Film soutenu

Le Grand’Tour

Jérôme Le Maire

Distribution : Mona Films

Date de sortie : 24/07/2013

Belgique - 2011 - 1h45 min

Dix hommes dans la quarantaine, dix amis, rejoignent « le carnaval du monde » pour faire la fête, marcher à travers bois, le temps d’un week end, sans femmes ni enfants. Faire un tour en quelque sorte. Ils ne reviendront que six mois plus tard, et encore, pas tous !

Programmation ACID – Festival de Cannes 2011
Festival Entrevues de Belfort
Festival International du Film Grolandais – Amphore d’or
Festival International du Film de Rotterdam
Festival International du Film Francophone de Namur
 

D’après un scénario de Benjamine de Cloedt, Jérôme le Maire et Vincent Solheid
Image : Jérôme le Maire
Son : Olivier Philippart et Julie Brenta
Montage : Matyas Veress
Mixage : Franco Piscopo
Musique originale : Pierre Kissling
En coproduction avec Benjamine de Cloedt, Priscilla Bertin, Elisa Larrière et Judith Nora
Producteurs : Philippe Kauffmann et Vincent Tavier
Avec l’Aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Communauté française de Belgique ,& des télédistributeurs wallons
Avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral Belge et les sociétés: Financial Roosevelt sa & G2Power sprl

Jérôme Le Maire

Né en 1969, Jérôme le Maire est à la fois réalisateur, scénariste et cameraman. Après des études en Journalisme et Communication à l’Université Libre de Bruxelles, il s’oriente vers une formation en réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) de Louvain-la-Neuve. Il a à son actif plusieurs courts métrages de fiction : « Meilleurs Voeux » (co-réalisé avec Vincent Lannoo en 1994),« Salutations Distinguées » (1995) ; un docu-soap diffusé sur BeTV : « le Belge Eté » (2001), et plusieurs documentaires dont « Un jour, une vie » (63’, 2004), « Volter ne m’intéresse pas » (52’, 2003) et aussi « Où est l’amour dans la palmeraie ? » (52’ et85’, 2007) – qui a été sélectionné dans de nombreux festivals tels que Visions du Réel (Nyon, Suisse), RIDM (Canada), Parnü Film Festival (Estonie), Festival des quatre écrans (France)… et nominé auxEuropean Academy Awards, prix Arte. En 2012, Jérôme le Maire signe un long métrage documentaire intitulé « le Thé ou l’Electricité » (93’), qui a été sélectionné dans un grand nombre de festivals. Il réalise en 2011 Le Grand’Tour qui sera présenté au Festival de Cannes dans la Selection de L’ACID

NOTE DU RÉALISATEUR

Le Grand’Tour, Mon Grand’Tour. A quarante ans, on commence à comprendre certaines choses. C’est du moins ce qu’on croit. C’est à la fois agréable et déstabilisant. Quarante ans, l’âge du Milieu. « Middle Age
Crisis » disent les anglo-saxons. La grande question de la quarantaine, c’est celle de sa destinée. Peut-on encore la réécrire ou est-il déjà trop tard ?
Quarante ans… Ce sentiment d’avoir déjà bouclé un premier « tour de piste », d’être à un tournant, je le partage avec les gars du Grand’Tour.
Il y a trois ans, Vincent Solheid m’a proposé de le filmer, lui, et sa fanfare bidon : la « Prînten ». Fanfare d’amour et d’amitié, comme le dit fièrement sa bannière. Cette bande de Valeureux voulait partir, sortir, dormir dans les bois, marcher à travers champs. Boire, chanter. Peut-être rentrer, peut-être mourir, mais avant tout se sentir en vie. Alors, j’ai attrapé ma caméra et je les ai suivis.
Ce long-métrage est né de cette simple Invitation et de ce geste spontané pour déboucher sur un projet de vie fou, démesuré.
Un road-movie intérieur, un film organique ou plus simplement un Grand’Tour…
Je ne sais toujours pas si on est plus sage à quarante ans mais je sais, par contre, qu’à quarante ans tout reste à faire.
Jérôme le Maire


