Cornelia, 60 ans, mène une vie privilégiée à Bucarest, entourée de ses amis riches et puissants. Pourtant, les relations tendues qu’elle entretient avec son fils la tourmentent. Celui-ci repousse autant qu’il peut la présence d’une mère possessive. Quand Cornelia apprend qu’il est impliqué dans un accident de voiture qui a coûté la vie à un enfant, elle va utiliser toute son influence pour le sortir de cette situation où il risque une sévère peine de prison. Mais l’enfer du fils est pavé des bonnes intentions de sa mère. La frontière entre amour maternel et manipulation est mince…
Ours d’or, Prix FIPRESCI – festival du film de Berlin 2013
Représentant de la Roumanie à l’Oscar du Meilleur Film Etranger
Grand Prix ARTE MARE- Festival du film de Bastia 2013
Avec : Luminita Gheorghiu CORNELIA • Bogdan Dumitrache BARBU • Ilinca Goia CARMEN • Natasa Raab OLGA CERCHEZ • Florin Zamfirescu AURELIAN FAGARASANU • Vlad Ivanov DINU LAURENTIU
Réalisation Călin Peter Netzer • Scénario Răzvan Rădulescu & Călin Peter Netzer • Image Andrei Butica • Son Cristian Tarnovetchi • Montage Dana Lucretia Bunescu • Production Parada Film, Călin Peter Netzer & Ada Solomon • Avec le soutien du Centre de Cinématographie de Roumanie, Programme Media de l’Union Européenne, Odyssey Communication Bv, Mccann Erikson, Real Top Media, Etno Media, Teleclub. Soti Cable Neptun. • Avec la participation de HBO Roumanie
Călin Peter Netzer
Călin
Peter Netzer est né en Roumanie en 1975. En 1983, il immigre en
Allemagne avec ses parents. En 1994, il rejoint l’université nationale
de théâtre et cinéma de Bucarest, au département de réalisation, dont il
sort diplômé en 1999.
Ses premiers films, tous deux intitulés Maria (le court
métrage en 1997 et le long métrage en 2003) sont sélectionnés et
récompensés dans de prestigieux festivals internationaux. Son premier
long métrage est présenté au Festival de Locarno en 2003, où il reçoit
le Grand prix du Jury et les prix d’interprétation pour les deux acteurs
principaux ; il est également nommé aux European Film awards.
Son film suivant, Medal of Honor (2009), est sélectionné dans
plus de 30 festivals parmi lesquels le Festival de tessalonique dont il
repart avec l’Alexandre d’argent et quatre autres prix. Il remporte
également deux prix Gopo (équivalent roumain des César pour le meilleur
acteur et meilleur scénario).
Mère et fils est le troisième
long métrage de Călin Peter Netzer. Il remporte l’Ours d’Or du meilleur
film et le prix FIPRESCI au Festival de Berlin 2013. Le film est désigné
par la Roumanie pour l’Oscar du meilleur film étranger.
Filmographie
2012 MÈRE ET FILS
Festival de Berlin. Ours d’or du meilleur film prix FIPRESCI représentant de la Roumanie pour l’Oscar du meilleur film étranger
2009 MEDAL OF HONOR
Festival de Thessalonique. alexandre d’argent prix FIPRESCI prix Gopo Gopo du meilleur acteur pour Victor Rebengiuc Gopo du meilleur scénario pour Tudor Voican
2003 MARIA
Festival de Locarno. prix spécial du Jury Léopard de la meilleure interprétation pour Serban Ionescu Léopard de la meilleure interprétation pour Diana Dumbrava Nomination aux European Film Awards.
Entretien avec Călin Peter Netzer
« Mère et fils » est votre troisième long-métrage. Avez-vous
le sentiment d’avoir franchi un grand pas avec ce film ? Quel regard
portez-vous sur votre évolution de cinéaste durant ces dix années ?
