En rentrant chez lui, Pătrașcu perçoit derrière une porte au deuxième étage de son immeuble les bruits d’une violente dispute amoureuse. Quelques heures plus tard le corps d’une femme est découvert. Ses soupçons se portent sur Vali, le voisin du premier. Et pourtant Pătrașcu ne se rend pas à la police… même lorsque Vali commence à s’immiscer dans sa vie et dans sa famille.
Un Certain regard – Festival de Cannes 2015
Avec : Teodor Corban Sandu Pătrașcu • Iulian Postelnicu Vali Dima • Oxana Moravec Olga Pătrașcu • Ionuț Bora Matei Pătrașcu • Ioana Flora Claudia Dima • Tatiana Iekel Doamna Pătrașcu • Adrian Vancica Manescu • Vlad Ivanov Sorin • Mihaela Sarbu Denisa • Constantin Draganescu Dan • Maria Popistasu Laura/Raluca • Adina Lucaciu Aurelia • Mara Vilcu. Mara • Alexandru Georgescu Bardeanu
Réalisation Radu Muntean • Scénario Razvan Radulescu, Alexandru Baciu, Radu Muntean • Chef opérateur Tudor Lucaciu • Ingénieur son Andre Rigaut • Décors Sorin Dima • Musique Cristian Stefanescu Electric Brother • Montage Alexandru Radu • Producteur exécutif Oana Kelemen • Producteurs Dragos Vilcu, François d’Artemare
Alexander Ris, Anna Croneman
Radu Muntean
Né
en 1971 à Bucarest, Radu Muntean est diplômé en Réalisation à
l’Université de Théâtre et de Cinéma. Depuis 1996, il réalise plus de
600 publicités pour des agences de renom qui raflent tous les prix dans
des festivals nationaux et
internationaux de films publicitaires. En 1999, il rejoint le département Réalisation de l’Université où il a étudié.
Son premier long-métrage, Rage, a été
présenté dans plusieurs festivals internationaux. Le film remporte le
prix du meilleur premier film de l’Union des Cinéastes Roumains et le
prix de la meilleure photographie (par Vivi Dragan Vasile) au TIFF
(Toronto) en 2003.
Son deuxième film Le papier sera bleu (2006)
est diffusé dans 40 pays et dans plus de 60 festivals internationaux. Il
ouvre la compétition du Festival de Locarno et remporte de nombreuses
récompenses à travers le monde. Boogie est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2008. Son quatrième film Mardi après Noël fait
l’ouverture d’un Certain Regard à Cannes en 2010. Radu Muntean est
considéré comme l’un des réalisateurs phares de la nouvelle vague du
cinéma roumain.L’Etage du dessous est présenté au Festival de Canens 2015, sélection Un certain Regard
ENTRETIEN AVEC RADU MUNTEAN
D’où vient l’idée de départ du film ?
C’est un fait divers qui remonte à une petite quinzaine d’années et que
j’avais lu dans un journal. L’histoire d’un homme, témoin auditif d’une
querelle domestique. Depuis le hall de son immeuble il avait entendu
des cris derrière une porte close. Et pourtant il n’avait rien fait pour
prévenir le drame et s’était contenté de témoigner lorsque les
policiers étaient venus enquêter sur le meurtre. En lisant l’article, je
me demandais comment cet homme avait pu au moment du drame ne rien
faire pour l’éviter. Il me semblait qu’il aurait simplement pu signaler
sa présence en faisant du bruit ou quelque chose comme cela et empêcher
peut-être le pire d’arriver.
Comment s’est construit le scénario depuis ce point de départ ?
Dans le film, il n’est pas question pour moi de juger ce personnage.
J’ai tout fait au scénario pour éviter que l’on puisse avoir cette
impression. Ce qui m’intéressait ici c’était de questionner le thème de
la conscience. Chacun de nous promet que face à une telle situation, il
fera ce qui s’impose, ce qui lui semble juste. Mais c’est une théorie
morale. Dans la réalité c’est souventdifférent. C’est pour cela qu’avec
ce film, je voulais nous mettre, le spectateur et moi, à la place du
héros afin de nous permettre de réfléchir et d’envisager ce dont nous
serions véritablement capables dans cette situation. Sans chercher
nécessairement à comprendre ses motivations. Je voulais juste à travers
lefilm inviter le spectateur à être témoin des actes de Pătrașcu et voir
commentceux-ci peuvent perturber nos certitudes.
