Film soutenu

Nino

Pauline Loquès

Distribution : Jour2fête

Date de sortie : 17/09/2025

France | 2025 | 1h37

Dans trois jours, Nino devra affronter une grande épreuve. D’ici là, les médecins lui ont confié deux missions. Deux impératifs qui vont mener le jeune homme à travers Paris, le pousser à refaire corps avec les autres et avec lui-même.

Semaine de la Critique, Festival de Cannes 2025

Co-soutien avec l’AFCAE

Avec Théodore Pellerin · William Lebghil · Salomé Dewaels · Jeanne Balibar · Camille Rutherford · Estelle Meyer · Victoire Du Bois · Balthazar Billaud · Mathieu Amalric · Nahéma Ricci · Alexandre Desrousseaux · Lola Felouzis · Maël Besnard · Lison Daniel

Réalisation | Pauline Loquès · Scénario | Pauline Loquès, avec la collaboration de Maud Ameline · Productrice | Sandra da Fonseca · Image | Lucie Baudinaud · Montage | Clémence Diard · Casting | Youna de Peretti · Direction de production | Cécile Remy-Boutang · Producteur·trice·s associé·e·s | Bertrand Gore et Nathalie Mesuret · Assistante mise en scène | Élodie Roy · Scripte | Iris Chassaigne.
Production Blue Monday Productions en coproduction avec France 2 Cinéma · Distributeur Jour2Fête · Ventes internationales The Party Film Sales.

Pauline Loquès

Après des études de lettres puis de droit, Pauline Loquès cherche à assouvir sa soif d’écriture dans le journalisme. Pendant plusieurs années, elle est rédactrice pour des émissions culturelles. À l’âge de trente ans, elle se dit qu’il est temps pour elle de sortir du statut de spectatrice. Après une formation de scénariste, elle fait le choix, pour son premier essai, de la simplicité et de l’humilité et choisit de dépeindre avec le plus de sincérité possible la vie des jeunes filles qui l’entourent. Après La Vie de Jeune Fille, et toujours dans le même élan, elle écrit puis réalise son premier long-métrage Nino avec Théodore Pellerin dans le rôle-titre.

FILMOGRAPHIE
2025 – Nino
2018 – La Vie de Jeune Fille

Entretien avec Pauline Loquès

Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?

J’ai travaillé pour des émissions de radio et de télé qui recevaient beaucoup d’artistes. Ce fut un excellent poste d’observation, jusqu’au jour où j’ai eu envie de m’exprimer à mon tour. J’ai suivi une formation de scénariste, et j’ai tourné un court-métrage La Vie de Jeune Fille, qui a été acheté par Arte et m’a permis de rencontrer la productrice Sandra da Fonseca. C’est elle qui m’a poussée à écrire un long métrage.

Comment sont nés Nino et la constellation de personnages qui l’entoure ?

Au moment où j’ai rencontré Sandra, ma famille était confrontée à la maladie d’un de nos proches atteint d’un cancer très agressif et qui en est mort à l’âge de trente-sept ans. Il s’appelait Romain et le film lui est dédié. J’étais terrassée par une grande tristesse et un sentiment d’injustice profond. Je me suis mise à écrire, pour retrouver l’espoir. Le personnage de Nino est arrivé par hasard dans mon esprit, un peu comme une rencontre au coin d’une rue. Comme si j’avais croisé ce jeune homme aux vêtements larges, au phrasé hésitant, sur qui la maladie s’abat. Il m’a montré le chemin de ce qu’il allait vivre. J’ai écrit au fil de l’eau, en suivant son errance de manière très instinctive.

Votre histoire est en prise directe avec une génération sensibilisée au papillomavirus et à son dépistage. Pourquoi avoir choisi le cancer de la gorge et comment vous êtes-vous documentée ?

Je voulais choisir un cancer qui touche les jeunes et dont on peut guérir, car il m’importait de sauver mon personnage. J’étais fâchée contre la maladie, il me fallait réinventer l’histoire, réparer ce qu’elle m’avait enlevé de manière symbolique. Je voulais aussi m’interroger sur les bénéfices d’un pareil traumatisme et voir si Nino pouvait en tirer profit dans son existence, s’il pouvait cheminer vers plus de lumière. J’ai fait des recherches sur la maladie, les protocoles, rencontré des spécialistes, des oncologues, des malades, des accompagnants, et j’ai pu dresser le constat que, même si c’est une épreuve, les chances de s’en sortir sont grandes.

