Après la mort de ses deux enfants, la danseuse mythique Isadora Duncan a composé un solo d’adieu intitulé « La Mère ».
Un siècle plus tard, quatre femmes font la rencontre de cette danse bouleversante.
Festival du film de Locarno – Compétition Internationale – Prix de la mise en scène
Jeonju Cinema Project
Avec : Agathe Bonitzer, Manon Carpentier, Marika Rizzi, Elsa Wolliaston
Réalisation Damien Manivel • Scénario Damien Manivel, Julien Dieudonné • Image Noé Bach • Monteur Dounia Sichov • Son Jérôme Petit • Mixage Simon Apostolou • Production Martin Bertier, Damien Manivel • Un film produit par MLD films En co-production avec JeonJu Film Festival, en association avec Arte/Cofinova 15, avec le soutien de la Région Ile-de-France, avec la participation du Centre national du cinéma et de l’image animée
Damien Manivel
Damien Manivel débute sa carrière en tant que danseur avant de se tourner vers le cinéma. Après des études au Fresnoy, il réalise plusieurs courts-métrages remarqués dont La Dame au chien récompensé du Prix Jean Vigo. Depuis 2014, il a produit et réalisé quatre longs-métrages présentés dans des festivals majeurs (Cannes, Locarno, Venise, San Sebastian…). Avec Les Enfants d’Isadora sélectionné en compétition internationale au festival de Locarno, Damien Manivel réalise son premier film sur la danse.
Filmographie
2018 LES ENFANTS D’ISADORA
Festival du film de Locarno – Compétition Internationale – Prix de la mise en scène
Jeonju Cinema Project
2017 TAKARA – LA NUIT OÙ J’AI NAGÉ, co-réalisé avec Kohei Igarashi
Mostra de Venise – compétition Orizzonti – Festival de San Sebastian – Zabaltegi Tabakalera…
2016 LE PARC
Festival de Cannes – programmation ACID
2014 UN JEUNE POÈTE
Festival Du Film De Locarno – Cinéastes du Présent – Prix spécial du jury…
2012 UN DIMANCHE MATIN (court métrage)
Festival de Cannes – Semaine Internationale de la Critique – Prix Nikon du Court-Metrage…
2010 LA DAME AU CHIEN (court métrage)
Prix Jean Vigo, Festival de Cannes – programmation ACID, Festival du film de Clermont-Ferrand
Prix Spécial du Jury, Festival du film de Vendôme – Grand Prix, Festival Premiers Plans d’Angers
Grand Prix et Prix d’Interprétation, Festival Côté Court de Pantin – Prix de la Résidence,
Prix jeunesse et Mention Spéciale du Jury Presse, Festival du film de Breda – Grand Prix…
2008 SOIS SAGE Ô MA DOULEUR (court métrage)
Festival du film de Belfort, Festival Côté Court de Pantin…
2007 VIRIL (court métrage)
Festival du film de Locarno, Festival du film de Rotterdam, Festival Côté Court de Pantin, Festival Premiers Plans d’Angers
INVITATION DU PROGRAMMATEUR
Conçu comme trois variations sur quelques mots d’Isadora Duncan, le film de Damien Manivel décrit l’approche par quatre femmes du geste de bercement au cœur d’un solo imaginé par la danseuse américaine. Danseur lui-même, et alors que ses précédents films témoignaient déjà d’une approche subtile des corps, le cinéaste nous convie à faire l’expérience du sensible en appréhendant le geste dansé de chacune d’entre elles comme l’esquisse de toute chose : là où il n’est encore qu’un projet (« ce qui est mis en avant ») ; là où il se transmet et où sa qualité et son expression sont sans cesse en devenir ; là où il bouleverse durablement en rendant possible un mouvement qui semblait éteint. Au-delà de l’émotion qui pointe dans des plans simples mais si bien dessinés, la beauté du film réside dans la délicatesse avec laquelle il recueille, embrasse et relie (de la page blanche d’un studio à l’obscurité de la salle de spectacle, en passant par le roulement des vagues) trois façons d’intérioriser les mots de Duncan dans le silence d’une grande conscience de soi. Trois fois bercée, chacune de ces Enfants d’Isadora peut s’attacher à trouver patiemment sous nos yeux son propre geste, car « la danse n’appartient à personne ».
Damien Truchot – Cinéma L’ARCHIPEL – Paris
QUATRE QUESTIONS À DAMIEN MANIVEL
Vous-même danseur avant d’avoir été cinéaste, vous n’aviez
encore jamais directement consacré un film à la danse : pourquoi ?
Qu’est-ce qui vous y a poussé aujourd’hui ?
Ça a toujours été dans ma tête, mais je ne me sentais pas prêt. C’est
un sujet qui m’est cher et ça m’a pris du temps pour trouver la bonne
approche. J’ai commencé par faire des films où la danse est présente de
façon souterraine, en observant les gestes de mes acteurs avec la même
attention que s’ils dansaient. Et puis, il y a eu la rencontre d’Isadora
Duncan qui a déclenché ce nouveau film. Nous avons commencé par faire
des essais avec Agathe Bonitzer et une amie chorégraphe, Aurélie
Berland. Un jour, au cours d’une improvisation, Agathe a fait un geste
très lent, comme un adieu, bras tendu. Aurélie s’est tournée vers moi et
m’a dit que ce geste lui rappelait le solo « La Mère » d’Isadora
Duncan. Elle m’a alors appris la mort tragique de ses deux enfants d’où
cette danse tire son origine et j’ai écouté la musique de Scriabine qui
m’a touché. J’ai tout de suite compris que j’avais trouvé là le point
d’ancrage, la source à partir de laquelle je pourrais construire un
récit à la fois personnel et ample. Avec mon co-scénariste Julien
Dieudonné, nous avons librement adapté en film, un siècle plus tard, ce
solo « La Mère ».
