Au Pedocìn, plage populaire de Trieste, hommes et femmes sont séparés par un mur de béton.
Bienheureux dans l’entre soi, chacun amène sa vie avec lui et nourrit ce lieu unique et pittoresque.
Réflexion sur les frontières, les identités et les générations, L’ ultima Spiaggia est une tragi-comédie sur la nature humaine.
Festivals 2016 :
CANNES Sélection Officielle ;
LA ROCHELLE ;
PRIZREN DokuFest ;
VILLACH K3 Film Festival ;
LE HAVRE Ciné-Salé
AUCH Festival Ciné 32 Indépendance(s) et Création
HAÏFA
VILLERUPT Festival du Cinéma Italien
GARDANNE Festival d’Automne
MILAN Visioni dal Mondo
Scénario & réalisation Thanos Anastopoulos, Davide Del Degan • Image Ilias Adamis GSC, Debora Vrizzi • Son Francesco Morosini, Havir Gergolet • Montage Bonita Papastathi • Montage son Matteo Serman • Producteurs associés Bénédicte Thomas, Françoise et Rémi Roy • Producteurs Nicoletta Romeo, Stella Theodorakis, Guillaume de Seille, Thanos Anastopoulos • Production Mansarda Production, Fantasia Audiovisual, Arizona Productions
Avec Rai Cinema, le Centre de la cinématographie grec • Avec le soutien de la Commission du film Frioul-Vénétie julienne, du Fonds audiovisuel Frioul-Vénétie julienne, ERT – Hellenic Broadcasting corporation, du Centre de la cinématographie grec et du Centre national du cinéma et de l’image animée – aide à la coproduction franco-grecque.
Thanos Anastopoulos et Davide Del Degan
Thanos Anastopoulos
Il est né à Athènes et vit entre l’Italie et la Grèce. Son premier
long-métrage, ATLAS-TOUT LE POIDS DU MONDE (ATLAS-OLO TO VAROS TOU
KOSMOU) est présenté au festival de Rotterdam en 2004. Son second film
CORRECTION (DIORTHOSI) est sélectionné à Berlin en 2008 et représente la
Grèce aux Oscars. En 2013 il réalise LA FILLE (I KÓRI), sélectionné à
Berlin et Toronto.
Davide del Degan Il débute sa carrière en tant qu’assistant réalisateur et réalise son premier court-métrage A CORTO D’AMORE en 2001. Son second court-métrage INTERNO 9 est nommé au David di Donatello (Académie du cinéma italien) et remporte le Globe d’or décerné par la presse étrangère en 2004. En 2011, son court-métrage multiprimé HABIBI reçoit le Nastro d’Argent (Prix de la Fédération Italienne des critiques de films).
Entretien avec les réalisateurs Thanos Anastopoulos & Davide Del Degan
Connaissiez-vous l’un et l’autre cette plage ?
Davide Del Degan :
Moi j’y allais quand j’étais petit. J’avais l’énorme privilège de
pouvoir passer d’un côté à l’autre de la plage, car les enfants jusqu’à
12 ans peuvent aller chez les femmes ou chez les hommes. J’ai toujours
rêvé de pouvoir raconter ce lieu bizarre et unique, suspendu dans le
temps et dans l’espace.
Thanos Anastopoulos : Moi, non. Mais cette plage m’a rappelé et fait penser à mon enfance. Mon père avait l’habitude de nager même pendant l’hiver avec ses amis. Il n’y avait pas de mur, mais cette idée d’un groupe de personnes qui se rencontrent sur une plage, que ce soit en hiver ou en été, m’a fait me sentir chez moi.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
T.A. :
Nous avions tous les deux le désir d’observer l’humanité qui fréquente
cette plage et avons défini des règles communes : être là toujours
ensemble, éviter les interviews, ne rien provoquer. L’idée était de
passer du temps là-bas et attendre que quelque chose se produise devant
nous.
D.D.D. : Nous étions complètement d’accord sur les choix essentiels, nous étions très stimulés par nos points de vue similaires, mais en même temps différents.
Qui sont les habitués de la plage ?
D.D.D. :
Il y a une rencontre entre les différentes générations et cultures,
d’origines sociales très diverses. Des prolétaires, des vendeuses qui
fréquentent la plage pendant leur pause-déjeuner, des bourgeoises, des
ouvriers, des directeurs de banque et même un rabbin, car c’est une
plage kasher, où il est possible de se dés- habiller loin du regard des
femmes.
Après, quand on est nu, sur une plage, les différences n’existent plus.
T.A. : Dans
le film il n’y a pas de blocs séparés, les hommes d’un côté et les
femmes de l’autre, mais une micro-société. On voit aussi des
travailleurs, des employés, car l’établissement est géré par la
municipalité. Au même instant où tu penses te trouver parmi des gens
libres et nus près de la mer, l’institution agite ses règles, impose sa
discipline, ouvre et ferme ses portes.
Comment définiriez-vous votre film ?
T.A. & D.D.D. : C’est
un documentaire multi-narratif, kaléidoscopique, avec beaucoup de
personnages et une histoire, ou plutôt un récit sur cette humanité et ce
lieu. Atemporel et presque métaphysique, habité par des fantômes.
Qu’avez-vous gardé de ces 120 jours de tournage ?
T.A. & D.D.D. : Beaucoup de relations d’amitié.
