Film soutenu

People Sea People Mountain

Shangjun Cai

Distribution : Aramis Films

Date de sortie : 19/06/2013

2012 / Chine - Hong-Kong / 1h31 / 1:85 / Couleur / Dolby / VOSTF

Dans une carrière d’exploitation en Chine a lieu un meurtre au couteau. La police ayant laissé le meurtrier s’échapper, le frère de la victime, Lao Tie, décide de partir sur ses traces, espérant au passage toucher une récompense qui lui permettra de payer une partie de ses dettes.

Lion d’Argent de la Mise en Scène – Festival de Venise 2011
Montgolfière d’Argent – Festival des 3 Continents 2011

Chen Jianbin Lao Tie • Tao Hong Tian Xin • Wu Xiubo Xiao Qiang • Li HuchengBao Ge


Réalisation Cai Shangjun • Scénario Cai Shangjun, Gu Xiaobai, Gu Zheng • Directeur de la photo Dong Jinsong • Caméra Chen Jingfang • Montage Yang Hongyu • Son Yang Jiang • Musique Originale Dong Wei/Compositeur Zhou Jiaojiao/Editeur Yang Hongyu • Maquillage Qiu Zhijuan • Costumes Laurance Xu • Producteurs exécutifs Zhai Tao, Jin Yang • Producteur Li Xudong

Shangjun Cai

Cai Shangjun né en 1967 à Pékin, est un réalisateur et scénariste chinois. Il obtient un diplôme d’art dramatique de l’Académie centrale d’art dramatique de Pékin en 1992 et devient scénariste et metteur en scène de théâtre. En 2007, il signe son premier long métrage de fiction avec Les Moissons Pourpres qui remporte plusieurs prix : Prix FIPRESCI au Festival international du film de Pusan en 2007 et un Alexandre d’or du meilleur film au Festival international du film de Thessalonique en 2008.
En 2011, son deuxième film, People Mountain People Sea, remporte le Lion d’Argent de la Mise en Scène au Festival de Venise et la Montgolfière d’Argent au Festival des 3 Continents.

Réalisateur
2011 People Mountain People Sea (Ren Shan Ren Hai)
Lion d’Argent de la Mise en Scène au Festival de Venise
Montgolfière d’Argent au Festival des 3 Continents

2007 Les Moissons pourpres (Hóngsè kangbàiyin)
Prix FIPRESCI au Festival international du film de Pusan
Alexandre d’or du meilleur film au Festival international du film de Thessalonique

Scénariste
2005 Sunflower de Zhang Yang
Meilleure mise en scène et meilleure image au 53e festival de San Sebastián.

1999 Shower de Zhang Yang
Récompensé dans de nombreux festivals.

1997 Spicy Love Soup de Zhang Yang

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Pourquoi avoir choisi une narration aussi elliptique ? Ce parti-pris peut être déroutant pour le spectateur.
Pour prendre une métaphore sur le style que nous avons cherché, je dirais que People Mountain, People Sea va à l’os. Je voulais que le film ressemble à un os qu’on a cassé et qui fait des arêtes extrêmement acérées. On pourrait aussi parler d’un morceau de bois sec coupé en deux dont les pointes peuvent piquer. Et Je ne voulais pas recourir à une narration conventionnelle.

La narration de People Mountain, People Sea a aussi quelque chose de linéaire voire de très directif. Lors de son périple, Lao Tie est aidé par des personnages qui lui montrent la direction à suivre.
Le film suit un parcours qui va du Nord au Sud. En cherchant aussi les contrastes, les chocs entre les cultures et les environnements. Au fond, le personnage traverse différentes formes d’enfer. Comme les cercles de l’enfer chez Dante.

Pouvez-nous nous parler du titre et de sa symbolique ?Le titre est représentatif d’une partie de la démarche. Ce sont des mots qui se comprennent séparément mais qui, mis ensemble, signifient en tant qu’expression chinoise « la multitude », la mer des hommes. Je voulais donner le sentiment d’une force, de quelque chose de puissant, représentés par la montagne et la mer, qui sont des énergies, des forces de la nature.

