Film soutenu

Put your soul on your hand and walk

Sepideh Farsi

Distribution : New Story

Date de sortie : 24/09/2025

France, Palestine, Iran | 2025 | 1h50

« Put your soul on your hand and walk est ma réponse en tant que cinéaste, aux massacres en cours des Palestiniens. Un miracle a eu lieu lorsque j’ai rencontré Fatma Hassona. Elle est devenue mes yeux à Gaza, où elle résistait en documentant la guerre, et moi, je suis devenue un lien entre elle et le reste du monde, depuis sa “prison de Gaza” comme elle le disait. Nous avons maintenu cette ligne de vie pendant presque un an. Les bouts de pixels et de sons que l’on a échangés sont devenus le film que vous voyez. L’assassinat de Fatma le 16 avril 2025 suite à une attaque israélienne sur sa maison en change à jamais le sens. »

ACID CANNES 2025

En co-soutien avec l’ACID.

Avec Fatma Hassona

Un film de Sepideh Farsi · Images de Gaza Fatma Hassona Image et montage Sepideh Farsi · Consultante montage Farahnaz Sharifi · Musique Cinna Peyghamy · Montage des dialogues Léo Boisson · Bande son et mixage Pierre Carrasco · Étalonnage Marie Gascoin et Alexandre Westphal · Production RÊVES D’EAU PRODUCTIONS · Coproduction 24images · Distribution New Story · Ventes internationales Cercamon World Sales.

Sepideh Farsi

Sepideh Farsi vit la révolution à 13 ans, fait de la prison à 16 ans et quitte l’Iran à 18 ans pour pouvoir continuer à vivre… Installée à Paris depuis, elle étudie les mathématiques, fait de la photo et réalise une quinzaine de films, documentaires, fictions et animation, parmi lesquels on peut citer Téhéran sans autorisation (réalisé avec un téléphone portable en 2009) et Red Rose en 2014. Son film d’animation La Sirène, qui traite de la guerre Iran-Irak, a été projeté en ouverture de la Berlinale et a gagné de nombreux prix depuis. Elle travaille en ce moment à un western iranien et à un roman graphique inspiré de sa vie, appelé Mémoires d’une fille pas rangée, et reste surtout, une militante inlassable pour l’instauration de la démocratie en Iran. 

FILMOGRAPHIE
2025 – Put your soul on your hand and walk (long métrage) 
2024 – How I decided to make films (court métrage) 
2024 – Bahman-Namhab (court métrage) 
2023 – THE SIREN (long métrage)  
2022 – Daughters of Iran (court métrage) 
2021 – Every war is the same (long métrage) 
2019 – I will cross tomorrow (long métrage) 
2014 – RED ROSE (long métrage)  
2010 – Tehran without permission (long métrage) 


Pendant un an, d’avril 2024 à avril 2025, Fatem et Sepideh s’appellent régulièrement. La première est à Gaza, la deuxième vit en France. Tout les sépare, leurs conditions de vie en premier lieu. Et la réalisatrice n’en cache rien. En donnant à voir sa vie quotidienne, la réalisatrice montre aussi ce qui la sépare de son interlocutrice : son confort, son sentiment de sécurité. De l’autre côté, petit à petit, Fatem fatigue, sa santé mentale se dégrade, sa situation devient de plus en plus difficile. À travers ses récits, on découvre la vie de son entourage, ses proches et ses ami·e·s. Et son travail de photographe.

Par son dispositif — une mise en abyme de caméras —, qui permet à la réalisatrice de se détacher de son écran et de donner à voir le hors-champ de la discussion, le film révèle la partition du monde en deux, entre ceux et celles qui peuvent vivre, voyager, et celles et ceux qui sont désespérément enfermé.es jusqu’à la mort. Et pourtant le documentaire rêve à construire un monde commun, à travers ce lien presque filial. Il se révèle être un des seuls gestes que le cinéma puisse faire avec justesse aujourd’hui : donner à voir la construction de ce lien, mais aussi donner la parole, donner à entendre la voix, les récits de palestinien·ne·s, ré-humaniser celles et ceux qui dans les médias ne sont que des chiffres.

