L’ETREINTE DU SERPENT raconte l’histoire épique du premier contact, de la rencontre, du rapprochement, de la trahison et, au final, d’une amitié exceptionnelle entre Karamakate, un chaman amazonien, dernier survivant de son peuple, et deux scientifiques qui, pendant plus de 40 ans, ont été les premiers hommes à explorer la partie nord-ouest de l’Amazonie à la recherche de savoirs ancestraux. Le récit s’est inspiré des journaux des premiers explorateurs de l’Amazonie colombienne, l’ethnologue allemand Theodor Koch-Grünberg et le biologiste américain Richard Evans Schultes.
SYNOPSIS : Karamakate, un chaman amazonien puissant, dernier survivant de son peuple, vit isolé dans les profondeurs de la jungle. Des dizaines d’années de solitude ont fait de lui un
chullachaqui, un humain dépourvu de souvenirs et d’émotions. Sa vie est bouleversée par l’arrivée d’Evans, un ethnobotaniste américain à la recherche de la yakruna, une plante sacrée très puissante, possédant la vertu d’apprendre à rêver. Ils entreprennent ensemble un voyage jusqu’au coeur de la forêt Amazonienne au cours duquel, passé, présent et futur se confondent, et qui permettra à Karamakate de retrouver peu à peu ses souvenirs perdus.
QUINZAINE DES RÉALISATEURS – Cannes 2015
Avec : Jan Bijvoet Théo • Brionne Davis Evan • Nilbio Torres Karamakate (jeune) • Antonio Bolívar Karamakate (vieux) • Yauenkü Miguee Manduca
Réalisateur Ciro Guerra • Productrice Cristina Gallego • Scénaristes Ciro Guerra, Jacques Toulemonde • Producteurs exécutifs Cristina Gallego, Raúl Bravo, Marcelo Céspedes, Horacio Mentasti • Directeur de la photographie David Gallego • Chef décoratrice Angélica Perea • Directeur artistique Ramses Benjumea • Ingénieur du son Marco Salavarria • Design sonore Carlos García • Directeur de production César Rodríguez • Monteurs Etienne Boussac, Cristina Gallego • Musique Nascuy Linares • Effets spéciaux et postproduction CINECOLOR • Une production Ciudad Lunar (Colombie) • En coproduction avec NorteSur (Venezuela), MC Producciones (Argentine), Buffalo Films (Argentine) • En partenariat avec Caracol Televisión et Dago García Producciones • Avec le soutien du FDC, INCAA, CNAC, Ibermedia, Hubert Bals
NOTE D’INTENTION
Quand je regardais une carte de mon pays, je ressentais un profond sentiment de désarroi.
La moitié du territoire était une terre inconnue, un océan vert dont je
ne savais rien. L’Amazonie, ce territoire insondable que l’on réduit
bêtement à de simples concepts.
La cocaïne, la drogue, les Indiens, les rivières, la guerre.
Cet immense espace ne comprend vraiment rien d’autre ?
Pas de culture, pas d’histoire ?Aucune âme pour transcender cela ? Les explorateurs m’ont fait comprendre que si.
Ces hommes qui ont tout quitté, qui ont tout risqué, pour nous faire découvrir un monde qu’on ne pouvait pas même imaginer.
Ils ont établi le premier contact, alors que sévissait l’un des plus terribles holocaustes que l’homme ait jamais connus.
L’homme est-il capable, à travers la science et l’art, de transcender la cruauté ?
Certains hommes y sont parvenus.
Les explorateurs ont raconté leur histoire.
Pas les Indiens. Voilà de quoi il s’agit.
Une terre de la taille d’un continent qui reste à raconter.
Une terre jamais montrée par notre cinéma.
Cette Amazonie-là a disparu.
