Film soutenu

Les Échos du passé

Mascha Schilinski

Distribution : Diaphana

Date de sortie : 07/01/2026

Allemagne | 2025 | 2h29

Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l’Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.

Festival de Cannes 2025, Prix du Jury (ex-æquo)

Avec Avec Hanna Heckt, Lena Urzendowsky, Susanne Wuest, Lea Drinda, Laeni Geiseler, Greta Krämer, Florian Geißelmann, Luise Heyer, Luzia Oppermann, Filip Schnack, Konstantin Lindhorst, Claudia Geisler-Bading

Un film de Mascha Schilinski • Un scénario de Mascha Schilinski et Louise Peter • Production Studio Zentral • Co-production ZDF – Das Kleine Fernsehspiel • Distributeur France Diaphana • Ventes internationales Mk2 Films

Mascha Schilinski

Mascha Schilinski est la réalisatrice de Dark Blue Girl, sélectionné au Festival de Berlin, en 2017, et de Sound of Falling, sélectionné au Festival de Cannes en 2025.

FILMOGRAPHIE

2025 – Les Échos du passé
2017Dark Blue Girl

Entretien avec Mascha Schilinski

Votre nouveau film SOUND OF FALLING suit quatre personnages féminins à travers une période de cent ans, avec un casting important dans chaque épisode. Comment avez-vous abordé ce défi en tant que scénariste ?

J’ai développé le film avec ma coscénariste Louise Peter. Nous avons passé un été dans la ferme de l’Altmark où se déroule SOUND OF FALLING. À l’origine, nous souhaitions chacune écrire une histoire distincte. Mais en discutant, souvent le soir, parfois en buvant du vin, nous avons commencé à nous interroger : qui avait vécu ici ? Quelles vies avaient traversé ces murs ? Rapidement, il est apparu que toute tentative de construire un récit structuré, un « plot », échouait. C’était comme si le lieu lui-même résistait à une narration classique.

J’ai alors commencé à écrire des images, des fragments de scènes, des sensations. Nous avons ensuite cherché comment relier ces éléments épars, et c’est ainsi que nos personnages ont vu le jour. La ferme, restée vide pendant 50 ans, nous permettait presque de « traverser » le passé. Il était encore possible de voir l’endroit exact où un fermier avait posé sa cuillère pour la dernière fois. Tout semblait suspendu. Puis, nous avons découvert une vieille photographie représentant trois femmes debout dans la ferme, fixant l’objectif. Nous nous sommes senties interpellées, comme si elles brisaient le quatrième mur. Ce moment nous a profondément marquées : l’atmosphère du film s’est alors imposée à nous.
Nous voulions explorer la simultanéité des temporalités – ce moment où, dans un même lieu, une personne vit une expérience banale tandis qu’une autre traverse quelque chose d’essentiel, d’existentiel.
Au fil de nos recherches, nous avons été frappées par l’absence de point de vue féminin dans les archives historiques. Quelques récits d’enfance faisaient parfois mention de choses étonnantes, comme cette idée que les servantes devaient être choisies de manière à ne pas représenter de danger pour les hommes. Il y avait beaucoup de silences, de zones d’ombre, d’éléments relégués en notes marginales.
C’est précisément dans ces blancs que nous avons cherché à faire émerger des vérités, à travers nos personnages.

L’un des thèmes centraux du film est la violence – physique et psychologique – souvent exercée contre les femmes. Comment avez-vous traité cette question ?

Nos recherches nous ont menées à de nombreux témoignages indirects sur les mauvais traitements subis par les servantes. Très peu d’entre elles ont pu témoigner en leur nom, car elles n’avaient souvent pas accès à l’écriture. L’une des rares citations que nous avons retrouvées nous a bouleversées : une servante, regardant sa vie en arrière, disait simplement : « J’ai en fait vécu absolument en vain. » Nous avons longuement réfléchi à ce que pouvait signifier une phrase aussi terrible aujourd’hui, et à la manière dont les traumatismes vécus par certaines femmes pouvaient encore résonner à travers les générations.

Trudi, l’un de nos personnages, n’avait à l’époque d’autre choix que de survivre. Et encore aujourd’hui, nombreux sont ceux – et pas uniquement des femmes – pour qui le quotidien se résume à survivre, faute de pouvoir réellement vivre. Cela nous a menées à nous interroger sur la transmission des traumatismes : comment ces blessures invisibles se perpétuent-elles ? Dans le film, ce sont souvent de légers tremblements, de petits gestes, un regard qui trahit un souvenir enfoui – comme chez Lenka.
Nous nous sommes également intéressées à des phénomènes plus subtils : pourquoi le corps nous échappe-t-il parfois ? Pourquoi trahit-il des émotions que l’on voudrait cacher ? Il y a cette scène dans le film où l’on évoque la rougeur : pourquoi rougit-on, alors même qu’on cherche à cacher sa honte ? Pourquoi le corps rend-il visible ce que l’on voudrait garder secret ?

