L'étage du dessous de Radu Muntean
Film soutenu

L’étage du dessous

Radu Muntean

Distribution : Epicentre Films

Date de sortie : 11/11/2015

2015 - France / Roumanie / Allemagne / Suède - 93 min

En rentrant chez lui, Pătrașcu perçoit derrière une porte au deuxième étage de son immeuble les bruits d’une violente dispute amoureuse. Quelques heures plus tard le corps d’une femme est découvert. Ses soupçons se portent sur Vali, le voisin du premier. Et pourtant Pătrașcu ne se rend pas à la police… même lorsque Vali commence à s’immiscer dans sa vie et dans sa famille.

Un Certain regard – Festival de Cannes 2015

Avec : Teodor Corban Sandu Pătrașcu • Iulian Postelnicu Vali Dima • Oxana Moravec  Olga Pătrașcu • Ionuț Bora Matei Pătrașcu • Ioana Flora Claudia Dima • Tatiana Iekel Doamna Pătrașcu • Adrian Vancica Manescu • Vlad Ivanov  Sorin • Mihaela Sarbu Denisa • Constantin Draganescu Dan • Maria Popistasu Laura/Raluca • Adina Lucaciu Aurelia • Mara Vilcu. Mara • Alexandru Georgescu Bardeanu

Réalisation Radu Muntean • Scénario Razvan Radulescu, Alexandru Baciu, Radu Muntean • Chef opérateur Tudor Lucaciu • Ingénieur son Andre Rigaut • Décors Sorin Dima • Musique Cristian Stefanescu Electric Brother • Montage Alexandru Radu • Producteur exécutif Oana Kelemen • Producteurs Dragos Vilcu, François d’Artemare
Alexander Ris, Anna Croneman

Radu Muntean

Né en 1971 à Bucarest, Radu Muntean est diplômé en Réalisation à l’Université de Théâtre et de Cinéma. Depuis 1996, il réalise plus de 600 publicités pour des agences de renom qui raflent tous les prix dans des festivals nationaux et
internationaux de films publicitaires. En 1999, il rejoint le département Réalisation de l’Université où il a étudié.
Son premier long-métrage, Rage, a été présenté dans plusieurs festivals internationaux. Le film remporte le prix du meilleur premier film de l’Union des Cinéastes Roumains et le prix de la meilleure photographie (par Vivi Dragan Vasile) au TIFF (Toronto) en 2003.
Son deuxième film Le papier sera bleu (2006) est diffusé dans 40 pays et dans plus de 60 festivals internationaux. Il ouvre la compétition du Festival de Locarno et remporte de nombreuses récompenses à travers le monde. Boogie est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2008. Son quatrième film Mardi après Noël fait l’ouverture d’un Certain Regard à Cannes en 2010. Radu Muntean est considéré comme l’un des réalisateurs phares de la nouvelle vague du cinéma roumain.L’Etage du dessous est présenté au Festival de Canens 2015, sélection Un certain Regard

ENTRETIEN AVEC RADU MUNTEAN

D’où vient l’idée de départ du film ?
C’est un fait divers qui remonte à une petite quinzaine d’années et que j’avais lu dans un journal. L’histoire d’un homme, témoin auditif d’une querelle domestique. Depuis le hall de son immeuble il avait entendu des cris derrière une porte close. Et pourtant il n’avait rien fait pour prévenir le drame et s’était contenté de témoigner lorsque les policiers étaient venus enquêter sur le meurtre. En lisant l’article, je me demandais comment cet homme avait pu au moment du drame ne rien faire pour l’éviter. Il me semblait qu’il aurait simplement pu signaler sa présence en faisant du bruit ou quelque chose comme cela et empêcher peut-être le pire d’arriver.

Comment s’est construit le scénario depuis ce point de départ ?
Dans le film, il n’est pas question pour moi de juger ce personnage. J’ai tout fait au scénario pour éviter que l’on puisse avoir cette impression. Ce qui m’intéressait ici c’était de questionner le thème de la conscience. Chacun de nous promet que face à une telle situation, il fera ce qui s’impose, ce qui lui semble juste. Mais c’est une théorie morale. Dans la réalité c’est souventdifférent. C’est pour cela qu’avec ce film, je voulais nous mettre, le spectateur et moi, à la place du héros afin de nous permettre de réfléchir et d’envisager ce dont nous serions véritablement capables dans cette situation. Sans chercher nécessairement à comprendre ses motivations. Je voulais juste à travers lefilm inviter le spectateur à être témoin des actes de Pătrașcu et voir commentceux-ci peuvent perturber nos certitudes.