Mais le cinéma peut la faire revivre. »
CIRO GUERRA
Theodor Koch-Grünberg
En 1907, Theodor Koch-Grünberg écrit dans son journal :
« En
ce moment précis, il m’est impossible de savoir, cher lecteur, si la
jungle sans fin a amorcé en moi le processus qui en a conduit tant
d’autres qui se sont aventurés jusqu’ici, à la folie la plus totale et
inexorable. Si tel est le cas, il ne me reste qu’à m’excuser et te
demander un peu d’indulgence, car la magnificence du spectacle auquel
j’ai pu assister pendant ces heures surnaturelles fut telle qu’elle me
semble impossible à traduire en des mots qui puissent faire entendre à
d’autres la teneur de sa beauté et de sa splendeur ; tout ce que je sais
c’est que, comme tous ceux pour qui le voile épais qui les aveuglait
s’est levé, quand je suis revenu à moi, j’étais devenu un autre homme. »
AMAZONIE
De nombreuses années plus tard, le réalisateur Ciro Guerra et son
équipe se transforment en une autre sorte d’explorateurs qui s’enfoncent
au cœur de la forêt amazonienne, caméra à la main, afin de donner à
voir une fraction de cette Amazonie inconnue. L’étreinte du serpent,
dont le tournage a duré sept semaines dans la jungle du Vaupés, s’avère
être le premier film de fiction tourné en Amazonie depuis plus de trente
ans. C’est également le premier film de fiction colombien ayant pour
personnage principal un Indien, et le premier film raconté du point de
vue des sociétés ancestrales, faisant le lien entre deux histoires.
C’est un film sur l’Amazonie, une jungle qui s’étale sur plusieurs
départements du pays et franchit les frontières, dont les forêts
hébergent une riche variété de faune, de flore et de biodiversité, et
ont servi de refuge à des centaines de langues, de coutumes et de
nombreux groupes d’Indiens – dont un grand nombre a disparu sous
l’assaut des colons –, mais c’est aussi une histoire qui parle d’amitié,
de loyauté et de trahison.
Pour raconter cette histoire, le film a pu compter sur la participation
des acteurs étrangers ainsi que des Colombiens et de dizaines de
représentants des différentes tribus qui peuplent cette région du pays
si peu connue de la grande majorité des Colombiens et tant prisée des
étrangers.
Pour ce tournage, le but de l’équipe a été d’approcher ces communautés
et d’établir avec elles une relation basée sur la reconnaissance et le
respect, et de parvenir à des négociations fondées sur la transparence,
en ayant à l’esprit que l’équipe se trouvait sur leur territoire et que
les Indiens se fiaient à leur intuition.
Ciro Guerra a lui-même écrit le scénario de ce film pendant quatre ans,
assisté la dernière année par Jacques Toulemonde. Ce dernier l’a aidé à
donner à ce récit non occidental une forme adaptée aux Occidentaux. Il
faut se rappeler que les rares histoires sur l’Amazonie à avoir été
portées à l’écran (Fitzcarraldo ; Aguirre, la colère de Dieu et Cannibal Holocaust),
sont toujours racontées du point de vue des explorateurs, et non des
Indiens, que certains de ces films ont dépeints comme des sauvages sans
intérêt.
Les lieux de tournage ont été choisis parce qu’ils appartiennent à une
Amazonie que l’on ne connaît pas, en plus d’être des régions dans
lesquelles les explorateurs qui ont inspiré l’histoire, Grünberg et
Schultes, se sont retrouvés face à une grande richesse humaine et
culturelle.
Enfin, autre élément notable, ce tournage a donné lieu à un riche
mélange d’origines, de langues et de cultures : en plus de l’acteur
belge et de l’acteur nord-américain, l’équipe comprenait des techniciens
du Pérou, du Venezuela, du Mexique et de Colombie. Parmi ces derniers,
le réalisateur, né à Río de Oro (département de Cesar), des gens de
Bogotá, Cali, Santa Marta, du département de Boyacá et des membres de
plusieurs communautés, Ocaina, Huitoto, Tikuna, Cubeo, Yurutí, Tucano,
Siriano, Carapana et Desano, toutes localisées dans le département du
Vaupés.
L’équipe a été à la fois impressionnée et intimidée par les paysages luxuriants de l’Amazonie colombienne.
«
Pour raconter cette histoire, nous avons dû acheminer par avion près de
8 tonnes de matériel. On avait l’impression de faire un voyage dans le
temps, et que l’on était remontés à l’époque que l’on voulait dépeindre.
