L'usine de rien de Pedro Pinho
Film soutenu

L’usine de rien

Pedro Pinho

Distribution : Météore Films

Date de sortie : 13/12/2017

PORTUGAL | 2h53 | DCP VOSTF - IMAGE : 1.97 - SON : 5.1

Une nuit, des travailleurs surprennent la direction en train de vider leur usine de ses machines. Pour empêcher la délocalisation de la production, ils décident d’occuper les lieux. À leur grande surprise, la direction se volatilise laissant au collectif toute la place pour imaginer de nouvelles façons de travailler dans un système où la crise est devenue le modèle de gouvernement dominant.

Festival de Cannes 2017 – La Quinzaine des réalisateurs – Prix FIPRESCI sélections parallèles

Un film de : João Matos, Leonor Noivo, Luísa Homem, Pedro Pinho, Tiago Hespanha • Réalisation : Pedro Pinho • Production : João Matos, Leonor Noivo, Luísa Homem, Pedro Pinho, Susana Nobre, Tiago Hespanha (Terratreme Filmes)Écrit par Pedro Pinho, Luísa Homem, Leonor Noivo, Tiago Hespanha • Sur une idée de Jorge Silva Melo • Image Vasco VianaMontage Cláudia Oliveira, Edgar Feldman, Luísa Homem • Musique originale José Smith Vargas, Pedro Rodrigues • Son João Gazua • Montage et mixage son Tiago Raposinho, Carlos Abreu • Étalonnage Andreia Bertini

Pedro Pinho

Pedro Pinho est diplômé de l’École de théâtre et de cinéma de Lisbonne, de l’École Nationale Supérieure Louis Lumière à Paris, de la London Film School et de la Fondation Calouste Gulbenkian.
En 2008, il fonde avec cinq confrères réalisateurs et producteurs le collectif de production Terratreme Filmes qui joue, depuis lors, un rôle central dans la production et la mise en avant de nouveaux talents du cinéma portugais. Il travaille actuellement en tant que réalisateur, scénariste et producteur.
L’Usine de rien est son premier long-métrage de fiction.

Filmographie

2008 Bab Sebta Documentaire / 112 min.
Prix Marseille Espérance au FID Marseille 2008, meilleur film au DocLisboa (Portugal) et au Forum Doc BH (Brésil)

2013 Um fim do mundo  Fiction / 63 min.
63ème Berlinale, IndieLisboa, Festival do Rio,
Prix du meilleur film aux Globos de Ouro, Prix de la meilleure photographie aux Caminhos Cinema Português

2014 As Cidades e as Trocas de Pedro Pinho et Luísa Homem
Documentaire / 16mm / 139 min.
FID Marseille, DocLisboa, The Art of the Real (New York)

2017 L’Usine de rien Fiction / 16mm / 176 min.
Festival de Cannes – Quinzaine des réalisateurs 2017 – Prix Fipresci | de la critique internationale

Nous sommes parvenus à créer une communauté de travail inédite. La France a une histoire de réactivité, de lutte syndicale très différente du Portugal.

ENTRETIEN AVEC PEDRO PINHO

Comment est né le projet du film ?
Il y a six ans, nous avons débuté une collaboration avec un metteur en scène portugais, Jorge Silva Mello, qui voulait adapter au cinéma une pièce de théâtre intitulée « L’Usine de rien » et qui est à l’origine une comédie musicale pour enfants. Nous avions obtenu un financement de l’équivalent portugais du CNC et on travaillait sur le film avec le collectif de réalisateurs auquel j’appartiens, Terratreme, mais Jorge a dû abandonner le projet pour des raisons personnelles. En 2014, nous avons donc décidé de reprendre en main l’écriture du projet à quatre : Luísa Homem, Leonor Noivo, Tiago Hespanha et moi-même.
Nous avons conservé quelques idées du projet initial, mais nous l’avons modifié de fond en comble pour nous l’approprier et le faire correspondre à notre univers et à notre façon de travailler. Nous sommes partis dans une région industrielle au nord de Lisbonne à proximité du Tage, où nous avons loué un appartement pour y habiter et réaliser une enquête à base d’entretiens avec des ouvriers en poste, en lutte ou en situation de licenciement. Nous avons ensuite absorbé ces histoires dans l’écriture, qui a été imprégnée par cette région où l’on trouvait notamment de nombreuses usines de ciment ou de carrelage.

