Film soutenu

Lola

Brillante Ma. Mendoza

Distribution : Equation

Date de sortie : 05/05/2010

France / Philippines – 2009 – 1h50 – couleur – 35mm – 1.77 – stéréo

A Manille, deux femmes âgées se trouvent confrontées à un drame commun.  Lola Sepa vient de perdre son petit-fils, tué d’un coup de couteau par un voleur de téléphone portable ; Lola Puring est la grand-mère du jeune assassin, en attente du procès. L’une a besoin d’argent pour offrir des funérailles décentes à son petit-fils, pendant que l’autre se bat pour faire sortir son propre petit-fils de prison. Déambulant dans les rues de la ville, sous une pluie battante, elles luttent infatigablement pour le salut de leur famille respective…

COMPÉTITION OFFICIELLE – MOSTRA DE VENISE 2009
PRIX DU MEILLEUR FILM
– FESTIVAL DE DUBAÏ 2009

Réalisation BRILLANTE MA. MENDOZA • Scénario LINDA CASIMIRO • Image ODYSSEY FLORES • Son ALBERT MICHAEL IDIOMA, ADDISS TABONG • Montage KATS  SERRAON • Décors DANTE MENDOZA • Musique TERESA BARROZO • Producteur délégué DIDIER COSTET • Co-producteur FERDINAND LAPUZ • Production SWIFT  

Brillante Ma. Mendoza

Né le 30 juillet 1960 à San Fernando, aux Philippines, Brillante Ma Mendoza commence à travailler comme chef décorateur pour le cinéma et des films publicitaires pour la télévision. Son premier long métrage, Masahista (Le Masseur) obtient le Léopard d’or au Festival international du film de Locarno en 2005 et ouvre la voie à un cinéma indépendant aux Philippines. Cette même année, il crée Center Stage Productions (CSP), une maison de production indépendante.
Brillante Ma Mendoza continue à faire des films et documentaires montrant la vie des Philippins et les marges de la société, et contribue à la formation d’un public pour le cinéma indépendant dans le pays. Ses films sont montrés dans les écoles à travers le pays et Manoro (The Teacher) est officiellement inscrit dans les programmes scolaires.
Brillante Ma Mendoza est le premier réalisateur philippin distingué par la France, qui l’a nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

FILMOGRAPHIE

2005 MASAHISTA (LE MASSEUR)
LÉOPARD D’OR, FESTIVAL DE LOCARNO

2006 KALEDO (SUMMERHEAT)

2006 MANORO (THE TEACHER) Documentaire

2007 JOHN JOHN (FOSTER CHILD)
QUINZAINE DES RÉALISATEURS, FESTIVAL DE CANNES

2007 TIRADOR (SLINGSHOT)

2008 SERBIS
EN COMPÉTITION, FESTIVAL DE CANNES

2009 KINATAY 
PRIX DE LA MISE EN SCÈNE, FESTIVAL DE CANNES

2009 LOLA 

2012 CAPTIVE 
EN COMPÉTITION, FESTIVAL DE BERLIN

2012 THY WOMB 

2013 SAPI (POSSESSED) 

2015 TAKLUB
MENTION SPÉCIALE ET PRIX DU JURY ŒCUMÉNIQUE,
UN CERTAIN REGARD, FESTIVAL DE CANNES

2016 MA’ ROSA
PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE, FESTIVAL DE CANNES

Commentaires de Brillante Ma. Mendoza

Notre humanité peut être pesée et mise en équilibre sur la balance de la justice. Dans Lola, un crime va révéler les forces et les fragilités de deux vieilles dames. L’une s’avère être faible, l’autre forte. L’équilibre de l’humanité est sauvegardé, et comme dans la nature, c’est le plus fort qui survit. Mais la valeur humaine est régie par le statut social.

