C’est l’été dans la campagne du nord de l’italie. Giacomo, un adolescent sourd, part au fleuve avec stefania, sa meilleure amie. En s’éloignant des sentiers battus, ils se perdent et arrivent dans un endroit paradisiaque où ils se retrouvent seuls et libres. ils ont 19 ans, leurs sens s’éveillent.
Léopard d’Or (Cinéastes du présent) – Festival de Locarno 2011
Grand prix du Jury – Entrevues Belfort 2011
Auteur / Réalisateur ALESSANDRO COMODIN
Image TRISTAN BORDMANN
Son JULIEN COURROYE
Montage JOAO NICOLAU, ALESSANDRO COMODIN
Mixage JEAN JACQUES QUiNET, STUDiO 5/5
Musique JONATHAN RICHMAN – DUPAP
Alessandro Comodin
Alessandro Comodin est né le 5 Juin 1982 à San Vito al Tagliamento / Pordenone (Italie). Il est diplomé en section réalisation à l’INSAS (2004 – 2008) à Bruxelles, Belgique.
Entretien avec Alessandro Comodin (extraits)
Qu’ est-ce qui vous faisait penser qu’il y avait là un film et un personnage de cinéma en la personne de Giacomo ? Quel est le lien préexistant avec lui et comment est né le désir de film ?
Giacomo est le petit frère de mon meilleur ami ; il est devenu sourd à l’ âge de 8 ans suite à une méningite très tardivement détectée. Quant à mon désir de film, il remonte précisément à l’été 2008. Nous étions à la plage avec Giacomo. son frère le pousse à me dire ce qu’il avait décidé de faire car il était un peu intimidé. Alors, Giacomo, d’une voix cassée, me dit qu’il voulait se faire opérer pour entendre. J’étais très ému, puis de retour à Paris, je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à creuser. À l’entendre, c’était une sorte de miracle, auquel j’ai cru moi aussi pendant longtemps et qui m’a fait de suite penser aux récits classiques de métamorphoses et miracles. C’était comme une sorte d’adieu à un état de nature, du moins à une forme de retrait du monde. C’était comme s’il allait perdre sa pureté, sa singularité. Mais c’était ma vision des choses, lui, évidemment, il voulait être comme les autres.
Quel a été le rapport du film à l’écriture ?
C’est un film basé avant tout sur l’énergie. Le projet tenait en une page partant de l’histoire de Giacomo, de mon lien avec son histoire et ses lieux, le tout tendu vers l’idée du mystère de ce qu’il allait devenir. Globalement, j’ai un problème avec l’idée de scénario. Cette idée de fabrication et de construction de récits ne m’intéresse pas vraiment. Je préfère me laisser surprendre par la réalité, même si c’est une démarche difficile et incertaine. Elle offre une grande liberté notam- ment dans la construction narrative. En voyant le résultat, je me demande si un scénariste aurait pu écrire une histoire pareille, avec de tels dialogues. J’ai vraiment ressenti quelque chose de physique, de viscéral. Une volonté de revivre ce que Giacomo était en train de vivre, ce moment de passage à la fin de l’adolescence, où l’on ne sait pas trop comment s’y prendre avec les filles par exemple. Dès l’écriture, je savais que je voulais amener Giacomo, qui est très casanier, dans les endroits que j’aimais fréquenter à son âge, de façon à le faire entrer dans mon histoire à moi.
SDi votre geste est clairement documentaire, vous semblez totalement ignorer les territoires fiction-documentaire, si bien que l’on peut parler d’un cinéma hybride. Comment vous situez-vous par rapport à cette question ?
Je ne crois tout simplement pas à la distinction entre fiction et documentaire, je crois au cinéma, au bon moment et au bon endroit pour saisir une réalité, peu importe d’où l’on part et comment on y parvient. Ce qui ne fait aucun doute pour moi, c’est mon attachement à une démarche documentaire : de vraies personnes, de vrais lieux, un certain respect de la réalité en tant que telle, sans la modifier. Pour L’ÉTÉ DE GIACOMO, je suis parti du documentaire pour aboutir à quelque chose de l’ordre de la fiction, peut-être que, la prochaine fois, les choses s’inverseront.
On ressent l’ importance pour vous d’être au cadre, de faire corps avec la caméra, de vous mettre dans le mouvement de l’autre, dans celui de l’instant. On pense aux principes de Jean Rouch pour lequel filmer était une expérience où l’on met en place les conditions d’une transe. Peut-on y voir un cinéaste tutélaire ?
J’ai découvert Jean Rouch assez tard, mais, évidemment, c’est un inspirateur essentiel, notam- ment pour cette idée de transe. Je ne peux pas ne pas cadrer, et j’ai besoin de me mettre dans un état second, une sorte d’animalité qui entraîne aussi bien Giacomo que la prise de son, c’est un élan qui émerge et donne de l’intensité. Le fait de tourner en pellicule est aussi lié à ça, cela conditionne cet état, quand on déclenche, ce n’est pas anodin : ça part ! C’est une sorte d’ivresse que je ne saurais trop expliquer, qui ne peut être vraiment intellectualisée.