L’usine est un lieu important du film. Comment l’avez-vous trouvée et comment a-t-elle influencé l’écriture ?
L’usine a été difficile à trouver. Lorsqu’on présentait l’idée et le scénario, nos interlocuteurs nous répondaient être prêts à nous accueillir, mais pas sur un tel sujet abordant la prise de contrôle par les ouvriers de leur usine ! Il s’est alors produit un hasard magique. Alors que j’expliquais une énième fois le projet à l’administrateur d’une usine, j’ai aperçu une lueur dans ses yeux : ce que je lui racontais était « l’histoire de son usine ».
L’usine où nous avons tourné a en effet été occupée par ses ouvriers durant la révolution des Œillets de 1974. Elle appartenait au constructeur américain d’ascenseurs OTIS qui a fui pendant le processus révolutionnaire. Les travailleurs ont proposé d’acheter l’usine pour un dollar, ce qui a été accepté. Ils ont alors commencé à travailler en autogestion, avec des assemblées générales réunissant plus de 300 travailleurs. Cela a duré jusque dans les années 1990, avant que l’usine ne doive changer de statut, notamment pour accéder à certains crédits bancaires. Elle a finalement fermé en 2016, donc après la fin de notre tournage.
Cette coïncidence incroyable nous a non seulement permis de faire jouer certains ouvriers de l’usine, d’incorporer certains éléments de l’histoire de ce lieu à notre scénario, mais surtout de créer une sorte de magnétisme entre notre équipe et les ouvriers, que nous avons ressenti dès les premières sessions de travail. Nous sommes parvenus à créer un collectif de personnes sensibilisées à ces questions et à créer une communauté de travail inédite. Que l’usine qui nous a servi de décor ait elle-même fonctionné en autogestion pendant des années constituait la cerise sur le gâteau !

Le film donne en effet le sentiment d’épouser une facture documentaire, même s’il s’agit bien d’une fiction. Comment le casting et le tournage ont-ils permis cela ?
La grande majorité des acteurs sont des amateurs, eux-mêmes ouvriers, même s’il y a aussi quelques comédiens professionnels. Le scénario était complètement écrit, y compris les séquences qui fonctionnent comme du documentaire à l’intérieur du film, mais nous avons emprunté une méthode de travail particulière, qui laissait une grande place à l’improvisation.
Nous n’avons pas montré le scénario terminé aux acteurs, et avons même entretenu une forme de secret. Nous n’avons pas fait de répétition des dialogues, mais avons été attentifs à tout ce qui se passait sur le plateau, à la fois devant et derrière la caméra. Chaque jour, on présentait aux acteurs la situation qu’on voulait tourner, et les gens devaient réagir, avec leur mémoire personnelle et émotionnelle, y compris la mémoire de leur corps. Les dialogues sont finalement largement improvisés. La plupart du temps, nous avions toutefois quelques lignes de dialogues qu’on tentait d’implanter au milieu de l’action, en les murmurant à l’un des acteurs, et en laissant les autres réagir. Tout se passait comme s’il s’agissait d’insuffler discrètement du sens à une forme de chaos organisé pour aboutir à un résultat proche du scénario imaginé.

