Une nuit, des travailleurs surprennent la direction en train de vider leur usine de ses machines. Pour empêcher la délocalisation de la production, ils décident d’occuper les lieux. À leur grande surprise, la direction se volatilise laissant au collectif toute la place pour imaginer de nouvelles façons de travailler dans un système où la crise est devenue le modèle de gouvernement dominant.
Festival de Cannes 2017 – La Quinzaine des réalisateurs – Prix FIPRESCI sélections parallèles
Un film de : João Matos, Leonor Noivo, Luísa Homem, Pedro Pinho, Tiago Hespanha • Réalisation : Pedro Pinho • Production : João Matos, Leonor Noivo, Luísa Homem, Pedro Pinho, Susana Nobre, Tiago Hespanha (Terratreme Filmes) • Écrit par Pedro Pinho, Luísa Homem, Leonor Noivo, Tiago Hespanha • Sur une idée de Jorge Silva Melo • Image Vasco Viana• Montage Cláudia Oliveira, Edgar Feldman, Luísa Homem • Musique originale José Smith Vargas, Pedro Rodrigues • Son João Gazua • Montage et mixage son Tiago Raposinho, Carlos Abreu • Étalonnage Andreia Bertini
Pedro Pinho
Pedro
Pinho est diplômé de l’École de théâtre et de cinéma de Lisbonne, de
l’École Nationale Supérieure Louis Lumière à Paris, de la London Film
School et de la Fondation Calouste Gulbenkian.
En 2008, il fonde avec cinq confrères réalisateurs et producteurs le collectif de production Terratreme Filmes
qui joue, depuis lors, un rôle central dans la production et la mise en
avant de nouveaux talents du cinéma portugais. Il travaille
actuellement en tant que réalisateur, scénariste et producteur.
L’Usine de rien est son premier long-métrage de fiction.
Filmographie
2008 Bab Sebta Documentaire / 112 min.
Prix Marseille Espérance au FID Marseille 2008, meilleur film au DocLisboa (Portugal) et au Forum Doc BH (Brésil)
2013 Um fim do mundo Fiction / 63 min.
63ème Berlinale, IndieLisboa, Festival do Rio,
Prix du meilleur film aux Globos de Ouro, Prix de la meilleure photographie aux Caminhos Cinema Português
2014 As Cidades e as Trocas de Pedro Pinho et Luísa Homem
Documentaire / 16mm / 139 min.
FID Marseille, DocLisboa, The Art of the Real (New York)
2017 L’Usine de rien Fiction / 16mm / 176 min.
Festival de Cannes – Quinzaine des réalisateurs 2017 – Prix Fipresci | de la critique internationale

Nous sommes parvenus à créer une communauté de travail inédite. La France a une histoire de réactivité, de lutte syndicale très différente du Portugal.
ENTRETIEN AVEC PEDRO PINHO
Comment est né le projet du film ?
Il y a six ans, nous avons débuté une collaboration avec un metteur en
scène portugais, Jorge Silva Mello, qui voulait adapter au cinéma une
pièce de théâtre intitulée « L’Usine de rien » et qui est à l’origine
une comédie musicale pour enfants. Nous avions obtenu un financement de
l’équivalent portugais du CNC et on travaillait sur le film avec le
collectif de réalisateurs auquel j’appartiens, Terratreme, mais Jorge a
dû abandonner le projet pour des raisons personnelles. En 2014, nous
avons donc décidé de reprendre en main l’écriture du projet à quatre :
Luísa Homem, Leonor Noivo, Tiago Hespanha et moi-même.
Nous avons conservé quelques idées du projet initial, mais nous l’avons
modifié de fond en comble pour nous l’approprier et le faire
correspondre à notre univers et à notre façon de travailler. Nous sommes
partis dans une région industrielle au nord de Lisbonne à proximité du
Tage, où nous avons loué un appartement pour y habiter et réaliser une
enquête à base d’entretiens avec des ouvriers en poste, en lutte ou en
situation de licenciement. Nous avons ensuite absorbé ces histoires dans
l’écriture, qui a été imprégnée par cette région où l’on trouvait
notamment de nombreuses usines de ciment ou de carrelage.
