Une jeune femme prétexte l’enterrement de son père pour retrouver un voisin plutôt charmant, et tenter de comprendre pourquoi elle a interrompu le rapport amoureux amorcé avec lui quelques mois plus tôt. Ils se retrouvent et rejouent la scène où sa dérobade a empêché leur histoire de commencer.
Ils s’y essaient, se débattent, s’empoignent, tout en se rapprochant. Ils se frottent, se cognent l’un contre l’autre et s’amusent à dialoguer avec autant de fantaisie que de gravité, et à entrer dans une lutte de plus en plus physique. Ils vont finir par se lier l’un à l’autre au cours de séances quotidiennes qui ressemblent à un jeu. Par-delà leur joute verbale, cette confrontation devient une nécessité pour essayer de se trouver, un curieux rituel auquel ils ne peuvent échapper. Peu à peu, l’évidence qu’il faudra que quelque chose se libère entre eux
pour que ces luttes soient enfin devenues une vraie lutte d’amour.
Sélection PANORAMA – Festival DE BERLIN 2013
Avec : Elle Sara Forestier • Lui James Thierrée • La sœur Louise Szpindel • La copine Mahault Mollaret • L’accordeur Bill Leyshon
Réalisation et Scénario Jacques Doillon • Image Laurent Chalet, Laurent Fénart • Son Ivan Dumas • Montage Marie Da Costa • Montage son Frédéric Fichefet • Mixage Franco Piscopo • Prodcuteur exécutif Daniel Marquet • Produit par Doillon et Cie • Avec la participation du Centre National de la Cinématographie, de Canal + • En association avec B Media Export, Backup Media
Jacques Doillon
Filmographie
1972 L’AN 01
1974 LES DOIGTS DANS LA TÊTE
1975 LE SAC DE BILLES
1978 LA FEMME QUI PLEURE
LA DRÔLESSE
1980 LA FILLE PRODIGUE
1982 MONSIEUR ABEL [tv]
L’ARBRE [tv]
1984 LA PIRATE
LA VIE DE FAMILLE
1985 MANGUY, ONZE ANS PEUT-ÊTRE [tv] LA TENTATION D’ISABELLE
1986 LA PURITAINE
COMÉDIE !
1987 L’AMOUREUSE [tv]
1988 LA FILLE DE QUINZE ANS
POUR UN OUI OU POUR UN NON [tv]
1989 LA VENGEANCE D’UNE FEMME
1990 LE PETIT CRIMINEL
1991 AMOUREUSE
1992 UN HOMME À LA MER [tv]
LE JEUNE WERTHER
1993 GERMAINE ET BENJAMIN [tv]
1994 DU FOND DU CŒUR
UN SIÈCLE D’ÉCRIVAINS : NATHALIE SARRAUTE [tv]
1995 PONETTE
1997 TROP (PEU) D’AMOUR
1998 PETITS FRÈRES
2000 CARRÉMENT À L’OUEST
2002 RAJA
2007 LE PREMIER VENU
2008 LE MARIAGE À TROIS
2011 UN ENFANT DE TOI
2012 MES SÉANCES DE LUTTE
ENTRETIEN AVEC JACQUES DOILLON
Mes séances de lutte… Le titre de votre dernier film
évoque l’amour à la fois comme une séance de psychanalyse et un match
de boxe ! Etait-ce votre point de départ ?
J’en sais trop rien… Je me suis vu découper la reproduction d’une «
lutte d’amour » de Cézanne, quatre couples qui bataillent, nus, en plein
air, et la scotcher devant mon bureau. Et me voici à l’interroger… Me
revient alors en mémoire l’étudiant, voisin du héros de Kafka, qui
vient lutter avec lui chaque soir et qui repart sans un mot. Et aussi le
journal d’Etty Hillesum qui décrit son curieux rapport avec un drôle
d’analyste… J’ai commencé à écrire en aveugle, avec le tableau de
Cézanne en ligne de mire…
A partir de là, comment le scénario s’est–il écrit ?
J’ai pas de plan : une scène arrive, elle s’écrit. Et puis ça peut en
rester là ou ça pousse une deuxième scène. Quand je dis qu’une scène
s’écrit, ce sont les dialogues qui s’écrivent. Je vois rien, j’entends
seulement des fragments de dialogues. Je me bagarre gentiment avec les
mots pour savoir d’où ils viennent et ce qu’ils semblent dire. En
sachant que ça doit
être plus intime qu’un machin autobiographique ; ça doit avoir un sens
qui m’échappe… Après, si ça commence à bien tricoter, ça peut me
conduire au film.