Dans votre court-métrage, La Vie de Jeune Fille, il était aussi question d’une réalité difficile à accepter et énoncer publiquement. Est-ce le temps de la sidération, puis de l’acceptation que vous cherchez à investir ?

Nino arrive d’autant moins à exprimer ce qu’il lui arrive qu’il est atteint à la gorge. Il est attaqué à l’endroit de la parole, et, comme dans La Vie de Jeune Fille, il y a cette idée que les choses deviennent réelles lorsqu’elles sont dites aux autres. Cette difficulté à avouer une réalité douloureuse à ses proches m’intéresse beaucoup. Dans mon court-métrage, mon héroïne s’était construite sur une image parfaite d’elle-même et ne parvenait pas à dire à ses amies que son futur compagnon voulait annuler leur mariage. Nino, lui, est quelqu’un de discret à qui il arrive quelque chose de trop grand pour lui, ce qui lui offre un potentiel de transformation.

Pourquoi cette narration qui s’étend sur les quatre jours précédant le début de son traitement ?

Cette période m’intéresse, car elle a été peu représentée. On a vu des films racontant le combat contre une maladie, mais moins ces jours d’attente avant le début du traitement. Or, j’aime beaucoup la banalité du quotidien, l’anodin, et j’avais envie d’investir ce « temps mort ». Entre ces deux évènements majeurs, l’annonce du cancer et le début du traitement, il y a bien des jours et des nuits à vivre… comment les traverser ? Comme mon écriture s’est faite en le suivant, j’aimais l’idée d’être presque en temps réel avec lui. C’est aussi une manière d’interroger le temps présent qu’on peine tant à investir à force de se perdre dans les regrets et les projections. Il est très humain d’être soit nostalgique soit désirant, il est rare d’être bien à son endroit et de s’en contenter. J’aime manier ces questions-là.

Il règne, dans Nino une atmosphère flottante à l’image de votre personnage, que viennent rompre des micro-événements très ancrés dans le réel…

Le fait que Nino ait perdu ses clés le projette dans la réalité de la ville et des autres, Paris étant un endroit où il est difficile d’être seul. Nino, qui, toute sa vie, a été en retrait, se réfugie dans les salles de bain, les toilettes, mais se cogne au réel. Sa mère lui dit, évoquant sa naissance : « On aurait dit que tu voyais tout mais que tu regardais rien » ; il est dans sa nature d’être dans le monde sans y adhérer, réveiller.

Par de petites ellipses, vous faites affleurer la comédie sous le drame. Comment avez-vous pensé la tonalité de votre film ?

La tonalité vient du rythme pour moi. À l’écriture, j’avais en tête les changements de plans susceptibles de générer un sourire, c’est quelque chose qui m’amusait et permettait de donner une cadence au film. Quant au ton, il est lié à ma manière de voir l’existence, qui est drôle et tragique à la fois. Dans la vie en général, je n’arrive pas à percevoir les choses au premier degré, je traque le ridicule dans le drame, comme un logiciel défaillant dans l’annonce d’un diagnostic inquiétant, par exemple. J’aime les surprises, les petits accidents, les dérapages, c’est la beauté de la réalité. Je suis partie de son humanité, de son côté touchant pour écrire les situations et les dialogues.

Dans la séquence des bains publics, vous flirtez presque avec le fantastique…

C’est une situation qui est rendue possible parce que l’action se déroule à Paris. Il peut arriver qu’on rencontre des gens avec lesquels on connecte en quelques secondes. C’est le charme aussi d’un inconnu qui vous dit quatre phrases marquantes, sans savoir s’il s’agit d’un fou, d’un sage ou d’une apparition. J’ai essayé d’imaginer ce type de connexion un peu étrange. Ce personnage m’est apparu sous les traits de Mathieu Amalric et la scène s’est déroulée toute seule autour de lui.

Le toucher est central dans votre film sans qu’il soit nécessairement associé au désir…

Il y a sans doute là l’idée que, comme Nino peine à parler, le langage corporel prend le relais. J’avais aussi en tête qu’il était un peu anesthésié, comme si l’énergie ne circulait pas bien dans son corps, mais, au fur et à mesure, il se réveille. Je trouvais intéressant que les personnages se touchent plus qu’ils ne se parlent. Comme le corps de Nino va subir des traitements lourds, peut-être fallait-il lui permettre de passer par là avant.

