Of men and war [Des hommes et de la guerre] de Laurent Bécue-Renard
Film soutenu

Of Men and War [Des hommes et de la guerre]

Laurent Becue-Renard

Distribution : Why Not Productions

Date de sortie : 22/10/2014

France-Suisse - 2014 - 2h22 - HD DCP

Ils auraient pu s’appeler Ulysse, ils s’appellent Justin, Kacy, Brooks, Trevor ou Steve. Ils auraient pu revenir de Troie, ils reviennent d’Irak ou d’Afghanistan. Pourtant, pour eux aussi, le retour au pays est une longue et douloureuse errance. Partis combattre sous le drapeau américain, les douze guerriers de « Of Men and War (Des hommes et de la guerre) » sont rentrés du front sains et saufs, mais l’esprit en morceaux, consumés de colère, hantés par les réminiscences du champ de bataille.
Leur quotidien est désormais peuplé d’ombres et de fantômes, la menace semble encore rôder partout. Leur femme, leurs enfants et parents ne les reconnaissent plus et les regardent, impuissants, se débattre contre d’invisibles démons.
Guidés par un thérapeute pionnier dans la prise en charge des traumatismes de guerre, lui-même vétéran du Vietnam, ils vont peu à peu tenter ensemble de mettre des mots sur l’indicible et de se réconcilier avec eux-mêmes, leur passé et leur famille.

Sélection officielle, Cannes 2014

Auteur-Réalisateur Laurent Bécue-Renard  • Directeur de la photographie Camille Cottagnoud • Monteurs Isidore Bethel, Sophie Brunet, Charlotte Boigeol • Musique originale Kudsi Erguner • Directeur du son Cyril Bécue • Monteuse son Sandie Bompar • Mixeuse Fanny Weinzaepflen • Premiers assistants Marc Benda, Emmanuel Dayan • Production Alice Films • Producteur délégué Laurent Bécue-Renard • Producteurs associés Thierry Garrel, Isidore Bethel • Producteur consultant Anne Aghion • Coproduction Louise Productions, Radio Télévision Suisse • Coproducteurs Heinz Dill & Élisabeth Garbar •  Tourné au Pathway Home (Yountville, Californie)

Laurent Becue-Renard

Né en 1966 à Paris. Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, ancien élève de l’Essec, Fulbright visiting fellow à Columbia University (New York). En 1995-96, il passe la dernière année de la guerre à Sarajevo comme rédacteur en chef du magazine Sarajevo Online, qui publiera ses Chroniques de Sarajevo. Après le conflit, il retourne en Bosnie-Herzégovine et se consacre à une réflexion sur les traces psychiques de la guerre en filmant sur plusieurs saisons le travail de deuil entrepris en thérapie par des veuves de jeunes combattants. Le film qu’il en tire, De guerre lasses, est présenté dans une cinquantaine de festivals internationaux et plusieurs fois primé, recevant notamment le Prix du film de la Paix décerné au Festival international du film de Berlin. Deuxième volet d’une trilogie intitulée Une généalogie de la colère, Of Men and War [Des hommes et de la guerre] accompagne cette fois dans leur chemin intime de jeunes soldats américains revenus de guerres lointaines meurtris dans leur âme.

À PROPOS DU TOURNAGE

De 2008 à 2013, le réalisateur Laurent Bécue-Renard a pu suivre dans leur intimité douze jeunes soldats américains de retour du front. Durant un an, il a partagé leur quotidien dans un centre de prise en charge pour anciens combattants, avant de les accompagner pendant les quatre années suivantes au sein de leur vie de famille. Of Men and War [Des hommes et de la guerre] a été tourné principalement au Pathway Home, un centre fondé en Californie par le thérapeute Fred Gusman. Le réalisateur y a d’abord passé cinq mois en immersion, sans caméra, afin de bâtir la confiance avec les patients et l’équipe thérapeutique. Ce n’est qu’après cette période d’observation qu’il a commencé à filmer, sans aucune restriction, tous les aspects de la vie des résidents, y compris et surtout leurs intenses séances de thérapie de groupe.
Le processus thérapeutique permet aux soldats d’exprimer enfin ce qu’ils ont fait, vu et subi pendant leur séjour au front, et de comprendre comment cette expérience a façonné ce qu’ils sont devenus. Devant l’objectif, ces hommes racontent pour la première fois ce qu’ils ont vécu à la guerre. Leurs traumatismes ne pourront jamais être complètement guéris ni oubliés mais, une fois formulés, ils laissent place à la reconstruction. La souffrance va s’estomper peu à peu, et la vie reprendre son cours.
La caméra a joué un rôle non négligeable dans ce processus. Les patients ont fini par percevoir ce projet comme une lueur d’espoir supplémentaire : consciemment ou pas, ils ont senti qu’en partageant la brutalité de leur expérience au-delà du groupe de thérapie, ils pouvaient lui donner une portée plus large et sensibiliser le monde des civils aux tourments qui sont le lot de tous les soldats – d’aujourd’hui comme d’hier – des années après la fin des combats.


LE « PTSD », OU SYNDROME DE STRESS POST-TRAUMATIQUE

On dénombre aux États-Unis plus de 2,6 millions de vétérans des récentes guerres d’Irak et d’Afghanistan. Selon les estimations du Pentagone, un tiers d’entre eux souffriraient de « syndrome de stress post-traumatique » (connu en anglais sous l’acronyme « PTSD »).

Nombreux sont les soldats qui rentrent du front en espérant tourner la page sur ce qu’ils ont vécu. Grâce aux bourses d’études accordées aux anciens G.I., ces jeunes mariés – parfois jeunes pères – comptent vite se trouver une situation. La plupart d’entre eux ont été examinés par un psychiatre militaire pour détecter d’éventuels troubles : rien à signaler.