Nous nous déplacions en canoës, en radeaux et dans des avions d’une
autre époque (DC-3). L’équipe avait aussi des canots à moteur, des
rafts, des motos, des motos taxis, des morrocos (motos équipées pour le
transport), des camions-benne, des tracteurs, des camions, des 4×4.
Sans compter qu’il a fallu gravir à pied la colline de Mavecure jusqu’à
son sommet, un dénivelé de 200 mètres sur une roche qui se transforme en
savon au contact de l’eau », se souvient la productrice Cristina
Gallego.
En plus de l’aide précieuse apportée par les communautés indiennes, le
personnel de la Defensa Civil et un infirmier, l’équipe a aussi pu
compter sur la protection spéciale d’un vieux « payé » (cf Glossaire)
qui accompagnait l’équipe partout en faisant continuellement des
invocations pour protéger l’équipe des averses et des conditions météo
changeantes.
ENTRETIEN AVEC CIRO GUERRA
Vous reconnaissez avoir peut-être atteint votre limite avec
cette production tant les difficultés, les risques, l’exigence et la
part d’inconnu auxquels vous vous êtes retrouvé confronté en vous
aventurant dans la forêt amazonienne, ont été immenses. Vous rapportez
dans une sorte de journal de bord dans la plus grande tradition des
explorateurs dont le film s’inspire, avoir même envisagé de « rendre
votre tablier ».
Alors qu’on terminait la première semaine de tournage, je me suis senti
submergé par une profonde inquiétude. On avait trop de problèmes, le
plan de tournage était trop serré. Il était clair que l’on n’arriverait
jamais à terminer ce film. On avait eu des rêves démesurés, on avait
voulu aller trop loin. On avait pêché par excès d’optimisme et les dieux
et la forêt nous puniraient pour cela. En ayant cela à l’esprit, comme
un capitaine qui est le premier à constater que son bateau coule, je me
suis assis, bien confortablement, et je me suis préparé à affronter
l’inévitable. Mais j’ai finalement assisté à un miracle.
D’où est née cette histoire ?
De ma curiosité pour l’Amazonie colombienne, qui représente la moitié
de la surface du pays, et qui m’est toujours aussi peu connue et aussi
mystérieuse, alors que je suis colombien et que j’ai vécu toute ma vie
dans ce pays. Dans l’ensemble, la Colombie s’est toujours désintéressée
de ce savoir et de cette façon de voir le monde. C’est une partie de
notre pays que l’on sous-estime mais qui, pour ce que j’ai pu en
connaître, me semble fondamentale. Quand on commence à étudier cette
région, à faire des recherches, on la découvre inéluctablement à travers
le regard des membres d’expédition, des voyageurs, presque tous
nord-américains ou européens, qui sont les premiers a être venus
jusqu’ici et nous ont donné des informations sur notre propre monde, sur
notre propre pays. J’ai donc eu l’idée de raconter une histoire au
travers du prisme de cette rencontre, mais depuis une perspective dans
laquelle le personnage principal ne serait pas un Blanc, comme
d’habitude, mais un Indien, un autochtone, ce qui change absolument le
point de vue et est novateur. En réalité, ce qui se passe finalement,
c’est que ce personnage, Karamakate, est peut-être le premier héros
indien du cinéma colombien, mais c’est aussi une personne avec qui
n’importe qui dans le monde peut s’identifier.
Vous racontez l’histoire de deux temporalités différentes,
s’inspirant des récits de deux membres d’expédition qui ne se sont
jamais rencontrés. Comment s’est déroulée la phase d’écriture et comment
avez-vous trouvé le fil conducteur pour raconter l’histoire ?
On retrouve l’idée, dans de nombreux textes sur le monde indien, d’une
notion différente du temps. Le temps n’est pas une continuité linéaire,
tel que nous l’entendons en Occident, mais une série d’évènements qui
ont lieu simultanément dans plusieurs univers parallèles. C’est ce qu’un
écrivain a décrit comme « le temps sans temps » ou « l’espace sans
espace ». J’ai fait le lien avec cette idée des aventuriers qui
mentionnaient le fait que, bien souvent, lorsque l’un d’eux revenait 50
ans après le passage d’un autre, l’histoire du premier avait déjà pris
la forme d’un mythe. Pour beaucoup de communautés, c’était toujours la
même personne qui revenait parce que l’idée d’un seul homme, d’une seule
vie, d’une unique expérience vécue à travers de nombreuses personnes
était profondément ancrée. Cette idée m’a semblé être un point de départ
très intéressant pour le scénario parce que, bien que ce soit un film
raconté du point de vue des Indiens et dont le personnage principal est
un Indien, il offrait au spectateur des points d’accroche par le biais
de ces personnages qui viennent de notre monde et dont on comprend les
motivations. Puis, lentement, à travers eux, on cède le pas à la vision
du monde indien que nous offre Karamakate.