Peu de scènes et peu de personnages… Mis à part quelques
discussions avec la sœur ou une amie, tout est centré sur le cœur des
scènes entre « elle » et « lui »…
Quand je vois ces films qui contiennent tellement de scènes qu’elles
fonctionnent comme des petits bouts de bande annonce, avec des dialogues
d’une grande pauvreté, juste nécessaires et suffisants pour passer à
la scène suivante… Un film, c’est très court, on est plus
proche de la nouvelle que du roman, alors si on multiplie les scènes,
les personnages deviennent fantomatiques et ne sont plus là que pour
faire avancer l’intrigue. Y’a pas besoin de personnages parasites, alors
oui, ça se joue au cœur.
Mes séances de lutte est centré sur un couple mais au départ, il y a la mort de son père à elle…
Le fantôme du père lance la première séquence. Sans lui, les scènes de
lutte ne pourraient pas démarrer. Ces deux-là ont longtemps besoin
d’être sous son regard pour réussir à se rencontrer. Il est le prétexte à
tous les premiers rendez-vous… Il va disparaître petit à petit, et
peut-être qu’à la dernière séquence il s’est définitivement éclipsé.
Le terme de « séances », l’obsession de revenir à un moment
originel de ce couple au début du film, ses injonctions à lui qu’elle
règle ses problèmes avec son père… Vous jouez beaucoup avec les outils
de la psychanalyse…
Je ne suis pas du côté « des idées » mais du côté des sentiments… «
Il n’y a pas de chair dans les idées », écrivait Cézanne… Mon cinéma
est bien plus animal que ça, moins réfléchi. Ce qui m’intéresse, c’est
d’essayer de renifler au mieux chaque personnage. Bizarre cette image de
cinéaste intellectuel qu’on me refourgue sans cesse. Je filme des
sentiments, des sensations, des émotions… Je ne suis pas passionné plus
que ça par la psychanalyse, j’ai fait des études médiocres et j’ai
jamais lu plus de trois lignes de Lacan, je suis un plouc ! J’ai grandi
avec Gary Cooper, ça doit s’entendre…
Comment est arrivée l’idée des luttes ?
Cézanne m’avait à l’œil : il fallait que ça devienne des luttes
d’amour. Ces deux-là se cherchent, ces joutes verbales sont un moyen
d’essayer de se trouver, elles les amusent aussi parfois… Ils ont
longtemps besoin de se parler pour ne pas s’entendre très bien et c’est
lorsqu’ils commencent à se taire que leurs corps vont exprimer davantage
leurs sentiments. La lutte des corps en route, ça devient un passage
obligatoire pour se trouver, pour dire que l’affectif, ça passe par là
aussi. J’ai toujours aimé les parties de billard. Savoir si ça va se
frôler, se cogner… et comment… Les films d’évitements un peu chic, à
la mode depuis si longtemps, ça m’ennuie pas mal.
Ces luttes sont parfois très violentes…
Il ne s’agit pas tant de la violence proprement dite, des coups qu’ils
se donnent que de la tension qui les anime. A l’évidence, on peut pas
dire qu’ils bataillent pour se détruire, la lutte est trop
disproportionnée. Sara, au corps apparemment fragile face à James, avec
son corps puissant à la Rodin… Malgré sa formidable énergie, elle n’a
aucune chance de l’emporter, et l’enjeu n’est pas celui d’un combat de
boxe.
Si on aime ou déteste parfois si fort mes films, c’est qu’il n’y a
aucun effet de distanciation, et aussi, idéalement, une forte
identification possible avec mes joueurs de billard… Les mouvements
intérieurs des personnages, c’est ce qui m’a toujours intéressé le plus.
La blancheur d’un cinéma avec plus trop de vrais personnages et rien
que des petits dialogues utiles, c’est pas mon truc !
Cet homme et cette femme sont à vif mais ils ont aussi beaucoup de dérision et de recul sur leurs difficultés à s’aimer.
A part deux ou trois films de pure tension, il me semble que j’ai fait
des films qui ne manquent pas de fantaisie, ni d’humour… Tension et
fantaisie, c’est ce que j’ai toujours mêlé, et souvent dans la même
scène… On a tellement relevé la tension, et uniquement la tension, que
je suis content que vous me parliez de « dérision » et de « recul ».
Pourquoi Sara Forestier ?
