Film soutenu

Mambar Pierrette

Rosine Mbakam

Distribution : Singularis Films

Date de sortie : 31/01/2024

Belgique, Cameroun - 1h33

La ville de Douala trépigne à l’approche de la rentrée scolaire. Les clientes se bousculent pour que les vêtements des enfants et des cérémonies soient prêts à temps. Plus qu’une simple couturière, Pierrette est aussi la confidente de ses clientes et d’une génération. Mais de fortes pluies menacent d’inonder son atelier – un malheur parmi d’autres – Pierrette va devoir rester à flot.

Quinzaine des Cinéastes 2023

Pierrette Aboheu (Pierrette Mambar), Karelle Kenmogne (Karelle), Cécile Tchana (Mabreuh), Fabrice Ndjeuthat (Alphonse)

Réalisation/ Scénario Rosine Mbakam • Direction Photo Fiona Braillon • Son Loic Villiot, Roger Mboupda • Montage Geoffroy Cernaix • Monteur Son Loic Villiot• Mixage Aline Gavroy • Etalonnage Jorge Piquer Rodriguez• Casting Pierrette Aboheu, Karelle Kenmogne, Cécile Tchana, Fabrice Ndjeuthat • Production Tândor Productions• Coproduction Fédération Wallonie-Bruxelles, Rtbf (Télévision Belge), Tândor Films – Cameroun, Tv5monde, Fonds Image De La Francophonie, Coopération Belge Au Développement, Centre De L’audiovisuel A Bruxelles

Rosine Mbakam

Rosine Mbakam a grandi à Yaoundé dans un quartier populaire qui a nourri son
imaginaire de cinéaste. Après avoir travaillé pendant 3 ans à STV à Douala comme réalisatrice et productrice, elle intègre l’INSAS, école de cinéma belge. Son film de fin d’étude Tu seras mon allié est très remarqué. Par souci d’indépendance, elle fonde sa propre société de production Tândor Productions. Elle réalise 4 longs métrages documentaires qui sont sélectionnés dans les plus grands festivals du monde. Elle est également enseignante et chercheuse au KASK à Gand. Le New Yorker la définit comme « une cinéaste originale d’une sensibilité exceptionnelle; l’une des plus grandes cinéastes de documentaire actuellement en activité». En 2023 elle réalise son premier long-métrage de fiction Mambar Pierrette.

FILMOGRAPHIE
Les Portes du Passé Docu-fiction, 13 min ( 2011)
Tu seras mon Allié Fiction, 19 min (2012)
Les Deux Visages d’une Femme Bamiléké Documentaire, 77 min (2016)
Chez Jolie Coiffure Documentaire, 70 min (2018)
Les Prières de Delphine Documentaire, 90 min (2021)
Prisme Documentaire, 77 min (2021)
Mambar Pierrette Fiction, 93 min (2023)


INVITATION DU PROGRAMMATEUR

Cela fait treize ans que Rosine Mbakam, à cheval entre le Cameroun où elle est née et la Belgique où elle a suivi ses études de cinéma, nous offre des documentaires magnifiques, notamment trois longs métrages centrés autour de figures féminines : Les Deux Visages d’une femme bamiléké, Chez jolie coiffure et Les Prières de Delphine.

Avec Mambar Pierrette, tout en passant pour la première fois au long métrage de fiction, elle poursuit ce geste documentaire, brouillant à plaisir une frontière que l’on sait déjà poreuse entre ces deux pans du cinéma. Déjà il y a le titre, nom véritable d’une cousine et proche amie de Rosine Mbakam. La réalisatrice filme souvent sa famille, proximité qui lui a appris – pour reprendre ses mots – à « déconstruire les rapports de pouvoirs inhérents au cinéma ». Elle se place toujours à un juste niveau, en parfaite empathie avec ses protagonistes, établissant confiance et connivence entre filmeur et filmé, partageant avec eux la mise en scène et nous offrant par là des œuvres d’une incroyable humanité.

Elle écrit son scénario à partir d’histoires vécues par Pierrette et d’autres membres de sa famille. A l’écran, elle s’attache aux mots (le bamiléké), aux gestes du quotidien, aux drames que ces femmes traversent. La force de son film tient à ce regard et cette démarche de documentariste mais, s’écartant d’un pur réalisme, elle recrée avec Pierrette ces histoires et nous offre un film palpitant où le suspens naît de situations du quotidien, du moins de celui des habitants de Douala. Surtout elle ne filme pas des victimes, mais des combattantes, des femmes belles et fortes, toujours en mouvement, toujours dans la vie.

