Film soutenu

Milk

Semih Kaplanoglu

Distribution : Les Acacias

Date de sortie : 22/09/2010

Turquie / France / Allemagne / 2008 / 1h42 mn / 1.85 / Dolby SR

Yusuf, qui vient de terminer le lycée, est inquiet sur son avenir.
Passionné de poésie, certaines de ses œuvres commencent à être publiées dans d’obscures publications littéraires.  En attendant, Yusuf et sa mère, Zehra, luttent pour gagner leur vie avec le lait qu’ils tirent des vaches.
Jusqu’à présent, Zehra avait porté toute son attention sur son fils.
Toujours jeune et belle, elle entretient désormais une relation discrète et voit sa féminité renaître. Yusuf est décontenancé et ne sait comment réagir.
Il reçoit alors son avis d’incorporation et se rend à la grande ville afin de passer la visite médicale de l’Armée…

Sélection officielle – Mostra de Venise 2008
Prix FIPRESCI
– Istanbul 2009

réalisation Semih Kaplanoglu / scénario Semih Kaplanoglu, Torçun Köksal / image Özgur Eken / décors Naz Erayda / montage François Quiqueré / son Marc Nouyrigat / production Kaplan Film ProductionSemih Kaplanoglu / coproduction avec Arizona Films/ Guillaume de Seille et Heimatfilm / Bettina Brokemper – Johannes Rexin

Semih Kaplanoglu

Semih Kaplanoglu est né en 1963. Il est diplômé en cinéma et télévision de l’université d’Izmir en 1984. Depuis 1987, il signe de nombreux articles sur l’art et le cinéma dans la presse nationale et internationale. Scénariste et réalisateur de séries télévisées et de publicités, il signe son premier long-métrage Away From Home en 2000, nommé dans beaucoup de festivals à travers le monde.
Son second film Angel’s Fall (2004) reçoit également un excellent accueil tant critique que public. Après sa présentation en première mondiale au 55e Festival de Berlin, il obtient, notamment, le prix du Meilleur Film au Festival des Trois Continents à Nantes, au Festival de Barcelone et le prix FIPRESCI au 24e festival d’Istanbul. Depuis, Semih Kaplanoglu a entrepris la production et la réalisation d’un tryptique, La trilogie de Yusuf, composé de Bal (Le miel),Süt (Le lait) et Yumurta (L’œuf ).

Filmographie 

2000    Away from home (Herkes Kendi Evinde)
2004    Angel’s fall (Melegin düsüsu)
2007    Yumurta
2008    Milk (Süt)
2009    Miel (Bal)

Propos de Semih Kaplanoglu

Anatolie
J’ai tourné Yumurta et Milk, les deux premiers volets de la Trilogie de Yusuf, dans la région de l’Anatolie, l’arrière-pays de la Côte d’Égée. C’est une région d’oliviers, de figuiers et de vignes. Les deux films se situent principalement dans la petite ville de Tire, une communauté rurale qui reflète parfaitement les caractéristiques historiques, culturelles et artisanales de cette région et qui a subi récemment une rapide et profonde modernisation. C’est là que mon père est né. La maison où il a grandi est toujours là-bas. Aujourd’hui, cette petite ville conserve de nombreuses traces de son passé. D’un côté, nous avons les artisans traditionnels, de l’autre les usines et les mines qui ont remplacé les terres agricoles fertiles. Cette ville, où vivent depuis plus de 30 ans les Roums (Grecs d’Anatolie) et les Juifs, a également été un important centre du Soufisme avec ses communautés et écoles religieuses. Dans cette région, cohabitent la tradition et la modernité. Cela m’a aidé à trouver tout ce que je cherchais en un seul lieu.

La transformation du monde rural
Les régions rurales de Turquie, plus particulièrement le centre de l’Anatolie, ont subi ces dernières années de vastes transformations sociales, économiques et culturelles.  Une nouvelle façon de vivre a émergé dans ces villes et villages – qui comptaient habituellement sur l’économie agricole, à cause de l’installation de nouvelles usines et l’ouverture de nouvelles mines. La dynamique créée par ces nouvelles opportunités d’embauche a engendré des flux migratoires qui ont profondément affecté une structure familiale traditionnelle pourtant solide.