Dès la fin de l’écriture, j’ai pensé à elle. Je l’avais vue dans
L’Esquive, puis on s’était rencontré pour se dire qu’il faudrait faire
un film ensemble. Elle avait insisté pour passer un essai au moment du
Premier venu, même si je ne la voyais pas du tout dans ce rôle. C’était
une occasion de travailler quelques heures ensemble et de confirmer que
ça nous plaisait. Elle était l’une des rares comédiennes – pour ne pas
dire l’unique ! – à me rappeler régulièrement son désir de faire un film
avec moi, on ne se perdait donc pas de vue. Sara est une très belle
comédienne, avec beaucoup de fantaisie. Ce qui m’intéressait avec elle,
c’est que ce scénario qui pouvait virer « drama » allait devenir plus
léger.
Et le choix de James Thierrée ?
Sara et James se connaissaient, elle insistait pour que je le choisisse
et elle avait raison. Quand je tourne, je ne pense qu’à trouver la
bonne musique de la scène. Je dois croire à ce qui se passe, je
bidouille pour arriver à y croire, et j’ai besoin de comédiens inventifs
et audacieux pour ça. Je crois qu’on a vraiment bien travaillé ensemble
tous les trois. Techniquement, la connaissance et la maîtrise du corps
de James m’ont été précieuses. Il me mettait en garde contre le danger
de tel geste que l’on pouvait remplacer par un autre. Je pouvais du coup
risquer d’aller un peu plus loin dans la violence puisqu’elle restait
sous son contrôle.
De séance en séance, on sent la volonté d’épuiser
entre eux la violence, alimentée par les névroses familiales,
les fantômes du passé ou l’amour propre, pour arriver à une forme de
douceur…
J’ai envie de vous répondre que c’est le même travail sur tous mes
films, on n’a pas la violence en première partie et la « douceur »
amoureuse en seconde. C’est tout un cheminement pas si simple… ça
avance parfois en crabe… L’homme est un sujet « divers et ondoyant »,
pour reprendre les mots de Montaigne… Chaque scène est plus
énigmatique qu’il n’y paraît, il faut trouver la vraie logique des
mouvements des personnages, et le travail du tournage précise ces
avancées et ces dérobades. Quand on met la main sur cette logique, alors
la scène existe.
Vous aviez d’emblée l’idée que la violence des luttes puissent virer à la chorégraphie ?
Plus on avançait, plus elle s’est imposée pour que les luttes ne se
ressemblent pas. Et puis des scènes de huit-dix minutes, il faut bien
que ça danse un peu. Il s’agissait ensuite de casser ce travail, de le
rendre moins visible ou apparemment plus imprévisible. Ce n’était pas
seulement des batailles à mettre en scène, avec une petite danse
satisfaisante à trouver, il fallait d’abord découvrir la dynamique des
personnages et de la scène, travailler les changements de tempos, les
silences, se demander si telle phrase ne fonctionne pas mieux chuchotée
que dite à voix haute… L’indispensable pour moi, c’est de tourner en
plan séquence pour voir – et entendre surtout –, la totalité de la
scène. Ce qui me facilite la vie et arrange rudement le travail des
acteurs. Sans parler de la petite danse entre les acteurs et les deux
caméras…
Les scènes de lutte ont modifié votre façon de tourner ?
Non, il y a toujours la vie de l’écriture et la vie du tournage. Il n’y
a rien d’arrêté une fois le scénario écrit, ça bouge, ça doit bouger
ensuite. Et la vie du tournage est indispensable. Trop de films
aujourd’hui ne sont souvent qu’une exécution préméditée et machouillée
du scénario. Pour moi, sur le tournage, on a le motif (le scénario et
ses dialogues), mais la scène est loin d’être jouée, tout reste à faire.
Là, pour une fois, il y a eu des répétitions puisque je ne pouvais pas
faire autant de prises que d’habitude, à cause de la fatigue des
acteurs dans des scènes aussi longues où ça lutte, ça tombe, ça chute,
ça se cogne. Même si tout est très répété, on peut se faire mal. Dire
que j’ai eu peur pendant tout le tournage est un euphémisme, même si je
les ai toujours poussés à aller plus loin…
Vous avez tourné dans la chronologie ?Oui, car si tout à coup quelque chose arrive dans une scène, une humeur, une tristesse ou au contraire une lueur de joie qui n’était pas forcément envisagée à la lecture des dialogues, alors je peux tourner la scène suivante en intégrant ce sur quoi on a mis la main. C’est pas parce que j’ai tous les mots de la scène, les notes de la partition que j’en sais beaucoup plus que ça. J’ai la conviction, toujours, que la scène est à découvrir et qu’on n’en connait pas toutes les couleurs, ce qui fait l’excitation, le plaisir, et les enchantements du tournage.
