Marie et les naufragés de Sébastien Betbeder
Film soutenu

Marie et les naufragés

Sébastien Betbeder

Distribution : Ufo Distribution

Date de sortie : 13/04/2016

France / DCP / 1h44 /Format 1.85 / Son 5.1/

« Marie est dangereuse », a prévenu Antoine. Ce qui n’a pas empêché Siméon de tout lâcher, ou plus exactement pas grand-chose, pour la suivre en secret. Oscar, son co-locataire somnambule et musicien, et Antoine, le romancier en mal d’inspiration, lui ont vite emboîté le pas.
Les voilà au bout de la Terre, c’est-à-dire sur une île. Il est possible que ces quatre-là soient liés par quelque chose qui les dépasse. Peut-être simplement le goût de l’aventure. Ou l’envie de mettre du romanesque dans leur vie…

Avec : Pierre Rochefort, Vimala Pons, Eric Cantona, Damien Chapelle, André Wilms

Réalisation, scénario et dialogues Sébastien Betbeder • Produit par Frédéric Dubreuil • 1er assistant réalisateur Anthony Moreau • Image Sylvain Verdet • Montage François Quiqueré • Scripte Louison Pochat • Son Jérôme Aghion – AFSI • Décors Lionel Acat • Montage son Roman Dymny • Mixage Roman Dymny • Directeur de production Nicolas Trabaud • Musique originale Sébastien Tellier • Avec la participation de Canal + et Ciné + • Avec le soutien de la Région Bretagne en partenariat avec le CNC et la Région Île de France • En association avec Indéfilms 3 • Avec la participation du Centre National de la Cinématographie et de l’Image Animée (aide à la musique de films) et le soutien de la SACEM

Sébastien Betbeder

Sébastien Betbeder, né en 1975 à Pau.

Filmographie

1999 : La Fragilité des revenants (court métrage)

2000 : Le Haut mal (court métrage)

2004 : Des voix alentour (court métrage)

2006 : Nu devant un fantôme (court métrage)

2006 : Les Mains d’Andrea (court métrage)

2007 : Nuage

2009 : Toutes les montagnes se ressemblent (court métrage)

2009 : La Vie lointaine (moyen métrage)

2010 : Yoshido (les autres vies) (moyen métrage)

2012 : Je suis une ville endormie (moyen métrage)

2012 : Les Nuits avec Théodore

2013 : 2 automnes 3 hivers

2014 : Inupiluk

2016 : Voyage au Groenland

ENTRETIEN AVEC SÉBASTIEN BETBEDER

Comment est né le projet de Marie et les naufragés ?
J’ai commencé à y penser pendant la post-production de 2 automnes 3 hivers. Le déclencheur a été cette envie, un peu utopique, de construire un film dont les personnages feraient eux-mêmes avancer le récit. J’ai alors décidé d’inventer des protagonistes un peu plus âgés que ceux de 2 automnes… comme des grands frères d’Arman et Amélie. Ce qui m’intéressait alors, c’était de voir comment ils allaient influencer l’intrigue, de les rendre responsables de la narration. J’ai écrit le scénario dans cette attitude de retrait un peu étrange, en me laissant porter par eux. Ce désir des personnages de vivre une histoire devient le sujet du film lui-même. D’un film à l’autre est resté le principe de « l’adresse caméra ». Dans les premières versions du scénario de Marie les naufragés, c’était classiquement une voix off. Mais au tournage, je me suis rendu compte que pour lancer chacun des destins individuels, il fallait que le personnage déroule un fragment de sa biographie face caméra. J’ai confiance en la capacité du spectateur à créer des images : en écoutant un personnage raconter des faits, des lieux, des scènes, il peut les imaginer et le récit devient plus dense par la parole que par la prise de vue. S’il s’agissait bien de faire une comédie, je tenais à ce qu’elle contienne des éléments de romanesque, ce dispositif y contribuait.

C’est-à-dire ?
Par la puissance du récit, la vie de chaque personnage devient, en la racontant, du romanesque. Une interview d’Alain Resnais m’a beaucoup marqué : il expliquait qu’il écrivait des biographies complètes des personnages, qu’il donnait à ses comédiens. Ils n’en parlaient jamais pendant le tournage, mais c’était un acquis, une façon de « remplir » le comédien. J’ai cette idée en tête depuis que j’ai commencé à faire du cinéma, comme un fantasme : pourquoi ne pas faire un film où les personnages se libéreraient de leur passé, l’offriraient au spectateur, pour créer avec lui un lien si fort que celui-ci les suivrait désormais n’importe où ? Marie et les naufragés est un film où les personnages font des choix de vie aventureux et ce pacte avec le spectateur était d’autant plus nécessaire. Dans le roman contemporain, particulièrement américain (je pense à des œuvres comme Price de Steve Tesich ou L’infinie Comédie de David Foster Wallace), on peut suivre ainsi le fil d’un récit et partir très vite dans des apartés, des arborescences parfois à mille lieues du récit principal. Je ne voulais pas qu’il y ait d’arrêt dans la narration, que l’on parte dans un flash-back conventionnel, je souhaitais que, sans rupture, le passé des personnages fasse progresser leur présent. Peut-être que, parfois, mieux vaut se débarrasser des choses primordiales de sa vie pour vivre l’instant.

