Film soutenu

Mise à mort du cerf sacré

Yorgos Lanthimos

Distribution : Haut et Court Distribution

Date de sortie : 01/11/2017

Irlande / 2017 / 2h01 / 1.85 / 5.1

Steven, brillant chirurgien, est marié à Anna, ophtalmologue respectée. Ils vivent heureux avec leurs deux enfants Kim, 14 ans et Bob, 12 ans. Depuis quelques temps, Steven a pris sous son aile Martin, un jeune garçon qui a perdu son père. Mais ce dernier s’immisce progressivement au sein de la famille et devient de plus en plus menaçant, jusqu’à conduire Steven à un impensable sacrifice.

Prix du Scénario – Sélection officielle, Festival de Cannes 2017 

Avec : Steven Murphy Colin Farrell • Anna Murphy Nicole Kidman • Martin Barry Keoghan • Kim Murphy Raffey Cassidy • Bob Murphy Sunny Suljic • Matthew Williams Bill Camp • Alicia, la mère de Martin Alicia Silverstone

Réalisation Yorgos Lanthimos • Scénario Yorgos Lanthimos et Efthimis Filippou • Chef Opérateur Thimios Bakatakis Gsc • Montage Yorgos Mavropsaridis Ace • Casting Francine Maisler Csa • Son Johnnie Burn • Décors Jade Healy • Costumes Nancy Steiner • Co-Producteurs Will Greenfield, Paula Heffernan, Atilla Salih Yücer • Producteurs Délégués Andrew Lowe, Daniel Battsek, Sam Lavender, David Kosse, Nicki Hattingh, Amit Pandya, Anne Sheehan, Peter Watson, Marie-Gabrielle Stewart • Produit par Ed Guiney, Yorgos Lanthimos

Yorgos Lanthimos

Yorgos Lanthimos est né à Athènes, en Grèce. Il a mis en scène de nombreux clips en collaboration avec des chorégraphes grecs, ainsi que des publicités pour la télévision, des courts-métrages et des pièces de théâtre. KINETTA, son premier long-métrage, a reçu des critiques élogieuses au Festival de Toronto et à la Berlinale.  Le second long-métrage de Yorgos Lanthimos, CANINE, a remporté le Prix Un Certain Regard lors du Festival de Cannes 2009, le premier d’une longue liste de récompenses dans les festivals internationaux. Le film a également été nommé à l’Oscar du Meilleur Film Etranger. ALPS, son troisième film, a remporté le Prix Osella du Meilleur Scénario à la Mostra de Venise 2011, et le Prix du Meilleur Film au Festival de Sidney.  Son premier long-métrage en langue anglaise, THE LOBSTER, a été présenté pour la première fois en compétition au 68ème Festival de Cannes et a remporté le Prix du Jury. Il a également remporté les prix du Meilleur Scénario et des Meilleurs Costumes aux European Film Awards (EFA). En 2017, le film a été nominé à l’Oscar du Meilleur Film Etranger.  MISE À MORT DU CERF SACRÉ, présenté en Compétition Officielle au 70ème Festival de Cannes, est son cinquième long-métrage de fiction. Au printemps 2017, Yorgos Lanthimos a tourné son sixième long-métrage en Angleterre, THE FAVOURITE, avec Emma Stone, Rachel Weisz et Olivia Colman. Le film se déroule durant le règne d’Anne d’Angleterre, au XVIIème siècle.

ENTRETIEN

ENTRETIEN AVCE YORGOS LANTHIMOS
 

The Lobster avait été tourné en anglais avec un casting de stars, mais Mise à mort du cerf sacré est votre premier film vraiment américain, tourné aux Etats-Unis. Et en même temps, on ne se sent pas tout à fait dans un film « américain ». Comment avez-vous travaillé sur ce qui ressemble un peu à un choc des cultures ?
En fait, c’est seulement après avoir écrit le script que j’ai commencé à me demander où on pourrait le tourner, et j’avais la sensation que ça devait se raconter aux Etats-Unis. J’ai eu des discussions avec les producteurs et ça nous a semblé évident. Mais on n’a pas essayé plus que ça de l’adapter. Et par exemple, Colin Farrell joue un Irlandais, il a pu garder son accent. Donc au final, c’était un film américain mais… pas tout à fait non plus, c’est vrai. À vrai dire, je ne sais même pas si j’en serais capable.  