Juliette Grimont, Cinéma Le Gyptis, Marseille


« L’homme qui portait ses yeux » 

Peut-être que j’annonce ma mort maintenant
Avant que la personne en face de moi ne chance
Son fusil de tireur d’élite
Et termine son travail
Pour que je finisse.
Silence.
« Es-tu un poisson ? »

Je n’ai pas répondu quand la mer m’a demandé
Je ne savais pas d’où venaient ces corbeaux qui ont bondi sur ma chaire
Cela aurait-il été logique
Si je disais : Oui ?
Laisse ces corbeaux bondir
À la fin
Sur un poisson !
Elle a traversé
Et je n’ai pas traversé
La mort m’a traversé
Et la balle, tranchante, du tireur d’élite
Je suis devenu un ange
Pour une ville.
Énorme
Plus grand que mes rêves
Plus grand que cette ville

Fatma Hassona, Gaza 


Déclaration de la réalisatrice, Sepideh Farsi

« Ce sont les mots de Fatma Hassona (Fatma pour les intimes), dans un long poème qui s’intitule “L’homme qui portait ses yeux”. Un poème qui sent le soufre, sent déjà la mort, mais qui est plein de vie aussi, comme l’était Fatma, jusqu’à ce matin, avant qu’une bombe israélienne ne la fauche, elle et toute sa famille, réduisant la maison familiale en poussière.

Elle venait juste d’avoir 25 ans. Je l’avais connue par le biais d’un ami palestinien, au Caire, alors que je cherchais désespérément le moyen de me rendre à Gaza, me heurtant à des routes bloquées, pour chercher réponse à une question à la fois simple et complexe. Comment survit-on à Gaza, sous siège depuis tant d’années ? Quel est le quotidien des palestiniens sous la guerre ? Que veut effacer Israël dans ces quelques kilomètres carrés, à coup de bombes et de mortiers ? Moi, qui venais de finir un film, La Sirène, sur une autre guerre, celle entre l’Irak et l’Iran.

Alors, Fatma devint mes yeux à Gaza, et moi, une fenêtre ouverte sur le monde. J’ai filmé, saisissant les instants que nous offraient nos appels vidéo, ce que Fatma m’offrait, pleine de fougue, d’énergie. J’ai filmé ses rires et ses larmes, son espoir et sa dépression. J’ai suivi mon instinct. Sans savoir à l’avance où nous mèneraient ces images. C’est la beauté du cinéma. La beauté de la vie.

Hier, en apprenant la nouvelle, j’ai d’abord refusé d’y croire, pensant à une erreur, comme il y a quelques mois, lorsqu’une famille homonyme avait péri dans une attaque israélienne. Incrédule, je l’ai appelée, puis envoyé un message, un autre, et encore un autre.

Toutes ces existences lumineuses ont été anéanties par un doigt qui a appuyé sur un bouton, et a lâché une bombe, pour effacer une maison de plus. Il n’y a plus de doute à avoir, ce qui court aujourd’hui à Gaza n’est plus, et depuis longtemps, une réponse aux crimes commis par le Hamas le 7 octobre, c’est un génocide. »


Entretien avec Sepideh Farsi

Vous dites dans le film que « rencontrer Fatma a été comme un miroir ». Comment a eu lieu cette rencontre avec Fatma Hassona ? Et en quoi y avez-vous perçu cet effet miroir ?
La rencontre elle-même est en partie due à un hasard, comme tous les hasards de cinéma. À l’origine, j’ai éprouvé le besoin de faire entendre la voix des Palestiniens, qui était presque totalement absente du récit de ce conflit dans les médias, depuis le début. Je suis partie au Caire en espérant pouvoir entrer à Gaza en passant par Rafah, mais c’était impossible. J’ai donc commencé à filmer des réfugiés palestiniens arrivant juste de Gaza. Jusqu’à début avril 2024, certains pouvaient encore sortir en payant 8000 $ par personne ! J’ai été accueillie par une famille gazaouie et l’un de ses membres, Ahmad, m’a parlé d’une amie photographe qui vivait dans le nord de Gaza.

La rencontre avec Fatma engendre-t-elle aussitôt l’hypothèse d’en faire un film, sous cette forme-là ?
L’idée de faire un film à distance a commencé très vite. J’avais déjà réalisé un film tourné avec un téléphone portable, Téhéran sans autorisation, en 2009. Le principe de mettre en œuvre un film à distance s’est imposé dès notre première rencontre. Décisif pour le film, l’impératif d’un témoignage, d’un cinéma d’urgence, qui dépasse les obstacles physiques. témoigne dans l’urgence. Il fallait tout garder. Je n’ai pas su d’emblée que ces images de conversations visio seraient le cœur du film, j’ai commencé avec une logique d’archives au présent, mais l’idée s’est imposée rapidement. Et Fatma a été partante immédiatement.