Il n’y a jamais un mot de changé ?
Il faut gommer quelques répliques parce que ça fait parfois pléonasme
lorsque les acteurs les disent. Mais à part ça, mes dialogues tiennent
jusqu’au bout. J’ai travaillé assez sérieusement sur le scénario… Sur
le tournage, on est dans la phase musicale, pas dans le détricotage ! On
a peu de temps pour tourner alors pas question de se perdre dans des
discussions inutiles, il s’agit d’interpréter joliment, et pour les
acteurs de se concentrer uniquement sur cette recherche-là.
La sœur, la copine, l’homme qui vient estimer le piano… Vous avez pensé ces moments « extra conjugaux » comme des mi-temps au milieu du combat ?!C’était d’abord pour bien préciser le mauvais rapport entre cette fille et son père qui vient de mourir, et avec sa famille en général, représentée par la sœur. Quant au personnage de la copine, elle est une confidente qui permet au personnage de Sara d’exprimer des choses qu’elle ne peut ou ne veut pas dire au personnage de James.
Il se dégage une fraicheur et une liberté dans le dispositif de Mes séances de lutte qui pourraient être celle d’un premier film…
J’avais une petite angoisse de vieillir comme cinéaste, mais je ne me
sens pas essoufflé. Au contraire, ça m’excite toujours autant de faire
des films, et vaniteusement, j’ai pas l’impression de faire « moins bien
». Crever un jour prochain m’ennuie assez parce que ça m’aurait bien
amusé d’en faire encore quelques dizaines d’autres ! J’ai peur de tout
dans la vie mais arriver au premier jour de tournage sans rien savoir de
la scène à tourner… pas la moindre angoisse… ça m’est très facile.
J’espère continuer à m’amuser à chercher, à fouiller du côté des scènes
et des personnages à venir…
L’intensité des dialogues dans votre cinéma fait parfois
oublier qu’il a aussi toujours été très physique – qu’on se souvienne
par exemple de Ponette déambulant dans le paysage pour retrouver sa
mère… Mais ici, cette part physique est pleinement assumée jusque dans
les scènes d’amour…
J’aime entendre que Mes séances de lutte est peut-être un peu plus
singulier que certains de mes autres films mais qu’en même temps, il est
dans la continuité de mon travail… On m’a souvent reproché la prise de
tête, si on peut maintenant me reprocher « la prise de corps », le côté
cul, ça m’enchante à l’avance ! A l’écriture, il y avait peut-être
encore plus de sensualité, d’érotisme, de sexualité. Un rapport amoureux
et
érotique, c’est rudement moins compliqué à écrire qu’à jouer. Sara
n’avait pas de difficultés de ce côté-là, James, lui, avait des pudeurs
d’homme très classiques. On s’est un peu frotté là-dessus mais on a
trouvé un compromis très satisfaisant. Je ne voulais pas faire un film
hard mais je voulais que ce soit plus hardi que d’habitude. A la longue,
ça devenait quasi mensonger de ne pas montrer que cette part-là peut
avoir la vie belle… Il s’agissait de faire un film tête et cœur, et
cul aussi. Un film moins froussard. Sans oublier que L’Empire des Sens,
c’est de 1976 ! Près de quarante ans après, je reste bien sage !
On ne peut pas dire que ce sont des dialogues de tous les jours… ?
Je suis pas mécontent d’écrire moins pauvrement et d’essayer de mettre
des mots au plus juste sur des sentiments, des sensations. Ce que
j’entends dans de nombreux films ou dans le métro, c’est pas des
dialogues pour moi, en tous cas pas pour les personnages que j’écris.
Les dialogues de nombreux romans anglo-saxons, de Saul Bellow à Richard
Ford, et de beaucoup d’autres, sont impeccables, drôles et vraiment
singuliers… C’est pas littéraire parce qu’ils écrivent des romans ? Et
chez moi ça l’est parce que je suis qu’un cinéaste ? Un rythme aussi
vif avec des répliques si choisies, ça pourrait se jouer comme ça dans
notre vie ? La réponse est non, on le sait bien… Je ne prétends pas
faire des films aussi réalistes que ça, et les dialogues des
docu-fictions n’ont jamais excité mon imagination. La vraie question est
peut-être ailleurs : s’agit-il de conversation ou ces mots sont-ils les
meilleurs outils pour que les luttes amoureuses prennent corps ?