L’Usine de rien est un film cosigné par plusieurs personnes, même s’il est réalisé par vous. Est-ce qu’il fallait un film collectif pour parler de ce lieu essentiel du collectif qu’est le travail en général, et le travail en usine en particulier ?
Nous avions constitué ce collectif de réalisateurs du nom de Terratreme avant de nous engager dans ce projet de film. Il s’agissait pour nous d’être en mesure de produire des films, de façon autonome, sans être dépendants des grandes sociétés de production, avec à la fois l’idée de faire des films ensemble, mais aussi d’utiliser moins de ressources, parce que chacun travaille dans et pour les films des autres. Chaque réalisateur peut ainsi davantage être l’acteur de la production et du budget de son film, décider s’il préfère avoir un mois de répétition supplémentaire ou un budget décor plus important.
Mais l’idée principale est de tenter un travail collectif horizontal, même si ce n’est jamais complètement le cas, parce que le cinéma reste un lieu qui demande des décisions individuelles, pour choisir où placer la caméra, faire rejouer ou pas telle ou telle scène… Quand on a commencé à écrire une histoire sur une usine entrant en autogestion, on s’est donc rendu compte que ces questions étaient aussi les nôtres, sur notre lieu de travail, qui est une petite usine de films. Cela a enrichi nos discussions et nous a mieux permis de saisir les échanges entre les ouvriers, de mieux accéder à la dramaturgie et aux tensions entourant les discussions sur l’organisation du travail.

L’héritage de la révolution des Œillets est présente, notamment dans cette scène où le père de Zé l’emmène déterrer un vieux fusil, en lui disant qu’aujourd’hui les oeillets « ne suffisent plus ». Comment votre film prend t’il en charge cette histoire révolutionnaire du Portugal ?
Notre idée n’était pas de faire le récit d’une usine qui ferme. Nous voulions nous insérer dans une histoire plus longue, et produire une réflexion sur nous-mêmes et le moment historique que nous étions en train de vivre : cette déflagration économique et sociale qui nous laissait impuissants et perdus, à encaisser les conditions de vie dures et brutales imposées d’en haut. Pour pallier le manque de discours opératoire et pour comprendre la situation que nous étions en train de vivre, nous avons voulu faire appel à une histoire des idées, des luttes et des relations entre l’action politique et la possibilité de transformer la réalité. Pour ma génération, l’histoire du PREC * (* PREC : Processus ou Période Révolutionnaire en Cours désigne la période des activités révolutionnaires née de la révolution des OEillets. Elle a durée deux ans. Les militants engagés dans ce processus sont issus d’une vaste frange de la gauche. Malgré les querelles idéologiques, ces groupes partagent entre eux une certaine cohésion autour des idéaux de la révolution et la conviction que la justice sociale absolue est à installer au Portugal.) est très présente, car nos parents ont vécu la lutte révolutionnaire, l’exil, la guerre coloniale… Quand on a commencé à penser et filmer les rapports de force entre le capitalisme et le monde qui s’est mis en place après la fin de ce processus révolutionnaire, on a invité des personnes de cette génération, des amis de mes parents, à discuter de l’actualisation possible de cette période révolutionnaire. L’acteur qui joue le père de Zéa, d’ailleurs, lui-même participé au processus révolutionnaire et avait enterré des armes à feu…

Mais cet héritage, à l’image de l’attitude de Zé, demeure ambigu ?
Cette ambiguïté, qui traverse beaucoup de moments du film, est importante pour moi. La révolution et la lutte armée sont-elles anachroniques ou nécessaires ? Bien sûr que le système capitaliste impose à beaucoup de gens un rapport violent, abusif, voire colonial. Pour autant, est-il possible, aujourd’hui, d’envisager une révolution ? Quelles armes, métaphoriques ou réelles, faut-il employer pour résister ? Je n’ai pas de réponse définitive à cela. Mais j’ai compris quelque chose pendant le montage que je n’avais pas compris pendant l’écriture du scénario. Juste après cette scène où l’on parle des armes se situe, dans le film, la scène du concert punk. C’est en faisant ce choix de montage que j’ai compris que les guitares électriques punk pouvaient constituer une partie de la réponse de ma génération aux questions que se posaient déjà nos parents, mais auxquelles ils ont répondu différemment.

Comment filmer une situation – une fermeture d’usine dont la production est délocalisée – qu’on a malheureusement le sentiment d’avoir beaucoup vue ces dernières années ?
La France a une histoire de réactivité, de lutte syndicale très différente du Portugal, où les gens sont plus calmes, pour ne pas dire trop calmes. Les images qui nous arrivent ici entretiennent un sentiment d’impuissance : des récits de faillites, d’abandons, de renoncements… Le film qu’on voulait faire, c’était exactement le contraire de cela ! Comment, au milieu de ce sentiment d’impuissance, trouver une situation alternative, et se mettre ensemble pour proposer une fable, mais une fable opérationnelle, susceptible de produire une réflexion, de montrer des chemins, d’indiquer un point lumineux à l’intérieur de l’ambiance sombre qui dominait à l’époque dans mon pays.