NOTE DU PRÉSIDENT DE LA FANFARE & INITIATEUR DU PROJET

Je repense à notre premier rendez-vous et je me dis que jamais je n’aurais imaginé qu’une fête puisse m’emmener aussi loin. Au début on buvait beaucoup – une habitude. Et puis, peu à peu, tous mes souvenirs, mes envies, mes aspirations et mes rêves sont venus s’accrocher à la marche. Epaissir le squelette. Au coin des bois, du feu et des fêtes. Plusieurs circonstances m’ont décidé à inviter un jour quelques-uns de mes amis à faire ce voyage. Je viens de la campagne, un vrai fagnard, même si j’habite à la ville depuis longtemps. Alors régulièrement j’ai besoin de respirer, de respirer l’air pur, mon premier air si vous voulez. Respirer profondément tout le temps. Quitter les passages pour piétons, les feux rouges, les culs-de-sac et les sens interdits pour retrouver les grands espaces. En deux
mots : être dehors. Je suis aussi un vrai faux Président d’une vraie fausse fanfare très très amateur. Pas des musiciens : des amis. Personne ne sait jouer mais on tape quand même sur de vieux instruments. On fait comme les vraies formations sauf qu’on rit de nous-mêmes et de tout. On aime bien les fanfares mais les fanfares ne nous aiment pas : trop n’importe quoi, pas bien rangé, trop sale.
Cette année-là enfin il y avait un autre rendezvous, « Le Carnaval du monde » à Stavelot, la cité voisine. Un ami, membre de notre « fanfare atomique », m’avait suggéré de « faire
quelque chose » à cette occasion. Carnaval du monde, carnaval pour TOUT LE MONDE !
Le premier jour, on est dix au rendez-vous. Denis, Pierre, Patrack, Manu, Vincent, Renaud, Arnaud, Chen, Pinard et moi. Je n’ai contacté que des amis, c’est plus simple.
Nous ne sommes pas rentrés après les 3 ou 4 jours de marche comme prévu. D’ailleurs tous ne sont pas rentrés.
J’y suis allé comme quand on dit à un ami ou à sa femme : « Si on sortait…allons voir…faire un petit tour ! ».
Un Grand Tour. C’est ma plus grosse sortie.
Vincent Solheid


Rencontre avec Vincent Solheid et Jérôme le Maire 

Bruxelles, le 2 février 2013

Vincent Solheid, « Le Grand’Tour » est votre premier projet pour le cinéma. Comment vous est venue l’idée de ce film ?
VINCENT SOLHEID :Nous sommes une bande d’amis. On se voyait souvent, on faisait beaucoup la fête ensemble. Nous partions aussi dans les
bois quelques jours, pour quitter un peu la vie. Avec une partie de cette bande, nous avons formé la « Rwayal Printen », cette fanfare bidon. On allait aux carnavals pour faire la fête, en costumes rouges, avec nos instruments. Une forme commençait donc à naître progressivement. Mais quand nous avons commencé à filmer, c’était davantage pour nous, pour garder un souvenir, comme un film de famille. 

Jérôme, comment avez-vous vécu cette rencontre ?
JEROME LE MAIRE :Nous nous sommes rencontrés via Benjamine, la femme de Vincent, qui est devenue la productrice du film. Tout de suite
j’ai vraiment bien aimé ce gars. J’ai été invité à une de ses performances. J’avais trouvé ça génial et je m’étais amusé comme un fou. Et très rapidement, il m’a dit : « Jérôme, j’ai une
idée, j’aimerais faire long métrage sur une fanfare… ». Au départ, j’étais moyennement chaud, parce que je ne savais pas de quoi il s’agissait. Par contre, quand il m’a invité à un
souper et que j’ai rencontré la bande en question, j’ai dit immédiatement : « OK ! ». C’était un « casting » d’enfer, une histoire très personnelle qui leur allait très bien. Voilà comment ça a commencé ! 

« Le Grand’Tour » oscille en permanence entre le documentaire et la fiction. Comment s’est structuré le film ?
VINCENT SOLHEID :On a progressé étape par étape. Dans la première partie du film, nous faisons beaucoup la fête. On attendait ces fêtes et on y allait avec la bande. On écrivait, mais très peu finalement. On partait seulement en repérage avant, et c’est là que les choses se construisaient très bien entre nous trois, Jérôme, Benjamine et moi.

JEROME LE MAIRE : On marchait ensemble et on se racontait des histoires, des blagues, on imaginait ceci ou cela. Benjamine prenait tout en note. Et après on emmenait les gars. Par rapport au tournage, ils avaient seulement trois consignes : ne pas regarder la caméra, ne pas parler du film, et, s’ils voulaient s’en aller en cours de tournage, ils devaient le faire devant la caméra et trouver un prétexte. Mais personne n’est parti ! Ce sont les trois seules choses qu’ils devaient respecter.

Les personnages jouent-ils leur propre rôle ?
JEROME LE MAIRE :
Dans un premier temps, c’était beaucoup plus une manière documentée de tourner. Je les laissais être eux-mêmes. A partir d’un certain moment, on a pris les choses en main, et on leur a clairement inventé des histoires, toujours nourries par le réel. J’ai été mettre, sur la personnalité de certains, un « capuchon fictionnel ». C’était très particulier. En tant que réalisateur, c’est la première fois que je travaille comme ça. Et je ne connais pas beaucoup d’expériences cinématographiques similaires. Pour tous, à un moment donné, il y a eu une espèce de
tournant, pas toujours facile à accepter. Avec chacun, c’était de grandes discussions pour qu’ils se prêtent au jeu, et que ce soit juste. 

