Film soutenu

Passages

Ira Sachs

Distribution : SBS Distribution

Date de sortie : 28/06/2023

France - 2023 - 1h31 - 1.66- 5.1

L’histoire de deux hommes qui sont ensemble depuis quinze ans et ce qui se passe quand l’un d’eux a une liaison avec une femme.

Sundance 2023
Panorama – Berlin 2023

Tomas Freiburg Franz ROGOWSKI • Martin Ben WHISHAW • Agathe Adèle EXARCHOPOULOS • Amad Erwan KEPOA FALE

Un film de Ira SACHS • Produit par Saïd BEN SAÏD et Michel MERKT • Un scénario de Ira SACHS et Mauricio ZACHARIAS • Image Josée DESHAIES • Son Thomas GASTINEL • Montage Sophie REINE • 1ère assistante réalisateur Julie-Anne SIMON • Directrice de production Marianne GERMAIN • Ventes internationales SBS International

Ira Sachs

Ira Sachs, né en 1965 à Memphis, dans le Tennessee (États-Unis) est un réalisateur de cinéma américain.
Sa relation avec l’agent littéraire Bill Clegg a fait l’objet d’un livre intitulé Portrait of an Addict as a Young Man publié en 2010. Il a inspiré le film partiellement autobiographique d’Ira Sachs sorti en 2012 Keep the Lights On avec Thure Lindhardt (Erik) et Zachary Booth (Paul) dans les deux rôles principaux.

En août 2019, sort en France, après un passage en compétition au Festival de Cannes, Frankie, un film produit par Saïd Ben Saïd, avec Isabelle Huppert, qui se situe au Portugal. L’idée de ce dernier lui serait venu il y a une vingtaine d’années quand il a découvert Kanchenjungha du cinéaste indien Satyajit Ray.


Sa filmographie comprend Little Men (Grand Prix, Deauville American Film Festival 2016), Love is Strange, Keep the Lights On (Teddy Award, Berlinale 2012), Forty Shades of Blue (Grand Prix du Jury Dramatic, Sundance 2005) et son premier long métrage The Delta.
Lauréat de la Bourse Guggenheim en 2013, Sachs est également le directeur et fondateur de Queer|Art, une association de soutien aux artistes LGBTQ+ dans les domaines du cinéma, du spectacle vivant, de la littérature et des arts visuels. Aujourd’hui, Sachs vit à Quito en Équateur, avec son époux, le peintre Boris Torres, leurs deux enfants, Viva et Felix, et les mères de leurs enfants Tabitha Jackson et Kirsten Johnson.

Filmographie

1991 : Vaudeville (moyen métrage)
1993 : Lady (court métrage)
1996 : The Delta
2002 : Underground Zero (segment Untitled)
2005 : Forty Shades of Blue
2007 : Married Life
2010 : Last Address (court métrage documentaire)
2012 : Keep the Lights On
2014 : Love Is Strange
2016 : Brooklyn Village (Little Men)
2019 : Frankie
2023 : Passages


ENTRETIEN AVEC IRA SACHS PAR JÉRÔME D’ESTAIS

Après Frankie, et auparavant Brooklyn village, Love is strange et Keep the Lights on, vous retrouvez votre scénariste Mauricio Zacharias pour une cinquième collaboration : pouvez-vous nous parler de celle-ci sur Passages, et de la genèse du film ?

Passages est né après une période pendant laquelle je me suis demandé à quoi le futur du cinéma allait ressembler et où j’ai réalisé que je voulais faire un film qui revienne à ce que j’aimais le plus passionnément et intimement dans les films. Et j’ai donc d’abord fait ce film pour moi et pour un public qui partagerait avec moi cet intérêt pour l’intimité et ces films qui donnent à voir ce à quoi ressemble la vie des gens à un moment donné. Donc, c’est d’abord un film sur le moment. Et c’est un film sur la transition. J’ai essayé de faire un film où dans chaque scène, on n’est jamais certain de ce qui va arriver après, où tout est possible. Il y a un niveau de suspense qui reflète mon expérience de la vie à ce moment-là. Et puis, je sortais aussi d’une période de l’Histoire américaine pendant laquelle je me suis senti dominé par un homme politique puissant et ce film était, d’une certaine manière, une réaction à ce sentiment de perte de pouvoir, un film dans lequel j’ai essayé de réfléchir à ce que c’est que de détenir le pouvoir, au fait que même les gens qui ont le pouvoir ont une vulnérabilité et des faiblesses. Et enfin, Mauricio et moi, nous voulions raconter une histoire d’amour, ce que nous n’avions plus fait depuis longtemps, quelque chose qui compte pour nous. Et nous voulions faire un film avec ces trois acteurs. Ce film est une fiction sur de vraies personnes, jouée par de vraies personnes.