Le risque, avec un tel sujet, pourrait être celui d’une pédagogie trop didactique sur l’économie…
On n’a jamais eu peur d’être pédagogique, parce que notre façon de travailler est toujours brute, sans fioritures, pour ne pas dire sale. Notre objectif était de non seulement raconter une histoire, mais surtout de trouver une forme en rapport avec ce que nous voulions raconter. Le personnage du cinéaste barbu (Daniele), qui arrive au milieu de cette usine en lutte, produit une interférence, une présence parallèle à notre regard. Elle ouvre le film à une réflexion plus directe et théorique qu’un film plus narratif ne pourrait le faire.

Comment fait-on matière cinématographique de textes ou de paroles souvent théoriques, et pas toujours faciles d’accès ?
Je n’aurais pas su répondre avant d’avoir fini le film. J’ai expérimenté plusieurs pistes et je suis assez satisfait du résultat, même si je me suis surpris moi-même. Quand j’ai commencé à étudier le cinéma, je me disais que jamais je n’utiliserais de musique extra-diégétique ou de voix off et, en réalité, je m’en suis servi pendant tout le film ! Dans le même ordre d’idée, je pensais ne jamais utiliser de zoom dans mon travail de réalisation… Pour ce qui est de la manière de filmer cette parole théorique, il y avait cette scène assez longue du dîner qui risquait d’apparaître comme un OVNI au milieu du film. Pour qu’elle ne paraisse pas trop extraterrestre, il fallait la préparer en créant une disponibilité pour ce registre de discours. La voix off qu’on entend plus tôt dans le film fonctionne alors comme du beurre, afin que le spectateur puisse accepter et recevoir ce registre de discours à l’intérieur du film.
Mais l’idée était de traiter cette parole intellectuelle comme une autre, avec le pouvoir de séduction et l’intérêt que toutes les paroles peuvent avoir, ou pas. Cette question est contaminée par les mauvais exemples d’un cinéma militant qui a en partie gâté la possibilité d’entendre un dialogue politique à l’intérieur d’une belle histoire. Il suffit pourtant de regarder les films de Robert Kramer, La Salamandre d’Alain Tanner, Land and Freedom de Ken Loach ou Une femme sous influence de Cassavetes, pour savoir qu’une parole politique et théorique peut constituer une très belle matière cinématographique.

Il serait sans doute évident de dire que ce film est politique, mais ce serait sans doute trop flou. Peut-on préciser en quel sens il serait politique ?
On ne peut pas se mettre en dehors du politique. La prétendue « neutralité » est en soi politique. Les films de Walt Disney sont totalement politiques. Notre film est aussi politique qu’un Walt Disney, mais dans un sens critique.

L’Usine de Rien est un film ambitieux qui semble fonctionner par strates. Comment s’emboîtent les facettes de ce film qui pourrait parfois faire penser à un Rubik’s cube ?
On l’a conçu comme cela, comme un film 3D, mais sans effets spéciaux ! On pourrait dire que, face à une réalité en deux dimensions, nous voulions narrativement en introduire une troisième, avec juste quelques outils basiques. Cela oblige évidemment à être inventif, à faire exister et tenir ensemble des couches de cinéma différentes les unes des autres.
Par exemple, j’ai eu à un moment très peur de devoir couper l’histoire de Zé, de sa compagne et de cet enfant, qui nous sort du cadre de l’usine. J’ai craint, au tournage, que ça n’aille pas avec le reste. J’avais peur de dérouter le spectateur et c’est une crainte qui m’a taraudé sans cesse. Comment garder toutes ces idées, ambitieuses et nombreuses ? Mais je sentais que si j’enlevais une dimension du film, il deviendrait beaucoup plus pauvre que la simple opération de soustraction ne pourrait le laisser penser. La force du film est sa pluri-dimensionnalité. Le film est comme un poulpe, il a plein de membres et de tentacules. Retirer une patte d’un poulpe handicape le poulpe au point qu’il ne correspond plus à la définition d’un poulpe. Je voulais garder le film en entier et l’équipe m’a totalement soutenu dans ce sens, parce qu’aucune couche du film ne peut fonctionner l’une sans l’autre, même si elles donnent parfois l’impression de se croiser brusquement.
Cette tridimensionnalité imposait, par ailleurs, de faire progresser l’énergie du film pendant les presque trois heures qu’il dure. Il commence de manière vive, puis il y a comme un moment de creux, où on peut se concentrer sur des temps de silence et d’observation, de « rien », avant de repartir et de faire croître l’énergie pour maintenir le spectateur éveillé et attentif jusqu’à la fin. La dernière heure est ainsi très musicale, rapide et surprenante.