Le film est à l’image du titre. Il est constitué de deux parties. Cette construction narrative s’est-elle imposée à vous dès le début ?
Oui. Je voulais cette forme pour raconter l’histoire d’une seule personne qui découvre le monde et traverse les paysages de la Chine. Puis, petit à petit, cette personne isolée rencontre plusieurs personnages. En fait, dans la deuxième partie, ce n’est pas très important de savoir qui est qui. Ce qui compte, c’est de voir une multitude de personnages ensemble, regroupés.

Vouliez-vous dès le départ canaliser toutes ces énergies, tout cet « océan de monde » à travers un seul personnage ?La ligne du récit, c’est le destin d’un individu. Cet individu doit être constamment au centre de tout. Il avance ou n’avance pas parce qu’autour de lui, il y a de la multitude et de l’environnement complexe. La multitude ne peut pas être décrite et exprimée efficacement si le destin individuel n’est pas constamment au centre du récit.

Votre personnage principal semble n’avoir aucun problème d’argent. Il le refuse quand on le lui propose. Vu le monde que vous décrivez, cela peut paraître étonnant.
Le scénario original était plus explicite quant à la question de l’argent. Il y avait une scène où le héros réunissait tous les gens du village pour leur demander de financer son périple. Ensuite, il se faisait voler l’argent par son copain et par le faux policier. Finalement, il allait en trouver ailleurs, chez sa femme. On ne voit plus tout ça dans le film. Pendant le tournage, il a fallu que je fasse des choix.

Vous allez souvent chercher les personnages ou des éléments de l’image avec des panoramiques, dans les rebords du cadre. Ce geste a-t-il une signification particulière ?
J’ai toujours beaucoup discuté de la mise en scène avec mon chef opérateur. Nous avons trouvé une manière d’exprimer les choses autrement que par les sentiments. L’idée était de laisser parler l’espace et l’image. Les choses nous paraissaient plus claires ainsi, en montrant ce qui passe et se passe devant la caméra. Je souhaitais qu’on découvre les choses et les personnages petit à petit, de manière progressive, comme dans un tableau chinois. Au montage, on s’est retrouvé avec trop de plans. J’ai choisi de privilégier les panoramiques et les plans avec de la profondeur.

Où le film a-t-il été tourné ?
L’histoire est inspirée d’un fait divers qui date de 2008. J’ai tourné sur les lieux réels du drame, avec les vrais habitants, pour tout ce qui concerne le meurtre du frère. Cette affaire m’a hanté. Mon scénariste et moi sommes allés là-bas en repérage, toute la partie Sud est tournée à Chongqing et dans la province de Sichuan. Ensuite, j’ai cherché des lieux qui me permettent d’établir les contrastes d’ambiance et de lumière. Je les ai trouvés plus au Nord et un peu en Mongolie.

Le choix de Chongqing a-t-il un lien avec son image de « nouvelle capitale » de la Chine ?C’est une grande ville développée, avec des ouvriers venant des campagnes. C’est surtout la plus proche de la région où a eu lieu le fait divers. Donc, il est plus que probable que le personnage réel a travaillé quelques années à Chongqing, comme le personnage du film qui revient après avoir échoué dans son ascension sociale. Il retourne dans son patelin faire plein de petits boulots. Pour que le parcours du personnage soit cohérent, il fallait passer par Chongqing.

La mine, qui est l’unique décor de la deuxième partie, a-t-elle été reconstituée ou, encore une fois, avez-vous tourné dans un décor réel ?
La partie extérieure est réelle, avec quelques éléments de décoration. Il s’agit d’une ancienne mine clandestine qui est aujourd’hui fermée. Ce qui est en intérieur est plus aménagé. Nous avons fait là encore un travail de décor sur un lieu réel. Il y a plus de studio dans la partie souterraine à cause des explosions qui surviennent dans le film.

Comment avez-vous tourné le plan claustrophobique de la descente dans la mine ?Comme je le disais, il s’agit en partie d’une vraie mine qui fait 400 m de profondeur. Ce qui représentait un certain danger pour l’équipe de tournage. L’ascenseur était tout petit. Il contenait à peine 5-6 personnes. Dans le plan de la descente, il y avait quatre acteurs et deux techniciens déguisés en mineurs. Je n’avais pas beaucoup de choix par rapport à l’éclairage. J’ai utilisé la lumière des casques des travailleurs. C’est Germinal avec Gérard Depardieu qui m’a inspiré cette scène. J’aime beaucoup le roman de Zola et tout particulièrement sa « scène d’ouverture ». Nous avons visionné le film avec l’équipe de tournage. Mais on ne voulait pas un rendu aussi beau. On a cherché un éclairage moins artificiel, plus dur, plus réaliste.