Dans la séquence de la fête, sa danse ressemble à une transe…

C’est le point de bascule du film. La première partie se déroule au plus près de ce qui se joue dans sa tête, puis, une part de lui le mène à comprendre qu’il lui faut emprunter un autre chemin. C’est d’ailleurs après cette séquence et celle de la piqûre dans la salle de bain qu’il parvient à parler à son ami. Je filme aussi une génération de jeunes urbains très cérébraux, dont les liens sociaux se nouent beaucoup dans la parole, et qui sont très détachés de la nature et des sensations corporelles dans l’ensemble.

Comment avez-vous réfléchi à la manière de filmer l’hôpital ?

Au début, où l’on voit peu les extérieurs, on ne peut savoir si Nino est dans un hôpital, un commissariat ou une mairie. À la fin, je souhaitais qu’on sente que l’hôpital allait faire partie de sa réalité et qu’il était intégré au milieu de la ville, des immeubles et de la vie autour. Nino est malade, va être soigné tout en continuant à vivre dans son environnement habituel. On a construit la pièce où il est accueilli comme une chambre de maternité, car je voulais déjouer l’angoisse liée à l’hôpital et sortir des images négatives qu’on se fabrique.

La question de la filiation traverse le film, avec ce père défunt évoqué et ce petit pot à remplir pour que Nino puisse procréer un jour…

Nino promène ce petit pot avec lui sans arriver à le remplir. Sans doute que cette question le ramène à son propre père. Je ne l’ai pas trop analysé en écrivant, mais j’avais en tête que si son père avait été vivant, il l’aurait sans doute accompagné pour sa première séance de chimio. J’ai imaginé que cette « personne de confiance » dont parle le médecin était cet homme désormais absent, ce qui force Nino à se tourner vers quelqu’un d’autre.
Je voulais aussi montrer un homme confronté à la question de l’horloge biologique. Cela m’amusait, car cela n’arrive jamais à un garçon ! Va-t-il arriver à jouir dans ce petit pot pour se donner une chance d’être père un jour constitue un fil rouge, un peu comme une bombe à retardement. Cette question l’oblige à grandir.

Est-il aisé de faire le portrait d’un homme lorsqu’on est une femme ? Comment vous y êtes-vous prise pour décrire l’amitié masculine ?

Je me suis posé la question, bien sûr, puis, je me suis dit que quantité de réalisateurs avaient fait le portrait de femmes sans trop s’en poser, des questions ! Pour ce qui est de l’amitié entre garçons, j’ai imaginé que le lien de Nino à Sofian ne devait pas être si différent de celui entre ma meilleure amie et moi. Ce qui m’intéresse, c’est la solidité de ce lien, qui outrepasse la question du genre, il me semble. Pour filmer ce portrait d’homme, il se trouve que ce sont essentiellement des femmes qui ont constitué mon équipe technique.
Directrice de la photo, directrice de casting, monteuse, cheffe déco, scripte, première assistante, directrice de production… Cela s’est fait naturellement, elles ont été choisies pour leur talent, leur force de travail, leur intelligence. Nino est donc aussi le fruit d’un regard féminin porté par une majorité de femmes.

On vous sent très tendre dans le regard que vous posez sur vos personnages, et la plupart des séquences sont chaleureuses…

Cela tient sans doute à ma relation avec mes comédiens et techniciens, qui fut très douce et bienveillante. Ma méthode de travail est axée sur l’amour que je porte aux gens avec qui je travaille, et j’aime énormément les acteurs. Cela agit sur l’atmosphère du tournage et filtre sans doute à l’écran. Tous mes comédiens sont des gens sensibles, très à l’écoute les uns des autres. La douceur tient aussi à la lumière et aux couleurs du film, que je souhaitais apaisantes et légèrement antinaturalistes. Comme ce qui importe est l’intériorité des personnages, il ne fallait pas que la lumière les écrase. Nous avons donc opté pour quelque chose d’assez cotonneux, clair, poudré, pour que les intérieurs constituent un refuge à l’hostilité de la ville.

Comment avez-vous composé votre casting ?