On retrouve dans Passages certains de vos thèmes de prédilection comme l’intimité, la marge, le coût des choses, dans le cas présent, lors d’une séparation. Mais on a aussi l’impression que vous revenez cette fois vers vos premiers films comme The Delta ou 40 Shades of Blue avec ce triangle amoureux, cet équilibre entre un cinéma de l’observation et des sens et quelque chose de plus narratif.

Je suis en effet revenu dans mon esprit à la manière dont je faisais des films à mes débuts, confiant du fait que la narration naîtrait de l’observation. Comme je vous le disais, chaque scène est une action, un événement. J’ai essayé de créer une sorte de cinéma du moment. J’ai eu du plaisir dans cette stratégie et en même temps, la manière dont j’exerce mon art est, je crois, plus affutée qu’il y a trente ans et donc je me suis senti libre : je savais ce que je faisais. Et je crois que c’est quelque chose qui vient avec l’âge et l’expérience.

Vous tournez pour la première fois en France et on connait votre amour pour les films de Chantal Akerman ou de Jean Eustache. Si les scènes d’appartement ou de salles de classe peuvent renvoyer à l’une ou l’autre, on retrouve la présence d’Arlette Langmann au générique. Peut-on y voir un lien avec le cinéma de Maurice Pialat, auquel la scène de repas ou les béances du récit peuvent éventuellement faire penser ? Ou aviez-vous d’autres influences en tête pour ce film ?

La possibilité de travailler avec Arlette Langmann a été un des plus grands plaisirs du film et une expérience d’une profondeur inouïe. C’était une récompense, et pas du fait de son expérience mais du fait de ce qu’elle est. Ce qu’on lui a demandé, Mauricio et moi, c’est de regarder de plus près la trajectoire narrative d’Agathe, le personnage féminin. Elle nous a dit : « Occupez-vous des garçons, ça me va, moi j’ai des idées sur la fille ». Elle est très instinctive, sa manière d’exercer son art est extraordinaire, et d’une manière très simple, elle a transformé le flux du film. C’était un plaisir de travailler avec elle de manière intime autour du texte et des langues. Concernant la scène de repas, du moins les dernières minutes, car tout le reste est écrit, c’est un des moments les plus improvisés du film. La scène d’ouverture aussi. Les mots, durs, dans la scène d’ouverture, viennent d’un documentaire sur le tournage de Police. Si Tomas en tant que réalisateur ressemble à quelqu’un, c’est à Pialat. Pour les références, nous avons vu L’Innocent, le dernier film de Visconti et notre film est proche de l’intrigue de celui-ci, un homme de pouvoir qui a une femme et une maîtresse, croyant qu’il peut garder les deux. C’est le thème de la jalousie qui nous a tout particulièrement inspiré. L’autre influence importante du film, c’est Taxi zum Klo de Frank Ripploh, un chef d’œuvre et un film tellement ouvert et libre par-rapport au sexe et à la sexualité. C’est un film intrépide et cela pour moi, c’est tellement inspirant. Montre les images que tu  veux, sans peur ni hésitation !

Parlez-nous du travail avec votre chef opératrice, Josée Deshaies et des vêtements des personnages, en particulier ceux de Tomas, de leur côté à la fois artificiel et sensuel.

C’était une collaboration unifiée entre ma chef opératrice, ma costumière et ma décoratrice, c’est de là que vient l’unité de l’image. Pour les vêtements, j’ai travaillé avec une extraordinaire costumière, Khadija Zeggaï et à un certain point, il a fallu qu’on fasse un choix : soit on allait vers un drame réaliste, soit vers une pièce romantique de cinéma. Et avec l’encouragement de Pialat et du Mépris, on a choisi d’aller vers le côté théâtral, avec la garde robe. Par exemple, Adèle joue une institutrice mais on l’a habillée comme une star de cinéma, comme Bardot dans Le Mépris. De la même manière, avec Franz, on a pu, par les vêtements, souligner le fait qu’il était à l’aise avec son corps et qu’il aimait se pavaner. Ces trois-là, Franz, Adèle et Ben, en tant qu’acteurs et personnes, parce qu’ils sont beaux, même quand ils portent des vêtements élaborés, ça parait naturel. Il y avait ce sens du pouvoir érotique des vêtements et du corps.