Justement, pourquoi cet attachement à la pellicule ?
Je ne cache pas que j’apprécie beaucoup la qualité photographique de la pellicule. Mais c’est aussi lié à ce que l’on vient de dire, ce moment de déclenchement où l’on se mobilise complè- tement. Je ne pense pas pouvoir retrouver ce même état avec un support numérique, c’est un autre mode de conditionnement, plus réfléchi, plus intellectuel. Je n’y suis pas maladivement attaché, mais la pellicule étant en train de disparaître, je me dis qu’il faut en profiter. Et si je peux encore faire un autre film en pellicule…
Dans vos films, on marche et l’on perçoit les personnages bien souvent de dos. J’ai une fois entendu dire Jean-Luc Godard, parlant de NOTRE MUsiQUE, que c’était une marque de confiance que de se laisser filmer de dos. Que signifie pour vous cette relation au filmé ?
C’est une relation qui vaut aussi bien pour le filmé, qui est dans l’acceptation de votre présence, que pour le filmeur qui fait confiance à celui qui est devant lui. Ce sont les corps qui me guident, je me laisse porter par eux.
Dans L’ ÉTÉ DE GIACOMO, on ne fait pas semblant qu’il n’y a pas de caméra – on note plusieurs regards clairement adressés à elle, différents modes de relations. Mais les protagonistes entretiennent un rapport semble-t-il très familier avec elle.
il y a ce lien préexistant au film qui explique en grande partie cette familiarité. Ensuite, le film a été un long processus. Le premier été, je ne cadrais pas et c’était des plans d’ensemble. Giacomo n’était pas habitué, il voulait toujours savoir ce que ça donnait ; ça n’a pas fonctionné, et c’était plus de l’immaturité de ma part. Ensuite, pour le tournage en tant que tel, il était absolument nécessaire que je cadre pour être avec eux dans cette relation physique. On a donc commencé par la ballade, une bonne manière t’établir le lien, de trouver la distance. Puis peu à peu, ça a pris, et Giacomo a été moins dans le contrôle, y prenant beaucoup de plaisir. Pour l’anecdote, il a dit : « je veux garder mon premier joint pour le film. », ce qui a donné la séquence que vous savez.
Il y a aussi, dans L’ ÉTÉ DE GiACOMO, une dramaturgie du dévoilement des corps et des visages. On découvre celui de Giacomo, de face, au tiers du film, lors du pique-nique. Comment cet aspect a-t-il été pensé ?
Cet élément s’est joué au montage, où beaucoup de choix ont été faits quant à la dramaturgie. On avait en tête l’idée de se perdre, de nous laisser emmener par Giacomo dans un endroit qui soit assez éloigné de la société. Et puis, évidemment, cela permet de créer un certain mystère vis-à-vis de ces personnages, une manière aussi d’éveiller la curiosité voire le désir pour les personnages de Giacomo et stefania qui sont, en dépit de la surdité du premier, plutôt anodins.
C’est un film où les sons sont souvent forts – paroles et cris de Giacomo, les sets de batteries en solitaire ou à deux, l’explosion des feux d’artifices. Et par le biais de notre perception se pose constamment celle du personnage principal ; le son est une partie intégrante de la dramaturgie du film.
C’est vrai que l’on passe par tous les degrés de l’utilisation du son au cinéma, de choses com- plètement synchrones, avec un rendu naturaliste, à des aspects bruitistes avec la batterie. On a aussi de la musique qui émerge depuis l’intérieur du film, puis de la pop adolescente collée sur les images lors de cette promenade à vélo. Dans ce travail lié au son, tout était écrit, tout était provoqué. L’idée était de placer Giacomo face à plusieurs expériences sonores : j’ai apporté une batterie à Giacomo en lui demandant de taper dessus, on est allés dans les bals, à la fête foraine, à la discothèque, voir les feux d’artifice, on a explosé des pétards, etc etc.
Le parcours festivalier de L’ ÉTÉ DE GIACOMO est assez impressionnant, ainsi que la moisson de prix.
Tout est parti de la sélection à Locarno, dont Olivier Père, le directeur artistique, avait déjà sélectionné JAGDFiEBEr, mon court-métrage, lorsqu’il était délégué général de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Puis, on a gagné le Léopard d’or des cinéastes du présent, c’était dingue quand on pense aux problèmes rencontrés pour finir le film. Puis, ensuite, on a fait tous les festivals que j’aime bien : rotterdam, la Viennale, Belfort, où l’on a aussi reçu le Grand Prix.
Comment le film a-t-il été reçu par le public dans ces nombreux festivals ?
Je suis toujours plutôt étonné parce que c’est un film assez audacieux dans sa forme, mais la plupart des gens sont pris. Je pense d’abord que c’est parce que Giacomo, dans sa maladresse, est très attachant, puis il y a ce sentiment mélancolique du temps qui passe qui nous fait penser à notre propre adolescence.
Propos recueillis par Arnaud Hée à Paris, 9 mars 2012.