Le scénario est l’antithèse d’un film psychologique ou explicatif…
Je souhaitais tout mettre en oeuvre pour qu’une identification avec le
personnage soit possible. C’est pour cela que le scénario repose sur des
moments extrêmement concrets du quotidien. Sur des gestes banals. C’est
pour moi une façon d’inclure le spectateur dans l’action. De le faire
travailler d’une certaine manière. Il vit l’histoire en même temps que
le héros, ayant en temps réel comme lui les informations.
Je trouve que c’est trop facile de se reposer sur les dialogues pour
expliquer une situation ou comme ici un dilemme intime. Les livres sont
faits pour cela. Pas le cinéma qui est un autre langage. Celui de
l’image, des corps… c’est tout cela qui, à mon sens, doit raconter
l’histoire.
Le film repose aussi beaucoup sur les silences du personnage…
C’est vrai que c’est un risque au cinéma car ce n’est pas
spectaculaire. Et pourtant ils sont ici indispensables. Le but de ce
film est d’essayer de comprendre la réaction de Pătrașcu. Et je crois
que cela passe par sa façon de se mouvoir, par son comportement
physique. Le silence permet de se focaliser là-dessus. De plus, se taire
est extrêmement significatif dans la vie. Le silence peut être très
expressif. C’est aussi le reflet de son mental. De son caractère. Et une
fois encore ce serait trop simple et trop didactique de tout faire
passer par les mots. Et puis le silence, le non-dit sont aussi des
façons de maintenir l’intérêt du spectateur. De continuer à l’intriguer.
C’est là que se cachent les réponses manquantes que vous avez envie de
découvrir.
Le film n’est pas un thriller mais il en emprunte l’art de la tension. Comment dès le scénario réfléchit-on à son élaboration ?
C’est le résultat de tout ce dont nous venons de parler. Pour
construire cette tension il ne faut jamais finir ou conclure les choses.
Y compris à la fin. J’aime que chaque séquence s’achève non pas sur une
explication ou une résolution mais sur une ambiguïté. Un doute qui
dérange, obsède, intrigue. J’ai toujours travaillé de cette manière.
Au coeur de cette histoire il y a une image manquante : celle du crime…
Cette image manquante est le coeur du dilemme du héros. Il n’a rien vu.
Cependant il est convaincu à 99% que son voisin est coupable. Mais
c’est le 1 % d’incertitude qui est important. Et qui explique qu’il ne
va pas à la police. Et j’espère que c’est la même chose pour le
spectateur. Car quel jugement a-t-on le droit de porter quand il existe
une part de doute, même infime ?
Le personnage de Pătrașcu est à la fois simple et opaque. On croit le cerner mais il nous échappe. Comment l’avez vous écrit ?
En réalité j’avais un modèle pour ce personnage. Un homme que je
connais et qui dans la vraie vie exerce le même métier que Pătrașcu. Je
lui ai même emprunté son nom. C’est un homme qui est toujours dans le
contrôle de sa vie et de son métier. Un homme d’action, qui multiplie
les tâches, très déterminé dans son quotidien. Et c’est exactement ce
type de caractère et de psychologie que j’avais envie de confronter à
cette histoire où justement il perd toute capacité de contrôle. Pour la
première fois, les réponses lui échappent. Il ne sait même pas très bien
ce qui lui arrive. C’est comme une angoisse sourde qu’il taisait et qui
se réveille à cette occasion.
Dans quelle mesure le film parle-t-il aussi de la société roumaine ?
Je ne me revendique pas comme un cinéaste sociétal. Mais on vit quelque
part et évidemment cela nous influence. L’idée n’est pas ici de faire
le portrait de la société roumaine mais en y réfléchissant, il y a sans
doute quelque chose de cet ordre qui traverse le film. Ne serait-ce qu’à
travers la profession de Pătrașcu. Je ne suis pas sûr qu’un spectateur
non roumain comprenne d’emblée ce qu’il fait. Notre société est hyper
bureaucratique et nous avons besoin de gens comme lui pour s’occuper des
très nombreux formulaires et démarches qui sont nécessaires au
quotidien, ne serait-ce que pour immatriculer une voiture. Mais d’une
certaine manière, ce travail est aussi une métaphore du personnage. Son
travail est purement administratif. La conscience n’y a pas sa place. Et
pourtant du jour au lendemain il doit l’affronter. Il a beau la
refouler elle l’obsède. Et d’une certaine manière elle contamine celle
de Vali, ce supposé meurtrier qui, face au silence du héros, n’a d’autre
choix que de se mesurer à son tour à sa culpabilité.