Je savais dès le départ que ce film, de par son sujet, serait plus
ambitieux que les précédents. Le premier, « Maria », était à l’origine
un court-métrage de fin d’études. Un producteur allemand, de Pandora
Films, l’a vu et m’a demandé si j’étais intéressé de le développer en un
long métrage. J’ai saisi cette opportunité. Le second, « Médaille
d’honneur », n’a pas été écrit par moi, uniquement par Tudor Volcan. «
Mère et fils » est donc indubitablement plus personnel. Son approche
cinématographique est différente, c’est plus réaliste, empruntant
davantage une direction documentaire. « Médaille d’honneur » était
certes déjà composé de longs plans, mais la plupart du temps avec une
caméra fixe, et « Maria » avait une fibre plus poétique. Il y a donc
plus de changements que de continuité entre ces trois films.
Quand vous avez commencé à écrire le scénario de « Mère et
fils », aviez-vous déjà à l’esprit que le personnage de Cornelia serait
de toutes les scènes ?
Oui, dès l’entame de l’écriture, mon co-scénariste Răzvan Rădulescu et
moi savions que Cornelia serait le point focal du film. Nous en avions
longuement discuté avant et voulions un scénario dont toutes les
articulations narratives dépendent essentiellement du personnage
principal. L’histoire se raconte à travers Cornelia, et Cornelia seule.
Nous devions l’accompagner en permanence, elle est au centre, même dans
les scènes où l’enjeu concerne un autre personnage – la séquence de la
prise de sang, par exemple.
C’était néanmoins un peu risqué, Cornelia n’est pas
précisément le type de personnage pour qui le spectateur éprouve des
torrents de sympathie…
Nous avions conscience de cela, mais le pari du film était que le
spectateur entre enfin en empathie avec elle à la toute fin, lors de la
dernière séquence, lorsqu’elle montre un visage plus humain, honnête.
C’était le trajet du film : être perpétuellement avec elle, et à la fin,
sinon l’aimer, au moins la comprendre.
Vous aviez un modèle en tête pour le personnage de Cornelia ?
Comme je l’ai dit auparavant, c’est un film très personnel, inspiré de
la personnalité de ma propre mère – et aussi de celle de Răzvan
Rădulescu. Au départ, nous avions un autre projet en tête, également à
propos d’une famille dysfonctionnelle, et nous avons beaucoup parlé de
nos mères respectives, jusqu’à nous rendre compte qu’elles n’étaient
guère différentes l’une de l’autre, toutes deux hyper possessives. On a
donc décidé de changer de sujet et de faire un film autour de cette
relation mère-fils. A l’origine, le film avait comme personnages un
couple de retraités anglais sur la Costa del Sol, mais on peinait à
vraiment comprendre la mentalité des britanniques. Nos mères, en
revanche, nous ne les connaissions que trop…
Ce n’est pas évident de plonger ainsi dans sa propre histoire
intime et de brosser le portrait, peu reluisant, de sa mère. Cela
avait-il pour vous une portée cathartique ?
Oui, absolument, c’était comme une thérapie. Et d’un point de vue
émotionnel, c’était un film très douloureux à faire. Durant l’écriture,
je n’éprouvais pas vraiment ce sentiment, mais lors du tournage, ça a
été nettement plus éprouvant. Durant certaines scènes, des choses que
j’avais jusqu’ici enfouies dans mon inconscient étaient réactivées,
c’était très perturbant. Et l’idée que je rendais public, et sans fard,
cette histoire, l’était aussi.
Comment avez-vous travaillé avec Răzvan Rădulescu, qui est un des scénaristes phares du cinéma roumain contemporain ?
Nous avions d’abord le désir de travailler ensemble. A partir de ce
moment-là, nous sommes partis à la recherche d’un sujet. Les premières
séances de travail étaient un peu comme des séances d’analyse mutuelle,
chacun révélant à l’autre des choses très intimes, voire refoulées. Une
fois que le sujet était acquis, nous avons juste écrit un court
synopsis. Ensuite, et durant quatre mois, une quinzaine sur deux, nous
nous sommes mis à écrire à partir de dialogues improvisés que nous
jouions, où chacun interprétait à tour de rôle les différents
personnages. Il nous a fallu une douzaine de versions avant d’aboutir à
la définitive. C’est un processus d’écriture que je trouve plus facile,
j’éprouve plus de difficultés à écrire seul.
Pouvez-vous nous préciser le background social de Cornelia et de son mari ?
