Ma’ Rosa a quatre enfants. Elle tient une petite épicerie dans un quartier pauvre de Manille où tout le monde la connaît et l’apprécie. Pour joindre les deux bouts, elle et son mari Nestor y revendent illégalement des narcotiques. Un jour ils sont arrêtés. Face à des policiers corrompus, les enfants de Rosa feront tout pour racheter la liberté de leurs parents.
Festival de Cannes 2016 – Prix d’interprétation féminine
Avec : Ma’ Rosa Jaclyn JOSE • Nestor Julio DIAZ • Jackson Felix ROCO • Raquel Andi EIGENMANN • Jomas Kristofer KING • Linda Mercedes CABRAL • Erwin Jomari ANGELES • Tilde Maria Isabel LOPEZAvec :
Réalisateur Brillante Ma MENDOZA • Scénario Troy ESPIRITU • Image Odyssey FLORES • Montage Diego Marx DOBLES • Décors Dante MENDOZA • Directeur Artistique Harley ALCASID • Son Albert Michael IDIOMA • Musique Teresa BARROZO • Producteur délégué Brillante Ma MENDOZA • Producteur Loreto Larry CASTILLO • Producteur exécutif Carlo VALENZONA • Consultant créatif Armando LAO • Production Center Stage
Brillante Ma Mendoza
Né le 30 juillet 1960 à San Fernando, aux
Philippines, Brillante Ma Mendoza commence à travailler comme chef
décorateur pour le cinéma et des films publicitaires pour la télévision.
Son premier long métrage, Masahista (Le Masseur)
obtient le Léopard d’or au Festival international du film de Locarno en
2005 et ouvre la voie à un cinéma indépendant aux Philippines. Cette
même année, il crée Center Stage Productions (CSP), une maison de
production indépendante.
Brillante Ma Mendoza continue à faire des films et documentaires
montrant la vie des Philippins et les marges de la société, et contribue
à la formation d’un public pour le cinéma indépendant dans le pays. Ses
films sont montrés dans les écoles à travers le pays et Manoro (The
Teacher) est officiellement inscrit dans les programmes scolaires.
Brillante Ma Mendoza est le premier réalisateur philippin distingué
par la France, qui l’a nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des
Lettres.
Filmographie
2005 MASAHISTA (LE MASSEUR)
LÉOPARD D’OR, FESTIVAL DE LOCARNO
2006 KALEDO (SUMMERHEAT)
2006 MANORO (THE TEACHER) Documentaire
2007 JOHN JOHN (FOSTER CHILD)
QUINZAINE DES RÉALISATEURS, FESTIVAL DE CANNES
2007 TIRADOR (SLINGSHOT)
2008 SERBIS
EN COMPÉTITION, FESTIVAL DE CANNES
2009 KINATAY
PRIX DE LA MISE EN SCÈNE, FESTIVAL DE CANNES
2009 LOLA
2012 CAPTIVE
EN COMPÉTITION, FESTIVAL DE BERLIN
2012 THY WOMB
2013 SAPI (POSSESSED)
2015 TAKLUB
MENTION SPÉCIALE ET PRIX DU JURY ŒCUMÉNIQUE,
UN CERTAIN REGARD, FESTIVAL DE CANNES
2016 MA’ ROSA
PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE, FESTIVAL DE CANNES
ENTRETIEN AVEC BRILLANTE MA MENDOZA
Comment est née l’idée de Ma’ Rosa ?