Le scénario est l’antithèse d’un film psychologique ou explicatif…
Je souhaitais tout mettre en oeuvre pour qu’une identification avec le personnage soit possible. C’est pour cela que le scénario repose sur des moments extrêmement concrets du quotidien. Sur des gestes banals. C’est pour moi une façon d’inclure le spectateur dans l’action. De le faire travailler d’une certaine manière. Il vit l’histoire en même temps que le héros, ayant en temps réel comme lui les informations.
Je trouve que c’est trop facile de se reposer sur les dialogues pour expliquer une situation ou comme ici un dilemme intime. Les livres sont faits pour cela. Pas le cinéma qui est un autre langage. Celui de l’image, des corps… c’est tout cela qui, à mon sens, doit raconter l’histoire.

Le film repose aussi beaucoup sur les silences du personnage…
C’est vrai que c’est un risque au cinéma car ce n’est pas spectaculaire. Et pourtant ils sont ici indispensables. Le but de ce film est d’essayer de comprendre la réaction de Pătrașcu. Et je crois que cela passe par sa façon de se mouvoir, par son comportement physique. Le silence permet de se focaliser là-dessus. De plus, se taire est extrêmement significatif dans la vie. Le silence peut être très expressif. C’est aussi le reflet de son mental. De son caractère. Et une fois encore ce serait trop simple et trop didactique de tout faire passer par les mots. Et puis le silence, le non-dit sont aussi des façons de maintenir l’intérêt du spectateur. De continuer à l’intriguer. C’est là que se cachent les réponses manquantes que vous avez envie de découvrir.

Le film n’est pas un thriller mais il en emprunte l’art de la tension. Comment dès le scénario réfléchit-on à son élaboration ?
C’est le résultat de tout ce dont nous venons de parler. Pour construire cette tension il ne faut jamais finir ou conclure les choses. Y compris à la fin. J’aime que chaque séquence s’achève non pas sur une explication ou une résolution mais sur une ambiguïté. Un doute qui dérange, obsède, intrigue. J’ai toujours travaillé de cette manière.

Au coeur de cette histoire il y a une image manquante : celle du crime…
Cette image manquante est le coeur du dilemme du héros. Il n’a rien vu. Cependant il est convaincu à 99% que son voisin est coupable. Mais c’est le 1 % d’incertitude qui est important. Et qui explique qu’il ne va pas à la police. Et j’espère que c’est la même chose pour le spectateur. Car quel jugement a-t-on le droit de porter quand il existe une part de doute, même infime ?

Le personnage de Pătrașcu est à la fois simple et opaque. On croit le cerner mais il nous échappe. Comment l’avez vous écrit ?
En réalité j’avais un modèle pour ce personnage. Un homme que je connais et qui dans la vraie vie exerce le même métier que Pătrașcu. Je lui ai même emprunté son nom. C’est un homme qui est toujours dans le contrôle de sa vie et de son métier. Un homme d’action, qui multiplie les tâches, très déterminé dans son quotidien. Et c’est exactement ce type de caractère et de psychologie que j’avais envie de confronter à cette histoire où justement il perd toute capacité de contrôle. Pour la première fois, les réponses lui échappent. Il ne sait même pas très bien ce qui lui arrive. C’est comme une angoisse sourde qu’il taisait et qui se réveille à cette occasion.

Dans quelle mesure le film parle-t-il aussi de la société roumaine ?
Je ne me revendique pas comme un cinéaste sociétal. Mais on vit quelque part et évidemment cela nous influence. L’idée n’est pas ici de faire le portrait de la société roumaine mais en y réfléchissant, il y a sans doute quelque chose de cet ordre qui traverse le film. Ne serait-ce qu’à travers la profession de Pătrașcu. Je ne suis pas sûr qu’un spectateur non roumain comprenne d’emblée ce qu’il fait. Notre société est hyper bureaucratique et nous avons besoin de gens comme lui pour s’occuper des très nombreux formulaires et démarches qui sont nécessaires au quotidien, ne serait-ce que pour immatriculer une voiture. Mais d’une certaine manière, ce travail est aussi une métaphore du personnage. Son travail est purement administratif. La conscience n’y a pas sa place. Et pourtant du jour au lendemain il doit l’affronter. Il a beau la refouler elle l’obsède. Et d’une certaine manière elle contamine celle de Vali, ce supposé meurtrier qui, face au silence du héros, n’a d’autre choix que de se mesurer à son tour à sa culpabilité.

