Une porte restée fermée pendant plus de 70 ans dans l’appartement d’une famille de Belgrade devient le point de départ d’une formidable chronique familiale, politique et historique. La famille est celle de la réalisatrice, incarnée par sa mère, la charismatique Srbijanka Turajlić, ancienne professeure universitaire et importante figure de l’opposition au régime des années 1990. Grâce aux conversations des deux femmes, à la fois profondes et drôles, on parcourt l’histoire mouvementée d’un pays, ses bouleversements et ses changements politiques. Il est souvent question d’engagement citoyen et des responsabilités portées par chaque génération – celles des protagonistes mais aussi celles des spectateurs. Grâce à la générosité du récit, on plonge dans une passionnante fresque dans laquelle la réalisatrice, telle une habile couturière cinématographique, arrive à assembler le personnel et le politique, et par ricochet, la petite et la grande histoire. Dans ce voyage à travers les époques et les idéaux, cette porte fermée se révèle être un magnifique prétexte pour explorer cette aventure humaine.
2018 – Etats généraux du film documentaire – Lussas (France)
2018 – DOK.FEST Internationales Dokumentarfilmfestival München – Munich (Allemagne) – Sélection officielle
2018 – Al Este Film Festival – Best Documentary (Jury Prize)
2018 – Mediterranean Film Festival – Grand Prix
2018 – Festival International du Film de La Rochelle – Première française
2018 – Festival International du Film de Nancy – Sélection officielle
Scénario, image, réalisation Mila Turajlić • Montage Sylvie Gadmer, Aleksandra Milovanović • Musique originale Jonathan Morali • Productrices Carine Chichkowsky – Mila Turajlić • Production Dribbling Pictures , Survivance, HBO Europe SOUTIENS Serbian Film Center – Ministry of Culture Republic of Serbia Cinémas du monde – Centre National du Cinéma et de l’Image animée – Ministère des affaires étrangères et du développement international – Institut Français ARTE WDR EURIMAGES Doha Film Institute – Post-production Grant CFI Canal France International – FIPA Award Moulin d’Andé – CECI, Centre des Ecritures Cinématographiques International program, in partnership with the CNC – DAEI Sarajevo Rough Cut Boutique / Balkan Documentary Center Rough Cut Service Développé dans le cadre d’EURODOC
Mila Turajlic
Née en 1979 à Belgrade (Serbie), Mila Turajlić est titulaire d’un doctorat en cinéma à l’université de Westminster. Diplômé également en sciences politiques et relations internationales à Londres, elle étudie la production cinématographique à Belgrade et la réalisation documentaire à La Fémis à Paris. Son premier long métrage documentaire, Cinema Komunisto (2011), se voit décerner seize prix à travers le monde. Elle contribue au lancement du Magnificent 7 Festival à Belgrade et est l’une des fondatrices de l’association des documentaristes de Serbie, DOKSerbia.
NOTES DE L’AUTEUR
Je suis née en 1979, j’avais 1 an quand Tito est mort et 11 ans quand Milošević est arrivé au pouvoir, 12 ans quand la guerre en ex-Yougoslavie a commencé, 16 quand elle s’est achevée, 20 ans quand l’OTAN nous a bombardés, 21 quand nous nous sommes finalement débarrassés de Milošević, 24 lorsque notre Premier Ministre a été assassiné, et aujourd’hui, à 39 ans, je veux parler de mon pays, d’un point de vue très personnel, et d’un point de départ très précis – l’endroit où je vis. Ma mère, la professeure et la politique L’Envers d’une histoire nous emmène dans le cadre d’une maison de famille, utilisant l’espace intérieur et la vie personnelle de ses habitants comme un moyen de projeter une nouvelle lumière sur les événements extérieurs. Les conversations avec ma mère sont l’épine dorsale du film, et bien que je ne sois pas visible dans le cadre, ma voix et mes remarques viennent contrebalancer ses propos. C’est un dialogue entre mère et fille, mais, également, entre deux adultes, chacune à une étape différente de sa vie. Ma mère, professeure en ingénierie électrique, est devenue une figure publique durant les guerres civiles des années 1990 en tant que voix critique se levant contre le régime de Slobodan Milošević. Elle fut une membre active du mouvement Résistance, et fut renvoyée de l’Université de Belgrade à cause de son franc-parler. Après la révolution qui renversa le régime de Milošević, elle devint secrétaire d’Etat pour le premier gouvernement démocratique. J’ai passé mon enfance à la suivre dans des rassemblements politiques et j’ai étudié les sciences politiques en pensant que je serais aussi engagée qu’elle dans la lutte pour l’avenir de mon pays. En voyant l’échec de la transition démocratique, j’ai perdu toute confiance dans l’engagement politique et j’ai décidé de quitter le pays. Alors que notre conversation évolue, il y a des désaccords, des souvenirs différents d’événements, des choses qu’elle aurait préféré que je ne demande pas. Je lui parle pendant qu’elle fait des tâches ménagères, allant au-delà de la personnalité de l’activiste pour révéler aussi une femme au foyer et une mère, préparant un gâteau ou en train de nettoyer l’argenterie de la famille. La caméra s’attarde sur ces objets de famille, objets transmis de génération en génération, et le patrimoine matériel se transforme en histoire d’un héritage moral.
