Adapté d’un roman de Leah Hager Cohen salué par la critique américaine, LES SECRETS DES AUTRES raconte l’histoire d’une famille hantée par un décès tragique. Une visite inattendue va à la fois rouvrir des blessures enfouies et offrir une voie de sortie à ce deuil irrésolu.
Sélection ACID Cannes 2015
South by Southwest, Austin, 2015
Bam CinemaFest, New York, 2015
Festival de la Rochelle, 2015
Avec : Wendy Moniz, Trevor St. John, Oona Laurence, Jeremy Shinder, Sonya Harum, Mike Faist, Rachel Dratch, Chris Conroy
Scénario : Patrick Wang • Image : Frank Barrera • Son : Johnny Marshall • Montage : Elwaldo Baptiste • Musique : Aaron Jordan, Anniversaire, Andy Wagner
Patrick Wang
Filmographie
2011 In the Family
2015 Les secrets des autres
2017 A Bread Factory partie 1 – Ce qui nous unit
2017 A Bread Factory partie 2 – Un coin de Paradis
PATRICK WANG, OEIL POUR DEUIL
Publié le 21 mai 2015
C’est avec un ravissement ébloui que l’on découvrait à l’Association du
cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid) le second film endeuillé du
trop discret cinéaste américain d’origine taïwanaise Patrick Wang. Il y
est question du décès d’un nouveau-né des suites d’une déformation
cérébrale, dont le premier plan aveuglant du récit pourrait être le
point de vue au seuil de la mort. Cette onde de choc se répercute au
cours des mois suivant sur les parents, John et Ricky, couple de quadras
occupant dans l’Etat de New York la maison familiale avec leurs deux
enfants, Biscuit, abonnée à l’école buissonnière, et un teenager dodu,
Paul, chahuté au collège. Jess, fille d’un premier mariage de John,
rejoint la maisonnée, et l’annonce de sa grossesse catalyse des émois
refoulés.
Aveuglette. Dans cette somptueuse composition d’ensemble à la dérive, «
chaque personnage garde son secret », confirmait le cinéaste à l’issue
de la projection. Sorti à l’automne dernier mais terminé en 2011, le
premier film de ce Texan exilé à New York, In the Family, narrait déjà
en près de trois heures la disparition d’un conjoint au sein d’un couple
gay et la bataille du compagnon survivant pour la garde de leur enfant.
A la mesure de son très beau titre, The Grief of Others (« la peine des autres ») pourrait aussi bien à la Chambre du fils
de Nanni Moretti. Confectionné à l’issu de deux mois de répétitions et
d’un tournage express en deux semaines seulement, le film à été tourné
dans un Super 16 délavé par le chef opérateur Frank Barrera, et ce sans
retour sur moniteur, c’est-à-dire quasiment à l’aveuglette et sans
informer les comédiens du cadre, que ceux-ci traversent et débordent
allègrement.
Echos. « Je ne me pose pas la question de ce qui se fait, de ce qui est
ou non professionnel », reconnait Patrick Wang avec candeur. « Un
personnage entre dans le champ et se révèle » résume-t-il, ajoutant que «
c’est l’enjeu principal du cinéma, que regarde-t-on, quel est l’espace
entre les corps ? »
Une délicate liberté est laissée aux visages et aux êtres d’évoluer
dans le cadre et de venir l’habiter. Ce faisant, la tension plastique
créée par ces longs plans-séquences installe ce drame familiale dans la
durée.
Cette adaptation d’un roman éponyme de Leah Hager Cohen s’agrège dans
un espace psychologique dont le film vient épouser la forme et auquel il
adjoint plusieurs niveaux de lecture. Sa narration diffractée se
répercute dans tout un système d’échos et de superpositions de voix
franchement osé.
The Grief of Others vient logiquement se nicher dans le corpus du
cinéma indépendant dit « mumblecore » (de Joe Swanberg à Matt
Porterfield), lui-même sous haut patronage Cassavetes. Ses images qui
convergent vers un dernier plan réconciliateur assez sidérant confirment
ce cinéaste de premier plan, qui devrait être incessamment promu en
bonne place dans les sélections de plus en plus prestigieuses.
Clémence Gallot – LIBERATION
LES SECRETS DES AUTRES – LE CHAGRIN SANS LA PITIÉ
Publié le 22 juin 2015
Ce portrait d’une famille fragilisée confirme la personnalité d’un
cinéaste inspiré, qui a présenté ce second long métrage à la section
ACID de Cannes 2015.
Notre avis : Adaptation d’un roman de Leah Hager Cohen très apprécié de la presse américaine, Les Secrets des autres est le second long métrage de Patrick Wang, réalisateur d’origine taïwanaise, auteur de In the Family (2011).
Le film, comme le livre, s’attache à décrire une famille en phase de
décomposition à la suite d’un deuil. Les parents, John (Trevor St. John)
et Ricky (Wendy Monitz), ne se sont pas remis de la mort de leur bébé,
qui avait vu le jour avec une grave malformation. Ils tentent tant bien
que mal de surmonter le drame en compagnie de leurs autres enfants :
Paul est un pré-ado pétulant et obèse, victime de moqueries, tandis que
sa sœur Biscuit est adepte de l’école buissonnière. L’irruption de Jess,
la demi-sœur issue d’un précédent mariage de John, va être le
catalyseur de l’expression de blessures profondes. Car la jeune femme
est enceinte et s’installe pour une durée non déterminée chez ses
parents. En dépit des apparences, Les Secrets des autres n’est
en rien un mélo ou un psychodrame. Le cinéaste évite avec subtilité le
pathos et les lourdeurs explicatives en signant une œuvre en
demi-teinte.
La caméra butine de l’un à l’autre des personnages, au gré de séquences sans véritable linéarité, qui reconstituent progressivement les éléments dramatiques du scénario. On est donc loin de la démarche plus introspective d’un Nanni Moretti dans La chambre du fils, auquel l’intrigue fait inévitablement penser. Brisant la cohérence temporelle, créant des digressions qui s’avèrent des fausses pistes, introduisant des personnages secondaires qui s’incrustent dans le champ, Patrick Wang arrive à déjouer les attentes et se montre véritable cinéaste d’atmosphère. Plus qu’à Cassavetes, auquel certains l’ont comparé, on songe à tout un courant du cinéma asiatique, de Naruse et Ozu à Kore-Eda, mais aussi à l’univers mélancolique de Tchékhov. Ce cinéma qui n’hésite pas à installer de longs plans séquences pour créer une promiscuité avec une famille en désespérance pourra paraître toutefois un brin poseur pour qui n’adhérera pas au dispositif. Mais ce film tourné en quinze jours avec un Super 16 est artisanal dans le meilleur sens du terme, et son réalisateur s’impose comme une personnalité marquante d’un cinéma indépendant américain sans artifices ni concessions.
Gérard Crespo – A VOIR A LIRE / En collaboration avec le site CINEMASMAG : http://www.avoir-alire.com/the-grief-of-others-la-critique-du-film