Film soutenu

Pénélope mon amour

Claire Doyon

Distribution : Norte Distribution

Date de sortie : 12/10/2022

France – 1h28 – 5.1 – Couleur – DCP

Depuis 18 ans je filme Pénélope, jeune adulte porteuse d’autisme. Un jour j’ai ouvert le placard qui contenait des cassettes DV et des bobines super 8. Ca m’a presque crevé les yeux. Il fallait rassembler toutes ces images. Pénélope mon amour trace le parcours d’une mère et de sa fille à travers les années. Il raconte différentes étapes : le choc du diagnostic, la déclaration de guerre, l’abdication des armes, pour finalement accepter et découvrir un mode d’existence autre. Pénélope ne cesse d’acclamer ce qu’elle est, je ne cesse de questionner qui elle est. La réponse à la question est précisément dans cette quête infinie. Tout m’est renvoyé en miroir. Ainsi, n’est-ce pas Pénélope qui par ricochet me dit qui je suis ?

États généraux du film documentaire 2021 – Lussas
FIDMarseille 2021 – Prix georges de Beauregard & Prix Renaud Victor
FIPADOC 2022 – Compétition Française
Festival International du Film de Rotterdam 2022 – Harbour

Réalisatrice Claire Doyon • Montage Raphaël Lefèvre • Consultants écriture Fred Piet & Carla Bottiglieri • Image tournage Claire Doyon & Olivier Schwob (tournage Bourgogne) • 1ères assistantes réalisatrices Romane Edinger & Raquel Garcia • Régisseuse Romane Edinger • Montage son Carole Verner • Mixage Gilles Benardeau • Étalonnage Graziella Zanoni • 1ère assistante monteuse Andrea Vescan • ProductionTamara Films, Carole Chassaing, Anais Feuillette, Gérard Lacroix & Microclimat, Thomas Carillon, Olivier Mignard

Claire Doyon

Après des études de réalisation à la Fémis et à Lee
Strasberg School, Claire Doyon réalise son premier
long-métrage Les Lionceaux en 2002, sélectionné à
La Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes.
Elle réalise ensuite plusieurs films : Kataï, Les Allées
sombres, Arsenic, Chrishna/Ombwiri.
Ces films
furent sélectionnés lors de festivals internationaux
comme le Festival international du film de Locarno, La
Mostra de Venise, le Festival du film de Turin, le FID
Marseille, le Festival international du court-métrage de
Clermont-Ferrand, Côté Court à Pantin. Elle réalise
Pénélope, un voyage initiatique avec sa fille porteuse
d’autisme aux confins de la Mongolie, qui remporte le
prix Renaud Victor au FID Marseille.
Ses films suivant sont Pénélope mon amour (2021) documentaire, Prix Renaud Victor et Georges de Beauregard. It’s raining cats and dogs (2022)
documentaire, FID Marseille 2022
Claire Doyon est fondatrice de MAIA, un institut expérimental créé en 2007, situé à Paris, accueillant aujourd’hui 24 enfants et adolescents porteurs d’autisme.
Cette école promeut une pédagogie expérimentale inspirée
par des sources et outils variés.

UNE CHAMBRE ARCHÉOLOGIQUE

Les images du film sont une espèce de chambre archéologique où se sont sédimentées des strates de temps : images de l’enfance, témoignages oubliés, cristaux de subjectivité.
Pénélope a quatre mois, cinq ans, sept ans, dix ans, dix-huit ans. Les paysages varient, les visages changent, Pénélope grandit, ma relation avec elle évolue. Les images reflètent les états d’âmes fluctuants de ces dix-huit années. Selon les époques, filmer avaient différentes fonctions.
C’était au départ une image témoin pour montrer aux éducateurs les programmes à mettre en place. À l’époque, j’étais persuadée que rien ne pouvait s’opposer à la guérison de ma fille. Je pensais que c’était une question de volonté et je filmais dans cette optique. Mais surtout, filmer était un acte de survie pour échapper à un quotidien qui me submergeait. Je me suis mise en scène appelant un médecin à l’hôpital. L’attente était longue, les intermédiaires nombreux, les démarches kafkaïennes. « Jouer à ma condition d’être » me permettait de prendre du recul, de ne pas être totalement aspirée par ce quotidien.

