Film soutenu

L’Éden

Andrés Ramírez Pulido

Distribution : Pyramide Distribution

Date de sortie : 22/03/2023

France-Colombie | 2022 | 1h26 | DCP | 5.1 | 1.66 | Couleur

Eliú, un garçon de la campagne, est incarcéré́ dans un centre expérimental pour mineurs au cœur de la forêt tropicale colombienne, pour un crime qu’il a commis avec son ami El Mono. Chaque jour, les adolescents effectuent des travaux manuels éprouvants et suivent des thérapies de groupe intenses. Un jour, El Mono est transféré dans le même centre et ramène avec lui un passé dont Eliú tente de s’éloigner.

Festival de Cannes 2022, Semaine de la Critique, Grand prix et prix SACD

Eliú JHOJAN ESTIVEN JIMENEZ • El Mono MAICOL ANDRÉS JIMENEZ Calate WISMER VASQUEZ Ider JHOANI BARRETO Cabezas JUAN DIEGO MAYORGA Chucho DUBAN AGUIRRE • Matajudios FELIPE ORTIZ • Álvaro MIGUEL VIERA • Godoy DIEGO RINCON • Le frère d’Eliú CARLOS STEVEN BLANCO • Juan Macias RICARDO ALBERTO PARRA • Tránsito MARLEYDA SOT • El Invisible ANDRÉS RAMÍREZ PULIDO

Scénario & Réalisation ANDRÉS RAMÍREZ PULIDO • Production JEAN-ETIENNE BRAT & LOU CHICOTEAU (ALTA ROCCA FILMS) & ANDRÉS RAMÍREZ PULIDO (VALIENTE GRACIA) • Image BALTHAZAR LAB • Montage JULIE DUCLAUX EN COLLABORATION AVEC JULIETTE KEMPF • Son NESTOR VELEZ, CLAIRE BERRIET, LAURA CHELFI & VICTOR PRAUD • Direction artistique JOHANNA AGUDELO SUSA • Musique PIERRE DESPRATS • En partenariat avec FONDO DE DESARROLLO CINEMATOGRAFICO FDC – PROIMAGENES COLOMBIA, L’AIDE AUX CINÉMAS DU MONDE – CENTRE NATIONAL DU  CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE – INSTITUT FRANÇAIS, LA FONDATION GAN POUR LE CINÉMA , THE CO-DEVELOPMENT SCHEME OF THE NETHERLANDS FILM, FUND AND THE HUBERT BALS FUND OF INTERNATIONAL FILM, FESTIVAL ROTTERDAM , ESTIMULOS ARTISTICOS Y CULTURALES, SECRETARIA CULTURA – ALCADIA DE IBAGUELA

Andrés Ramírez Pulido

Né en 1989 à Bogota, Andrés Ramírez Pulido est un réalisateur et producteur colombien. Il a réalisé deux courts métrages multirécompensés à travers le monde. En 2016, EL EDÉN est présenté à la Berlinale et reçoit notamment le prix du meilleur court-métrage à Busan, au Caire et à Viña del Mar. En 2017, DAMIANA est sélectionné en compétition officielle à Cannes, ainsi qu’à Toronto, Oberhausen, Zinebi… LA JAURÍA est son premier long métrage, soutenu par le CNC (Aide aux cinémas du monde), le FDC Proimagenes et le Hubert Bals Fund. Il est présenté en compétition à la Semaine de la critique au festival de Cannes en 2022. Andrés est lauréat de la Fondation Gan pour le cinéma 2019.

Entretien avec ANDRÉS RAMÍREZ PULIDO

• Comment est né ce long-métrage ?
L’Éden (La Jauría) est le prolongement de mes deux courts métrages, El Edén et Damiana. Les trois films sont basés sur une préoccupation personnelle que j’ai pu mettre en lumière dans l’écriture et la réalisation : l’importance de la figure paternelle dans l’enfance et l’adolescence ; comment l’amour, les soins ou au contraire l’abandon, l’absence ou la violence d’un père peuvent marquer des vies. L’Éden (La Jauría) est l’histoire d’un adolescent et de toute une génération qui entretient une relation de haine et de mort avec son père, une génération abandonnée qui, sans s’en rendre compte, s’inscrit dans un cercle de violence héritée. Comment un enfant peut-il se détacher d’une violence imprégnée dans sa nature ? Comment se détacher de ces héritages immatériels de nos parents qui nous hantent chaque jour ? Mon idée était d’accompagner organiquement Eliú, le personnage principal, dans un voyage vers la lumière pour qu’il puisse sortir de ce cercle hostile, de là est née l’idée de le connecter avec quelque chose au-delà du matériel, une rencontre avec l’Invisible. J’ai décidé de créer une fiction pure, qu’on ne puisse pas situer précisément dans l’espace et le temps, laissant aussi hors champ tout le contexte politique et social déjà connu de mon pays, avec l’idée que l’histoire de ce garçon qui lutte avec la culpabilité et le changement brille par elle-même et connecte le spectateur avec sa propre humanité.