Olivier BITOUNdirecteur du Réseau Cinéphare


ENTRETIEN AVEC ROSINE MBAKAM

Après plusieurs films réalisés en Belgique, vous décidez de revenir faire du cinéma au Cameroun. Il en ressort une expérience cinématographique collective et familiale. Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet ?

Après avoir réalisé les films que je voulais faire en Belgique, j’avais envie de retourner à mon premier désir de cinéma qui est celui de filmer ma famille au Cameroun. Je n’ai pas été en relation avec le cinéma comme on a l’habitude de l’être ici, en Europe. En général, on reçoit des films qui nous nourrissent, s’égrènent en nous et, finalement, produisent un désir de faire du cinéma. J’ai commencé par me raconter des histoires, imaginer des choses par rapport aux personnes que je côtoyais dans mon quotidien. Le cinéma est arrivé bien plus tard dans ma vie lorsque j’ai recherché un moyen de raconter ces histoires. Puis, via WhatsApp, je voyais tout ce qui se passait au Cameroun sans y être. Tout ce que mes proches vivaient, je l’apprenais directement, au travers de vidéos. Cette relation à distance m’a donné envie de retourner filmer leur réalité. Ma cousine Pierrette me racontait ses déboires, ses difficultés du quotidien : la rentrée scolaire ou les problèmes d’inondation. Pierrette et moi appartenons à la même génération et on vivait, chacune de notre côté, dans une situation d’incertitude face à la vie. Je trouvais ça inspirant. Les questionnements de Pierrette rejoignaient les miens comme, par exemple, le fait de ne pas savoir comment terminer les fins de mois. De mon côté, je n’avais pas de travail et mes films ne me rapportaient pas d’argent. J’avais envie de raconter ces incertitudes que nous partagions, elle et moi.

Le film suit le personnage de Pierrette, couturière à Douala, confrontée à une série de difficultés qu’elle tente de surmonter afin de garantir la rentrée scolaire de son fils. C’est avant tout le combat de votre cousine, Pierrette, que vous avez souhaité mettre à l’image ?

Dans le cas de Pierrette, l’inondation pouvait détruire tout ce qu’elle avait construit la veille. J’avais envie de raconter cette incertitude qui est celle dans laquelle j’ai également grandi. Une incertitude qui n’est pas forcément angoissante, elle est intégrée à la vie des Camerounais. Je trouvais que la réaction de Pierrette face aux inondations permettait de raconter ce quotidien au Cameroun qui peut, du jour au lendemain, être déstabilisé et montrer les solutions qui sont apportées grâce à une communauté qui sait se mobiliser. Personnellement, la réaction de Pierrette face à l’inondation qui avait endommagé les sacs de riz qui lui permettent de nourrir ses enfants pendant un mois me donnait du courage. Je me rappelais mon enfance: pour ma mère, l’incertitude régnait en permanence. Elle pouvait rentrer le soir et n’avoir rien vendu, ne pas savoir comment elle allait nourrir ses enfants le lendemain. Discuter avec Pierrette m’a permis de me recentrer. Je fais toujours des films à partir de mes propres questionnements. Les personnages sont là pour me permettre de surmonter ce que je suis en train de traverser en tant que femme.

Comment votre famille a-t-elle vécu cette aventure cinématographique ?

Les interprètes et personnages du film se sont rendus compte que le cinéma était leur vie. Jusqu’à présent, ils pensaient que le cinéma consistait à raconter des histoires avec des personnages incroyables, tel qu’on conçoit le cinéma en Occident. En ayant participé à cette aventure collective et cinématographique, les membres de ma famille peuvent désormais découvrir qu’ils sont, eux-aussi, des personnages incroyables. Le cinéma devrait permettre ce rapport-là. Il doit rétablir une confiance et, surtout, une prise de conscience afin de dire : « notre histoire est importante ». Cette prise de conscience bouleverse le rapport filmique et le rapport narratif. La personne filmée est prête à ouvrir sa porte et à collaborer pour raconter son histoire. C’est ce qui s’est passé avec Pierrette et avec les personnages de mes précédents films. Il est important pour moi de ne pas imposer une manière de raconter l’histoire des personnes que je filme.

Comment s’est déroulée l’écriture du film ?