L’usine est un lieu important du film. Comment l’avez-vous trouvée et comment a-t-elle influencé l’écriture ?
L’usine a été difficile à trouver. Lorsqu’on présentait l’idée et le
scénario, nos interlocuteurs nous répondaient être prêts à nous
accueillir, mais pas sur un tel sujet abordant la prise de contrôle par
les ouvriers de leur usine ! Il s’est alors produit un hasard magique.
Alors que j’expliquais une énième fois le projet à l’administrateur
d’une usine, j’ai aperçu une lueur dans ses yeux : ce que je lui
racontais était « l’histoire de son usine ».
L’usine où nous avons tourné a en effet été occupée par ses ouvriers
durant la révolution des Œillets de 1974. Elle appartenait au
constructeur américain d’ascenseurs OTIS qui a fui pendant le processus
révolutionnaire. Les travailleurs ont proposé d’acheter l’usine pour un
dollar, ce qui a été accepté. Ils ont alors commencé à travailler en
autogestion, avec des assemblées générales réunissant plus de 300
travailleurs. Cela a duré jusque dans les années 1990, avant que l’usine
ne doive changer de statut, notamment pour accéder à certains crédits
bancaires. Elle a finalement fermé en 2016, donc après la fin de notre
tournage.
Cette coïncidence incroyable nous a non seulement permis de faire jouer
certains ouvriers de l’usine, d’incorporer certains éléments de
l’histoire de ce lieu à notre scénario, mais surtout de créer une sorte
de magnétisme entre notre équipe et les ouvriers, que nous avons
ressenti dès les premières sessions de travail. Nous sommes parvenus à
créer un collectif de personnes sensibilisées à ces questions et à créer
une communauté de travail inédite. Que l’usine qui nous a servi de
décor ait elle-même fonctionné en autogestion pendant des années
constituait la cerise sur le gâteau !
Le film donne en effet le sentiment d’épouser une facture
documentaire, même s’il s’agit bien d’une fiction. Comment le casting et
le tournage ont-ils permis cela ?
La grande majorité des acteurs sont des amateurs, eux-mêmes ouvriers,
même s’il y a aussi quelques comédiens professionnels. Le scénario était
complètement écrit, y compris les séquences qui fonctionnent comme du
documentaire à l’intérieur du film, mais nous avons emprunté une méthode
de travail particulière, qui laissait une grande place à
l’improvisation.
Nous n’avons pas montré le scénario terminé aux acteurs, et avons même
entretenu une forme de secret. Nous n’avons pas fait de répétition des
dialogues, mais avons été attentifs à tout ce qui se passait sur le
plateau, à la fois devant et derrière la caméra. Chaque jour, on
présentait aux acteurs la situation qu’on voulait tourner, et les gens
devaient réagir, avec leur mémoire personnelle et émotionnelle, y
compris la mémoire de leur corps. Les dialogues sont finalement
largement improvisés. La plupart du temps, nous avions toutefois
quelques lignes de dialogues qu’on tentait d’implanter au milieu de
l’action, en les murmurant à l’un des acteurs, et en laissant les autres
réagir. Tout se passait comme s’il s’agissait d’insuffler discrètement
du sens à une forme de chaos organisé pour aboutir à un résultat proche
du scénario imaginé.
L’Usine de rien est un film cosigné par plusieurs
personnes, même s’il est réalisé par vous. Est-ce qu’il fallait un film
collectif pour parler de ce lieu essentiel du collectif qu’est le
travail en général, et le travail en usine en particulier ?
Nous avions constitué ce collectif de réalisateurs du nom de Terratreme
avant de nous engager dans ce projet de film. Il s’agissait pour nous
d’être en mesure de produire des films, de façon autonome, sans être
dépendants des grandes sociétés de production, avec à la fois l’idée de
faire des films ensemble, mais aussi d’utiliser moins de ressources,
parce que chacun travaille dans et pour les films des autres. Chaque
réalisateur peut ainsi davantage être l’acteur de la production et du
budget de son film, décider s’il préfère avoir un mois de répétition
supplémentaire ou un budget décor plus important.