LOLA 
« Lola » signifie « grand-mère » en Tagalog (dialecte des Philippines). Les Philippins sont très respectueux de leurs aînés, particulièrement des grands-parents. Le respect des personnes âgées est quelque chose dont les Philippins peuvent être fiers, aujourd’hui et pour les années à venir. Les grands-parents jouent un rôle majeur dans la famille philippine. On sait que les Philippins tissent des liens étroits à l’intérieur de leur famille. Quand les parents ne sont pas là, les enfants sont toujours confiés aux grands-parents. D’ailleurs, ils traitent souvent leurs petits-enfants mieux que leurs propres enfants. Dans de nombreux cas, les grands-parents dépassent même les limites du raisonnable en gâtant à l’excès leurs petits-enfants.

GRANDS-MERES 
Dans LOLA, les deux grands-mères sont jouées par des actrices  professionnelles. J’avais déjà ces deux actrices en tête quand la  scénariste et moi avons imaginé cette histoire il y a deux ans.  Anita Linda qui joue Lola Sépa a 84 ans et Rustica Carpio qui joue Lola Puring a 79 ans. C’est toujours une joie de travailler avec des professionnelles comme elles, elles ne se sont jamais plaintes pendant le tournage malgré toutes les difficultés logistiques que nous avons pu rencontrer.

QUARTIERS INONDÉS 
Le film a été tourné à Malabon, dans le plus important quartier de Manille, qui se situe à 45 minutes du centre ville. Ce quartier est inondé toute l’année. Le niveau des eaux varie en fonction des averses de pluie. Les gens qui vivent dans cette partie de la ville  submergée par les eaux ont décidé d’y rester parce qu’ils n’ont pas d’autre endroit où loger. J’ai décidé de tourner dans ce quartier pour montrer les conditions de vie de ses habitants, comment ils s’ensortent au quotidien et comment ils se sont adaptés à un tel environnement. Comme le démontre le film, malgré des conditions de vie précaires, ils parviennent toujours à trouver des solutions à leurs problèmes.

SAISON DES PLUIES
J’ai tourné le film en juin 2009 pendant la saison des pluies. Je tenais vraiment à ce ciel sombre et couvert, pour susciter  la douleur qu’éprouvent les deux grands-mères durant tout le film. Nous avons recréé la pluie et le vent au moment du tournage. Nous ne pouvions pas dépendre des averses réelles, car les caméras et les éclairages auraient été mouillés. Sans compter le danger des câbles électriques exposés à la pluie. L’eau est aussi symbolique dans Lola.
A la fois, elle peut être source de vie, mais peut aussi être signe de stagnation et d’insalubrité. Nous pouvons flotter sur l’eau, mais nous pouvons aussi nous y noyer.

FAITS REELS
Le film se base sur des faits réels. J’ai situé cette histoire pendant la saison des pluies, dans un quartier de Manille en lutte contre l’adversité. Au fond, les Philippins sont des survivants. Pour eux, l’épreuve fait partie de la vie, ils gardent toujours espoir. Ils tentent de trouver la paix et la consolation grâce à la prière.

BUREAUCRATIE ET FORMALITES 
Aux Philippines, comme dans tout pays industrialisé, l’accès à la modernité peut s’avérer compliqué, en particulier pour les personnes âgées. La vie urbaine est nerveuse et intense. La plupart du temps, on considère les vieillards comme gênants et inutiles tout simplement parce qu’ils sont lents et en dehors des modes. De nos jours, on peut tout obtenir d’un clic sur internet, mais dans les pays en développement, les choses se compliquent pour les personnes âgées en raison des procédures administratives.