Au départ, je suis travaillée par des questionnements qui, petit à petit, deviennent des histoires. Pour Mambar Pierrette, j’avais envie de poser un regard sur ma génération au Cameroun. Quelles questions se pose-t-elle ?Quelles difficultés rencontre une femme comme moi au Cameroun, en tant que mère, en tant que travailleuse ou en recherche de travail ? Il s’agit de partager mes propres questionnements avec les personnes que je filme. Pour ce faire, je recherche ces personnages au sein de mon entourage. Dans ma famille, on s’appelle, on prend des nouvelles, on discute. Tous ces échanges ont permis d’écrire le scénario du film. Pierrette est ma cousine et il y a des choses chez elle que je reconnais en moi. Raconter Pierrette c’est aussi raconter les histoires d’autres femmes. Mambar Pierrette est, en quelque sorte, l’histoire d’une génération.

Et le moment du tournage ?

Je donnais des indications sur les intentions de jeu, les émotions à mettre dans telle ou telle séquence. La fatigue, l’énervement, la dureté, la froideur… Il a fallu que je trouve un langage qui soit approprié aux membres de ma famille, qui découle de leur réalité et de leur manière de faire. Il y avait une place importante laissée à l’improvisation, Pierrette pouvait ajouter des éléments de son quotidien, et ainsi, modifier le scénario. Le rapport entre les différents personnages du film se joue naturellement car il existe une relation préalable entre eux. Et que je me suis inspirée des liens familiaux pour écrire l’histoire.

Vos précédents films étaient tous des documentaires. Pourquoi le choix de la fiction pour ce film-ci ?

L’histoire du film s’appuie sur le parcours de vie de Pierrette. La dimension fictionnelle vient, quant à elle, équilibrer l’histoire sans la transformer et permet d’apporter de la densité et de la complexité au personnage sans prendre le dessus sur son histoire. Mais il y avait des questions qu’on ne pouvait pas aller saisir dans le quotidien- même de Pierrette, notamment les questions politiques. A partir du moment où l’aspect politique n’est pas directement lié à la réalité de la vie de Pierrette, j’aurais été obligé de la questionner là-dessus. Une situation que je voulais à tout prix éviter. Bien entendu, elle m’aurait répondu mais ça aurait été artificiel et, dès lors, déconnecté de son quotidien. Pourtant, cette dimension politique existe et a des conséquences très concrètes sur la vie de Pierrette.

Vous dites souvent que c’est à votre cinéma de s’adapter aux personnes et non l’inverse. Pour quelle raison ?

Je ne crée pas le cinéma, je peux le susciter par ma manière d’organiser les choses, par mon dispositif mais le cinéma est déjà là et je dois juste le réceptionner. Mon travail consiste à trouver le bon moyen de le voir, en étant à la bonne place sans l’étouffer ni l’écraser. En d’autres termes, je ne dois pas le dominer.

Vous ne vous reconnaissez pas dans un certain cinéma qui propose avant tout une thématique précise ?

On dit qu’il faut chercher une histoire, l’écrire et, ensuite, la tourner. Sauf que ce cinéma ne laisse pas la possibilité de voir autre chose et ne permet pas aux personnes de s’exprimer au-delà de ce qu’on attend d’elles. Au-delà de ce qu’on leur assigne comme place ou comme position dans la société. Quand on voit Pierrette, je veux qu’on garde la sensation qu’elle est beaucoup plus que « ça ». Dans un certain cinéma, on nous dit « voilà l’histoire » et ce cinéma a enfermé et continue d’enfermer les personnes. Quand on filme un migrant, c’est l’histoire du migrant et rien d’autre. Dans mon cinéma, j’ai envie de montrer qu’on est plus que le rôle qu’on nous assigne.

Durant tout le film, votre caméra suit Pierrette dans un corps à corps avec elle, parcourant son atelier et les rues de son quartier. Ce sont des plans serrés. Vous semblez éviter des plans plus larges sur l’environnement de Pierrette. Pour quelle raison ?

Pour ce film, je veux raconter Pierrette et ce que je propose est lié au mouvement de Pierrette, à son personnage, à sa manière de bouger. Rien d’autre, hormis elle, ne m’intéresse. On peut entendre ce qui se passe autour d’elle, on peut le sentir mais le plus important est que le spectateur se mette à sa place. Les mouvements de caméra et les choix esthétiques sont liés au personnage, à sa réalité, ils doivent émaner des mouvements de Pierrette.