Mais l’idée principale est de tenter un travail collectif horizontal,
même si ce n’est jamais complètement le cas, parce que le cinéma reste
un lieu qui demande des décisions individuelles, pour choisir où placer
la caméra, faire rejouer ou pas telle ou telle scène… Quand on a
commencé à écrire une histoire sur une usine entrant en autogestion, on
s’est donc rendu compte que ces questions étaient aussi les nôtres, sur
notre lieu de travail, qui est une petite usine de films. Cela a enrichi
nos discussions et nous a mieux permis de saisir les échanges entre les
ouvriers, de mieux accéder à la dramaturgie et aux tensions entourant
les discussions sur l’organisation du travail.
L’héritage de la révolution des Œillets est présente,
notamment dans cette scène où le père de Zé l’emmène déterrer un vieux
fusil, en lui disant qu’aujourd’hui les oeillets « ne suffisent plus ».
Comment votre film prend t’il en charge cette histoire révolutionnaire
du Portugal ?
Notre idée n’était pas de faire le récit d’une usine qui ferme. Nous
voulions nous insérer dans une histoire plus longue, et produire une
réflexion sur nous-mêmes et le moment historique que nous étions en
train de vivre : cette déflagration économique et sociale qui nous
laissait impuissants et perdus, à encaisser les conditions de vie dures
et brutales imposées d’en haut. Pour pallier le manque de discours
opératoire et pour comprendre la situation que nous étions en train de
vivre, nous avons voulu faire appel à une histoire des idées, des luttes
et des relations entre l’action politique et la possibilité de
transformer la réalité. Pour ma génération, l’histoire du PREC * (* PREC
: Processus ou Période Révolutionnaire en Cours désigne la période des
activités révolutionnaires née de la révolution des OEillets. Elle a
durée deux ans. Les militants engagés dans ce processus sont issus d’une
vaste frange de la gauche. Malgré les querelles idéologiques, ces
groupes partagent entre eux une certaine cohésion autour des idéaux de
la révolution et la conviction que la justice sociale absolue est à
installer au Portugal.) est très présente, car nos parents ont vécu la
lutte révolutionnaire, l’exil, la guerre coloniale… Quand on a commencé à
penser et filmer les rapports de force entre le capitalisme et le monde
qui s’est mis en place après la fin de ce processus révolutionnaire, on
a invité des personnes de cette génération, des amis de mes parents, à
discuter de l’actualisation possible de cette période révolutionnaire.
L’acteur qui joue le père de Zéa, d’ailleurs, lui-même participé au
processus révolutionnaire et avait enterré des armes à feu…
Mais cet héritage, à l’image de l’attitude de Zé, demeure ambigu ?
Cette ambiguïté, qui traverse beaucoup de moments du film, est
importante pour moi. La révolution et la lutte armée sont-elles
anachroniques ou nécessaires ? Bien sûr que le système capitaliste
impose à beaucoup de gens un rapport violent, abusif, voire colonial.
Pour autant, est-il possible, aujourd’hui, d’envisager une révolution ?
Quelles armes, métaphoriques ou réelles, faut-il employer pour résister ?
Je n’ai pas de réponse définitive à cela. Mais j’ai compris quelque
chose pendant le montage que je n’avais pas compris pendant l’écriture
du scénario. Juste après cette scène où l’on parle des armes se situe,
dans le film, la scène du concert punk. C’est en faisant ce choix de
montage que j’ai compris que les guitares électriques punk pouvaient
constituer une partie de la réponse de ma génération aux questions que
se posaient déjà nos parents, mais auxquelles ils ont répondu
différemment.
Comment filmer une situation – une fermeture d’usine dont la
production est délocalisée – qu’on a malheureusement le sentiment
d’avoir beaucoup vue ces dernières années ?
La France a une histoire de réactivité, de lutte syndicale très
différente du Portugal, où les gens sont plus calmes, pour ne pas dire
trop calmes. Les images qui nous arrivent ici entretiennent un sentiment
d’impuissance : des récits de faillites, d’abandons, de renoncements…
Le film qu’on voulait faire, c’était exactement le contraire de cela !
Comment, au milieu de ce sentiment d’impuissance, trouver une situation
alternative, et se mettre ensemble pour proposer une fable, mais une
fable opérationnelle, susceptible de produire une réflexion, de montrer
des chemins, d’indiquer un point lumineux à l’intérieur de l’ambiance
sombre qui dominait à l’époque dans mon pays.