Au centre du film et de Belgrade : un appartement divisé
L’appartement devient un personnage à part entière à mesure que le
politique envahit cet espace personnel. Mon arrière-grand-père a
construit le bâtiment dans lequel nous vivons dans les années 1920,
lorsqu’il était Ministre de la Justice du Royaume de Yougoslavie. Au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les communistes ont nationalisé
la maison. Ils ont divisé notre appartement en espaces de vie pour 4
familles, et ont fermé à clef une série de portes dans le salon. 70 ans
plus tard, ces portes restent verrouillées, faisant de ma maison
d’enfance une véritable ligne de front politique, marquant littéralement
les divisions de la Serbie. Je choisis de me concentrer sur cet espace,
à travers le changement des saisons, les fêtes familiales de vacances,
et de collecter de petites histoires individuelles de joie domestique et
de tragédie à partir desquelles l’histoire d’une nation va émerger.
Afin de contraster avec cette « vue intérieure », j’ai filmé depuis les
fenêtres de l’appartement pendant près de 10 ans. Notre maison se trouve
dans le centre politique de Belgrade – de l’autre côté de la rue se
trouvent le ministère de la Défense qui a été bombardé en 1999, la Cour
suprême et l’ambassade britannique. J’ai filmé des protestations devant
le tribunal, des gens faisant la queue pour des visas, des cordons de
police et des gens qui se disputaient, et ces petits aperçus de vie dans
la rue donnent un avant-goût des événements qui se déroulent en Serbie
aujourd’hui. Pourquoi filmer à partir de là ? Parce que j’ai eu le
privilège de grandir en observant la Serbie à travers les croyances et
les actions d’une femme qui pensait qu’il était de sa responsabilité de
faire entendre ce qui se passait ici. Parce que ma mère et moi avons
toujours partagé ce langage de la politique – elle était une leader
étudiante en 1968, tout comme moi dans les années 90. Parce que ma
maison familiale était le lieu de rassemblement pour des discussions
intellectuelles, des réunions militantes, et souvent juste un refuge
contre la folie qui se déroulait à l’extérieur. Parce que cette maison
est au centre de Belgrade et de ce qui se passe en Serbie aujourd’hui.
Parce que plus je regarde les portes verrouillées de notre salon
auxquelles j’ai été confrontée toute ma vie, plus je me rends compte à
quel point la Serbie peut être comprise en parlant d’espaces divisés.
Entre ceux qui cherchent à réécrire le passé et ceux qui tentent de le
reconnaître. Et une façon de comprendre la vie de ma mère et ses
tentatives pour combler ce fossé.
Une histoire exhumée
J’ai cherché à restituer le passé à partir d’images d’archives et de
souvenirs de ma mère et d’en faire commentaire personnel sur sept
décennies d’histoire mouvementée. Les archives de guerres dans les
Balkans des années 90 sont fortes et puissamment dérangeantes, et le
film les utilise avec parcimonie. Au contraire, il se concentre sur les
voix de la raison qui n’ont pas été entendues. Les archives soulignent
qu’à chaque étape de la montée du nationalisme, de l’éclatement de la
guerre, de la répression brutale du régime et même de l’euphorie de la
révolution, il y a eu des voix de la raison, qui se trouvèrent noyées
dans l’hystérie. En retraçant l’histoire oubliée de la résistance
pendant les années Milošević, la recherche d’archives nous a plongés
dans des collections VHS personnelles, récupérant ainsi des images qui
avait disparues depuis. À travers les observations de ma mère, les
allées et venues quotidiennes dans l’appartement, les images de vie dans
la rue comme celles vues depuis les fenêtres, avec l’utilisation
contrastée d’archives de reportages TV « officiels », j’ai la volonté de
montrer une Serbie rarement vue dans les médias, celle où les gens sont
sincères à propos de leur vie et essayent de créer une identité au-delà
de celle des divisions politiques. En montrant les vérités vécues de
ceux dont la vie personnelle a été façonnée par des événements
politiques, il émerge de L’Envers d’une histoire un récit dans lequel
tout le monde est à la merci des grandes marées de l’histoire, et
pourtant, avec le pouvoir de prendre son destin entre ses propres mains.
Un défi pour la prochaine génération.