Les images du film oscillent entre la beauté lumineuse de la campagne et des événements tragiques. Quel a été votre parti pris esthétique, et comment l’avez-vous mis en oeoeuvre avec votre chef opérateur et vos équipes ?

Dès le départ, il était clair pour moi que SOUND OF FALLING devait aussi parler de la mémoire – de son fonctionnement, de ses mécanismes. Je me suis rendu compte que mes propres souvenirs sont souvent corporels. Parfois, j’ai l’impression de me regarder de l’extérieur, comme si un fragment de mémoire m’échappait. Cela m’a amenée à vouloir filmer à travers des points de vue très subjectifs, parfois disjoints, comme si les personnages se regardaient eux-mêmes depuis une autre époque.

Avec Fabian Gamper, notre directeur de la photographie, nous avons cherché longtemps comment traduire cela visuellement. La caméra devient presque un personnage à part entière, une présence dont on ne sait jamais vraiment à qui elle appartient. Elle capte quelque chose d’extérieur que les personnages perçoivent soudainement – comme s’ils sentaient qu’ils étaient observés.

Nous voulions des images d’une grande limpidité. Francesca Woodman a été une source d’inspiration importante : ses photographies de corps flous, presque fantomatiques, dégagent une atmosphère flottante qui m’a toujours fascinée. Il était également essentiel pour moi d’évoquer ce voile qui s’installe avec le temps sur les souvenirs. Techniquement, cela nous a amenés à expérimenter. Nous avons utilisé différentes optiques, beaucoup travaillé avec la steadycam, parfois même avec un sténopé pour accentuer les sensations d’étrangeté et de dissociation. La caméra devient alors une extension des corps.

Le film semble ancré dans un lieu et une histoire spécifique à l’Allemagne, mais aborde des thèmes très universels. Comment avez-vous trouvé cet équilibre ?

Il aurait été possible de raconter cette histoire ailleurs. Certains éléments du quotidien auraient été différents, bien sûr. Mais le regard subjectif, celui des femmes et des jeunes filles qui observent silencieusement le monde autour d’elles, aurait pu exister n’importe où.
Nous avons tenté de capter ce que les gens ressentent lorsqu’ils ne disposent pas encore des mots pour le dire. Je pense que l’on ne se souvient pas tant des phrases que des émotions. C’est cette mémoire sensible qui nous a conduites à limiter au maximum les dialogues.

Dans le film, les narratrices sont généralement vos quatre protagonistes, mais il arrive que la perspective semble plus flflottante, non attribuée. Pourquoi ce choix ?

C’est lié à ma conception de la mémoire. Les souvenirs sont instables, sujets au temps. Et pourtant, une sorte d’essence demeure, un noyau auquel on tente d’accéder sans jamais l’atteindre complètement. Certains souvenirs ont été refoulés ou ont glissé dans l’inconscient. L’incertitude est toujours présente pour moi.
Peut-on vraiment affirmer qu’un événement s’est passé tel qu’on le croit ? Où commence le rêve, où finit la réalité ?

Comment vos personnages cherchent-ils à donner du sens à leur monde à travers les différentes époques ?

Mes personnages évoluent dans leur quotidien, qu’ils décrivent souvent de manière très sobre, presque pragmatique – y compris lorsqu’il s’agit de faits que l’on trouve aujourd’hui cruels ou absurdes. Pour eux, il faut simplement ferrer un cheval, stériliser une servante, attacher la bouche d’une grand-mère morte pour éviter que les mouches n’y pénètrent.
Et pourtant, à travers cette apparente normalité, ils tentent, chacun à leur manière, de comprendre ce qui les entoure. Tous partagent un même désir : celui de pouvoir exister dans le monde sans être constamment précédés par une histoire, un poids. C’est un désir que je connais bien, que je partage avec eux.

Comment avez-vous concrètement abordé la réalisation d’un projet aussi ambitieux ?

Le tournage a été un défi majeur. Malgré le soutien précieux de nos partenaires, nous disposions d’un budget restreint, typique d’un premier long métrage. Cela nous laissait 34 jours de tournage – peu pour un film de deux heures et demie, avec de nombreux enfants à l’écran. Il a donc fallu tout planifier avec une extrême précision. Nous n’avions ni jours de réserve, ni solutions météo – et il a plu presque sans interruption.
Chaque époque nécessitait une transformation complète du plateau, à l’intérieur même de cette vraie ferme. Il était donc très difficile de refaire des prises.
Heureusement, le village dans lequel nous avons tourné nous a offert un soutien inestimable. On peut vraiment dire que ce film est né grâce à eux. Les habitants ont ouvert leurs granges, prêté des objets anciens, partagé leurs histoires.
Les contraintes nous ont aussi forcés à une grande concentration. Chaque membre de l’équipe savait que nous n’avions souvent que deux prises. Cela a créé une tension positive sur le plateau.
Finalement, je n’ai pas ressenti le manque de répétitions. J’ai pu, et dû, faire confiance à mon intuition. Malgré les difficultés, je garde un souvenir très fort de cette expérience. Je suis profondément reconnaissante envers toute l’équipe.