Mantoa, 80 ans, est la doyenne d’un petit village niché dans les montagnes du Lesotho. Lorsque la construction d’un barrage menace de submerger la vallée, Mantoa décide d’en défendre l’héritage spirituel et ravive l’esprit de résistance de sa communauté. Dans les derniers moments de sa vie, la légende de Mantoa se construit et devient éternelle.
SUNDANCE 2020 (USA) Prix spécial du jury
PORTLAND 2020 (USA) Grand prix du jury
TAIPEI 2020 (Taïwan) Grand prix
DURBAN 2020 (Afrique du Sud) Meilleur réalisateur, Meilleure actrice et Prix du jury
Mantoa MARY TWALA MLONGO • Joueur de Lesiba JERRY MOFOKENG WA MAKHETHA • Prêtre MAKHAOLA NDEBELE • Chef TSEKO MONAHENG • Pono SIPHIWE NZIMA
Scénario et réalisation LEMOHANG JEREMIAH MOSESE • Production CAIT PANSEGROUW & ELIAS RIBEIRO (URUCU) • Montage LEMOHANG JEREMIAH MOSESE • Image PIERRE DE VILLIERS • Décors LEILA WALTER • Costumes NAO SERATI • Son PRESSURE COOKER STUDIOS • Musique YU MIYASHITA
Lemohang Jeremiah Mosese
Né en 1980 au Lesotho, Lemohang Jeremiah Mosese est un réalisateur et artiste visuel basé à Berlin. Autodidacte, il réalise plusieurs courts-métrages et un premier long en 2013, For Those Whose God Is Dead.
Son documentaire Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You (2019) est sélectionné au Final Cut à la Mostra de Venise en 2018 où il reçoit six prix, avant d’être présenté au Forum de la Berlinale l’année suivante.
Mosese est élève de la Berlinale Talents (2011), Focus Features’ Africa First (2012), Realness African Screenwriting Residency (2017) et de L’Atelier Cinéfondation du Festival de Cannes (2019).
En 2018, il compte parmi les trois réalisateurs sélectionnés au Biennale College Cinema. L’indomptable feu du printemps (This is not a Burial, It’s a Resurrection), inspiré de l’histoire de sa grand-mère, est son troisième long-métrage.
Note d’intention
Quand j’étais enfant, nous avons été chassés de chez nous. Maisons différentes, écoles différentes, camarades de jeux différents suivirent. C’était comme si quelque chose m’avait été enlevé. Je m’imaginais souvent retourner à la maison de mon enfance pour y dérober les jouets appartenant aux nouveaux gamins qui y vivaient désormais. Mon coeur n’a jamais quitté cet endroit.
Le village de ma grand-mère est sur le point d’être déplacé. Je connais encore chacune des textures des murs de sa maison, son toit de chaume, l’odeur des chênes après la pluie, les pierres de l’enclos à bétail. Bientôt cet endroit ne sera plus. Bientôt tout sera rasé et inondé, et l’eau coulera, canalisée, jusqu’au coeur de l’Afrique du Sud.
Le Lesotho exporte chaque année des millions de mètres cubes d’eau vers l’Afrique du Sud. Un système impérialiste conçu durant l’apartheid en Afrique du Sud. Je me souviens de la venue de Nelson Mandela au Lesotho peu après son élection à la présidence. Il était venu pour l’inauguration de la construction d’un nouveau barrage et sa traditionnelle coupe de ruban. Le petit garçon que j’étais, faufilé au premier rang de la foule, avait réussi à serrer la main de ce chevalier de la démocratie. Ironie de l’histoire, ce n’est que bien plus tard, et au fil des ans, que je compris qu’il maintiendrait ce système dont il avait hérité.
Alors que se poursuit la construction de nouveaux réservoirs, des milliers de villageois sont expulsés de leurs terres par la force, pour être transférés vers des environnements de vie urbains. Ils n’y perdent pas seulement leur bétail, leurs cultures agricoles et leur mode de vie, c’est toute l’identité, tant individuelle que collective, qui disparaît. La destruction des terres porte en elle la profanation des morts – les villageois doivent choisir entre devoir exhumer leurs proches ou les abandonner à l’inondation. Lorsque la perception de soi est enracinée à ce point dans la terre des ancêtres, c’est inconcevable. Les personnes que j’ai pu interroger à ce sujet ont rapproché le procédé de ce déplacement à la mort.
Au nom du progrès, de plus en plus de forêts, de villages et de reliques familiales sont effacées. Détruites et oubliées, dans une marche vers l’avenir sans âme. Je ne me situe ni pour ni contre le progrès. Je suis davantage intéressé par l’interrogation des éléments psychologiques, spirituels et sociaux qui l’accompagnent. Bien avant la conception de ce film, j’ai dû lutter contre l’indifférence du temps, de la nature et de Dieu. La nature est le meilleur exemple de la vulgarité de Dieu, comme de sa bienveillance.