C’est la directrice de casting, Youna de Peretti, qui a eu l’instinct très fort qu’il fallait que je rencontre Théodore Pellerin. Au-delà d’être un acteur prodigieux, un génie du jeu, Théodore a tous les contrastes en lui : la sensibilité et la force, l’intelligence et l’animalité, la pudeur et la générosité. Il est envoûtant sans jamais chercher à l’être, et c’était important, car il est de toutes les scènes pendant une heure trente. J’aimais aussi son visage si singulier et sa carrure majestueuse. Je voulais que la vulnérabilité de ce personnage ne soit qu’intérieure, que la maladie s’attaque à un corps vaillant. Pour l’entourage de Nino, nous avons cherché des comédiennes et comédiens que je souhaitais aussi talentueux que gentils. Il fallait aussi qu’ils acceptent de venir pour peu de scènes, et toutes et tous ont tellement aimé Nino qu’ils ont eu envie de l’accompagner. Ils ont tous en commun une singularité, une forte personnalité, ce qui était important pour imprégner le film de leur présence en peu de temps.
Salomé Dewaels c’est un petit gabarit d’apparence juvénile qui dégage, en fait, une grande puissance. J’aimais qu’elle impressionne Nino par son vécu et son expérience. Camille Rutherford, qui incarne son ex, arrive à passer de la mélancolie à la drôlerie en un quart de seconde. Elle exprime tout ce qui charge une ancienne relation amoureuse : la douce nostalgie et l’amertume tenace… Estelle Meyer, c’est la femme et la mère en même temps. Elle était l’actrice idéale pour cette séquence où son personnage se pique aux hormones. Sa présence est chargée d’un côté maternel dépouillé de toute sexualité, qui m’était précieux pour cette scène. William Lebghil dégage une immense tendresse, il peut jouer tous les sentiments, même les moins nobles, il reste irrésistible. C’était important pour qu’on puisse pardonner à son personnage sa maladresse lorsque Nino lui annonce sa maladie.
Jeanne Balibar a été une évidence aussi. Elle et Théodore se ressemblent un peu. J’aime la fantaisie que Jeanne dégage et qui fait écho à celle que j’associais à ce personnage de mère tendre, mais à côté de la plaque. Je trouve qu’elle synthétise tous les sentiments ambivalents qu’on peut éprouver à l’égard d’une mère. Quant à cet homme mystérieux et loufoque que rencontre Nino par hasard, je répétais à ma directrice de casting : « Il faut trouver une sorte de Mathieu Amalric ! » Il est tellement unique qu’on a fini par lui demander à lui… J’ai eu beaucoup de chance qu’il accepte. Mathieu, c’est un regard d’enfant, toujours émerveillé par les histoires, les personnages, la fabrication d’un film…

Quels étaient vos partis pris de réalisation ?

Je ne voulais pas d’une mise en scène entièrement naturaliste tournée caméra à l’épaule. Il fallait trouver une manière d’être à la fois très près et très loin de Nino pour faire sentir qu’il n’était pas seul dans cette ville. Il lui arrive un événement, mais, vu de loin, c’est une histoire parmi tant d’autres. Cela a guidé le reste de la mise en scène : nous nous demandions toujours si nous étions avec lui seul ou avec lui et les autres. Le film est une errance, il s’agissait donc d’estimer si Nino ressentait quelque chose ou non selon les situations pour trouver cette distance. Nous avons travaillé ainsi de manière instinctive avec ma cheffe-opératrice Lucie Baudinaud, sans peur de mélanger les genres.

Comment avez-vous pensé le travail du son et de la musique ?

Entre deux errances, les mêmes passages dans la ville ne sonnent pas de la même façon. Cela correspond aussi à ce qu’on peut vivre dans Paris, où l’on peut faire abstraction du chahut sonore, si l’on est centré sur une conversation en terrasse, par exemple, comme on peut se laisser envahir par le bruit. Je voulais qu’on puisse éprouver la ville tantôt comme une amie réconfortante, enveloppante, tantôt comme une personne insupportable. Nous avons joué avec ces décalages, en déréalisant certaines séquences sur le plan sonore ou, au contraire, en l’accentuant dans d’autres. Pour la musique qui accompagne les errances, j’ai pioché dans le répertoire très cinématographique d’un artiste québécois que j’adore, Flore Laurentienne. Nous avons choisi des morceaux doux, un peu planants, pour accompagner Nino dans ses déambulations. Nous avons décidé de ponctuer le film avec trois morceaux de groupes de rock, You !, Foals et Fontaines D.C, pour rendre compte des accès d’urgence et de vitalité qui saisissent Nino par moments.