People Mountain, People Sea est un film d’une grande noirceur. Votre personnage traverse une Chine misérable et hostile, surtout dans la deuxième partie. Vous offrez là une vision plutôt pessimiste de votre pays.
Tout ce que je raconte s’est réellement passé. Les paysans que je montre ont sacrifié leur jeunesse. Ils ont consacré toute leur énergie au développement économique de la Chine. Je voulais aussi dire qu’il y a plus difficile que l’histoire de ce frère en quête de vengeance. Depuis 2008, la vie en Chine est devenue plus dure. Des gens se sont immolés par le feu juste parce qu’ils n’avaient plus de toit sur la tête. Je me souviens d’un petit garçon qui, de retour de l’école, ne retrouvait plus sa maison. Elle venait d’être détruite. Ses parents avaient disparu. Cet enfant a fait ses devoirs sur une pierre, en attendant que ses parents reviennent. Tout ce que je vous raconte, je l’ai vu en photos.

Entretien réalisé par Hendy Bicaise et Nathan Reneaud
Traduction de Marie-Pierre Duhamel-Müller


Un western chinois sidère la Mostra
« People Mountain, People Sea », de Cai Shangjun, est la meilleure surprise du festival de Venise

Son réalisateur, né en 1967 à Pékin, vient de la scène théâtrale et est l’auteur d’un premier film (The Red Own, 2007) qui n’a pas été distribué en France. Autant dire qu’il est un illustre inconnu, mais qu’il devrait en toute justice ne pas le rester très longtemps. Son film est, de fait, une très grosse surprise, la meilleure qu’ait réservée la Mostra de Venise. Inspiré d’un fait divers, le film est un implacable récit de vengeance qui se situe dans la province de Guizhou, une région reculée du Sud-Ouest qui accuse un retard économique et un assujettissement très relatif à la loi du pouvoir central.

Cette terre propice à l’affranchissement criminel, avec ses espaces arides et son soleil minéral, fait un excellent décor de western. Ce que ne manque pas d’être, dans une radicale transfiguration, ce film de poursuite impitoyable, laconique et elliptique, qui ferait passer Clint Eastwood pour une pipelette incapable de dominer ses nerfs. Son héros, qui profère à tout casser cinquante mots en cours de route, se nomme Lao Tie. C’est un paysan paisible, que la découverte du cadavre de son jeune frère, assassiné pour sa moto, transforme en bloc de granit lancé à la recherche du meurtrier que la police a laissé échapper.

La nature de sa vengeance est à la mesure de la turpitude du crime auquel le spectateur a quant à lui assisté. C’est la première séquence du film, elle est fracassante. Sur un chemin sablonneux de montagne, un homme demande à un motard de le prendre avec lui. En chemin, il fait arrêter l’engin sous prétexte d’une envie pressante, puis revient tranquillement poignarder le motard dans le dos. La scène, filmée sans un mot en plan éloigné, n’en est que plus inattendue, plus brutale. Le pire est pourtant à venir. Tandis que le plan reste fixé sur la scène du crime, l’assassin s’enfuit en moto, puis y revient quelques instants après, qui paraissent une éternité, pour achever sa victime, avant de repartir à nouveau.

Ce geste atroce commis au grand jour sous la blancheur du soleil, cet inexorable redoublement du crime qui en accuse la volonté et la conscience, place le film sous les terribles auspices de la misère sociale et de l’abjection du mal. C’est du western, mais c’est aussi la Bible et Albert Camus réunis. La traque qui s’ensuit est par ailleurs la chose la plus étonnante qu’on ait vue au cinéma depuis longtemps : une course lente et poétique, la fureur silencieuse du désespoir en marche contre l’injustice, une révolte aux lueurs d’apocalypse. Inauguré dans la lumière aveuglante du mal, le film se termine dans les ténèbres d’une mine illégale, pour un règlement de compte halluciné parmi les damnés de la terre. C’est la fin du monde, et c’est en même temps l’appel à son recommencement.


Jacques Mandelbaum – LE MONDE  paru le 08/09/11