Le film se termine sur une Marseillaise. Vous pouvez nous en dire plus ?

La Marseillaise, ça vient du fait que j’adore L’Homme blessé de Chéreau et que j’ai découvert dans un livre que la musique du film était d’Albert Ayler, un jazzman qui est mort en 1970. J’en ai parlé avec ma monteuse et on a trouvé ce morceau pour clore le film, moins pour La Marseillaise que pour son côté cacophonique.

Comment avez-vous choisi Franz Rogowski et comment avez-vous travaillé avec lui autour du personnage de Tomas ?

J’ai pensé à James Cagney, en tant qu’acteur, à sa présence, quelqu’un qui n’avait pas peur d’être mauvais, de mal se comporter, et on en a beaucoup parlé avec Franz. Du plaisir aussi de regarder un anti-héros. Cagney était d’une certaine manière mon assurance vis-à-vis de Franz, qu’il n’avait pas à s’en faire de mal de se comporter, que je ferai en sorte que le résultat soit plaisant. Franz, je l’ai vu dans Happy End de Michael Haneke et tout particulièrement dans la scène de karaoké. C’est une scène pleine de vie, de danger, de beauté, très physique. Franz est un animal. Et il joue comme un animal. C’est un acteur purement physique, intéressé par la chorégraphie. De cette manière, il est un pur être de cinéma.

Le personnage joué par Adèle Exarchopoulos, est menacé de disparition au sein du triangle, quelque chose qui la menaçait déjà, entre champ et hors champ, dans Rien à foutre, son dernier film : elle est à la fois absente et très présente dans le film, vecteur de l’intimité, comme lorsqu’elle chante Le Temps des cerises et à la fois ailleurs, iconique. Vous pouvez nous parler d’elle ?

J’ai adoré Rien à foutre ! J’ai découvert Adèle dans Sybil et sa présence a fait que je me suis immédiatement sentie connecté à elle. C’est un talent et une actrice extraordinaires. Elle n’a jamais de mauvais moments parce qu’elle est toujours elle-même. Elle me fait autant penser à Jeanne Moreau qu’à Bardot, qui n’est pas qu’un corps à l’écran, qui a une profondeur, une présence de l’Histoire. Et je crois qu’Adèle a aussi cette présence, elle apporte une lutte à l’écran.

Et Ben Whishaw ?

Ben, pour moi, c’est d’abord I’m not there de Todd Haynes. Après les quinze minutes de tous ceux qui jouaient Dylan, je me disais que j’avais envie d’un film entier avec chacun d’eux. Ben a un mystère, une complexité qui vient au moment de tourner, d’une manière complètement inattendue. Ce n’est pas quelqu’un qui cherche la compréhension du personnage de manière verbale, tout est intérieur. Sans être académique, son artisanat est au plus haut niveau.

Après ces deux Passages européens, allez-vous retourner aux Etats-Unis pour tourner votre prochain film ? Que pensez-vous des conditions de production là-bas, en ce moment, comparées à vos deux expériences ici ?

Pendant la pandémie, j’ai pensé que tout était fini. Il y avait tellement de morts partout, dans nos têtes et dans nos vies, que j’ai pensé que le cinéma que j’aimais était mort. Je pense moins cela maintenant, il y a une renaissance, un printemps, encore des possibilités. Mais à ce moment et à ce niveau-là, je suis personnellement extrêmement reconnaissant envers Saïd Ben Saïd de m’avoir donné une nouvelle chance et d’avoir refait un film avec moi, pour sa passion continue pour un cinéma qu’on aime tous les deux et qu’on veut continuer à voir. Pour un cinéaste américain, quelqu’un qui veut partir à l’aventure avec vous et prendre un risque financier, c’est quelque chose de différent. Je travaille actuellement sur un film autour des derniers mois du musicien Arthur Russell, qui se passe à New York, en même temps que sur un court métrage sur le photographe Peter Hujar, qui se passe aussi à New York. Après, si je les tourne à New York ou pas, c’est une autre question…