Il y a quatre ans, quelqu’un m’a raconté cette histoire que sa famille
et lui avaient vécue. Cette personne est aujourd’hui devenue l’un des
personnages du film, mais vous me permettrez de ne pas dire lequel…
Son histoire m’a touché : c’est un secret de polichinelle aux
Philippines, tout le monde sait qu’il y a à la fois un problème de
drogue et un problème de corruption. Mais c’est la première fois que j’y
étais personnellement confronté. J’ai essayé d’en savoir plus, de
connaître tous les détails de cette affaire : comment c’est arrivé, et
surtout pourquoi un tel besoin d’argent vous pousse à vendre de la
drogue. Et puis j’ai rencontré les autres membres de la famille : ce
n’était pas facile pour eux de tout raconter, il fallait qu’une
confiance s’installe entre nous, qu’ils comprennent que je ne voulais
pas « exploiter » leur histoire, en tirer parti d’une façon mercantile,
que je voulais comprendre le processus et les situations qu’elle avait
provoqués. Le scénario s’est écrit petit à petit, j’ai également fait
des recherches sur la police philippine. On peut donc dire que Ma’ Rosa
est tiré d’une histoire vraie. C’est ma méthode de travail depuis
quelques années : chercher des expériences réelles, trouver un «
référent », une personne qui servira en quelque sorte de tremplin au
scénario que je développerai avec un scénariste – en l’occurrence Troy
Spiritu pour Ma’ Rosa.
Où se situe l’action de Ma’ Rosa ? À quelle classe sociale appartient la famille du film ?
Le film se déroule dans un quartier précis de Manille, dans le coeur
actif de la ville. Je ne vais pas le citer, pour ne pas le stigmatiser,
l’histoire pourrait arriver n’importe où dans la métropole. C’est une
famille pauvre, comme 80% des Philippins aujourd’hui. Elle aspire à
rejoindre le bas de la classe moyenne, peut-être que les enfants, dont
certains font des études, y parviendront. Mais il ne faut pas se
méprendre, la boutique de Ma’ Rosa et de son mari est une minuscule
échoppe. Ils gagnent peut-être l’équivalent de dix dollars par
jour. Comment voulez-vous survivre avec si peu ? Pour moi, raconter une
histoire qui touche 80% de la population philippine, c’est raconter le
pays tout entier. Les 20% qui forment les classes aisées ne représentent
pas la nation.
Est-ce pour vous une nécessité de raconter votre pays ?
Un artiste est un instrument, le reflet de ce qui se passe autour de
lui. Que l’on soit peintre, musicien, écrivain, on trouve son
inspiration dans son environnement proche. Il ne s’agissait pas de
signer un plaidoyer, mais faire ce film pour moi était une nécessité.
Cette histoire devait être dite. Non pas à la façon d’un reportage,
c’est la fonction des journalistes ; mais pour éduquer, éclairer, ne pas
chercher à faire plaisir : le cinéma dominant est truffé d’histoires
flatteuses et fausses qui ne reflètent pas le monde autour de nous. Mon
film ne transforme pas, de façon pornographique, la pauvreté
en spectacle. Il dit l’histoire de gens ordinaires.
L’action se déroule sur quelques heures, pourquoi ce choix ?
Parce qu’il est conforme à la vérité de la situation. La question du
temps est très importante. Aux Philippines, si vous arrêtez un
trafiquant de drogue en semaine, il va directement en prison. Si vous
l’arrêtez un vendredi soir, comme les tribunaux sont fermés le week-end,
il reste en garde à vue jusqu’au lundi, au commissariat. La police a
donc tout intérêt à faire des rafles en fin de semaine : cela lui laisse
48 heures pour négocier et éventuellement remettre les trafiquants en
liberté contre de l’argent. C’est exactement ce que raconte le
film. Bien sûr, c’est la pauvreté qui déclenche la corruption : il faut
se débrouiller, même au mépris de la loi et de la morale, pour survivre.
Mais ce genre de corruption n’est pas propre aux Philippines, vous en
trouverez partout dans le monde, à des échelles différentes. Ici, la
corruption est voyante, mais il y aaussi de la corruption dans les pays
plus développés, à un plus haut niveau, que l’on ne connaît pas.
Comment avez-vous trouvé votre style, cette apparence d’ultra-réalisme, qui s’affirme de film en film ?
