Film soutenu

Plumes

Omar El Zohairy

Distribution : Dulac Distribution (Sophie Dulac Distribution)

Date de sortie : 23/03/2022

France | Égypte | Pays-Bas | Grèce - 1h52 - 5.1

Une mère passive, dévouée corps et âme à son mari et ses enfants. Enfermée dans un quotidien monotone, rythmé de tâches banales et répétitives, elle se fait aussi petite que possible. Un simple tour de magie tourne mal pendant l’anniversaire de son fils de quatre ans et c’est une avalanche de catastrophes absurdes et improbables qui s’abat sur la famille. Le magicien transforme son mari, un père autoritaire, en poule. La mère n’a d’autre choix que de sortir de sa réserve et assumer le rôle de cheffe de famille, remuant ciel et terre pour retrouver son mari. Luttant pour sa survie et celle de ses enfants, elle devient peu à peu une femme indépendante et forte.

Grand Prix Nespresso, Semaine de la Critique, Festival de Cannes 2021

AVEC : Demyana Nassar, Samy Bassouny, Fady Mina Fawzy, Abo Sefen Nabil Wesa, Mohamed Abd El Hady
Réalisation Omar El Zohairy • Scénario Ahmed Amer, Omar El Zohairy • Produit par Still Moving (France) • En coproduction avec Film Clinic et Lagoonie Film Production (Egypte), Kepler Film (Pays Bas), Heretic (Grèce) • Produit par Juliette Lepoutre • Producteur associé Pierre Menahem • Coproduit par Mohamed Hefzy, Shahinaz Al Akkad, Derk-Jan Warrink, Koji Nelissen, Giorgos Karnavas Konstantinos Kontovrakis, Verona Meier • Image Kamal Samy • Son Ahmed Adnan, Julien Gonnord, Alexis Jung, Niels Barletta • Montage Hisham Saqr • Décors Assem Ali

Omar El Zohairy

Omar El Zohairy obtient son diplôme de l’Institut du Cinéma du Caire en 2013. Il est assistant réalisateur des plus grands réalisateurs égyptiens, dont Yousri Nasrallah.
Il réalise en 2011 son premier court-métrage, Breathe Out (Zafir), qui reçoit le Prix Spécial du Jury au festival de Dubai. Son second court-métrage, The Aftermath of the Inauguration of the Public Toilet at Kilometer 375, réalisé en 2014, est le premier film égyptien sélectionné à la Cinéfondation du Festival de Cannes. Par la suite, il reçoit de très nombreux prix dans les festivals du monde entier.
Son premier long-métrage, Plumes, a été récompensé par le Grand Prix Nespresso de la 60e Semaine Internationale de la Critique, ainsi que le prix FIPRESCI de la Presse Internationale à Cannes 2021.

Propos du réalisateur

« Après avoir étudié la réalisation à l’Académie égyptienne des arts – institut supérieur du cinéma j’ai réalisé deux courts métrages, Breathe Out (Zafir) en 2011 et Les suites de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375, premier film égyptien à avoir été sélectionné pour la compétition de la Cinéfondation au Festival de Cannes 2014.

Plumes (Feathers) part d’une idée simple que j’ai eue il y a 6 ans. Le film raconte l’histoire d’un homme qui se transforme en poule et il y a des preuves sérieuses à cela, ce n’est ni une blague ni un complot. À travers cette parabole, mon désir est de dépeindre une tranche de vie difficile d’une famille égyptienne ordinaire. Alors qu’elle fait face à une situation absurde, les membres de cette famille réagissent sans trop réfléchir. Mais en réalité, ils sont coincés. Et comme ce sont des anti-héros, personne ne se soucie d’eux ou de leurs problèmes. C’est une situation dont je me sens très proche et du coup, à partir du moment où j’ai eu l’idée de réaliser ce film, c’est devenu complètement obsessionnel. 