Le supposé meurtrier que vous dessinez sous les traits d’un garçon charmeur et de bout en bout ambigu…
Ce pouvoir de séduction est une autre façon pour moi de déstabiliser
Pătrașcu. J’ai voulu que Vali soit, pour le héros comme le spectateur,
impossible à cerner réellement. Au premier regard, on peut le voir comme
un type normal, sans histoire. Et subitement, à partir d’un rien, d’un
léger mouvement ou d’une simple expression sur son visage, il peut se
transformer. Comme si quelque chose le dévorait de l’intérieur. Cette
ambivalence m’intéresse doublement car elle est le miroir de celle de
Pătrașcu qui normalement devrait réagir, dénoncer ce qu’il a entendu et
pourtant ne fait rien. J’aime l’idée que dans le film, peu à peu, leurs
culpabilités se répondent.
Le personnage principal est quasiment toujours au centre du cadre. Comme un pivot…
C’est une manière de provoquer cette identification qui est au coeur du
film. Et de susciter naturellement et sans l’appuyer l’empathie que
vous pouvez avoir pour lui. Et que j’espère l’on ressent. Etre avec lui
de façon organique. Eprouver ce qu’il ressent.
La manière dont Vali rentre dans le cadre est toujours surprenante. Saisissante. Comme une menace sourde…
Il doit faire irruption à l’écran comme il le fait dans la vie de
Pătrașcu et que le spectateur soit aussi surpris que lui. Il vient de
l’arrière-plan, se matérialise dans le centre du cadre comme dans la
séquence où Pătrașcu est avec sa mère dans la cage d’escalier. C’est
peut-être le moment où le film se rapproche des codes du thriller dans
la mesure où le personnage de Vali semble jouer avec le héros sans que
l’on sache vraiment quelles sont ses intentions.
Comme dans vos précédents films vous privilégiez les plans-séquences et le temps réel…
J’essaie en tant que metteur en scène d’être invisible. De laisser
l’impression au spectateur qu’il est en train d’écrire sa propre
histoire. Je n’aime guère avoir recours à des effets artistiques qui
parasitent le rapport qui existe entre le public et le film et qui la
plupart du temps ne font que flatter l’ego du cinéaste. Je n’utilise
jamais des mouvements visibles de caméra ou des effets de lumière qui ne
serviraient à rien d’autre que signaler ma présence. Je cherche au
contraire à m’effacer. Je préfère d’une certaine manière être un témoin.
Je n’ai aucune raison, à fortiori dans ce genre d’histoire, d’affirmer à
l’écran mon point de vue ou mon propre jugement.
Le
hors-champ occupe une place importante dans le film. Il y a d’abord le
crime et la victime que nous ne verrons jamais. Mais aussi tout un jeu
entre ce qui est dans le cadre et ce qui n’y est pas…
Tout à fait. Et c’est principalement au niveau du travail du son que
cela se situe. Puisque nous suivons le personnage principal dans ses
faits et gestes durant tout le film, il est important aussi que l’on
sache ce qu’il entend. Cela fait partie de cette idée d’incessante
tension que je veux maintenir à l’écran. Suggérer, différer ou
simplement ne pas entièrement résoudre les enjeux du scénario est, à mon
avis, beaucoup plus fort.
Nous avons parlé de son personnage mais Teo Corban est impressionnant dans le rôle principal…
C’est un acteur avec lequel j’avais précédemment travaillé sur des
publicités. Le casting pour ce personnage a été assez long. En fait,
j’ai commencé par choisir Iulian Postelnicu, l’acteur qui allait jouer
Vali. A mon sens, tout dépendait de lui. De sa séduction, de son
mystère, de son ambiguïté et de sa manière de bouger… Pour Pătrașcu
j’avais deux trois idées préalables de comédiens mais Teo m’a convaincu
par son implication et par la manière dont il comprenait les enjeux du
film. Il est très autonome sur un tournage. Il lui suffit de quelques
mots pour créer la scène. Il a juste besoin de comprendre les actions et
les gestes de son personnage. Il réfléchit beaucoup et met son
intelligence et sa sensibilité au service du rôle.