Les formats sont variables : mini dv, HD, super 8…

Les conditions de tournage sont aussi très différentes d’un rush à l’autre. Certains sont tournés avec un chef opérateur, un ingénieur du son. D’autres images sont plus vacillantes et fragiles.


INTENTION

J’ai commencé à travailler sur ce projet en rencontrant des personnes adultes porteuses d’autisme. Découvrir ce qu’elles sont que nous ne sommes pas, des personnes particulières à regarder à la lumière de leur paysage intérieur et non de leur handicap. Elles m’apporteraient un éclairage sur qui est Pénélope, ma fille jeune adulte autiste et mutique. Au fur et à mesure des rencontres et de mon travail d’écriture, j’ai compris que le film portait sur ma relation avec Pénélope. Certes des réponses m’étaient données, et ces réponses font partie du film actuel, mais aucune ne pouvait s’ériger en vérité. Pénélope demeure un mystère à part entière. Les questions ricochaient et m’étaient renvoyées en boomerang. Petit à petit l’écriture du film a bifurqué vers ma façon d’appréhender le rapport à ma fille et son handicap ; vers la manière dont mon regard a changé au fil des ans ; et vers des questions qui découlent de ma vie avec elle. Pourquoi l’autisme déclenche-t-il autant de gêne et d’incompréhension ? Pourquoi nous, « normopathes », cherchons-nous à tout prix à ce que les autistes nous ressemblent ? Et nous, quel chemin faisons-nous pour aller vers eux ? Malgré les années, malgré le chemin parcouru et les inversions du signe de l’affect, tout cela reste compliqué.
Une petite voix derrière la tête se dresse aux aguets : et si le miracle opérait un jour ? C’est dire la persistance du fantasme de normalité.
PÉNÉLOPE MON AMOUR n’est-il que fiction ? Parades et récits imaginaires ? Fonctions agissantes et guérisseuse du récit ?


ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Vous avez filmé Pénélope, avec votre entourage, très tôt. Un projet de cinéma étaitil
déjà en germe qui le différenciait de films de famille ?

L’idée consciente de faire un film est venue tard. Il y a quelques années, en rangeant un placard,
je suis tombée sur une valise de cassettes contenant 15 ans d’images avec Pénélope qui étaient
restées là endormies. J’avais l’impression qu’elles attendaient patiemment dans le placard. La première
chose que j’ai sentie devant cette valise est que mon regard avait changé en 15 ans et que ces images contenaient sans doute ce changement. Je me suis dit que dans ces 15 ans, il y avait la valeur du temps, une valeur incompressible et solide. Pénélope a profondément bouleversé mon existence. Il fallait regarder ces images, ou alors les jeter, passer à autre chose. Mais si j’explore en profondeur, j’ai le sentiment que la part inconsciente de moi-même savait qu’un film se tramait depuis longtemps. Cela nous a surpris en découvrant les rushs, de voir que je présente les personnages du film comme si je m’adressais à un futur spectateur pour qu’il comprenne bien qui est
qui. Par exemple je dis, « je suis avec France, ma mère…» au moment de filmer, je n’avais aucune raison de préciser que c’était ma mère.
Dès le départ, je filmais avec une autre intention que le film de famille. Je filmais parce que je n’arrivais pas à sauver ma fille. Je filmais l’impasse dans laquelle je me trouvais, la réalité contre laquelle je me cognais. J’ai voulu dessiner la trajectoire d’un personnage qui traverse des étapes, comme dans un film de fiction. Quand tout s’écroule, quel récit va nous permettre de remonter en selle ?