En quoi est-ce différent pour vous de travailler avec des acteurs en anglais ? C’est globalement assez simple. Au final, maintenant, c’est presque plus dur pour moi de parler de cinéma dans ma langue natale, le grec, parce que depuis que je fais des films, j’en parle essentiellement en anglais et je vis à Londres, donc pour moi la langue du cinéma, c’est l’anglais. Quand je donne une interview en grec, ça me fait très bizarre, c’est l’inverse, je dois traduire ce que je voudrais dire en anglais. Et j’ai toujours peur de paraître prétentieux parce que le mec se retrouve face à un Grec incapable de trouver les mots justes dans sa propre langue… Bref, c’est très naturel pour moi et de toute façon j’essaie de pas trop parler aux acteurs. Je n’ai pas besoin d’un vocabulaire très étendu…  

Ce lien entre le poids du passé et le présent est un propos récurrent dans vos films. D’où vient-il ?
Quand, jeune adulte, j’ai commencé à m’intéresser à la politique, je me suis rendu compte que j’avais du mal à analyser certaines situations parce que je manquais de connaissances. L’histoire n’était pas une matière que j’aimais beaucoup en classe ni quelque chose qui se transmettait dans ma famille. J’ai donc eu à m’intéresser à des pans entiers de l’histoire pour comprendre le monde dans lequel je vivais. Quand j’ai commencé à faire des films, elle est devenue naturel­lement un élément structurant de mon travail.

Pour ce film, vous avez été très inspiré par Euripide, c’est bien ça ?
Pas vraiment inspiré, mais c’est quelque chose que nous avons réalisé en élaborant le script. Qu’il y avait des sortes de parallèles, notamment avec Iphigénie à Aulis. C’est une tragédie où le roi Agamemnon est obligé de sacrifier sa fille Iphigénie pour permettre à son armée d’aller faire la guerre à Troie, car ses bateaux sont pris dans des vents déchaînés par le dieu Nérée. Donc le roi doit sacrifier sa fille afin d’apaiser sa colère et que ses vaisseaux aient de nouveau le vent en poupe. Ça, c’est très clairement en lien avec le film, bien que ce ne soit pas vraiment la même histoire, car notre personnage a d’autres décisions terribles à prendre. Mais en réalisant cela, nous avons juste pensé qu’il serait intéressant d’établir une connexion claire avec un mythe si ancien et si ancré depuis le début dans la culture et l’humanité. Et, finalement, rien n’a changé jusqu’à aujourd’hui, parce que nous n’avons toujours pas la réponse à ce genre de questions.

Sans expliquer le sens du titre, qu’est-ce que le cerf sacré représente pour vous comme symbole ou image ?
C’est juste un titre joueur, vu que le film dialogue avec la tragédie et la mythologie. Encore une fois, dans la pièce d’Euripide, l’histoire commence quand le roi tue le cerf sacré des dieux. Et c’est pourquoi ils finissent par exiger qu’il sacrifie sa fille. Mais plus généralement, c’est une histoire de sacrifice. Après, qui est exactement le cerf ? Est-ce qu’on fait référence à la mort qui lance le récit ou celle qui le referme ? C’est assez ambigu et on préfère laisser ça à la libre interprétation. Et puis, bon, ça me rappelle aussi Le Meurtre d’un bookmaker chinois que j’adore !  