Pouvez-vous revenir sur cet aspect « miroir » que vous évoquez ? Votre œuvre est principalement consacrée à l’Iran, et aux Iraniens, y compris en exil comme vous-même, jusqu’au récent film d’animation La Sirène. Ce qui se passe à Gaza peut susciter le besoin de faire un film pour tout cinéaste, mais voyez-vous une continuité entre votre propre parcours et la mise en œuvre de ce film ?
L’enfermement subi par Fatma, le fait qu’elle n’ait jamais pu sortir de Gaza malgré son désir de voir le monde résonnait avec mon sentiment, inversé, d’être, comme exilée, enfermée à l’extérieur de mon pays. Je ne confondais ni ne comparais absolument pas son sort, infiniment tragique, et le mien, mais ces situations suscitaient ce que j’ai perçu comme un jeu de miroir. Aussi parce qu’elle et moi fabriquons alors des images face aux événements que nous subissons, et également parce que, même si de manière très différente, nous sommes dans un environnement où être engagée ne va pas de soi pour des femmes.

Dans le film, les échanges avec Fatma commencent le 24 avril 2024. Que s’était-il passé avant ?
C’est littéralement la première fois qu’on se voyait. Le téléphone était à l’horizontale, et instinctivement je l’ai tourné et j’ai commencé à enregistrer. J’étais très consciente que ce moment était unique. Il y avait, omniprésentes, les difficultés de connexion. Aussitôt, ce sentiment d’une urgence. Auparavant, on avait échangé une fois en audio par Skype, quand Ahmad l’avait appelée et nous avait mises en contact. On avait convenu de tenter cet échange et elle m’avait signalé qu’elle aurait besoin de deux heures pour marcher jusqu’à un endroit pour capter. Les Israéliens ont aussitôt bloqué la connexion Skype, mais d’autres plateformes ont fonctionné. C’est là que tout a commencé. J’ai senti qu’il fallait enregistrer tout ce que je pouvais.

Pourquoi passer à l’image verticale ?
Pour qu’on la voit mieux. Pour mieux cadrer son visage. Et aussi, le mobile en vertical permettait d’avoir autre chose à droite et à gauche du cadre. Comme par exemple, une partie de mon écran d’ordinateur en arrière-plan, pour montrer d’autres éléments et créer un contexte et du relief dans l’image.

Vous avez donc enregistré des échanges en visio avec Fatma d’avril à début novembre 2024.
Oui, c’est ce qu’il y a dans le film… ce qu’il aurait dû y avoir, avant que je sois amenée à ajouter la séquence finale. Après novembre 2024, nous avons continué à nous parler fréquemment, et j’ai aussi tout enregistré, mais je sentais que ce que j’avais déjà recueilli durant les 200 premiers jours était suffisamment riche pour bâtir la structure du film. J’avais commencé le montage, je n’arrivais plus à gérer mes émotions et mon énergie entre nos discussions, ce qui se passait sur le terrain à Gaza, et les heures passées seule sur l’écran du montage avec les rushes. Et puis, Fatma, de plus en plus souvent, avait ces moments de désespoir ou de faiblesse physique comme elle le décrit dans le film. J’ai donc cessé d’intégrer les nouveaux entretiens au montage. Mais après l’annonce de son assassinat, ajouter notre dernière conversation m’est apparu comme une nécessité.

Ce que nous voyons dans le film, est-ce l’essentiel de vos échanges durant ces 200 jours ?
Oh non, souvent, quand la connexion le permettait, nos conversations duraient longtemps, elle m’a beaucoup parlé, de la situation bien sûr, d’elle-même, de sa famille et de ses proches. Seule une petite fraction des rushes figure dans le film. J’ai eu du mal à un moment à trouver sa structure finale. À l’automne, j’ai fait appel à la cinéaste et monteuse Farahnaz Sharifi (notamment réalisatrice de My Stolen Planet), qui m’a aidée à trouver la forme définitive.