L’indomptable feu du printemps est une méditation sur le nouveau et l’ancien, la naissance et la mort. Une révérence ecclésiastique à la terre. C’est par les yeux de Mantoa que nous apparaît l’ampleur des ténèbres à affronter, mais en fin de compte, c’est une histoire sur la résilience propre à la nature humaine.
À PROPOS DU LESOTHO
Le Lesotho est un tout petit pays, entièrement enclavé dans le territoire de l’Afrique du Sud. Ses chaînes de montagnes colossales forment près des trois quarts de son relief et sont à la source de l’abondance en eau du pays, une eau considérée comme étant parmi les plus pures au monde. Son exportation annuelle via le « Highlands Water Project », depuis le Lesotho et vers l’Afrique du Sud, est estimée à environ 780 millions de mètres cubes, le plus grand programme de transfert hydraulique jamais conçu en Afrique.
Au fur et à mesure de la construction de nouveaux réservoirs, des milliers de villageois des hauts plateaux sont forcés à quitter leurs terres pour être relogés en ville.
Entretien avec le réalisateur
Cette histoire vous est personnelle. Quel est son développement ?
Je n’étais qu’un enfant lorsque ma famille a été chassée de chez elle. Le village de ma grand-mère est en ce moment même soumis à une relocalisation forcée. Mon expérience du déplacement a eu un impact très fort sur qui je suis et comment je vois le monde. J’ai eu la chance d’être très tôt intégré à une pépinière de talent sud-africaine (Realness African Screenwriters Residency). J’ai pu y intégrer une famille cinématographique aux racines africaines, en trouvant un sens à toutes les idées et les émotions qui me traversaient. J’avais jusqu’alors appris à créer dans l’isolement et la résidence m’a apporté un foyer chaleureux et enrichissant. C’est également là que j’ai rencontré mes producteurs, Cait et Elias, qui ont fondé cette initiative. Ils ont tous les deux eu foi en moi dès le départ, et leur passion a été le moteur principal de L’indomptable feu du printemps.
Ce n’est pas un film facile, tant d’un point de vue thématique que technique. Comment avez-vous traversé ces défis ?
Les paysages où nous avons tourné étaient très durs et impitoyables, tout en étant magnifiques. La météo changeait en permanence, de façon drastique ; à un instant de chaleur et de soleil succédaient des torrents de pluie dans l’obscurité et le froid. Nous nous sommes battus avec les dieux de la nature pour pouvoir tourner, mais aussi pour atteindre le lieu de tournage suivant. D’une certaine manière, cela a joué finalement en notre faveur : nous avons continué à filmer durant les tempêtes et avons réussi à utiliser les prises. Lorsqu’il s’arrêtait de pleuvoir, les collines devenaient glissantes, dégoulinantes de vase. Mary, notre actrice principale qui avait 80 ans, devait être transportée par des membres de l’équipe et des hommes du village, en d’incessants allers-retours. Pour atteindre certains lieux reculés, elle était transportée à dos de cheval. Il n’y avait pas de vraies routes, donc lorsqu’il pleuvait, nos véhicules étaient rapidement embourbés ou carrément hors d’usage. Ma reconnaissance envers les fous furieux, si dévoués et talentueux, qui m’entouraient n’a pas de limite. Nous avons fait front ensemble. Ma productrice Cait Pansegrouw est à la hauteur de son surnom « Sheela » (en référence à Ma Anand Sheela, de la série documentaire Wild Wild Country). C’est vraiment comme si elle dirigeait une secte. Elle n’est pas une simple productrice, elle est très créative. Je viens de l’école du cinéma underground. Il est très rare d’avoir un producteur qui non seulement comprend, mais aussi apprécie ce genre de cinéma. Le directeur de la photographie, Pierre de Villiers, était prêt et préparé à travailler dans ces conditions extrêmes, qui laissaient peu ou pas de place à la liberté créative. En un sens, les conditions idéales ont conspiré en notre faveur. On aperçoit souvent les dieux dans de tels endroits.
Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
J’ai insisté sur le fait qu’ils ne devaient pas jouer. Certains acteurs principaux viennent du milieu télévisuel sud-africain. Ils avaient des idées préconçues sur leurs personnages et avaient pris certaines habitudes, qui les avaient bien sûr guidés tout au long de leur carrière, mais je souhaitais qu’ils s’en débarrassent pour ce film. Nous avons discuté le fait de ne rien faire. Le reste du casting local n’était pas constitué de professionnels. Ils n’avaient jamais été filmés et c’est ce qui était beau, car ils sont venus tels qu’ils étaient. Nous filmions dans leur village. Nous étions leurs invités. Bien sûr cela a nécessité un peu de travail pour les amener devant la caméra et les faire se sentir à l’aise. Je leur parlais en les replaçant dans le contexte de leur véritable village, de leur mode de vie, et pas forcément dans le cadre du rôle qu’ils incarnaient à l’écran.