À travers toute cette expérience, comment avez-vous ressenti
la relation avec les gens, avec la communauté indienne et leur façon de
percevoir le film ?
Les communautés nous ont beaucoup aidés. Les gens de l’Amazonie sont
très chaleureux, très aimables, très ouverts, ils ont un grand coeur.
Bien sûr, au début ils se méfiaient un peu, le temps de s’assurer que
l’équipe n’avait pas de mauvaises intentions, parce qu’il y a aussi des
gens qui sont venus là pour les voler et leur nuire. Nous sommes très
contents d’avoir pu travailler avec eux, les habitants ont vraiment été
emballés par le projet. En tout cas, la démarche est de faire revivre
une Amazonie qui n’existe plus, qui n’est plus comme avant. Ce film,
c’est une façon de laisser une trace pour que cet univers subsiste dans
la mémoire collective, parce que les personnages comme Karamakate, qui
détiennent le savoir, les guerriers payés, ont disparu. Les Indiens
modernes sont différents. Il y a tout un savoir qui est conservé, mais
il y a aussi toute une partie du savoir qui s’est perdue : de nombreuses
cultures, de nombreux dialectes et langues. À présent, ce savoir se
transmet à travers la tradition orale et, comme il n’est pas écrit,
tenter de l’approcher a été une vraie leçon d’humilité, parce que c’est
quelque chose que l’on ne peut pas espérer comprendre rapidement,
contrairement au savoir que l’on acquiert à l’université ou à l’école.
C’est un savoir lié à la vie, à la nature, et c’est vraiment une immense
source de connaissances, dont on ne peut espérer saisir qu’une infime
partie. La seule façon d’accéder à ce savoir, c’est d’en faire
l’expérience, de le vivre pendant de nombreuses années. Nous espérons
vraiment parvenir à générer, à travers ce film, une curiosité qui donne
au public l’envie d’en savoir plus, de respecter ce savoir et de
comprendre qu’il est impo tant dans le monde d’aujourd’hui. Il ne s’agit
pas de folklore ni de cultures mortes, mais d’un savoir lié à une
recherche actuelle de l’homme, à savoir comment trouver un équilibre
avec la nature en puisant dans les ressources disponibles sans les
saccager, comment trouver une harmonie, non seulement entre l’homme et
la nature, mais aussi entre les différentes communautés qui composent
l’humanité. Et cela souligne en quoi cette façon de parvenir à
l’équilibre et l’harmonie est une façon de trouver un bonheur que l’on
ne peut atteindre avec les systèmes politiques et sociaux actuels.
Au cours de ce processus de recherche et d’apprentissage de
ces cultures, est-ce que certaines choses ont changé dans votre façon de
voir le monde ?
Oui, évidemment. Tout. Je suis aujourd’hui une personne différente de
celle que j’étais quand j’ai démarré le projet. Je crois que tous ceux
qui ont participé à ce projet ont vécu cela. On s’immerge dans ce flot
de connaissances et tous les jours on apprend quelque chose de nouveau.
On a senti que tout était source de savoir, depuis les pierres jusqu’aux
plantes, aux insectes ou au vent. Cela nous a procuré un grand
sentiment de satisfaction. Cela change tout l’univers. Évidemment, il
est très difficile de changer de vie pour les gens comme nous, qui ont
grandi au sein de ce système, mais cela nous a quand même permis de voir
de près d’autres façons de vivre et de comprendre qu’il y a de
multiples façons d’être humain et de vivre. Je crois que celle-ci est
tout à fait valable et belle, et qu’il est important d’en avoir
conscience et de la respecter.