Le film est dominé par la guerre, la violence extrême infligée à tous les habitants de Gaza, mais il donne aussi accès à la vie personnelle de Fatma, sa famille, son travail avec les enfants.
Oui, je ne voulais surtout pas la réduire à sa seule situation géopolitique, au seul fait qu’elle était une Palestinienne sous les bombes à Gaza, mais laisser de la place à cette jeune femme si pleine de créativité, et à sa présence si magnétique, pour montrer tous les aspects de son être. Elle était la plus éduquée et la plus active de sa famille. C’est elle qui la faisait vivre, grâce à la vente de ses photos, depuis que son père, qui était chauffeur de taxi, ne pouvait plus travailler. Être photographe était ce qui lui importait le plus, mais elle écrivait aussi, et elle chantait, j’ai essayé de conserver les traces de toutes ses facettes. Je m’intéressais à sa vie de jeune femme. Elle qui avait l’âge de ma fille et qui évoluait au cours des mois de privation et de bombes. Je ne l’ai pas gardé dans le film mais elle m’avait raconté avoir rencontré un jeune homme, en décembre. Ils s’étaient fiancés. Et puis, elle avait cette relation très forte aux enfants, on l’observe sur beaucoup de ses photos. Dans une école transformée en abri, elle organisait des ateliers d’écriture avec eux pour parler de leurs traumas, elle les aidait à formuler ce qui leur était arrivé. Et bien sûr, elle avait aussi ce côté militant, de revendication de son identité palestinienne. Être photographe était inséparable à ses yeux de l’impératif de capter le génocide en cours.

Comment ses photos ont-elles pris place dans le film ?
Quand je l’ai rencontrée, je lui ai demandé de m’envoyer des images, photos et vidéos. Ses photos étaient importantes pour moi mais je n’ai pas trouvé tout de suite comment les intégrer. Elles sont revenues, comme traces à la fois de ce qui se passait et de sa manière de le voir, mais également comme élément rythmique, qui scande le film. Tout comme la chanson, Marajeeh (« La Balançoire »), écrite par une musicienne libanaise d’origine palestinienne, juste après l’explosion du port de Beyrouth, et que chante Fatma. Sa parole, son sourire, ses textes, ses photos, son chant, ce sont différentes présences d’un être qui éblouit le film d’un bout à l’autre.

Est-il aussi prévu que les photos prises par Fatma soient montrées, en dehors du film ?
Absolument. Il y a eu une exposition de ses photos à Cannes, qui va circuler. Il y en aura une autre, plus ample, à Visa pour l’image, le festival de photojournalisme de Perpignan, et dans d’autres lieux encore. Je ferai tout pour que son travail soit vu le plus possible.

Une des images inoubliables du film reste son sourire. Est-ce parce que vous avez privilégié les moments où elle souriait ?
Non, elle souriait vraiment beaucoup. J’étais surprise, par exemple à un moment où elle venait de décrire un bombardement tout près de chez elle, mais elle voulait être ainsi, elle le revendiquait. C’était sa dignité. De même qu’elle soulignait combien l’extrême violence et la mort étaient devenues « banales » pour elle, tout en demeurant atroces. À plusieurs reprises, elle m’a dit cette phrase paradoxale : « We are used to it, but we’ll never get used to it ». On y est habitués mais on ne s’y fera jamais. Nous en avions encore parlé lors de notre dernière conversation, le 15 avril, presqu’un an après notre rencontre, la veille de sa mort. C’est le moment où je lui ai annoncé l’invitation du film à Cannes dans la sélection ACID et lui ai demandé si elle voulait venir. Elle a dit oui avec une grande joie, mais aussitôt, elle a ajouté qu’elle retournerait à Gaza juste après.

Vous lui racontez des éléments de votre existence pendant la période où vous l’enregistrez, et vous discutez avec elle notamment du rapport au foulard, qui n’est pas vécu de la même façon par elle et par vous.
En effet, je ne voulais pas rester comme une surface neutre face à elle mais que nous partagions des questions, y compris lorsque nous étions d’avis différents. Pour une Iranienne comme moi, le hijab est un symbole d’oppression mais pour elle, le voile était un choix, et je voulais que chacune de nous deux existe dans la singularité de son rapport au monde. C’est pourquoi j’ai conservé un moment d’échange à ce sujet, tout comme j’ai montré où j’habitais, ou fait mention de mes voyages durant cette période, pour accompagner mon précédent film.

Avant que les circonstances tragiques ne vous amènent à ajouter la toute dernière séquence, le film se terminait par un plan séquence à bord d’une voiture dans une rue à Gaza, avec la voix de Fatma, qui parle depuis le toit de son immeuble…
Oui, il a été tourné par Fatma à Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, où elle vivait. Depuis le début je lui demandais de faire aussi des vidéos, en plus de ses photos. Au début, elle en faisait des très courtes car transmettre des vidéos longues était compliqué, il fallait une connexion stable. Nous avons discuté longtemps sur d’autres manières de filmer, avant qu’elle m’envoie ces images. J’ai su aussitôt que ce devait être la fin du film.