« La caméra est un bouclier qui nous protège du regard des autres. C’est aussi l’arme qui me permet de résister. » Qu’est-ce que le cinéma vous a apporté, à Pénélope et à vous-même ?
Le cinéma a été un moyen d’entrer en relation avec Pénélope. La caméra est devenue notre jouet et filmer est devenu notre jeu. Pas besoin de parole, pas besoin de règles. Juste être là, moi filmant Pénélope, Pénélope vaquant à ses occupations. Devant la caméra, Pénélope devient un personnage, ses gestes répétitifs prennent un autre sens. Ils deviennent une sorte de danse alors que dans le quotidien, ils sont considérés comme des stéréotypies, des gestes non fonctionnels. J’ai le sentiment que Pénélope aime être filmée, qu’elle se sent regardée autrement. Elle m’interpelle très souvent avec un regard caméra. Le langage n’est pas là. Il n’y a que son regard. J’ai l’impression qu’elle profite de la caméra pour me poser des questions muettes.
Filmer m’a aussi permis de tenir debout, au sens propre ! Quand Pénélope ne dormait pas la nuit, je perdais mes moyens. La filmer m’a permis de trouver un espace de liberté où j’ai pu convoquer une présence pour moi-même et sentir que malgré tout, la nuit blanche avait un sens.

Le film est essentiellement chronologique mais il commence par l’annonce de la séparation avec Pénélope. Pourquoi avoir choisi cette structure ?
Je ne voulais pas que le spectateur se questionne sur la guérison ou l’amélioration de santé de Pénélope. La question n’est pas : est-ce qu’elle va aller mieux ? Mais plutôt, quels trajets intérieurs me fait-elle parcourir ? Qu’est-ce qu’elle bouge en moi ? Quelles questions nous posent-t-elle, à nous, « normopathes » ? Pourquoi sommes-nous incapables de vivre avec des êtres fragiles ?

Photos, films 16 mm ou images numériques, le matériel est hétérogène et dense.
Comment avez-vous réfléchi au montage avec Raphaël Lefèvre ?

Nous avons regardé les rushes pendant plusieurs semaines. Nous n’avions aucune idée de comment procéder mais nous nous étions fixés une règle. Quand nous trouvions qu’il y avait du cinéma dans les images, nous les mettions de côté, sans nous soucier de ce qu’elles pouvaient raconter ou de l’importance qu’elles pourraient avoir dans le film. Puis nous avons fait un bout à bout et élagué au fur et à mesure. J’aime l’idée des souvenirs comme des cailloux. Des cristaux de subjectivité qu’il fallait incarner dans une image précise. Soit cette image existait dans les rushs, soit il fallait la tourner ou la retrouver. Par exemple, une nuit je me suis réveillée avec le souvenir de cette photo de Pénélope à trois ans sur le capot de la voiture. Elle n’était pas dans les rushs que nous avions regardées. J’ai fouillé dans une boite de photos. Il fallait que je retrouve cette image car elle condensait le sentiment d’un moment qui bascule. La forme du film s’est trouvée à partir de ces points de bascule.

Comment avez-vous élaboré l’écriture du texte en voix off par rapport aux images ?
Le texte s’est beaucoup trouvé au montage, à partir de bribes déjà écrites et de passages retrouvés dans mon journal intime de l’époque. Pendant le montage, j’enregistrais des phrases avec mon téléphone. Raphaël confrontait les mots avec des images, cherchait des endroits pour les poser. Ça n’allait jamais du premier coup. Le film exigeait que le texte soit moins théorique, plus simple, plus connecté avec mon ressenti profond. Il y a aussi des images d’archives où je m’adresse directement à la caméra. Nous avons laissé ces paroles telles quelles et tissé la voix off autour, comme une broderie dont il fallait comprendre le motif, peu à peu.

Quelles étaient les directions pour le son et la musique ?
Nous avons commencé le mixage en pensant qu’il fallait nettoyer les sons, réduire le bruit de certaines prises car le son était de mauvaise qualité. Nous avons commencé par chercher quelque chose de propre. Mais le plan se vidait, perdait son émotion. Il avait du sens parce qu’il était saisi dans l’épaisseur du temps, avec un son de mauvaise qualité et des pixels morts à l’image. Finalement, nous avons choisi de laisser le plus possible les images et les sons dans leur statut initial d’archives. Le choix de la musique de Mozart vient du Centre Tomatis. Pénélope et moi écoutions des concertos de Mozart filtrés dans les aigus. M. et Mme Wimber nous avaient dit que la musique de Mozart était la musique de l’univers. C’est une musique en mode majeur. C’est la musique du conte, de l’harmonie avec le monde. Nous avons repris ce leitmotiv au montage, la vie comme un conte qui commence bien.