Le supposé meurtrier que vous dessinez sous les traits d’un garçon charmeur et de bout en bout ambigu…
Ce pouvoir de séduction est une autre façon pour moi de déstabiliser Pătrașcu. J’ai voulu que Vali soit, pour le héros comme le spectateur, impossible à cerner réellement. Au premier regard, on peut le voir comme un type normal, sans histoire. Et subitement, à partir d’un rien, d’un léger mouvement ou d’une simple expression sur son visage, il peut se transformer. Comme si quelque chose le dévorait de l’intérieur. Cette ambivalence m’intéresse doublement car elle est le miroir de celle de Pătrașcu qui normalement devrait réagir, dénoncer ce qu’il a entendu et pourtant ne fait rien. J’aime l’idée que dans le film, peu à peu, leurs culpabilités se répondent.

Le personnage principal est quasiment toujours au centre du cadre. Comme un pivot…
C’est une manière de provoquer cette identification qui est au coeur du film. Et de susciter naturellement et sans l’appuyer l’empathie que vous pouvez avoir pour lui. Et que j’espère l’on ressent. Etre avec lui de façon organique. Eprouver ce qu’il ressent.

La manière dont Vali rentre dans le cadre est toujours surprenante. Saisissante. Comme une menace sourde…
Il doit faire irruption à l’écran comme il le fait dans la vie de Pătrașcu et que le spectateur soit aussi surpris que lui. Il vient de l’arrière-plan, se matérialise dans le centre du cadre comme dans la séquence où Pătrașcu est avec sa mère dans la cage d’escalier. C’est peut-être le moment où le film se rapproche des codes du thriller dans la mesure où le personnage de Vali semble jouer avec le héros sans que l’on sache vraiment quelles sont ses intentions.

Comme dans vos précédents films vous privilégiez les plans-séquences et le temps réel…
J’essaie en tant que metteur en scène d’être invisible. De laisser l’impression au spectateur qu’il est en train d’écrire sa propre histoire. Je n’aime guère avoir recours à des effets artistiques qui parasitent le rapport qui existe entre le public et le film et qui la plupart du temps ne font que flatter l’ego du cinéaste. Je n’utilise jamais des mouvements visibles de caméra ou des effets de lumière qui ne serviraient à rien d’autre que signaler ma présence. Je cherche au contraire à m’effacer. Je préfère d’une certaine manière être un témoin. Je n’ai aucune raison, à fortiori dans ce genre d’histoire, d’affirmer à l’écran mon point de vue ou mon propre jugement.

Le hors-champ occupe une place importante dans le film. Il y a d’abord le crime et la victime que nous ne verrons jamais. Mais aussi tout un jeu entre ce qui est dans le cadre et ce qui n’y est pas…
Tout à fait. Et c’est principalement au niveau du travail du son que cela se situe. Puisque nous suivons le personnage principal dans ses faits et gestes durant tout le film, il est important aussi que l’on sache ce qu’il entend. Cela fait partie de cette idée d’incessante tension que je veux maintenir à l’écran. Suggérer, différer ou simplement ne pas entièrement résoudre les enjeux du scénario est, à mon avis, beaucoup plus fort.

Nous avons parlé de son personnage mais Teo Corban est impressionnant dans le rôle principal…
C’est un acteur avec lequel j’avais précédemment travaillé sur des publicités. Le casting pour ce personnage a été assez long. En fait, j’ai commencé par choisir Iulian Postelnicu, l’acteur qui allait jouer Vali. A mon sens, tout dépendait de lui. De sa séduction, de son mystère, de son ambiguïté et de sa manière de bouger… Pour Pătrașcu j’avais deux trois idées préalables de comédiens mais Teo m’a convaincu par son implication et par la manière dont il comprenait les enjeux du film. Il est très autonome sur un tournage. Il lui suffit de quelques mots pour créer la scène. Il a juste besoin de comprendre les actions et les gestes de son personnage. Il réfléchit beaucoup et met son intelligence et sa sensibilité au service du rôle.