Cornelia et son mari, qui est médecin, ne sont pas vraiment des «
nouveaux riches ». Ils ont probablement acquis cette grande maison grâce
à leurs relations, à leurs accointances avec des membres de l’ancien
régime, avec lesquels ils partagent les mêmes vues politiques. Je les
placerai dans un entre deux entre les « nouveaux riches » et des gens
qui gagnent leur argent honnêtement. C’était important de situer cette
histoire dans ce milieu parce que c’est une histoire sur une famille
névrotique et je pense que ce sont vraiment des névroses de gens aisés.
Ils ont la soixantaine. Que faisaient-ils 25 ou 30 ans auparavant, étaient-ils étroitement liés au régime Ceaucescu ?
Prenons l’exemple de mes parents, puisque c’est une histoire
personnelle. Mes parents sont médecins, nous avons quitté la Roumanie en
1983 pour nous installer en Allemagne. Je ne suis retourné en Roumanie
qu’en 1994. Je me souviens que mon père, en tant que médecin, jouissait
d’un traitement particulier. Je pense que cela s’est également appliqué à
la famille de Cornelia, sous le régime Ceaucescu.
Cornelia est perpétuellement dans une position de combat.
Tous ses échanges sont des rapports de force – avec sa bonne, avec
Carmen, moins peut-être avec son mari, parce qu’elle l’a d’ores et déjà
étouffé, soumis à son joug.
Il y a beaucoup de refoulement chez Cornelia. Son mariage n’est pas
heureux, elle fait chambre à part avec son mari. C’est une femme forte
et tout ce qu’elle fait répond à un manque qu’elle éprouve dans sa vie
de femme et de mère. D’autres personnes pourraient sombrer dans la
dépression, elle choisit l’état de lutte permanent.
Avec le témoin, le chauffeur, elle découvre qu’elle peut à
son tour être victime de ces humiliations qu’elle dispense à d’autres.
Le film traite des enjeux de pouvoir, et le pouvoir a partie liée avec
l’argent. Dans cette séquence, elle se retrouve dans une position de
dominée, alors qu’elle s’applique toujours à être dans celle de
dominante. Il était important de montrer que si elle n’obtient pas ce
qu’elle veut, elle peut aussi choisir de faire un pas en arrière,
d’accepter d’être à son tour humiliée pour parvenir à ses fins.
Dans sa relation avec Barbu, désire-t-elle de l’affection, de l’amour, ou seulement le pouvoir ?
Les deux, c’est une relation pathologique, avec un OEdipe très élevé.
Elle transfère vers son fils la relation qu’elle ne peut avoir avec son
mari. Toute la pression repose donc sur les épaules de Barbu, le fils.
La construction du film repose sur de longs blocs
séquentiels, sans ponctuations ou moments de relâchement. C’est une
approche assez radicale, qui réfute l’idée d’un certain confort
narratif.
J’ai retenu cette option dès l’achèvement du scénario. L’étape finale,
lors de l’écriture, a été de supprimer en effet toute séquence
intermédiaire, afin de réaffirmer l’intensité du film. Je savais depuis
le début que cela allait être un film très dialogué, où la parole est
reine, ce qui certes m’effrayait un peu. Juste après le tournage, je me
suis promis de ne plus jamais faire un film aussi bavard. C’était
l’enjeu du film d’être plongé dans cette atmosphère claustrophobe. De
toute façon, ces scènes dialoguées fonctionnent sur la longueur, il ne
fallait pas la leur refuser.
C’est un film d’intérieur, tourné essentiellement dans des
espaces clos, souvent étroits, confinés. Jusqu’au dernier plan, enserré
dans le rétroviseur de la voiture de Cornelia.
Nous avions écrit des scènes d’extérieur, des scènes de respiration,
mais au montage, nous les avons toutes supprimées, elles ne convenaient
pas au film.
Vous semblez tout aussi intransigeant dans vos options de mise en scène.