Mes inspirations sont nombreuses et je suis très ancré dans la culture égyptienne, notamment dans son patrimoine cinématographique et musical. Les cinéastes Youssef Chahine, Mohamed Khan, Khairy Beshara, Yousry nasrallah, Oussama Fawzy mais aussi Robert Bresson, Aki Kaurismaki et Jacques Tati m’ont inspiré pour ce film, construit comme un poème avec lequel j’essaie de faire ressentir au public l’essence de nos vies. A travers la mise en scène, j’ai essayé de créer une sorte de pont entre eux et nous, afin que nous ressentions ce qu’ils ressentent. J’avais envie d’être le plus sincère possible avec eux, avec leurs peurs. Sans les étiqueter ni les juger. »


Entretien avec Omar El Zohairy

En quoi le titre, Plumes, est-il emblématique de l’histoire de votre film ?
C’est un titre à la fois très poétique et absurde. J’imagine les héros de mon film comme des plumes : pris individuellement, ils sont légers, doux, agréables ; mais lorsqu’ils sont tous ensemble, cela peut être plus problématique.

Dans quel sens ?
Plumes est une histoire dont le centre est l’humain, des êtres qui, sans jamais le chercher consciemment, sont amenés à comprendre qui ils sont réellement. […] Mes personnages doivent lutter contre leur tempérament naturel, empreint d’une grande discrétion, et de timidité. Pourtant il faudra bien qu’ils intègrent le monde. Ils ne peuvent y parvenir qu’en évoluant avec les autres. Mon film raconte comment être mieux connecté avec les autres.

Pour établir cette connexion avec le monde, vous passez par une transformation fantastique et absurde : lors d’une fête d’anniversaire, un des personnages disparaît, et réapparaît sous l’aspect d’une poule !
Si vous observez à l’écran les gens présents à cet anniversaire, vous pouvez lire l’étonnement, la perplexité, devant l’absurdité de la situation qui se déroule tout à coup sous leurs yeux. Ce tour de magie incroyable les « révèle » par leurs réactions. Il montre comment les choses fonctionnent dans ce groupe humain, et que rien ne peut continuer ainsi, car leur vie devient subitement littéralement trop folle. Plumes est l’histoire d’une mutation obligatoire, un changement de nos comportements sociaux qui nous concerne tous, pas seulement les habitants de mon pays. […]

Cette dimension universelle de Plumes était-elle une volonté dès le départ ?
Quand j’écris, je pense tout le temps à l’être humain, pas à une nationalité, ni une identité spécifiques, même si, bien sûr, il y a des éléments égyptiens dans Plumes, car je suis égyptien. Mais si vous regardez bien mon film, vous remarquerez qu’on ne sait jamais où l’on se trouve. Rien n’est nommé. […]

Pourquoi ce recours au fantastique absurde, à la magie ?
Quand j’écrivais, je ressentais une sorte de dégoût pour la réalité, je la trouvais ennuyeuse. Il fallait que des éléments de mon histoire la dépassent afin de mettre le spectateur dans une situation inconfortable, mais intrigante, celle d’assister à un spectacle fou, à une situation impossible teintée d’humour absurde et extraordinaire. La magie est une bonne façon de redécouvrir une réalité en apparence banale, voire « cliché », comme par exemple la condition d’une femme, qui est aussi une mère de famille, et une épouse, et une citoyenne. […]

Comment vous est venue cette idée de transformation magique en poule ?
L’idée de départ c’est : un mari devient une poule à cause d’un tour de magie qui tourne mal lors d’une d’autres mondes dont elle n’avait aucune idée. Le père, lui, assume le rôle que la société lui a assigné. Lui non plus ne connaît rien d’autre. Ce n’est pas l’idée du patriarcat qui est en jeu,mais celle d’une famille dont la vie très simple est tout à coup bouleversée et qui doit trouver de la nourriture, rester en vie… […]

Qui est cette mère, personnage principal de Plumes ?
La mère n’est pas intellectuelle. Elle n’a aucun plan de vie, aucune stratégie. Les circonstances l’obligent à se transformer elle aussi. Son évolution a quelque chose d’organique, d’instinctif uniquement. Au départ, ce n’est pas un esprit en alerte. […] Et rien de ce qu’elle va accomplir, y compris à la fin, n’est délibéré.