Plutôt qu’un personnage, c’est la danse elle-même qui est
votre fil conducteur à travers la succession surprenante de quatre
personnages. Comment vous est venue l’idée d’une telle continuité
brisée, et comment la structure narrative vous est-elle apparue ?
Il n’existe ni film d’époque, ni photographie d’Isadora Duncan qui
danse ce solo. Tel un récit légendaire, il s’est transmis grâce aux
disciples de Duncan qui en ont gardé la mémoire et le seul élément qui
subsiste aujourd’hui est une partition écrite en notation Laban. C’est
une danse qui porte en elle une émotion très ancienne, qui remonte à mon
avis bien avant l’époque d’Isadora Duncan. Il y est question de la
tragédie de la perte, de lamentation et du pouvoir consolatoire de
l’art. J’ai alors pensé à une structure en trois temps, qui tel un
mouvement centrifuge, partirait de la redécouverte de ce solo jusqu’à
son déploiement final. Le récit démarre naturellement par une jeune
danseuse qui déchiffre cette partition et découvre peu à peu ces gestes
qui la bouleversent. Il m’a alors semblé nécessaire que cette danse
traverse des corps différents et porteurs d’autres histoires. J’ai eu
envie de donner à voir ce qui se joue dans une authentique situation de
transmission du solo entre une chorégraphe, Marika Rizzi, et une jeune
danseuse trisomique, Manon Carpentier. Et puis enfin, de nous placer du
point de vue d’une spectatrice, une vieille dame qui assiste à une
représentation, interprétée par Elsa Wolliaston. Sur le chemin du
retour, comment l’émotion de ces gestes continue à vivre en elle ? La
suite appartient aux spectateurs qui verront le film.
Que représente pour vous, danseur ou cinéaste, l’histoire et
l’art d’Isadora Duncan, et pourquoi avoir choisi de lui donner
métaphoriquement des enfants ?
Il y a une démesure chez Isadora Duncan, quelque chose de plus grand
que nature, une exigence artistique folle et en même temps une
injonction constante à être toujours plus libre. Comme le dit Marika
dans le film : « Tu dois trouver ta propre danse ». Il faut travailler
avec ce paradoxe apparent : traiter son art avec toute l’admiration
qu’il suscite, mais avoir une vision personnelle. Assez vite, par
exemple, il m’est apparu qu’il fallait éviter toute mimique – il ne
s’agit pas ici de danser comme Duncan le faisait en 1921, en portant
d’amples tuniques grecques – mais d’observer concrètement cette danse
qui, comme en surimpression, se déploie dans des corps contemporains.
D’autre part, ma finalité étant le cinéma, je ne filme jamais le solo
comme une forme achevée mais comme une danse en travail, à l’état
d’esquisse, comme un croquis de gestes qui apparaissent sur l’écran nous
dévoilant l’intériorité de ces femmes et le rapport que chacune
entretient au sentiment maternel. Après la perte de ses enfants, Isadora
n’a eu de cesse d’essayer de fonder son école, c’était le grand rêve de
sa vie. Avec ce film, j’essaye par l’imaginaire de poursuivre cette
filiation.
Tout votre travail, et ce dernier film d’une manière plus
accentuée encore, semble tendu vers la recherche d’une manière d’allier
l’émotion et l’économie formelle. De quelle manière la connaissance de
la danse a-t-elle construit votre approche de la mise en scène ?
Je garde de la danse la passion du mouvement, le goût du détail et une
émotion très particulière qui ne se laisse pas enfermer par le sens,
comme une note tenue, profonde… que j’essaye de retrouver dans chacun
de mes films. J’en garde également une défiance vis-à-vis du
spectaculaire et des effets en tous genres. La danse m’a aussi permis de
me lancer dans le cinéma sans trop d’inhibition, avec légèreté même, et
lorsque je suis sur le plateau avec l’équipe et les acteurs, les
moments que je préfère sont ceux où j’ai la sensation que nous sommes en
répétition, comme dans un théâtre, que rien n’est figé et que tout peut
nous arriver. Je ne fais pas ce qu’on appelle de la direction d’acteur,
mais je m’adapte au rythme de chacune, à leur façon d’être et de se
mouvoir. Le soir, avec mes collaborateurs, nous réécrivons les scènes
pour le lendemain. Tout cela influence la forme du film et je l’accepte,
c’est bien comme ça. C’est une méthode de travail qui demande de la
patience et qui n’a rien de confortable mais si nous avons le courage de
nous laisser surprendre, alors le film apparaît. Comme l’autre face du
miroir, le cinéma m’a appris à être concret, à toujours filmer ce qui
m’entoure au premier degré et à raconter des histoires avec une
grammaire simple. Ce sont deux arts très éloignés mais il est
passionnant de les mêler.
Entretien réalisé par Antoine Thirion – Juillet 2019