• L’expérience décrite dans le film, avec la rénovation d’une hacienda à l’abandon et l’aide d’un thérapeute, existe-t-elle vraiment en Colombie ?

Non, un tel endroit n’existe pas en Colombie, cependant cet univers fictif du film est nourri par ma relation avec plusieurs communautés d’adolescents confinés en traitement pour dépendance à des substances psychoactives et d’autres groupes de mineurs qui purgent des peines pour divers crimes. J’ai essayé d’abstraire certains éléments qui m’intéressaient de cette réalité que je connaissais et de les mettre au service de la fiction cinématographique.

• Comment aviez-vous rencontré ces jeunes ?
Je suis né à Bogotá, mais la vie et l’amour m’ont amené à déménager à Ibagué, une ville plus petite. Avec ma femme, qui était étudiante en arts plastiques, nous avons mis en place des ateliers de cinéma dans des communautés d’enfants et d’adolescents en difficulté. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux et nous avons tissé des très beaux liens. Je me sens privilégié d’avoir pu les connaître dans ce contexte. J’avais envie de comprendre leur façon de penser. Notre époque pousse trop à pointer du doigt tout le monde et à mettre les gens dans des cases. Je me suis vite aperçu que les jeunes avaient tous une relation très conflictuelle avec leur père. La relation qu’ils entretenaient avec leur mère était très différente. Beaucoup d’entre eux avaient le nom de leur mère tatoué sur le corps. Les personnages de mon film ne font pas partie de l’imaginaire des jeunes délinquants latino-américains. Ils sont eux-mêmes tout simplement. J’ai eu envie de déjouer les imaginaires très établis sur la Colombie.

• Comment avez-vous abordé le projet ?
Les écoles de cinéma latino-américaines ont l’habitude d’apprendre à leurs étudiants comment les grands cinéastes construisent les plans de leurs films. De mon côté, je pense qu’il est bien plus important d’apprendre aux étudiants à se connaître et à savoir où ils se situent en tant que cinéastes. Je l’ai fait à titre personnel. Je me suis rapidement posé la question de la distance que je devais avoir par rapport à ces jeunes. J’ai travaillé en tant qu’assistant réalisateur sur plusieurs publicités et quelques longs-métrages. Cette expérience m’a permis d’analyser ce que je ne voulais pas faire en tant que cinéaste. Je crois que c’est très important de savoir ce qu’on ne veut pas faire pour trouver son propre chemin ! J’ai pensé aux écueils et aux pièges que je voulais éviter. Nous avons tous une morale qui nous fait voir la réalité sous un prisme ou un autre, mais l’art offre d’autres perspectives. Ce qui brille dans une œuvre n’est pas la voix de l’auteur, mais toutes les questions qui restent sans réponse. J’ai l’intuition que l’art est surtout lié aux questions et moins aux réponses. Je réfléchis toujours à la position de l’auteur et à ses devoirs. El Edén m’a permis de trouver une première approche pour m’exprimer. Même si je suis content du travail que j’ai accompli sur ce front avec L’Éden je dirais que ma quête ne fait que commencer.

• On sent dans votre cinéma que la vérité est très importante pour vous.
Le cinéma qui m’intéresse est celui qui fait abstraction de la réalité et du naturalisme. Mais Je ressens l’envie d’extraire une vérité des paysages, des personnages et des éléments qui m’intéressent afin de créer de la fiction. Je ne prétends pas transmettre la réalité telle qu’elle est. Les personnages de mes films ne sont pas comme on les voit. Ce qu’on voit est seulement une partie de ce qu’ils sont. Le travail avec les acteurs m’intéresse énormément. Je n’ai pas envie qu’ils se comportent dans le film de la même manière que dans la vie réelle. Je cherche à bâtir des frontières dans lesquelles ils puissent évoluer. Et ces frontières deviennent l’espace qui permet au film de naitre.

