humilié d’avoir été dépossédé. Encore une fois, ce personnage n’est pas maître de son destin. Accablé d’être aussi riche et écrasé par le poids de son oligarchie, il se rêve en rock star.

Puis, il y a Marie Loustalot qui joue le rôle de Bethsabée, la femme adultère dans Histoire de Judas. Elle revient dans la peau de Linda, mère de deux enfants, épouse aimante et courageuse de Bébé, l’un des gangsters. Et enfin, il y a le gang… Les Apôtres des Bois du Temple !

Par la présence commune de ces acteurs, le lien entre les deux films est établi : il porte une cohérence qui a nourri et amplifié notre conception du film noir, devenue plus vaste qu’une simple histoire de braquage… Le Gang des Bois du Temple se révèle comme un chant du cygne dédié à la révolte des opprimés, à la noblesse du cœur et à la beauté du monde.

Comment s’est déroulé le travail avec les acteurs et le processus de réalisation pendant le tournage ?

Comme un défi, de la manière la plus naturelle. Notre travail repose depuis le début sur quatre piliers essentiels: patience, persévérance, gentillesse et ruse. Voilà. Et c’est  comme cela que les choses arrivent et que les situations s’imposent. Pour autant, lamise en scène est pour nous comme un travail d’observation, davantage que la construction d’un discours. Lors du tournage, notre méthode est de toujours donner une primauté à ce qui arrive dans le film, avec un caractère totalement imprévisible, et comme pour mieux partager l’expérience de ce qui se passe au présent… C’est cette idée de transporter le film dans un ailleurs inattendu, le temps d’une respiration, d’une fiction qui plonge dans le document brut. Ainsi, le récit est abordé de façon surtout sensitive et émotionnelle. Les sons, les formes et les couleurs qui traversent le champ de la caméra sont aussi importants que les éléments narratifs pris dans leur enchaînement logique. L’enquête est ici placée au second plan, et même s’il y a beaucoup de rebondissements, le film fonctionne essentiellement sur les sensations qu’évoquent les séquences et, par effet de montage, sur le hors-champ du récit.

Le film offre un point de vue unique sur le thriller (un genre que vous avez également reformulé dans Terminal Sud), en étant extrêmement réaliste. Comment avez-vous conçu votre travail sur ce genre ? Aviez-vous des références précises ?

 C’est par la télévision que la culture cinématographique m’a été essentiellement transmise. Je me suis nourri de films de gangsters qui y étaient diffusés tard le soir, dans des émissions de télévision publique telles que Le cinéma de minuit. C’est ainsi que j’ai remarqué que, la plupart du temps, les polars étaient appesantis par l’enquête policière et laissaient peu de place aux réalités sensibles et vivantes auxquelles se confrontaient les personnages. Un de mes cinéastes préférés est Melville, même si la représentation qu’il donne de ses personnages, dans Le Samouraï par exemple, exclut la question de leur condition sociale. Les miens apparaissent pleinement comme des enfants des quartiers populaires, ils sont totalement incorporés dans les rapports de classe.

Les espaces sont essentiels dans votre manière de faire du cinéma, dans la façon dont le paysage affecte directement le comportement des personnages. Nous sommes particulièrement intrigués par la manière dont vous filmez l’idée de communauté dans Le Gang des Bois du Temple. Pourriez-vous nous en parler ?

Les paysages, quels qu’ils soient, ruraux ou urbains, sauvages ou domestiques, nous influencent directement… Voire, nous déterminent. Ils sont souvent le reflet des divisions sociales où se joue de façon impalpable, invisible, la lutte des classes. Aujourd’hui, par exemple, avec la politique urbaine mise en place, on détruit des quartiers populaires, on expulse les travailleurs des centres-villes et on explose les cités à coup de dynamite, afin d’empêcher toute forme de conscience collective, politique, de s’agréger, de s’animer et de s’élever.

Ce sont plus de 20 ans qui se sont écoulés depuis votre premier film, Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? En quoi était-il important de revenir, aujourd’hui, sur les quartiers populaires ?

Parce que dans les quartiers populaires, il y a encore plein de cinéma ! C’est là qu’une grande partie du prolétariat réside, peuplé des minorités du monde entier. Certes, il n’est plus le même qu’autrefois, quand il était structuré autour d’associations, de partis et de syndicats, et se trouve plus fragmenté, plus isolé, à présent qu’il est privé d’outils politiques essentiels et divisé par des idéologies réactionnaires et nauséabondes. Cependant, contrairement aux oligarchies avides de pouvoir et d’argent qui nous terrifient en fomentant des guerres, des famines et les pires des atrocités, ce prolétariat rêve toujours d’une vie paisible et fraternelle. Les gens ont des vies simples, des aspirations simples… Ils vivent et ils meurent ensemble, comme les membres du gang des Bois du Temple.

Propos recueillis par Javier H. Estrada et Rosa Benyamin