VOL DE TELEPHONE PORTABLE 
Un vol de téléphone portable est mis en lumière dans le film. Au Philippines, la caution fixée pour ce type de délits est plus élevée que pour d’autres, en raison de leur croissance galopante, surtout sur les enfants riches. Un téléphone portable haut de gamme est devenu le symbole d’un certain statut pour les adolescents. Le film démarre sur un gros plan montrant de l’argent et l’argent est au cœur du dénouement du film. L’argent est en fait la source de tous les maux. Dans Lola, l’humanité des deux grands-mères est mise à l’épreuve, elles doivent répondre aux besoins de leurs proches, mais pas forcément de leurs propres besoins à elles. Les dépenses accordées à la vie et à la mort dépendent de notre statut social. Plus vous êtes riche, plus la mort coûte cher. Mais si vous êtes pauvre, la vie peut être négociable, comme on le voit dans le film.


La grande ville à tous petits pas

On est loin des Lola mythiques, des femmes fatales ou des chanteuses pour marins. La Lola en question, en philippin, c’est la grand-mère ; et c’est de Lolas, au pluriel, qu’il faudrait parler ici, puisqu’elles sont deux à se partager le film. Pauvres l’une et l’autre, responsables chacune d’une bribe de famille d’où les adultes sont absents, elles courent Manille de long en large, à leur rythme, pour leurs petits-fils respectifs. À petits pas menus, en râlant contre le tarif des vélos-taxis, ou en prenant des trains poussifs pour sortir de l’agglomération, elles arpentent sans la regarder la ville surpeuplée.  L’une cherche à offrir à son petit-fils l’enterrement qu’il mérite, et qui coûte beaucoup trop cher pour les ressources de la famille ; l’autre cherche à obtenir pour le sien un acquittement qu’il ne mérite pas. Le second est bien sûr le meurtrier du premier.  Cet argument dramatique est vite oublié : c’est l’un des grands mérites du film de partir d’une situation propice à l’intrigue pour la laisser immédiatement de côté, mais en faisant planer son ombre sur toute la durée du film. Ce qui importe, c’est que l’un et l’autre des descendants trouvent, grâce à leur grandmère, une issue satisfaisante à leur situation… De l’intrigue elle-même, on ne fera pas plus de drame. Les grands-mères se croisent, négocient, on paie pour que le procès n’ait pas lieu, et pour que l’enterrement se fasse comme il se doit. L’affaire s’arrête là ; chacune repart dans les rues de la grande ville.
Quasiment pas d’histoire donc, juste un prétexte, un mince argument dont la ténuité est précisément le sujet du film. C’est parce qu’il n’y a rien à raconter que ce cinéma nous touche : parce qu’il s’attache à un mode de vie, à une énergie, à des personnages.
Brillante Mendoza a l’habitude de tourner, caméra à l’épaule, dans des lieux encombrés, surpeuplés, et de se frayer un passage, de laisser notre regard s’immiscer au milieu d’une réalité qui déborde le cadre de l’image. Cette réalité est souvent un leurre, ou  en tout cas un dispositif installé par l’équipe de tournage. C’est le principe du réalisateur, et de la plupart de ses films, c’est celui de Lola : un style ultra-réaliste, fait d’un simulacre de captation, de situations quelconques qui  laissent se dérouler en arrière-plan un mouvement presque plus important que celui de l’action principale. Si bien qu’on ne sait  plus ce qui appartient à la fiction et ce qui est du ressort de l’environnement naturel. Actrices  professionnelles et amateurs mélangés, membres de l’équipe intégrés à des groupes de figurants jouant leur propre rôle, le croisement du réel et de l’artifice est constant, sans que jamais l’on ne puisse avoir conscience des frontières. Mais, une fois dépassé ce procédé, c’est son utilisation qui apparaît surtout comme remarquable : ce qu’elle permet de connaître de la ville, de ses petits métiers, de son peuple, et des événements qui en ponctuent les jours.
