Pablo Escobar c’est 30 milliards de dollars, 5000 meurtres, 80% du trafic mondial de cocaïne… et 1 hippopotame : voici l’épopée fantastique de Pepe, de la Namibie à Medellín.
Berlinale 2024 – Ours d’argent – Meilleur réalisateur
Réalisation Nelson Carlo de Los Santos Arias • Montage Nelson Carlo de Los Santos Arias • Photographie Nelson Carlo de Los Santos Arias, Roman Lechapelier, Camilo Soratti • Musique Nelson Carlo de Los Santos Arias • Son Nahuel Palenque • Animation Erwin Jiménez • Production Nelson Carlo de Los Santos Arias, Pablo Lozano, Tanya Valette, Andrea Queralt, Mani Mortazavi, Joel Haikali, Sophie Haikali, Christoph Friedel
Nelson Carlo de Los Santos Arias
Nelson Carlos de los Santos Arias naît en 1985 à Saint-Domingue. Il étudie la création littéraire et les arts médiatiques à l’Université ibéro-américaine (UNIBE). En 2006, il s’installe à Buenos Aires pour étudier le cinéma. Il se tourne vers le cinéma expérimental qu’il étudie à l’Edinburgh College of Art de 2008 à 2009. En 2009, son premier film, She Said He Walks, reçoit un BAFTA Award. Il poursuit ses études artistiques à CalArts à Los Angeles, où il a obtient un MFA en cinéma/vidéo (2011-2014).
Filmographie
COURTS MÉTRAGES
2011 › LE DERNIER DES BONBONS
2014 › LULLABIES
LONGS MÉTRAGES
2013 › PARECES UNA CARRETA DE ESA QUE NO LA PARA NI LO’ BUEYE
2015 › SANTA TERESA Y OTRAS HISTORIAS
2017 › COCOTE
2024 › PEPE
AVANT-PROPOS
Pepe est un hippopotame, devenu mythique après avoir été violemment abattu par des militaires colombiens en 2009. Ce film n’est rien de moins que son autobiographie : il retrace la vie de cet herbivore géant, depuis l’importation illégale de ses ancêtres par Pablo Escobar, à la fin des années 80, du Sud-Ouest africain allemand vers sa fameuse Hacienda Nápoles. Bien que chronologique – de la naissance à la mort de l’animal – Pepe préfère l’entrelacement à la linéarité, se ramifie à mesure qu’il avance, d’un cours d’eau et d’un continent à l’autre, explorant la fragmentation propre à l’exil et la désorientation vécue par l’animal né loin de sa terre ancestrale. Les trois langues du récit fait par son fantôme en témoignent. « Je n’avais jamais entendu ce son qui sort de ma bouche » dit-il au début en mbukushu, puis « il sort parfois d’une certaine manière et parfois d’une autre » en afrikaans. Si Nelson Carlos de los Santos Arias fait le pari de la prosopopée polyglotte, c’est qu’il semble trouver dans l’oralité et la pluralité des langues de quoi nourrir ses Études de l’imagination – tel est le sous-titre du film. Il poursuit ainsi l’entreprise virtuose amorcée dans Santa Teresa y otras historias (FID 2015), où il adaptait un chapitre de l’œuvre inachevée de Bolaño 2666 avec une liberté formelle inouïe. À propos de ce premier film, le réalisateur dominicain affirmait : « Les Caraïbes ont réinventé les langues européennes ; mon montage s’inspire de cette oralité hors norme, mutant sans cesse en différents modes de représentation à mesure qu’il traque sa liberté. » Pepe est porté par une liberté similaire : dans le divers et la relation se noue la possibilité d’inventer un nouveau langage – imprévisible, erratique, composite – et celle, pour le cinéma, de se réinventer.
Louise Martin Papasian FIDMarseille 2024
ENTRETIEN AVEC NELSON CARLO DE LOS SANTOS ARIAS
Pour le film, êtes-vous vous aussi allé faire un de ces safaris en Afrique de l’Ouest ?