Pourtant, quelque chose ne va pas. La guerre ressurgit à travers des cauchemars et de violentes crises d’angoisse. Un bruit soudain peut suffire à déclencher un accès de panique. D’autres fois, c’est une querelle domestique ou le regard équivoque d’un inconnu. Alors c’est comme une lame de fond : tout ce qui était enfoui refait surface et engloutit le reste.

Les journaux américains regorgent d’articles sur les vagues de suicides chez les jeunes vétérans, leur addiction aux drogues, leur implication dans des affaires de violence conjugale ou de tueries collectives. Le nombre de soldats démobilisés nécessitant des soins, qui a dépassé le demi-million, a débordé les capacités de la Veterans Administration.

La création du Pathway Home (www.thepathwayhome.org) représente un espoir d’infléchir cette triste fatalité. Fondé par Fred Gusman en 2008, il s’agit d’un centre de prise en charge indépendant.Thérapeute de formation, Gusman avait déjà mis en place à la fin des années 1970 un programme révolutionnaire de traitement du PTSD pour les vétérans du Vietnam, dont lui-même faisait partie. Au Pathway, dans la petite ville de Yountville au nord-est de San Francisco, il continue à accueillir de jeunes soldats en perdition.

Les protagonistes de Of Men and War (Des hommes et de la guerre) ne sont que douze exemples parmi des centaines de patients traités au Pathway… et des millions d’autres vétérans de guerre à travers le monde qui continuent à souffrir de PTSD.


ENTRETIEN AVEC LAURENT BÉCUE-RENARD

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE LOIZILLON, CINÉASTE
Christophe Loizillon : Pouvez-vous replacer Of Men and War dans votre filmographie ?
Laurent Bécue-Renard :
Mon premier film, De guerres lasses, qui s’intéressait aux traces psychiques de la guerre chez de jeunes veuves bosniaques, avait été entrepris de manière intuitive : j’avais passé près d’un an dans Sarajevo en guerre et il s’était imposé à moi. Lors de la distribution du film, au fil de presque 300 débats en France comme à l’étranger, j’ai été très surpris de l’impact si fort qu’il avait sur les spectateurs. Il était clair qu’il renvoyait chacun à ce qu’il ou elle portait de la guerre.
J’ai alors compris à quel point j’étais habité par la parole non dite de mes grands-pères, disparus avant ma naissance sans avoir jamais raconté leur expérience de la Grande Guerre. J’étais le descendant de ces deux hommes, ils avaient été confrontés comme l’ensemble de leurs contemporains à des chocs psychiques d’une ampleur sans pareil et je n’y avais pas accès.
De guerre lasses était en quelque sorte un portrait de mes grands-mères, qu’enfant je voyais uniquement comme des veuves d’anciens combattants. J’ai eu besoin d’en passer par là avant d’affronter, dans Of Men and War, la question qui me travaillait vraiment : celle de mes grands-pères, de ce qu’ils avaient vécu et ressenti. Fin 2003, en lisant un article sur un jeune soldat américain rentré du front blessé et dont la vie familiale avait été bouleversée par son traumatisme, j’ai compris qu’il était grand temps d’aller chercher cette parole perdue, fût-ce à l’autre bout du monde.

CL : Votre travail cinématographique commence lorsque les canons et les caméras se retirent du champ de bataille. Pourquoi ?
LBR :
De toute évidence, ce qui dure le plus longtemps dans la guerre, c’est l’après-guerre, l’onde de choc qui s’étend sur toute la vie des témoins et se propage d’une génération à l’autre. Or, la plupart du temps, quand le cinéma nous montre la guerre, c’est un spectacle. On peut être ému par certaines images, mais elles ne nous disent rien de ce que nous éprouvons vraiment, nous qui sommes tous héritiers des grands conflits du XXe siècle. Moi, je voulais justement m’attacher à cela.
Pour De guerre lasses, j’étais tombé un peu par hasard sur la thérapeute bosniaque. Pour Of Men and War, je savais d’emblée que c’était ce que je cherchais, car l’expérience thérapeutique est celle qui nous permet d’avoir accès à un ressenti qui n’a jamais été verbalisé. Filmer une thérapie, ce n’est pas simplement recueillir un témoignage de guerre, c’est donner la parole à des personnes qui ont décidé de cheminer. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les questions que les protagonistes se posent à eux-mêmes quand, plusieurs années après leur retour du front, voyant que leur traumatisme les empêche toujours de vivre, ils se résolvent à l’affronter.

CL : Ce film aurait-il pu être réalisé par un Américain ?
LBR : Le fait d’être un étranger a un double avantage. Cela vous rend très libre d’entendre ce qui est vraiment dit, au-delà les codes sociaux culturels. Ça libère aussi la parole des gens filmés car, à leurs yeux, je ne suis pas clairement « étiquetable » : je viens d’un pays où ils n’ont jamais mis les pieds, je ne suis assimilé à aucune catégorie civile ou militaire qu’ils connaissent. Mais je ne fais pas que passer ; je reste 14 mois d’affilée, puis reviens plusieurs années de suite, je loge parfois chez eux, entre-temps ils se sont mariés, ils ont eu un enfant, j’assiste à toutes ces étapes de leur existence. C’est dans mon statut d’étranger qu’ils m’ouvrent les portes de leur vie. Enfin, je suis toujours resté ce petit-fils de soldats français, et je leur en ai parlé. Je leur ai dit qu’ils allaient m’aider à appréhender le legs de ces deux grands-pères. Et eux le comprenaient d’autant mieux qu’ils voyaient combien leurs propres enfants souffraient du traumatisme de guerre par simple transmission.