Le choc entre tradition et modernité
J’ai insufflé ces changements au cœur même des personnages du jeune poète Yusuf et de sa mère, Zehra, une femme qui aspire à une nouvelle vie. Chaque personnage assume son rôle dans les événements qu’il vit. Cependant, les conflits auxquels fait face Yusuf dans la tourmente provoquée par le choc entre tradition et modernité sont ceux que rencontrent de nombreux jeunes en Turquie. Ces nouvelles façons de vivre ont non seulement modifié  le paysage économique mais aussi les mœurs. Tandis que certains voient, dans le passage de l’agriculture à l’industrie, de la terre à l’usine, une bénédiction, l’espoir d’un avenir radieux, pour d’autres ces changements majeurs ne sont que dissensions et chaos.

La relation Mère-Fils
J’ai voulu me concentrer sur ce passage douloureux que l’on retrouve souvent, en Turquie, dans la relation mère-fils. Cette dernière peut être à la fois difficile et surprenante, triste et gaie. J’ai moi-même été pris dans ces inextriquables contradictions qui peuvent bouleverser le sentiment d’identité mais qui inspirent de magnifiques histoires à raconter. Dans la culture de l’Anatolie, la relation mère-fils est très différente, et beaucoup plus profonde que dans bien d’autres cultures. La mère symbolise pour nous la Terre et la Nation, et relève du sacré. Au cœur de la notion de « mère », on trouve l’honneur familial, la morale et les traditions, sans compter la pureté et la chasteté. L’idée d’une « mère femme » n’est quasiment pas effleurée.

Le Lait
Tout au long de sa vie, le fils est – au sens propre comme au figuré – dépendant du « lait » de sa mère et, à tout  âge, il peut avoir besoin de son aide. C’est à lui qu’elle accordera en priorité soin et protection. Dans la vie moderne, le fils doit consentir au sacrifice du sevrage. C’est naturellement, dans ce contexte, que la mère apprend à découvrir sa féminité. Le fils arrivant à l’âge adulte, cette « femme nouvelle » peut reporter son intérêt ailleurs. Quand cela arrive, le fils peut-il réussir à se tenir sur ses deux jambes? Je pense que la relation mère-fils dans la société traditionnelle turque est une des raisons pour laquelle la jeunesse turque a tant de difficulté à passer de l’enfance à l’âge adulte.

A travers les yeux et le coeur d’un poète
Dans ma jeunesse, j’ai écrit des poèmes que je n’ai,  pour la plupart, jamais fait lire à personne, et dont certains  ont été publiés dans des revues littéraires. J’ai toujours considéré la poésie comme un instinct, un élément de force intérieure. C’est peut-être pourquoi j’ai fait de  Yusuf un poète. Une autre raison était mon envie  irrésistible de dépeindre une temporalité rurale et la perte de la figure maternelle à travers les yeux et le cœur  d’un poète.

L’harmonie des éléments
Les personnages, les visages, les lieux, les saisons, la lumière, les mouvements de caméra et le scénario devraient former un tout, créer une unité, se mêler les uns aux autres et créer une émotion particulière. L’harmonie entre les  éléments est essentielle. L’image peut ainsi évoquer le monde de l’invisible. Yusuf est un jeune homme qui ne peut choisir entre nature et vie moderne. Alors que tout le porte à se détourner d’un mode de vie traditionnel, il se rapproche de la terre lors d’un voyage où il sonde son âme autant que la Nature. Ce qui le préserve de la violence et du crime, c’est aussi un don de la Nature. Ce qui fait qu’une image n’est pas qu’une simple photo ou un dessin, c’est l’existence sensible de l’invisible. C’est ce que j’essaie humblement de transcrire dans mes films.

Né en dehors de ce monde
Pour moi, le matériau brut du cinéma, c’est le temps. Notre approche du temps nous définit. Je pense que le temps humain n’est pas seulement lié à ce monde. Il y a un avant et un après à tout cela. Les facteurs qui déter­minent notre présent sont intimement liés au passé et au futur. La réponse à nos questionnements existentiels ne se limitent pas au monde physique. Nous ne voyons pas ce monde uniquement avec nos yeux mais aussi à travers nos rêves. Je pense que la foi, ou l’absence de foi, a un effet déterminant sur les décisions que prennent mes personnages concernant leur devenir. Je souhaite que mes personnages explorent, découvrent et montrent la beauté et l’âme qui soufflent en eux et les portent en ce monde depuis leur  naissance. Il y a un point commun à toutes les cultures,  traditions, rêves et espoirs. C’est ce lieu, dont on est plus ou moins proche, qui nous aide à se comprendre les uns et les autres et nous conduit à un sentiment de futilité.