Contexte géopolitique
Rencontre des réalisateurs avec Falila Gbadamassi, Géopolis (France Télévisions – Geopolis.francetvinfo.fr) – Cannes, mai 2016
L’ULTIMA SPIAGGIA (…) est une immersion dans le quotidien du Pedocìn,
plage publique située dans le centre-ville de Trieste, où jusque dans
l’eau une fron- tière sépare les hommes et les femmes.
« Seuls les enfants, jusqu’à l’âge de 12 ans ont le droit de circuler
librement de part et d’autre du mur. Après on devient soit une femme,
soit un homme », explique Thanos Anastopoulos. Sur la terre ferme,
cette séparation prend la forme d’un mur. « Ce mur date de l’époque de
l’empire austro-hongrois. C’est aujourd’hui une tradition », poursuit le
cinéaste. (…)
Quand un Italien et un Grec font un film sur la dernière plage…
« En 2013, je pensais que ce mur était certainement le dernier en
Europe. La situation était alors complètement différente, poursuit
Thanos Anastopoulos. On parlait alors d’une Europe unie, où les
frontières étaient ouvertes, où les droits de l’Homme étaient respectés…
Le mur de la plage de Pedocìn n’était alors qu’un signe du passé. Et
pendant que nous tournions, s’est produit ce à quoi nous assistons :
l’arrivée massive de réfugiés syriens en Europe du fait de la guerre ».
« Nous ne voulions pas faire un film qui évoque de façon explicite la
question des migrants d’autant que la crise n’avait pas cette ampleur et
que notre intérêt pour Pedocìn s’inscrit dans un tout autre cadre.
Cependant, nous ne pouvions ignorer l’actualité ». D’autant que les
pays d’origine des réalisateurs, la Grèce et l’Italie, sont aux
premières loges en matière d’accueil des migrants. L’ULTIMA SPIAGGIA (LA
DERNIÈRE PLAGE), au regard des drames humains dont la Méditerranée est
le théâtre, est un titre plus qu’évocateur.
« L’ultima spiaggia est une expression italienne qui signifie « la
dernière chance », « la dernière option », confie Thanos
Anastopoulos. Elle est inspirée du film américain ON THE BEACH (1959)
de Stanley Kramer, réalisé pendant la Guerre froide, avec Gregory Peck
et Ava Gardner. C’est l’histoire d’un sous-marin qui se dirige vers
l’Australie, seul refuge, après une guerre nucléaire. (…)
« C’est incroyable. Nous pensions que c’était le dernier mur et voilà
que d’autres se construisaient autour de celui-là. À un certain moment,
c’était très proche, avec les fermetures des frontières croate,
slovène… La Slovénie se trouve à dix minutes de la plage du Pedocìn qui
n’est, elle, pas un passage pour les migrants car ils veulent
directement arriver en Autriche ou en Allemagne. Mais les Triestins sont
conscients de ce qui se passe autour d’eux, comme ils l’ont été au
moment de la guerre en ex-Yougoslavie. Pendant la guerre froide, Trieste
se trouvait à la frontière entre le bloc de l’Ouest et celui de l’Est. »
Territoire libre
Une plage unique dans une cité particulière. « Jusqu’à la première
guerre mondiale, rappelle Davide Del Degan, Trieste appartenait à
l’empire austro-hongrois. La ville revient à l’Italie dans l’entre-deux
guerres.
À la fin de la seconde guerre mondiale, l’armée yougoslave est
la première à arriver à Trieste. Les Alliés ne savent pas alors à qui
l’attribuer d’autant que Tito voulait cette localité qu’il
aimait beaucoup. Finalement, pour des raisons géopolitiques, Trieste est
donnée à l’Italie en 1954. Donc de 1945 à cette date, Trieste est un
territoire libre sous la protection des forces alliées. Les plus âgés,
qui fréquentent cette plage, ont vécu leur enfance sous l’influence de
la culture américaine ».
À Trieste, c’est un vent de liberté qui semble toujours souffler. «
Pour les gensde Trieste, constate Davide Del Degan, la plage du Pedocìn
avec son mur n’est pas un lieu de séparation ou de solitude, mais au
contraire, il s’agit d’un signe de liberté absolue. »
« Ce mur me fait penser à l’identité, aux frontières, aux
discriminations, à la différence entre les sexes », ajoute pour sa part
Thanos Anastopoulos. Selon lui, L’ULTIMA SPIAGGIA est une métaphore du
vivre-ensemble en dépit de la séparation que cette plage implique.
Ce documentaire, envoyé au Festival de Cannes, comme une « bouteille à
la mer », s’apparente aussi à une réflexion sur une Europe
vieillissante. S’ils avouent ne pas l’avoir envisagé de prime abord, les
réalisateurs admettent que leur film peut être considéré comme telle
car les vrais afficionados de cette plage sont âgés. « La plupart des
personnes d’un certain âge qui la fréquentent sont certainement seules
chez elles. En venant à Pedocìn, elles trouvent de la compagnie. Les
hommes parlent souvent de la mort, tout ou presque est lié à la peur
de mourir. De l’autre côté, les femmes veulent vivre. Si on veut parler
de façon métaphorique de l’avenir de l’Europe, on lui conseillerait de
devenir une femme », conclut, le sourire aux lèvres, Thanos
Anastopoulos.