• Comment choisissez-vous vos acteurs ?
Je tente de rester ouvert à toutes les rencontres, je vois beaucoup de monde et nombre d’entre eux finissent par participer à mes films. J’aime bien me promener dans la rue afin de repérer les futurs visages de mes films. Je suis à la recherche d’une réciprocité, d’un désir de partage. Je crois que certaines personnes ont une lumière spéciale et je ressens l’envie de les filmer. Mon équipe de casting et moi avons eu des évidences bien sûr, mais nous voulions aussi aller au-delà de nos « zones de confort ». Pour L’Éden, nous cherchions des garçons avec des personnalités captivantes, mais je tenais aussi à repérer des garçons plus timides. Ils peuvent cacher une vérité extraordinaire.

• Vous diriez que Jhojan Estiven Jiménez, l’acteur qui interprète Eliú, fait partie de ces derniers ?
Absolument. Il a une lumière très spéciale. Je l’ai senti dès le début. On l’a rencontré près de la ville. Il était en train de nager dans une rivière. Ce qui m’intéresse particulièrement chez lui, c’est que son physique et même sa personnalité ne font pas partie de l’imaginaire qu’on a tendance à décrire quand on pense aux adolescents et à la violence. On dit souvent que les adolescents cherchent la violence parce qu’elle les attire. Jhojan Estiven est très casanier et plutôt taiseux. Je ressens en lui une violence refoulée imprimée dans son corps. Cette énergie convenait parfaitement au personnage d’Eliú puisque son histoire est celle d’une violence générationnelle.

• Pourriez-vous nous raconter comment s’est produite la rencontre avec les autres acteurs principaux ?
Je continuais à faire des repérages dans la rue quand j’ai vu passer ce qui m’a semblé être un groupe de trois enfants. L’un d’eux s’est approché de moi et je me suis aperçu que ce n’était pas un enfant. C’était un adolescent plutôt petit, très énergique et caractériel. Il s’agissait de Maicol Andrés Jiménez, que j’ai choisi pour jouer le rôle d’El Mono. Maicol Andrés est un acteur né. Il a été un complice exceptionnel pour moi pendant le tournage. Il était très vif et il m’a aidé à construire un climat de confiance avec tous les acteurs. Sa participation a été essentielle dans la réussite de l’ambiance du plateau. La participation de Diego Rincón, l’acteur qui joue le rôle de Godoy, a également été extraordinaire. Je l’ai rencontré il y a huit ans, dans un des ateliers de cinéma que j’organisais avec ma femme. Diego travaille en tant que surveillant dans un centre pour jeunes délinquants. Contrairement à son personnage de Godoy, Diego est très respecté par les jeunes et pas du tout abusif. Quant à Alvaro, il est incarné par Miguel Viera, un acteur professionnel. Miguel est un des seuls comédiens qui avait déjà eu une expérience en tant qu’acteur, il a notamment joué dans Les Oiseaux de passage (Ciro Guerra et Cristina Gallego, 2018).

• Le travail sur le son semble très minutieux, quand on voit vos images, on a toujours l’impression d’assister aux instants qui précédent le choc…
Oui, le son est essentiel pour moi ! On a voulu qu’il prenne son propre chemin, que la musique trouve son espace dans l’image… Il était important aussi que le mixage n’entrave pas l’émotion construite par le montage des images. À l’avenir, j’aimerais continuer à explorer cette voie.

• Vous avez l’air d’être un auteur intuitif. Même si votre projet est très délimité par l’écriture, on sent qu’il y a toujours une place pour l’imprévu.
Je ne suis pas arrivé au cinéma à travers la cinéphilie. Je crois que mon manque de formation cinéphile m’a finalement permis de me sentir plus libre quand j’ai dû faire des choix précis. Le tournage est un espace pour questionner le scénario. C’est important que le film évolue au même rythme que l’auteur. L’apparition de l’Invisible, par exemple, n’était pas dans la genèse de L’Éden. Mais j’ai voulu prendre ce risque. Un cinéaste est comme un stratège, il me semble. Il dispose d’une carte, mais cette carte ne représente pas forcément la réalité. Parfois, on est si amoureux de notre carte qu’on finit par oublier d’observer le territoire qui nous entoure. Je crois qu’il faut être conscient de la présence de ce territoire afin de permettre son existence. Même si la carte est très détaillée, il faut lever la tête. Sinon tu peux foncer dans l’arbre qui se trouve juste en face de toi !