Si l’écriture est née des personnages, lequel est venu en premier ?
Je suis parti de Siméon. L’écriture a pas mal chahuté la place de chacun, mais Siméon est resté le personnage principal : c’est avec lui que commence le film, c’est lui qui déclenche le mouvement de fuite vers la Bretagne et l’île de Groix, les autres agissent principalement en réaction. L’idée d’aventure est primordiale et Siméon est bien un aventurier parce qu’il avance sans réfléchir à ce que sera la péripétie suivante. Je pense par exemple à la façon dont il s’intègre aux habitants de Groix, cette scène presque documentaire de la fête dans le bar de nuit : c’est comme s’il avait trouvé une famille. Siméon est clairement défini comme un personnage générationnel, au chômage, en colocation avec son meilleur ami, au fond assez solitaire. Il a été journaliste dans un magazine culturel : j’ai encore du mal à imaginer des films dont les protagonistes n’auraient aucun lien avec la culture. Mes personnages éprouvent la nécessité de se confronter à une pratique artistique, que ce soit en créant ou en recevant.

Et ensuite ?
Marie et Antoine sont arrivés presqu’en même temps. Marie est le centre de gravité du récit, qui emmène le film vers l’un de ses thèmes majeurs, le travail d’écriture. En devenant le personnage du roman d’Antoine, elle devient celui de mon propre film. Il fallait un deuxième homme, qui vienne du passé de Marie : Antoine est peut-être mon alter ego, puisqu’il crée également de la fiction. Je recherchais cette mise en abyme, l’idée que son travail de création renvoie au travail même du film. Il se trouve qu’en plus, c’est un personnage assez surprenant, un peu autiste, un peu flippant et j’espère drôle.

A quoi sert la première scène, drôle puis émouvante, la rencontre entre Siméon et cet inconnu dans le bar – karaoké ?
Elle est primordiale pour moi, bien qu’elle mène le film sur une fausse piste. Elle introduit un personnage très fort, une sorte d’oracle qui parle de vie et de mort, avec un mélange de détresse et de joie. On ne le reverra jamais, mais c’est pourtant, lui aussi un naufragé… C’est une façon de dire que le film ménagera des surprises, et sera riche en personnages secondaires. Marie aussi sera marquée par un personnage dont le lien à la mort est central. Par ailleurs, avec la biographie de Siméon qui la suit immédiatement, cette scène dit aussi beaucoup de sa personnalité – et notamment de son altruisme.

Que voulez-vous dire par le mot « naufragé » ?
Chez tous ces personnages, il y a une forme d’inadéquation au monde moderne. Mais du coup il s’agit, pour les trois principaux, Marie, Siméon et Antoine de prendre des risques, de partir en quête du bonheur… Et même si leur expédition est un « naufrage », elle les mène au moins quelque part, sur l’île de Groix. Il y aura une vie à vivre. Ce qui fait aussi d’eux des naufragés, c’est l’absence et donc le désir d’une spiritualité, ou au moins d’un imaginaire que l’aventure remplira. Cosmo en est une métaphore très forte : il a fondé sa nouvelle vie sur un fantasme. Ce personnage a réellement pris une part prépondérante au tournage grâce à André Wilms. Il est une sorte de gourou des autres naufragés. Le naufragé en chef !

Le plan du tableau dans le générique de début sert-il d’invitation à l’aventure ?
Absolument. C’est un tableau que j’ai découvert au musée de l’île de Groix et qui m’a longtemps hanté. Il est signé d’un peintre naïf, Paul-Émile Pajot. J’aimais ce que le tableau racontait – un naufrage – et j’aimais aussi son traitement, un puissant appel à l’imaginaire. Sans compter la présence de l’ange qui, une fois le film terminé, peut évoquer Marie ou Cosmo… J’ai moi-même beaucoup fréquenté Groix, dont l’histoire est indissociable du sauvetage en mer. J’y ai même passé du temps à écrire, ce qui fait encore plus d’Antoine, un compagnon de fortune.