La seconde partie, plus sérieuse, semble beaucoup plus construite. Comment s’est opérée la transition ?
JÉRÔME LE MAIRE : 
Dès le début, nous avions prévu qu’à partir d’un moment ils arrêteraient la drogue et l’alcool, et qu’on passerait donc à une ambiance nettement moins délurée, avec la bande qui se retrouve dans les bois « au pain sec et à l’eau ». Nous voulions voir ce qui se passe, quand il ne se passe rien ! A partir de ce moment-là, on a commencé à beaucoup plus structurer la manière de tourner. Eux avaient déjà presque deux ans d’expérience. Je pouvais leur faire rejouer une scène, voire leur faire dire des répliques. Ils « jouaient » vraiment. Ils en étaient capables à ce moment-là, et moi je les connaissais beaucoup mieux.

VINCENT SOLHEID : La narration aborde aussi un sujet plus sérieux. Il y a une évolution, clairement, mais on n’a pas changé radicalement. On n’a pas tout écrit non plus !

JEROME LE MAIRE : Par hasard, j’ai changé de caméra à ce moment-là, pour du matériel plus performant. Au départ, j’utilisais une caméra carrément dégueulasse que je tenais à l’épaule enfermée dans un sachet plastique parce qu’il pleuvait… J’ai donc travaillé de plus en plus sur pied et, inévitablement, j’ai découpé. C’était vraiment un challenge pour moi, en tant que réalisateur. Je me suis dit : « Est-ce que cela va marcher d’évoluer autant dans la forme, dans un même film ? ». On termine même le film par de la musique, avec un plan fiction très cinématographique tourné à la grue. Eh bien moi, je suis content de voir que ça marche !

« Le Grand’Tour » se présente aussi comme une forme de quête. Quelle a été votre intention avec ce film ?
VINCENT SOLHEID :
 Sans jouer au mystique à tout prix, je me sens très bien là-dedans : dans le silence, dans la marche qui dure, et qui dure. Cela correspond à mes expériences et à mes aspirations. Le côté excessif des fêtes m’a abîmé. Je tends à aller vers quelque chose de plus calme. J’aime les bois, l’odeur du feu, le silence…

JEROME LE MAIRE : Vincent est venu me trouver avec son univers, et son paquet d’intentions. J’ai essayé de comprendre ce qu’il voulait dire. Bien
sûr, ça rebondissait sur moi. On a le même âge, et j’aime beaucoup la marche, la nature, l’alcool et le reste… Je me posais aussi des questions par rapport à la quarantaine. Vincent me disait souvent : « On peut le faire maintenant, mais pas dans dix ans, ce “Grand’Tour” ». Vincent avait une sincère recherche de lui-même, il était vraiment en questionnement. C’est ça l’histoire, clairement, et j’ai même l’impression, à certains moments, que Vincent et Benjamine étaient venus me trouver pour faire une psychanalyse de Vincent. Au début, on s’est retrouvé tous les deux dans les bois, avec la caméra, et je le filmais. Je tentais de le mettre à table : « Vas-y, explique-moi, tu cherches le silence, mais pourquoi tu habites dans le centre de Bruxelles ? Tu aimes le pain sec et l’eau. Alors pourquoi vas-tu te bourrer la gueule dans les soirées ? Si je ne comprends pas ça, je ne pourrai pas faire un bon film… ». J’ai essayé de trouver et de respecter la justesse dans son intention.

VINCENT SOLHEID : Je ne conscientise pas tout. En boutade, je dirais : « Est-ce que vous imaginez tout ce qu’on a dû faire, emmener ces gens-là partout pendant quatre ans, les réunions, le film, la production… tout ça pour dire quoi ? Pour dire à mes parents que je me droguais ! » [rire].

Quelles ont été vos influences ? Et est-ce que le film se rattache à un cinéma particulier ?
JEROME LE MAIRE :Je dirais que si le Dogme95 de Lars Von Trier existait toujours, le film s’inscrirait parfaitement dedans. Sauf que je devrais quand même, comme tous les réalisateurs qui y ont participé, envoyer une petite lettre expliquant : « Oui, j’ai triché sur certains trucs par rapport au Dogme ». Personnellement, je trouve le film proche des « Idiots » [de Lars Von Trier], même si la comparaison peut sembler osée. Mais il y a quelque chose de cet ordre-là : c’est un film « organique », extrêmement vivant. On dormait sous tente, nous aussi. On marchait avec les gars, pendant quatre ou cinq jours, sous la pluie ou en plein soleil.

VINCENT SOLHEID : Pour moi, il y a quelque chose de très belge dans le film. Si on veut être encore plus précis, il peut être même être rattaché aux films de la Parti, à cette famille de producteurs belges qui fait un cinéma alternatif qu’on ne voit pas ailleurs.


Propos recueillis par Hubert Marécaille