Comme vous le savez, je suis devenu réalisateur assez tard, vers 45
ans, après avoir travaillé notamment dans la publicité. Je n’ai pas fait
d’école de cinéma. Mon désir est d’être le plus réaliste possible, que
la frontière entre documentaire et fiction se brouille. Bien sûr, Ma’
Rosa est une fiction : il y a des acteurs, des décors, un scénario
structuré, mais la forme est celle d’un documentaire. Plus on sera près
de la réalité, plus il y aura de vérité dans le film, mieux cela
reflètera la vraie vie. La crédibilité des répliques, des costumes, des
situations, doit être maximale. Bien sûr, c’est une approche qui peut
choquer, il y a des spectateurs qui ne veulent pas voir la
réalité, parce que le cinéma ne la montre pas si souvent. Mais le public
de mes films est aventureux, il veut recevoir des nouvelles du monde.
Plus concrètement, qu’apporte le fait de tourner en caméra portée ?
La caméra à l’épaule montre l’instabilité de ces vies, leur urgence,
leur situation de malaise permanent. C’est un monde où il faut vivre
caché et où l’on vous épie en permanence, un monde où il faut se
protéger. Je tourne avec trois caméras, je ne dis pas aux acteurs où
elles seront. Je leur demande d’oublier tout ce qu’ils ont appris et de
jouer le plus naturellement possible puisqu’ils vont aussi tourner avec
des acteurs non-professionnels. En outre le scénario ne leur a jamais
été donné. Il y a des dialogues écrits, mais je laisse les acteurs
choisir leurs propres mots s’ils le désirent. Je précise la situation,
s’il y a une réplique importante il faut la garder, mais pour tout ce
qui est autour, ils sont libres. Du coup, je capture des moments, tout
devient très spontané, action, situation, émotions… Le film a été
tourné en respectant la chronologie de l’histoire afin que les comédiens
puissent ressentir la détresse de leurs personnages. À l’arrivée, j’ai
beaucoup de rushes et le montage devient une part très importante du
processus : je dirais que l’écriture du scénario et la préparation
logistique représentent 50% du travail créatif, le tournage, qui dure
moins de quinze jours, 20%, et le montage, qui peut prendre
plusieurs mois, les 30% restants du processus.
Les acteurs apprécient-ils cette méthode ?
Oui, parce qu’elle leur donne beaucoup de liberté pour explorer leur
art et le personnage qu’ils doivent incarner. C’est une collaboration
créative. Pendant la préparation, nous nous immergeons toujours, mon
équipe technique et moi, dans le quartier où se passe l’action et où le
film va être tourné, nous allons au contact de ses habitants, nous
regardons comment ils vivent, etc. Cette fois, j’ai demandé aux
comédiens de faire de même, pour mieux capter leur façon de se
comporter, de parler. On a souvent déjeuné ou dîné avec des gens du
quartier, ou bien on les invitait à nos côtés pendant la
préparation. Plusieurs répliques sont nées de cette immersion.
Mais le commissariat a été reconstitué en studio, n’est-ce pas ?
Pas du tout. C’est un vrai commissariat. Et les policiers qui
l’occupent d’habitude savaient ce que j’allais y tourner. Ils m’ont dit
qu’ils ne se sentaient pas du tout visés ! Les commissariats de Manille
sont remplis d’enfants errants : des gamins qui ont été attrapés un jour
pour un petit larcin, comme ils n’ont pas de famille, ils restent au
commissariat, font les petits boulots. C’est très courant.
L’une des forces du film est qu’il est exempt de psychologie
: les personnages sont dans l’action, ils se battent. Ils
marchent, tombent, se relèvent …
Pour eux, c’est une situation presque habituelle, quotidienne. Ils
prennent les choses comme elles viennent : ils sont trop blasés pour se
plaindre ou protester, du reste ils n’ont pas d’autre choix. La chute de
la fille de Ma’ Rosa prend une dimension symbolique : elle marche dans
une ruelle très étroite, il n’y a pas d’autre chemin. Quelqu’un jette de
l’eau, pas par méchanceté, mais parce que c’est son travail, à ce
moment-là, qui le réclame : la fille glisse, tombe, mais elle ne se
plaint pas, elle n’engueule pas la vieille femme responsable de sa
chute. Elle se relève et reprend sa route.