Comment s’est développée MAIA, la Maison pour l’Apprentissage et l’Intégration des enfants avec Autisme que vous avez créée ?
MAIA accueille aujourd’hui vingt-quatre enfants et a développé deux unités d’enseignements maternelle et élémentaire au sein d’écoles de quartier à Paris. Nous sommes toujours dans une tension irrésolue de répondre à des critères institutionnels normés ; et initier des pratiques d’accompagnement et de soin qui échappent aux rouages globalisants des tutelles qui financent l’institution.
Aujourd’hui je tente de développer des projets qui permettent aux enfants de découvrir des approches complémentaires et un peu différentes du quotidien. Cela demande une recherche constante de fonds dédiés à ces pratiques qui ne sont pas financées par l’état. Cette année nous avons fabriqué une sculpture géante en céramique avec l’artiste Magali Satgé. C’est une œuvre commune et anonyme. Les enfants, les parents, le personnel de Maia étions tous conviés à travailler la terre, à se rencontrer autrement.
Aujourd’hui je suis aux balbutiements d’une autre question. Peut-on imaginer une autre manière
d’entrer en relation avec des personnes autistes qui n’ont pas accès au langage ? Comment l’écoute profonde de ces êtres peut-elle opérer en nous un renversement de notre posture de supériorité pour envisager un autre rapport ?
Je pense qu’on est à l’aune de découvertes extraordinaires sur des moyens de communication autres, dans l’infra-langage. Il s’agit peut-être d’un renversement profond de ce que nous pensions connaître et savoir. Des scientifiques et des artistes se penchent sur la question. Je pense à Fabienne Cazalis chercheuse en neurosciences, à Emma Pasquer, chorégraphe et danseuse. Tout un vivier de personnes passionnantes qui œuvrent pour changer notre regard.

Vous citez Fernand Deligny. Ses travaux vous ont-t-ils inspirée ?
Les textes de Fernand Deligny m’habitent au quotidien. Je suis très impressionnée par l’humilité et l’extraordinaire richesse de l’écriture de Deligny. C’est une source intarissable. Deligny refusait le principe même d’institution. Il parlait de tentative. Je me sens proche de ce mot « tentative ». Dès que l’accompagnement s’institutionnalise, il perd de son sens. Jacques Lin qui a travaillé toute sa vie auprès de Deligny emploie l’expression du « radeau ». Je pense qu’on ne peut naviguer que sur « un radeau ». Mais le radeau peut-il résister aux tempêtes ? Ce serait quoi ce radeau s’il n’est pas l’institution globalisante dont nous ne voulons plus ?
Carla Bottiglieri qui a travaillé sur le film nous aide à penser la question de l’accompagnement. Peut-être que cela commence dans nos esprits, dit-elle. Accompagner les êtres fragiles n’incombe ni à la mère ni aux seuls parents, ni à une institution qui isole et médicalise, mais à la communauté toute entière. Seul on ne peut rien. On nous fait croire que vivre avec une personne fragile est une question individuelle. C’est une fiction de se reposer sur la parole des psychologues qui nous enjoignent à lâcher prise comme si cela était le graal de la libération.
Bien sur il faut lâcher prise, mais cela ne résout pas la question de l’accompagnement. Aujourd’hui on ne trouve plus d’éducateur spécialisé. Le métier est mal payé, contraignant, sans avenir de carrière. Il faut le repenser, changer les modalités d’accompagnement, faire en sorte que l’éducateur puisse aussi faire autre chose, inventer un autre rapport à l’autre. La question du soin de l’accompagnement des êtres fragiles, c’est la question de la communauté. Seul, on ne peut pas.