Le risque, avec un tel sujet, pourrait être celui d’une pédagogie trop didactique sur l’économie…
On n’a jamais eu peur d’être pédagogique, parce que notre façon de
travailler est toujours brute, sans fioritures, pour ne pas dire sale.
Notre objectif était de non seulement raconter une histoire, mais
surtout de trouver une forme en rapport avec ce que nous voulions
raconter. Le personnage du cinéaste barbu (Daniele), qui arrive au
milieu de cette usine en lutte, produit une interférence, une présence
parallèle à notre regard. Elle ouvre le film à une réflexion plus
directe et théorique qu’un film plus narratif ne pourrait le faire.
Comment fait-on matière cinématographique de textes ou de paroles souvent théoriques, et pas toujours faciles d’accès ?
Je n’aurais pas su répondre avant d’avoir fini le film. J’ai
expérimenté plusieurs pistes et je suis assez satisfait du résultat,
même si je me suis surpris moi-même. Quand j’ai commencé à étudier le
cinéma, je me disais que jamais je n’utiliserais de musique
extra-diégétique ou de voix off et, en réalité, je m’en suis servi
pendant tout le film ! Dans le même ordre d’idée, je pensais ne jamais
utiliser de zoom dans mon travail de réalisation… Pour ce qui est de la
manière de filmer cette parole théorique, il y avait cette scène assez
longue du dîner qui risquait d’apparaître comme un OVNI au milieu du
film. Pour qu’elle ne paraisse pas trop extraterrestre, il fallait la
préparer en créant une disponibilité pour ce registre de discours. La
voix off qu’on entend plus tôt dans le film fonctionne alors comme du
beurre, afin que le spectateur puisse accepter et recevoir ce registre
de discours à l’intérieur du film.
Mais l’idée était de traiter cette parole intellectuelle comme une
autre, avec le pouvoir de séduction et l’intérêt que toutes les paroles
peuvent avoir, ou pas. Cette question est contaminée par les mauvais
exemples d’un cinéma militant qui a en partie gâté la possibilité
d’entendre un dialogue politique à l’intérieur d’une belle histoire. Il
suffit pourtant de regarder les films de Robert Kramer, La Salamandre
d’Alain Tanner, Land and Freedom de Ken Loach ou Une femme sous
influence de Cassavetes, pour savoir qu’une parole politique et
théorique peut constituer une très belle matière cinématographique.
Il serait sans doute évident de dire que ce film est
politique, mais ce serait sans doute trop flou. Peut-on préciser en quel
sens il serait politique ?
On ne peut pas se mettre en dehors du politique. La prétendue «
neutralité » est en soi politique. Les films de Walt Disney sont
totalement politiques. Notre film est aussi politique qu’un Walt Disney,
mais dans un sens critique.
L’Usine de Rien est un film ambitieux qui semble
fonctionner par strates. Comment s’emboîtent les facettes de ce film qui
pourrait parfois faire penser à un Rubik’s cube ?
On l’a conçu comme cela, comme un film 3D, mais sans effets spéciaux !
On pourrait dire que, face à une réalité en deux dimensions, nous
voulions narrativement en introduire une troisième, avec juste quelques
outils basiques. Cela oblige évidemment à être inventif, à faire exister
et tenir ensemble des couches de cinéma différentes les unes des
autres.
Par exemple, j’ai eu à un moment très peur de devoir couper l’histoire
de Zé, de sa compagne et de cet enfant, qui nous sort du cadre de
l’usine. J’ai craint, au tournage, que ça n’aille pas avec le reste.
J’avais peur de dérouter le spectateur et c’est une crainte qui m’a
taraudé sans cesse. Comment garder toutes ces idées, ambitieuses et
nombreuses ? Mais je sentais que si j’enlevais une dimension du film, il
deviendrait beaucoup plus pauvre que la simple opération de
soustraction ne pourrait le laisser penser. La force du film est sa
pluri-dimensionnalité. Le film est comme un poulpe, il a plein de
membres et de tentacules. Retirer une patte d’un poulpe handicape le
poulpe au point qu’il ne correspond plus à la définition d’un poulpe. Je
voulais garder le film en entier et l’équipe m’a totalement soutenu
dans ce sens, parce qu’aucune couche du film ne peut fonctionner l’une
sans l’autre, même si elles donnent parfois l’impression de se croiser
brusquement.