Au moment de la conception de L’indomptable…, lorsque vous l’imaginiez avant que le tournage ne commence, à quoi ressemblait-il ?
Pour moi, cela a toujours été une observation sur la vie et la mort. Les premiers murmures du film viennent d’une parabole que j’ai écrite et qui parlait d’un prophète muet qui ne pouvait prononcer ses prophéties. Il avait le rhema et le logos sur la marche sans âme du temps et de la mort, mais lorsqu’il ouvrait la bouche, de la grêle et des grenouilles en jaillissaient. C’était si répugnant que l’on ne pouvait ni le contempler, ni le supporter. D’une certaine manière, cela illustre bien la difficulté que je ressens en tant que créateur, pour communiquer mes idées d’une façon intelligible et accessible. Avec L’indomptable feu du printemps, j’ai ressenti comme un immense océan d’idées. Je suis heureux de pouvoir dire que nous avons réussi à en réaliser quelques-unes dans notre film.
Les thèmes du film n’ont jamais été aussi importants ou pressants. Au fil du temps, constatez-vous une évolution dans votre parcours de cinéaste et dans votre façon d’envisager ces sujets ?
Je pense que cela a évolué. Avec une équipe autour de moi, il m’a été possible d’affiner ce que je voulais créer. Les concepts de la vie, de la mort et du cycle du temps m’habitent depuis toujours. Pour moi, le paysage le plus poétique est celui de l’humain, de notre lutte constante pour nous réconcilier avec nos identités charnelles.
Pouvez-vous nous parler du tournage et de l’équipe ?
L’indomptable… est le premier long-métrage de fiction d’un réalisateur sotho. Le film a été tourné dans les montagnes reculées du Lesotho, là où l’eau courante et l’électricité sont des ressources rares. Le matériel, les véhicules, l’équipe ainsi que les autres ressources ont été acheminés depuis l’Afrique du Sud. La petite équipe – tout au plus quinze personnes – a enduré des conditions météorologiques extrêmes tout en tournant dans des régions non accessibles par la route. Nous avions toute la communauté du village de Ha Dinizulu à nos côtés, disposée à aller aussi loin que possible avec nous. Je leur suis éternellement reconnaissant de leur travail et de leur implication dans le film. Cait, la productrice, est une force de la nature. Une poigne de fer dans un gant de velours. Elle est notre boussole et maintient le cap coûte que coûte. Elle vient des écoles de cinéma sans être pour autant prisonnière d’une étiquette, que ce soit la structure, la technique ou le savoir-faire. Elle croit profondément en l’art. Cait et moi étions synchronisés dès le départ. Nous étions tous les deux très clairs quant au type d’oeuvre que nous voulions créer.
Je suis habitué à travailler seul. Mon film précédent, Mother, I am suffocating. This is my last film about you est un “film-essai”. J’avais une petite équipe locale qui n’avait aucune idée de ce que je faisais, mais qui a mis les bouchées doubles le jour venu afin que je puisse l’accomplir. Avec L’indomptable…, j’ai pu travailler avec une équipe professionnelle. C’était magnifique de pouvoir sortir de ma zone de confort et de pouvoir faire des allers-retours autour des idées, et que tout le monde soit sur la même page.
Qu’est-ce qui motive votre choix de caméra et de technologies pour donner corps aux images ?
J’arrive en écriture ou sur un plateau tel un novice, un débutant. Je me suis autorisé à rêver, sans filtrer quoi que ce soit. J’en suis venu à comprendre que les idées ont leur vie propre, que tout ce que j’ai à faire, c’est de les libérer de moi-même. La technique et le langage sont des choses qu’il faut utiliser sans nécessairement s’y soumettre. Cela apparaît après des années passées à mal faire son art. Pierre de Villiers, le directeur de la photographie, un être humain beau et créatif, avait une volonté de fer pour aller jusqu’au bout, une volonté de chaque instant – c’était exaltant. En ce qui concerne la caméra et la composition, Pierre et moi avions un amour et une passion synchronisés pour la beauté. Il a une façon très particulière de voir la lumière. Je l’appelais « le dieu du soleil ».
En tant que réalisateur africain qui s’est mis en quête d’explorer de nouvelles formes de cinéma, j’espère que le public entrera dans ce film sans idées préconçues. J’espère également que chaque spectateur autorisera ses propres idées à prendre leurs formes propres.