C’est pour cette raison qu’elle parle peu mais agit beaucoup ?
Parce qu’elle est silencieuse la plupart du temps, le spectateur est davantage connecté à elle. […] Et, encore une fois, ce n’est pas un personnage qui a conscience d’elle-même, elle n’articule pas ses pensées, elle les vit directement, elle n’a pas besoin de les verbaliser. Tout chez elle vient du cœur, est provoqué par ses émotions.

Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
Ce sont des acteurs non professionnels. Les comédiens principaux viennent tous d’un village du sud de l’Egypte. Je les ai remarqués tantôt dans la rue, tantôt pendant des repérages. Je voulais créer quelque chose de complètement inédit, avec des personnes qui n’avaient jamais eu d’expérience avec la caméra auparavant. […] Il ne fallait pas qu’ils jouent.

Comment les avez-vous dirigés ?
Je ne leur ai pas donné de scénario, je n’ai pas passé de temps avec eux avant le tournage pour faire des répétitions, et, sur le plateau, je ne leur disais pas comment jouer. Je voulais leur réalité.
[…] Cela a créé ce ton particulier au film. Pour moi, diriger ou jouer, c’est avoir les bonnes personnes et les filmer avec ce qu’ils apportent.

Se sont-ils adaptés facilement à cette méthode ?
C’était super facile, parce que quand je choisis quelqu’un pour être comédien, j’utilise toutes ses attitudes et sa gestuelle naturelles. Je m’y adapte, et je transmets mes instructions qui sont très simples. Tout le reste, les mouvements de caméra, la lumière, le son… est très précisément prévu. Je les laisse vivre à l’intérieur de mon dispositif technique. […]

Cela inclut également les enfants ?
Les enfants se sont montrés très malins. Ils ont apporté une vraie joie de tourner, c’était très facile de travailler avec eux. Contrairement aux comédiens adultes, j’ai fait des répétitions avec eux. Je voulais savoir comment ils jouaient la colère, la tristesse, les pleurs, la joie… Ils ont tout de suite compris ce que je recherchais. […]

Parlez-nous de l’identité visuelle très marquée de Plumes.
La stylisation extrême du film n’est pas du tout habituelle aux productions cinématographiques égyptiennes. Je dirais que c’est vraiment la mienne ! J’aime créer un univers visuel particulier, qui restitue une vision absurde, incarnée par deux éléments principaux. D’abord ce qui est montré doit vraiment être beau. Je conçois chaque séquence comme un tableau, une peinture : les couleurs, la lumière, la composition. Ensuite, il y a le respect d’un point de vue unique qui innerve tout mon film. Dans Plumes, il s’agit de celui de la femme. Tout est placé d’après son regard, ce que vous voyez, c’est la façon dont elle ressent chaque chose, chaque événement. La conjonction de ces deux éléments forme un film visuellement semblable à une photographie. […] Je détermine tout cela à l’instinct. Je fais pareil pour choisir un lieu de tournage. […]

Vous avez choisi un montage sur la durée, peu découpé, pourquoi ?
J’ai cherché à effacer la présence de la caméra afin de laisser le spectateur réfléchir, utiliser ses yeux pour détecter tout ce qu’il y a devant lui, à l’écran. Si je laisse aller une prise dans sa durée, vous pourrez peu à peu vous imprégner de la vie des personnages. […] Mon intention était de faire en sorte que les mouvements de caméra et le montage ne se sentent pas. […]

Vous avez reçu le Grand Prix de la Semaine de la Critique au festival de Cannes 2021. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Être sélectionné était déjà une victoire. Je savais que mon film était sombre, que j’allais très loin dans la noirceur et la radicalité, donc je n’espérais même pas aller dans un festival ! Recevoir un prix dans un grand festival est une grande chose pour mon pays ! [Extraits]

Propos recueillis par Virginie Apiou