Cette tridimensionnalité imposait, par ailleurs, de faire progresser
l’énergie du film pendant les presque trois heures qu’il dure. Il
commence de manière vive, puis il y a comme un moment de creux, où on
peut se concentrer sur des temps de silence et d’observation, de « rien
», avant de repartir et de faire croître l’énergie pour maintenir le
spectateur éveillé et attentif jusqu’à la fin. La dernière heure est
ainsi très musicale, rapide et surprenante.
Pourquoi n’avoir pas renoncé à la pellicule 16mm, surtout pour un film qui dure près de trois heures ?
La matérialité du cinéma passe, pour moi, par la pellicule. Le 16mm est
la pellicule la moins onéreuse. Nous avons utilisé environ 200 boîtes
de 16mm, c’est-à-dire à peu près 10-11 minutes de rushs par boîte. Si le
film n’était pas le résultat d’un travail collectif, si nous n’étions
pas les producteurs de ce film, cela n’aurait jamais été possible. Les
conditions matérielles de production sont cruciales pour la forme et
l’esthétique que l’on veut donner à son objet. L’économie est une
variable esthétique fondamentale. Or, le montage d’un tel film est un
procédé très long, qui a commencé en mai 2015 pour se terminer en avril
2017, même s’il y a eu des interruptions. Aucun producteur au monde ne
m’aurait laissé ce temps-là pour monter un film comme celui-ci, qui a
coûté 600 000 euros, ce qui représente un budget conséquent pour un film
au Portugal.
« Un spectre hante l’Europe. Le spectre de sa propre fin »
dit la voix off lors d’un travelling sur des usines dont on pressent la
fin proche ou déjà actée. Quelle idée de l’Europe ce film cherche-t-il à
capter ?
Le premier film que j’ai réalisé, en 2005, portait sur des migrants
subsahariens qui tentaient d’entrer à Ceuta et Melilla, ces enclaves
espagnoles situées à la frontière marocaine. Pour cela, j’ai passé
beaucoup de temps au Maroc et en Mauritanie, et les gens que j’ai
rencontrés m’ont donné une vision de l’Europe qui m’a beaucoup appris et
a contribué à construire mon idée de l’Europe, à appréhender avec une
distance critique ce monolithe historique et géographique dont on se
rend mal compte quand on vit à l’intérieur.
Quand on prend une certaine distance, on perçoit mieux le processus
très lent de délitement, de chute, de décomposition dans lequel nous
sommes engagés. Par exemple, au Portugal, où la crise démographique est
particulièrement forte, l’ancien Président de droite venait souvent à la
télévision nous expliquer qu’il fallait nous reproduire, sans jamais
s’interroger sur les raisons de ce déclin démographique, ni encore moins
imaginer qu’on pourrait accueillir des migrants venus d’ailleurs pour
répondre à cette situation.
Comment s’inscrit le film dans un cinéma portugais dont on a
l’impression qu’il est aujourd’hui l’un des plus inventifs d’Europe ?
Je ne sais pas comment l’expliquer, mais deux éléments ont été
importants. Le soutien aux films portugais a longtemps été très
affranchi vis-à-vis des critères commerciaux, et les jurys qui donnaient
des aides se prononçaient surtout en fonction de critères esthétiques.
Cela a donné des œuvres très libres, mais c’est malheureusement en train
de changer. Les opérateurs du marché sont en train de prendre la main
sur les processus de sélection des projets et d’aide de l’État, et les
films comme les miens sont menacés. Par ailleurs, il y a eu, dans les
années 1990, plusieurs cas de réalisateurs portugais très libres qui ont
lancé des propositions cinématographiques qui nous ont beaucoup
influencés, que ce soit Manoel de Oliveira, Pedro Costa ou João César
Monteiro. Toute ma génération à l’ambition d’être à la hauteur du cinéma
de Monteiro. Même si c’est difficile d’y parvenir, cela crée une
exigence…