Comment avez-vous tourné la séquence d’opération chirurgicale hypnotique en gros plan qui ouvre le film ? 
Evidemment, c’est compliqué d’introduire une caméra dans une clinique en activité. En fait ils enregistrent effectivement les opérations, ils ont des caméras dans les salles et ils ont même une salle de contrôle. Donc ça, ils le font, notamment pour des questions d’assurances. On est allés sur place plusieurs fois, on a discuté du procédé avec des chirurgiens, pour savoir ce qu’on pouvait faire ou pas… On a assisté à plusieurs opérations, ce qui est une expérience assez traumatisante même si j’ai eu l’impression de m’y habituer assez vite. Bref, on a réfléchi au placement de la caméra et du matériel. On avait donc deux techniciens dans la salle d’opération habillés comme les médecins et tout le matériel devait être  stérilisé… Les autres devaient rester dehors. On savait la partie de l’opération qu’on voulait filmer et on a pu placer une caméra au dessus de la table. Ça s’est bien passé au final.  

Il y a eu une scène particulièrement difficile à tourner ?
Dès qu’il y a des coups de feu, des pistolets et du sang, ça devient compliqué. Mais c’est comme n’importe quel film je pense. Peut-être que la chose la plus dure à gérer pour faire un film, c’est le temps. Le temps que vous avez sur le plateau avec les acteurs, c’est tellement peu par rapport à ce que vous essayez d’accomplir… Je demandais sans cesse plus de temps. Ce que j’aimerais avoir pour faire des films, c’est ça : plus de temps pour expérimenter, explorer, essayer des choses, pouvoir réfléchir sur le plateau et ne pas avoir tant de choses à préparer en amont pour ne plus avoir qu’à les  exécuter. Mais évidemment, quand on fait des films, le temps c’est de l’argent…  

Le ton est toujours très malaisant. Même quand le jeune garçon dit : « Je suis tellement heureux d’avoir passé une si bonne journée avec vous », la séquence reste extrêmement inconfortable. Comment créez-vous cela ?
Je suppose que ça tient aussi beaucoup aux acteurs qui sont capables de faire passer ce genre de choses. Mais il faut qu’ils aient une profonde compréhension de la situation, de ce qu’il se passe dans la scène. J’essaie juste de mettre en place l’atmosphère dont ils ont besoin dans le moment pour faire ce qu’ils doivent faire.  À chaque fois c’est différent. Et parfois c’est aussi une question de chance, on capte des trucs inconscients. Un acteur peut se sentir  mal à l’aise, coupable ou quoi que ce soit. Je ne sais pas, par exemple si la nuit dernière, il n’a pas bien dormi et qu’il n’est  pas dans son assiette, on chope ça. Ce n’est pas forcément intentionnel mais ça enrichit l’expérience. Il y a plein de choses qui se déclenchent dans le jeu.  

Le film donne toujours l’impression d’être très contrôlé.
Oui, je suppose. C’est bizarre, c’est difficile pour moi, parce que le film je l’ai fait et je vois tous les trucs que je n’ai pas contrôlés. C’est comme si j’essayais ensuite de masquer les points de suture. Pour moi, tout est très brut mais tout le monde trouve mes films très construits et savamment dessinés. Essayer d’organiser le chaos, c’est ce qui finit par donner cette impression.

Aviez-vous des inspirations, des références précises en tête pour ce film ? Non pas en particulier, j’essaie d’éviter de poser consciemment des références sur la table. Je ne vais jamais dire : « OK, j’adore ce film de Buñuel et il faut qu’on fasse quelque chose dans le genre », au contraire.

On dirait que ça vous fait plaisir que le film suscite des réactions, disons, très divisées.
Évidemment, la pire chose serait que les gens y soient indifférents, du style : « Ouais, ça passe… », ça voudrait dire que ce qu’on a fait n’est pas assez fort. Si on y arrive, forcément tout le monde ne peut pas apprécier. C’est pour cela que j’éprouve une sorte de plaisir quand les spectateurs sont très partagés. Ce qui fait l’unanimité n’est en général pas très couillu.■   
PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL CLAIREFOND, AU FESTIVAL DE CANNES. SOFILM n°54