À l’exception du personnage du clown, vous travaillez avec des acteurs non-professionnels, tous membres de votre famille. Pour quelle raison avez-vous écarté la possibilité de prendre des acteurs pour votre premier film de fiction ?

Pourquoi irais-je chercher des acteurs qui vont interpréter le vécu de personnes dont le seul besoin est de pouvoir s’exprimer ? Ces personnes ne sont ni vues ni entendues. On a tous besoin de ressentir que notre histoire a de l’importance pour autrui. Par contre, les personnes filmées ont peur d’être manipulées lorsqu’elles livrent leur témoignage. Elles craignent que leurs propos soient transformés car, pendant longtemps, un certain cinéma les a trahies. Lorsque je retourne dans ma famille, la seule chose dont ma mère ait envie, c’est d’avoir une conversation avec sa fille. Si je lui dis que cette conversation est filmée, ça ne changera pas son désir de vouloir me parler. S’il y a une confiance, il y a une envie de se raconter, de se faire entendre et d’être vu. Ceci étant dit, j’ai une responsabilité encore plus grande en travaillant avec des personnes non-professionnelles. Je dois redoubler d’attention car je dois être à la hauteur de cette confiance. Mon désir de cinéma est né avec ma famille. Il y a des générations d’histoires à raconter et qui doivent être racontées. Ces histoires doivent « contaminer » le cinéma existant. Personne ne connaît ces histoires en Europe. Qui prendra le risque de raconter ces histoires ? Il devient nécessaire que le cinéma d’ailleurs nourrisse le cinéma occidental car ce dernier a nourri pendant des décennies le reste du monde.

Votre film aborde des sujets politiques précis tels que la corruption politique de la jeunesse ou encore la guerre. Ce sont des sujets primordiaux pour vous aujourd’hui ?

Tout ce que je questionne dans Pierrette sont des questionnements politiques qui me traversent aujourd’hui. Qu’est-ce qui fait qu’en tant que Noirs,  Africains on vive encore dans ces conditions alors qu’on est submergés de richesses ? Qu’est-ce qui fait que Pierrette doit se démener pour payer la rentrée scolaire de son fils alors qu’elle est dans un pays où il y a des ressources ? En tant que réalisatrice, il était important pour moi de souligner ces aspects politiques.

Dans l’atelier de couture de Pierrette, on retrouve un personnage particulier qui est celui du mannequin Blanc pouvant effrayer les clientes et les habitants du quartier. Est-ce qu’il vous sert à symboliser le regard de l’Occident sur l’Afrique ?

Ce mannequin existe réellement dans l’atelier de Pierrette. Quand j’ai vu ce mannequin, il allait, selon moi, incarner toutes les questions que j’avais envie de soulever concernant les rapports Nord-Sud et les restes de la colonisation, encore présents au Cameroun. Ce mannequin peut être chargé de beaucoup de thèmes différents. Néanmoins, je ne veux pas faire un cinéma qui enferme son message et je ne veux pas réduire ce mannequin ce que j’y ai mis comme première intention. Je souhaite que les spectateurs puissent le charger, à leur tour, au-delà de ce que j’ai pensé ou imaginé.

Pouvez-vous revenir sur le titre du film, Mambar Pierrette ? Pour quelle raison les deux prénoms co-existent dans le titre du film ?

Il faut savoir qu’au Cameroun, nous avons plusieurs prénoms. Nous recevons deux prénoms traditionnels, un du côté paternel et l’autre du côté maternel. « Mambar » est le prénom traditionnel donné aux filles et qui provient de la mère. On s’appelle toutes « Mambar » et son usage reste cantonné au sein de la famille. Nous portons également un prénom français qui est utilisé dans la vie civile. Au départ, j’ai écrit l’histoire du film avec comme titre Pierrette. Pendant le tournage, il y a eu un conflit entre la réalité et la fiction. Je me suis rendue compte que les membres de ma famille continuaient à utiliser le prénom « Mambar » à la place de « Pierrette ». Je trouvais intéressant de soulever cette tension qui existe entre la colonisation, matérialisée dans le prénom de « Pierrette », et notre identité camerounaise ancrée dans le prénom de « Mambar ». Il devenait, dès lors, évident que le film devait avoir pour titre Mambar Pierrette afin de montrer cette friction entre tradition et modernité qui concerne toute une génération au Cameroun.

— Propos recueillis par Aurélie Ghalim