Comment avez-vous pensé à Sébastien Tellier pour la musique, très présente dans le film ?
C’est un cliché, mais la musique était dès le départ un personnage du film. Cosmo en vit, Oscar en fait. Comme pour beaucoup de gens de ma génération, la musique tient un rôle capital dans nos vies. J’ai l’impression qu’autour de moi, tout le monde est DJ, que tout le monde a touché à la musique électronique, avec des succès divers, mais avec les facilités techniques que permettent les nouvelles machines. Bref, on ne peut pas raconter la vie de gens de 30-35 ans sans musique. Sébastien Tellier a inspiré le personnage de Cosmo : j’ai bien sûr pensé au personnage qu’il s’était inventé pour son concept-album de 2012, My God is blue. Il y était le gourou d’une secte, l’Alliance bleue. J’aime son côté aventurier de la musique, une extravagance qui, poussée à l’extrême, devient une affaire sérieuse, crée sa propre logique. Quand je lui ai proposé le projet, je lui demandais beaucoup : créer la musique d’Oscar, celle de Cosmo, mais aussi la bande originale du film, et jouer Cosmo. Il a décliné la dernière proposition, en répondant assez justement qu’il n’était plus le personnage de cet album. Lui et moi avions envie de la même musique, lyrique, comme celle que François de Roubaix écrivait pour le cinéma français des années 70. Une musique qui relance et emballe le récit, en opposition aussi à ces compositions atmosphériques plaquées sur les images qui m’ennuient dans le cinéma contemporain. Une des premières choses que l’on s’est dite : « la musique se devra d’être belle et mélancolique ». D’ailleurs, les thèmes que l’on a écartés étaient les plus joyeux.

Elle apporte une tonalité élégiaque ?
J’adore le mélange des genres, l’idée qu’un film n’a pas un seul registre. Je revendique l’idée que Marie et les naufragés est une comédie qui dérive un peu vers l’élégie. Les personnages d’Oscar et d’Antoine, chacun à sa façon, apportent le contrepoint d’humour capable de contrebalancer la mélancolie. J’ai, par exemple, une tendresse particulière pour les personnages lunaires, des grands naïfs, que l’on trouve aussi bien dans les films avec Pierre Richard que dans ceux de la comédie indépendante américaine. Ils ont inspiré le duo que composent Antoine et Oscar. Faire danser des gens sur de la musique triste, c’est le projet d’Oscar, mais c’est aussi celui du film… sortir de son corps, répondre à l’appel d’une vision, et puis cette récurrence de l’heure fatidique : 3 h 14… Marie et les naufragés est-il un film fantastique ? Si je fais un film, c’est aussi pour raconter des choses mystérieuses. Ces liens invisibles entre les êtres, auxquels je crois, je peux, en tant qu’auteur, essayer de les créer. C’est un pacte avec le spectateur : il est le seul à savoir que Suzanne est morte à 3 h 14 et que la danse abstraite de la fin a lieu à la même heure… C’est une manière de dire que, malgré tout, quelqu’un tire les ficelles, en l’occurrence l’auteur. Ensuite, le cinéma permet plus facilement que la littérature de montrer un personnage sortant de son corps. Mais quand Antoine contemple son propre double, allongé sur le lit, c’est lui qui a créé cette vision. Ce n’est pas du fantastique, c’est la représentation de l’invisible. Le film parle aussi de troubles dont la vraisemblance est discutée, comme l’électrosensibilité : ce « mal des ondes » dont Antoine va lui-même s’auto-convaincre qu’il en subit les symptômes.

Que représente la scène de danse qui clôt quasiment le film ?
C’était quelque chose que je fantasmais au cinéma depuis longtemps, et aussi parce que je suis spectateur et admirateur de danse contemporaine et c’est une manière de dire : je peux ne pas régler le sort de ces personnages. C’est-à-dire écrire avec les corps quelque chose de suffisamment abstrait pour que le spectateur soit libre de l’interpréter comme il veut. La chorégraphie a été faite en collaboration avec Shush Tenin. Nous avons commencé à travailler à partir des improvisations gestuelles des comédiens, puis la chorégraphie a évolué vers quelque chose de moins en moins conscient, le but étant que les acteurs et les personnages s’oublient dans la danse, qu’ils aillent au-delà du sens et de la simple analogie d’un geste et d’une idée. La danse à l’unisson est un moment de communion entre mes personnages, que le dialogue n’aurait jamais permis d’atteindre.
C’est l’aboutissement du film et un remède au naufrage.