Y a-t-il des choix de forme au moment du montage ?
La principale recherche au montage a été, en faisant toujours de sa parole l’élément central du film, de trouver des respirations, et une fluidité pour l’ensemble. J’ai commencé à monter dès le mois de mai, jusqu’en février. Cela a été un long processus. J’ai hésité avant de décider d’inclure des extraits de journaux télévisés, qui rythment le déroulement du temps et rappellent certains des principaux événements au cours de cette période. J’ai voulu que ce soit des images avec des aspérités, « imparfaites » avec des reflets sur l’écran de télévision, des recadrages, etc. Qu’elles aient, visuellement, un statut à part. Qu’on sente ma présence, en train de regarder ces journaux télévisés, sur des chaines comme CNN, Aljazeera ou France 24.

Les éléments sonores tiennent également un rôle important dans le film. L’enregistrement du bombardement sur un écran noir produit un effet très puissant.
Les bruits jouent un rôle considérable dans l’oppression que subissent les Palestiniens, d’abord avec la présence constante, jour et nuit, des drones – et cela n’a pas commencé le 7 octobre – , et évidemment les détonations des bombes. D’une manière générale, j’ai voulu que la bande son du film rende compte de l’invasion sonore permanente que génère l’oppression menée contre les civils en Palestine. Le son est volontairement « brut », pas lissé.

Pouvez-vous dire un mot du choix du titre, qui est une phrase de Fatma ?
C’est en effet une phrase qu’elle a prononcée au début et que je lui ai rappelée plus tard dans l’une de nos conversations. Elle l’a dite dans un message audio, où elle essaie d’expliquer ce qu’elle éprouve lorsqu’elle sort dans la rue pour prendre des photos. Cette énergie qui l’habite malgré le danger, qui ne se laisse jamais oublier, cette force qui la pousse en avant. Elle l’évoque aussi dans la séquence à propos de l’école bombardée, où elle a fait cette photo de l’enfant qui nettoie au tuyau d’arrosage le sol couvert de restes sanglants des membres de sa famille. Avancer dans un pareil contexte suppose une forme de « croyance malgré tout ». Malgré l’immense différence de ce que nous vivions, j’éprouvais quelque chose de comparable pendant la fabrication du film, j’ai vécu toute cette année avec la conviction qu’elle allait survivre, qu’un jour elle sortirait de Gaza, qu’elle voyagerait autour du monde. Garder l’espoir, c’était, c’est indispensable pour ne pas s’effondrer.

Pouvez-vous évoquer ce qui s’est passé après l’annonce de l’assassinat de Fatma et de sa famille par l’armée Israélienne le lendemain de l’annonce de la sélection à Cannes par l’ACID ?
Beaucoup de gens du monde du cinéma ont cherché les justes mots pour exprimer l’émotion et la condamnation que ce crime leur inspirait. Avec l’équipe de l’ACID, nous avons essayé d’accompagner ce très large ensemble de réactions, dans les différentes sélections du Festival. Juliette Binoche comme présidente du jury, et tant d’autres. Nous avons cherché à donner à Fatma le plus de présence possible dans le Festival, avec l’exposition de ses photos et des portraits d’elle, une image du film à un moment où elle est joyeuse, et où elle lève le poing. Les projections ont été extrêmement intenses, tout le monde était tellement ému. Depuis, des gens me reconnaissent dans la rue et viennent m’embrasser, souvent sans savoir quoi dire. Je crois que cela est lié à la difficulté qui demeure en France à qualifier comme tels les actes génocidaires commis à Gaza. J’espère que le film peut aider à parler de ce qui se passe là-bas, après la longue période, dont on n’est pas tout à fait sorti, où la parole libre a été empêchée.

Après l’annonce de l’assassinat de Fatma, vous avez donc ajouté une séquence…
D’abord je ne voulais pas, je me suis méfiée d’une réaction trop hâtive, sous le coup de la douleur et de la colère. Et puis je me suis dit qu’il fallait le faire, et j’ai ajouté un extrait de notre dernière conversation, la veille de sa mort.

Avait-elle vu le film ?
Non. Nous devions découvrir le film ensemble à Cannes.

Quelle est la vie du film entre Cannes et sa sortie en salles, le 24 septembre ?
Il y a énormément de projections prévues suivies de rencontres et de débats, il va être projeté dans de nombreux festivals, et il sera distribué dès août en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, avant la plupart des autres pays d’Europe de l’Ouest, l’Australie, le Japon, l’Afrique du Sud…Des gens du monde entier m’écrivent pour que je leur donne accès au film, me disent qu’il est urgent de pouvoir le présenter, même s’ils ne l’ont pas encore vu.

Propos recueillis par Jean-Michel Frodon, 11 juin 2025