Le budget était très serré, nous n’avions pas un temps de tournage
extensible. Nous avons donc choisi de tout filmer à deux caméras
numériques. J’ai beaucoup travaillé, en amont du tournage, sur le
découpage, avec mon chef opérateur. Mais nous avons finalement décidé de
nous en débarrasser. Au tournage comme au montage, la règle est
justement devenue de ne pas en avoir – de règles. J’ai beaucoup répété
avec les acteurs mais j’ai convenu avec les deux cadreurs que je leur
donnerai une totale liberté. Je voulais qu’ils me montrent ce qui les
intéressait au sein d’une scène. Bon, ça a généré quelques problèmes,
souvent un des cadreurs se retrouvait dans le champ de l’autre.
Habituellement, je ne travaille jamais de la sorte. De nature, je suis
un vrai « control freak », il faut que j’ai la mainmise sur tout,
c’était donc un exercice contre-nature que de laisser ainsi faire les
autres. L’histoire était tellement personnelle, qu’il fallait que je me
tienne un peu en retrait. J’ai réitéré cela au stade du montage,
également parce que nous avions, avec ce type de tournage à deux caméras
digitales, une très grande quantité de rushes. Pour la première fois,
j’ai autorisé mon monteur à couper les séquences tel qu’il l’entendait.
Il était très important de favoriser un regard externe.
C’est étonnant de se concentrer sur un personnage à ce point
avide de contrôle et, de votre côté, assumer le « lâcher prise ».
Comment avez-vous procédé avec les comédiens ? Vous leur accordiez ce
même espace de liberté ?
Non, ils devaient consciencieusement s’en tenir au scénario, il n’y
avait guère de place pour l’improvisation. La préparation a été très
importante, avec 15 jours de répétitions. Durant les 7 mois qui ont
précédé le tournage, je discutais quotidiennement avec Luminita
Gheorghiu – qui interprète Cornélia. Réunir le reste du casting a aussi
pris beaucoup de temps. Mais quand nous sommes arrivés sur le plateau,
chacun des acteurs savait parfaitement ce qu’il aurait à faire, il
n’était pas question pour eux de découvrir leur personnage au stade du
tournage.
On a le sentiment que le film n’aurait pas été possible sans
Luminita Gheorghiu. Vous avez su très tôt qu’elle seule pouvait incarner
Cornelia ?
Le scénario a été écrit avec Luminita à l’esprit, mais d’un autre côté,
j’ai également cherché une autre actrice, je me réservais la
possibilité d’un second choix. Luminita est une comédienne très connue
en Roumanie, et je me demandais s’il ne fallait pas un visage nouveau.
Mais au final, j’ai compris que Luminita restait la meilleure option
pour ce rôle. Cela a été néanmoins long et difficile avec Luminita. Elle
voulait ce rôle, ça représentait un vrai challenge pour elle
d’interpréter une femme de la classe dominante – chose qu’elle n’avait
jamais fait auparavant. Mais elle avait également très peur de ça, et à
certains moments, elle a pensé abandonner le projet. Mais elle est
finalement revenue.
Le nouveau cinéma roumain a, depuis dix ans, été mis en avant par la critique internationale, au point de parler d’un groupe de cinéastes, voire d’une « école roumaine ». Quelle est votre position sur ce point ? Vous revendiquez des liens étroits entre Cristian Mungiu, Cristi Puiu, Corneliu Porumboiu, et vous-même ? Ou cultivez vous une différence ?
Nous nous sommes, d’une certaine façon, constitués en groupe. Cristian Mungiu et moi étions ensemble à l’école de cinéma, nous avons débuté ensemble et je pense aussi que nous avons évolué dans une direction similaire. Cristi Puiu a été le premier à réaliser un long métrage, en 2001. Mungiu a suivi, en 2002, et moi en 2003. Nous étions d’une sensibilité assez différente au départ, et je crois que « La mort de Dante Lazarescu » de Puiu en 2005 a été un tournant important, le moment où nous avons repensé de concert notre façon de faire du cinéma. A partir de ce moment-là, nous avons emprunté une direction commune, privilégiant une approche plus minimaliste. Il y a indubitablement une marque de fabrique roumaine, mais il est difficile de la caractériser précisément. Une chose est néanmoins certaine : nous faisons tous des films sur un environnement que l’on connaît parfaitement, et nous tentons d’en rendre compte le plus honnêtement possible.