La façon dont les enfants sont solidaires des dettes de leurs parents est aussi très marquante…
C’est ce qui s’est passé dans la réalité. Et c’est ce qui
m’intéressait, et me navrait aussi. Ces enfants sont encore très jeunes,
ils ne seront peut-être pas tous de bons citoyens, mais ce sont de bons
enfants. Leurs parents ne sont peut-être pas de bons citoyens, mais ce
sont de bons parents. Les liens familiaux échappent parfois à la morale :
vous pouvez être une mauvaise personne d’un côté, une bonne de
l’autre… C’est vrai que je me suis délibérément retenu de montrer les
émotions de chacun des personnages. Jusqu’au plan final où Ma’ Rosa
pleure. Elle ne regrette rien. Quand il s’agit de survivre, il n’y a pas
de place pour le regret, il y a peu de place pour penser à la morale et
aux fautes commises. Il faut aller de l’avant. Mais elle montre enfin
son humanité, qui résume l’humanité toute entière. La douleur est
pour elle, mais elle doit rester forte et faire ce qu’elle a à faire.
Elle regarde une autre famille fermer boutique, une famille qui essaye
de survivre et dont on ne connaîtra jamais l’histoire. Une famille naïve
et vulnérable… Comme un reflet de ce qui est arrivé à la sienne.
Comment avez-vous choisi Jaclyn Jose et Julio Diaz, pour jouer Ma’ Rosa et son mari ?
Ils ont débuté au début des années 80, quand j’étais encore
directeur artistique. On a travaillé ensemble dans la pub et on est
devenus amis. Jaclyn a joué dans mon premier film, et je leur ai demandé
de jouer un couple à plusieurs reprises, dans Serbis, dans Tirador,
etc. Jaclyn et Julio ont chacun de leur côté une carrière de comédiens,
mais quand ils travaillent avec moi, ils connaissent mon style, savent
ce que j’attends d’eux. Cela devient presque facile pour nous. Et c’est
la propre fille de Jaclyn, Andi Eigenmann, qui joue la fille de Ma’
Rosa.
Quelle a été votre réaction au Prix d’Interprétation reçu par Jaclyn Jose au Festival de Cannes ?
J’ai été surpris, vu le nombre d’actrices prestigieuses en lice.
Présenter le film en compétition, pouvoir ainsi raconter au monde entier
une tranche de destin du peuple philippin, c’était déjà un grand signe
de reconnaissance, et je savais que l’interprétation de Jaclyn serait
saluée. Mais nous ne pensions pas aller aussi haut ! Le prix de Jaclyn
fait honneur à notre pays, d’autant plus qu’elle est la première actrice
d’Asie du Sud-Est récompensée à Cannes, mais c’est aussi un tremplin
pour la notoriété du film : aux Philippines, ce prix d’interprétation a
créé un buzz très important, tout le monde est curieux de sa performance
– particulièrement de la dernière scène qui aurait fait pleurer Kirsten
Dunst, d’après ce que la comédienne, membre du Jury, a
raconté depuis…
Comment le film résonne-t-il avec la politique de lutte
contre la drogue, souvent violente, menée par le nouveau
président philippin Rodrigo Duterte ?
Comme je vous l’ai dit, le film est né d’une histoire vraie, survenue
en 2012. Le projet a été mis en stand-by pendant deux ans, le temps que
Troy Espiritu puisse se remettre à l’écriture du scénario, et le finir
début 2015. La production a démarré en août 2015. À cette époque, le nom
de Rodrigo Duterte n’était pas connu de grand monde aux Philippines et
personne ne s’attendait à ce qu’il se présente à l’élection
présidentielle. Je le répète : le problème du trafic de drogue est de
notoriété publique, celui de la corruption policière également. Tout se
passe sous notre nez, mais la société n’y prête pas attention. C’est à
nous, artistes, de montrer la vie telle qu’elle est. Nous n’avions pas
l’intention de transmettre un message politique, mais juste de faire le
portrait d’une famille philippine ordinaire. Qui, peut-être, constitue
un microcosme de la société philippine toute entière. Aux spectateurs
d’interpréter cette histoire comme ils le désirent…