Pourquoi n’avoir pas renoncé à la pellicule 16mm, surtout pour un film qui dure près de trois heures ?
La matérialité du cinéma passe, pour moi, par la pellicule. Le 16mm est la pellicule la moins onéreuse. Nous avons utilisé environ 200 boîtes de 16mm, c’est-à-dire à peu près 10-11 minutes de rushs par boîte. Si le film n’était pas le résultat d’un travail collectif, si nous n’étions pas les producteurs de ce film, cela n’aurait jamais été possible. Les conditions matérielles de production sont cruciales pour la forme et l’esthétique que l’on veut donner à son objet. L’économie est une variable esthétique fondamentale. Or, le montage d’un tel film est un procédé très long, qui a commencé en mai 2015 pour se terminer en avril 2017, même s’il y a eu des interruptions. Aucun producteur au monde ne m’aurait laissé ce temps-là pour monter un film comme celui-ci, qui a coûté 600 000 euros, ce qui représente un budget conséquent pour un film au Portugal.

« Un spectre hante l’Europe. Le spectre de sa propre fin » dit la voix off lors d’un travelling sur des usines dont on pressent la fin proche ou déjà actée. Quelle idée de l’Europe ce film cherche-t-il à capter ?
Le premier film que j’ai réalisé, en 2005, portait sur des migrants subsahariens qui tentaient d’entrer à Ceuta et Melilla, ces enclaves espagnoles situées à la frontière marocaine. Pour cela, j’ai passé beaucoup de temps au Maroc et en Mauritanie, et les gens que j’ai rencontrés m’ont donné une vision de l’Europe qui m’a beaucoup appris et a contribué à construire mon idée de l’Europe, à appréhender avec une distance critique ce monolithe historique et géographique dont on se rend mal compte quand on vit à l’intérieur.
Quand on prend une certaine distance, on perçoit mieux le processus très lent de délitement, de chute, de décomposition dans lequel nous sommes engagés. Par exemple, au Portugal, où la crise démographique est particulièrement forte, l’ancien Président de droite venait souvent à la télévision nous expliquer qu’il fallait nous reproduire, sans jamais s’interroger sur les raisons de ce déclin démographique, ni encore moins imaginer qu’on pourrait accueillir des migrants venus d’ailleurs pour répondre à cette situation.

Comment s’inscrit le film dans un cinéma portugais dont on a l’impression qu’il est aujourd’hui l’un des plus inventifs d’Europe ?
Je ne sais pas comment l’expliquer, mais deux éléments ont été importants. Le soutien aux films portugais a longtemps été très affranchi vis-à-vis des critères commerciaux, et les jurys qui donnaient des aides se prononçaient surtout en fonction de critères esthétiques. Cela a donné des œuvres très libres, mais c’est malheureusement en train de changer. Les opérateurs du marché sont en train de prendre la main sur les processus de sélection des projets et d’aide de l’État, et les films comme les miens sont menacés. Par ailleurs, il y a eu, dans les années 1990, plusieurs cas de réalisateurs portugais très libres qui ont lancé des propositions cinématographiques qui nous ont beaucoup influencés, que ce soit Manoel de Oliveira, Pedro Costa ou João César Monteiro. Toute ma génération à l’ambition d’être à la hauteur du cinéma de Monteiro. Même si c’est difficile d’y parvenir, cela crée une exigence…