• On voit à quel point c’est important pour vous de ne pas en dire trop. Vous faites confiance aux spectateurs et vous évitez de souligner ce que vous dites déjà dans vos images.
J’aime les films où tout est dit dans les images. Balthazar Lab, le chef opérateur, et moi nous sommes beaucoup interrogés sur l’endroit où nous poserions la caméra à chaque séquence. Ces décisions sont liées à notre observation de la vie. Cela nous a permis de tenter de voir ce qui se cache dans l’âme de nos personnages. La simplicité est ce qu’il y a de plus beau au cinéma, mais c’est si difficile d’y parvenir ! J’ai voulu explorer le hors-champ, mais pas seulement en ce qui concerne le cadre. J’aimerais que les spectateurs expérimentent la sensation d’être hors de l’espace et du temps. J’ai voulu trouver une manière de mettre en scène un hors-champ spatio-temporel. Idéalement, j’aimerais que mes images montrent quelque chose qu’on ressent, mais qu’on ne voit pas !

• Vous avez choisi de ne pas montrer de violence dans le film. Pourquoi ?
Pour moi, la violence est une entité qui cherche à  s’incarner en nous. Le type de violence que je souhaitais explorer dans le film n’était pas un fait concret ou un acte de violence explicite, j’ai plutôt essayé de créer un univers où la violence est insufflée et prend forme de différentes manières dans l’histoire. Même les personnages avec lesquels nous avons le plus d’empathie sont des vecteurs de la violence.

• Parlez-nous du personnage d’Alvaro.
Alvaro est une synthèse de notre condition humaine… Il incarne les pulsions que l’on aimerait ne pas avoir, mais qui nous hantent. Je dirais qu’Eliú aurait pu devenir comme Alvaro… Je suis croyant, mais je n’ai pas été conscient de ma croyance avant mon adolescence. Je crois à l’existence de l’âme, l’existence de l’esprit et l’existence de l’Invisible.

• Pensez-vous qu’il y a de l’espoir pour un garçon comme Eliú ?
J’aime l’idée que l’on peut « naître de nouveau », comme le dit Jésus à Nicodème quand il lui demande ce qu’il faut faire avant de devenir prophète. Il s’agit d’avoir l’opportunité de faire marche arrière et de prendre un nouveau chemin. Eliú représente tous les garçons que j’ai rencontrés. Ces jeunes peuvent être différents de leurs parents.

• Le personnage du frère d’Eliú est particulièrement intéressant.
On sait à quel point les parents ont marqué la vie de ces jeunes adolescents. Le frère d’Eliú voit que son frère essaye de changer, mais il ne comprend pas pourquoi. Pour lui, il faut que le cercle de la violence suive son cours. Les rues ne connaissent que la loi du plus fort. S’ils veulent devenir quelqu’un, ces jeunes doivent appartenir à un groupe violent, capable de défendre les intérêts de la communauté.

• Eliú et El Mono sont obligés de répondre de leur crime face à Tránsito, la veuve de Macías, et son neveu.
Absolument. El Mono reconnait avoir participé au meurtre, mais il ne le regrette pas. En revanche, Eliú se sent coupable. Du côté des victimes, le neveu est le reflet parfait de El Mono : « t’as tué mon oncle, mais je te tuerai pour venger sa mémoire ». La veuve vit une émotion beaucoup plus ambiguë. Je me demande quelle est l’émotion qui la traverse, mais je crois qu’elle est similaire à celle d’Eliú. Le chemin le plus évident est celui de la violence ; pardonner est bien plus douloureux.

• Diriez-vous que le parcours de vos personnages représente d’une certaine manière la tentative de réconciliation qui a lieu actuellement en Colombie ?
Bien sûr, j’ai voulu parler des profondes séquelles que la violence des années 80 et 90 a laissées dans la société colombienne. Il est indéniable que nous vivons sous un système social et étatique défaillant, marqué par l’abandon, la condamnation et l’égoïsme. Mais j’aimerais que le film puisse dialoguer avec chacun des spectateurs.

• Justement, quel est le pouvoir du cinéma ?
Le cinéma, et l’art en général, est un pont entre le monde visible et invisible, un pont entre ce que nous sommes maintenant et ce que nous pourrions devenir. C’est un lieu chargé du pouvoir de recréer et de redéfinir le monde qui nous entoure, plus fort que le système économique et politique qui est imposé de nos jours. C’est une fenêtre sur quelque chose qui n’est pas encore, c’est ainsi que le cinéma pourra faire la différence auprès des jeunes générations.

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