Non, pas du tout. Ces safaris sont très chers, et je ne suis pas riche. Ce qui est génial dans les safaris, où vont surtout des Allemands, c’est qu’ils se passent toujours aux mêmes endroits, là où c’est plus facile de voir les animaux, mais en réalité, la Namibie est un pays immense. Si vous voyagez seul en voiture, en cherchant à voir des animaux, vous pouvez passer des heures sur la route sans savoir quand vous aurez cette chance.
Dans la scène de safari du film, les gens parlent des hippopotames avec une fascination mêlée de peur. Qu’en pensez-vous vous-même ?
Il faut savoir qu’ils sont synonyme de danger. Ils sont dangereux, et c’est très irresponsable de s’en approcher, mais je l’ai fait quand même. Depuis mon enfance, je fais des choses en dépit des risques que ça implique. J’ai eu des rencontres très dangereuses avec les animaux, là-bas, parce que la plupart du temps, j’étais seul, je tournais seul. Souvent, au milieu de la nuit, je me réveillais terrifié à cause des cauchemars que je faisais. C’est un animal qui peut vous tuer. Ça m’a fait un effet étrange, quand je me suis rendu compte que je mettais ma vie en danger, exactement à un moment, la pandémie, où la mort était un sujet aussi saillant.
Comment avez-vous su où chercher les animaux ?
En Namibie, j’avais des conseillers. De plus, pendant ma résidence artistique DAAD à Berlin, j’ai eu l’occasion de me préparer très méticuleusement. J’ai parlé à un département spécial du zoo de Berlin. Ils ont un chercheur spécialisé dans les hippopotames : il m’a beaucoup aidé à bien comprendre l’animal hippopotame. C’est lui qui m’a appris à réagir à ses comportements. Parce que les animaux sont en fait plus nobles que les humains : ils ne vont pas vous attaquer immédiatement, ils vont d’abord vous donner des signes, qu’il faut pouvoir lire. Cette connaissance était essentielle pour mon voyage. Par rapport à l’Afrique, en Amérique du Sud, où je suis allé filmer les animaux, les hippopotames sont beaucoup moins isolés dans la nature. Ils sont donc aussi moins sauvages. Ils sont plus détendus, plus habitués aux gens.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine de vos personnages humains, surtout le pêcheur et sa femme ?
Il parle à sa femme, et il est tellement fâché qu’elle ne répond pas et ne l’écoute pas. Ces deux personnages représentent le combat historique, au sein de l’humanité, entre les hommes et les femmes. Parce que les deux représentent « l’autre ». Si vous simplifiez la vie, vous vous rendez compte que le problème pour les femmes, c’est les hommes, et le problème pour les hommes, c’est les femmes. Ça se manifeste dans notre système patriarcal, à travers la violence et les abus. Pendant les répétitions et le tournage, quelque chose de très beau s’est produit : les deux acteurs se sont mis à pleurer en même temps, après avoir joué la dispute du film. Tous les deux y ont retrouvé leur propre vie. Ils ont ravivé toute cette violence dans l’environnement domestique.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la ville dans laquelle vous avez tourné ?
Chaque personne que j’ai rencontrée là-bas, sans exception, était seule, parce qu’ils ne sont pas capables d’être avec quelqu’un. Cette ville est très compliquée – c’est une ville très particulière. Elle est gangrénée par la violence. D’abord, il y a eu Pablo Escobar, puis les paramilitaires, puis la guerre entre les deux. Cette ville s’est bâtie sur la prostitution. La première chose qu’il y a eu là-bas, ce sont des bordels.
Comment définiriez-vous Pepe en quelques mots ?
Pepe est un film, mais il n’est pas conçu comme un film, en termes de cinéma. Pepe est une métaphore de l’écosystème d’un endroit et des idées de la colonisation.
Entretien mené par Teresa Vena du site Cineuropa