Tout le film, par exemple, se déroule à la saison des pluies, partant des inondations: les personnages se déplacent sous les averses, les lumières sont striées régulièrement, les  silhouettes se transforment sous l’ondée. Et la maison a l’air d’appartenir à une cité lacustre, au milieu de laquelle les funérailles ont lieu, en barque, en une lente procession exotique. Sauf que ce rituel étrange, que nous prenons pour une coutume installée, n’est que la conséquence de l’inondation : les barques sont des accidents, ces funérailles obéissent à un ordonnancement inhabituel, et la vie au bord de l’eau est totalement improvisée. Mendoza a attendu la saison où il savait qu’auraient lieu ces  inondations, il en fait profiter son film, et le rythme de celui-ci, mais il donne comme normales ces conditions exceptionnelles. C’est son grand talent. Une utilisation ordinaire de circonstances fortuites : la transformation de  l’accident en décor ordinaire ; on se souvient que le réalisateur fut publicitaire.
Il en reste une ambiance très particulière, des séquences presque fantomatiques, un monde à la lisière de la réalité, dans lequel on aperçoit le fronton d’une église baigner dans l’eau, des cercueils glisser sur les pontons, sans que cela paraisse (et pour cause) ni tout à fait normal ni tout à fait extraordinaire. S’ajoute à de telles circonstances un regard singulier, qui est donné non par des choix de cadre ou d’objets, mais par la hauteur de position de la caméra. Celle-ci est tenue à la main, mais ni à hauteur d’épaule, ni au niveau de l’œil : elle se balance à bout de bras, comme négligemment associée à la marche des uns et des autres, accompagnant leurs courses en restant à hauteur de taille, à hauteur d’enfant, de chariot à légumes, d’étal improvisé. En résultent des plans qui ne dominent jamais la situation, qui participent au plus près à ses circonvolutions et ses heurts.
Dans le pli des va-et-vient quotidiens, comme on dit qu’on a « la tête dans le guidon », la caméra épouse ainsi des situations dont le relief dramaturgique est oublié, dont les aspérités symboliques sont ignorées : enterrement, crime, culpabilité, complicité, situation sociale, tout est aspiré par le mouvement des corps et le rythme de la ville, tout est laminé par la nécessité, l’urgence de la survie. Un homme rentre ses légumes en vitesse alors que la pluie se remet à tomber, et tout s’efface autour de lui : sa grand-mère, ses soucis, ses relations. Le geste domine, emporte, permet de surnager. La caméra  l’accompagne, le redouble : elle s’immerge dans une ville qui dicte son rythme. Sans doute est-ce le mérite de Lola, le sentiment qui en reste pour le spectateur après tout : celui d’avoir vécu Manille, de l’avoir connue  de l’intérieur, comme peu de villes l’ont été au cinéma. Car ce ne sont pas simplement des couleurs, des obscurités passagères, des formes architecturales, bref des visions extérieures que Mendoza retranscrit : ce sont les flux des habitants, les rues où il faut jouer du coude, les longs trajets pour sortir jusqu’aux faubourgs. Les deux grands-mères, qui sont des personnages étonnants au potentiel dramatique formidable, ne sont en définitive que les guides qui conviennent à la ville, en raison de leurs capacités physiques. Elles ont une lenteur, une courbure du dos, une sorte de précipitation, qui n’appartiennent qu’à elles (à leur âge, à leur condition, à leur caractère) et qui donnent au film son tempo. Le dispositif du cinéaste, s’il est discutable en lui-même (par son artificialité non assumée), se trouve ainsi dépassé par l’utilisation qui en est faite, et c’est l’humilité des personnages et de leurs cheminements qui rend à la mise en scène sa valeur première. Dans le grouillement des trajectoires des  habitants de Manille, deux silhouettes émergent, glissent, se démènent : elles emportent avec elles le battement vital de la présence humaine, le temps d’une anecdote. Puis, leurs affaires conclues, elles s’effacent, retrouvent le courant quotidien, les aléas de la saison des  pluies, les difficultés à vivre. On les oubliera, on oubliera leur nom, pour se souvenir des soirs de pluie, des fleurs arrachées à la misère, de la course incessante qui, à elle seule, manifeste l’individualité.

Vincent Amiel, Positif n°591, mai 2010