Film soutenu

Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté

Hernán Rosselli

Distribution : Les Alchimistes

Date de sortie : 19/03/2025

Argentine, Portugal, Espagne | 2025 | 1h40

Dans une banlieue populaire de Buenos Aires, les Felpeto ont créé une entreprise florissante de paris sportifs. Alors, à la mort du patriarche, la mère et la fille reprennent tout naturellement le business clandestin. Mais les temps changent pour les bookmakers : des purges dans la police et des perquisitions surprises menacent tandis que des secrets de famille refont soudain surface…

Quinzaine des Cinéastes, Cannes, 2024
FICUNAM (Mexico, Mexique) – Prix du meilleur film dans la Compétition Internationale
Viennale (Vienne, Autriche)
Thessalonik International Film Festival (Thessalonique, Grèce)
FilmFest Hamburg (Hambourg, Allemagne)
Gijon International Film Festival (Gijon, Espagne)
FIDOCS (Santiago, Chili)
RIDM Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (Montréal, Canada)
Göteborg Film Festival (Göteborg, Suède)
Festival Ciné 32 Indépendance(s) et Création (France, Auch)

Scénario et Réalisation | Hernán Rosselli · Image | Joaquín Neira · Montage | Hernán Rosselli, Federico Rotstein, Jimena García Molt

Hernán Rosselli

Hernán Rosselli est né en 1979 en Argentine. En 2002, il intègre l’ENERC (l’école de cinéma de Buenos Aires) où il se spécialise en écriture de scénarios et en montage. Puis il fonde et édite Las Naves, un magazine consacré au cinéma d’auteur. En 2014, il réalise son premier long métrage, “Mauro,“ en compétition au Festival de Rotterdam dans la section Bright Future, il gagne le Prix Fipresci. Il remporte également le Prix Spécial du Jury au BAFICI où il est en compétition. Le film est présenté au Festival des 3 Continents de Nantes, à Rotterdam, Rome et Vienne entre autres. En avril 2018, son documentaire “Casa del Teatro“ consacré au comédien Oscar Brizuela, est également sélectionné au BAFICI. Il est aujourd’hui réalisateur et professeur en réalisation documentaire à l’Université de cinéma de Buenos Aires (FUC). Il collabore à plusieurs revues de cinéma en tant que critique. Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté est son quatrième long métrage. Il a été présenté en première mondiale à la Quinzaine des cinéastes (Cannes 2024).

FILMOGRAPHIE :

  • Algo viejo, algo nuevo, algo prestado, long métrage, 2024
  • Casa del Teatro, long métrage, 2018
  • Los Corroboradores, long métrage, 2018
  • Mauro, long métrage, 2014

ENTRETIEN AVEC HERNÁN ROSSELLI

Quelque chose de vieux, Quelque chose de neuf, Quelque chose d’emprunté est l’histoire d’une famille de la périphérie de Buenos Aires qui s’est construit un petit empire avec les paris clandestins de la Loterie. À la mort d’Hugo, le patriarche, sa femme Alejandra et sa fille Maribel reprennent le flambeau. Pour créer ce récit fictionnel, vous avez utilisé de vraies images d’archives que vous a fait découvrir Maribel Felpeto, la protagoniste principale du film qui interprète Maribel. Comment y avez-vous eu accès ?

Je connais Maribel depuis 15-20 ans. C’est une artiste plasticienne de la scène culturelle de la périphérie sud de Buenos Aires, où je vis. Un jour, elle m’a raconté que son père avait fait de nombreux films de famille entre 1985 et 2000. Elle est venue chez moi et nous les avons regardés ensemble. J’ai tout de suite pensé qu’ils pourraient être le cœur d’un film. Ce n’étaient pas des films familiaux “ordinaires”. Il y avait déjà une petite mise en scène qui pouvait faire surgir une histoire. C’était plutôt le regard d’un cinéaste amateur que celui d’un père de famille derrière sa caméra. Et ces images étaient le reflet de toute une époque. Celui du retour de la démocratie. Ce matériau offrait la possibilité de faire un voyage dans le temps, avec des références historiques très concrètes.

Quel rôle a joué ce matériau extraordinaire dans la genèse du film et dans le développement du scénario ?

Dans un premier temps, ce n’était pas très clair. Avec pas moins de 200h d’enregistrement, il y avait suffisamment de matière pour un court métrage ou pour un long métrage. Tout était possible. La première idée fut de faire plutôt un film documentaire centré sur la vie réelle des Felpeto. Même si les vrais Felpeto ne se consacrent évidemment pas aux paris clandestins ! Cet aspect relève de la fiction. Mais en discutant avec eux, j’ai pressenti qu’il y avait le potentiel pour un film de cinéma. Hugo Felpeto (le vrai père et auteur des films d’archives) évoquait souvent les films de la fin des 70’, des années 80 et du début des années 90, très importants pour la classe ouvrière des faubourgs de Buenos Aires, comme Le Parrain, Les Affranchis et certains films de De Palma. Avec de telles références, c’était difficile de résister à l’appel de la fiction ! Alors je me suis plongé dans la vie des Felpeto à travers ces 200 heures d’images intimes et j’ai écrit un scénario de pure fiction.

Comment avez-vous convaincu Maribel d’être la protagoniste principale du film et de jouer “son” personnage de fiction ?

La première chose que j’ai faite c’est d’interviewer son père. Maribel, je la connaissais bien. Nous étions des amis intimes. Elle était en confiance. Quand j’ai commencé à développer une trame, je me suis rendu compte qu’il y avait une possibilité d’inscrire le monde des paris clandestins dans la fiction en l’assemblant avec leur histoire personnelle et celle de ma propre famille. Le défi était donc de convaincre ses parents de participer au projet. Si Maribel a été surprise par ma proposition, elle m’a tout de suite dit que je pouvais compter sur elle. On a commencé par des répétitions et elle s’est révélée être une actrice incroyable qui n’a cessé de me surprendre.

Comment s’est opéré le casting des autres acteurs qui constitue le clan ?

Au début, j’ai pensé que pour raconter l’intimité de Maribel, le personnage de Leandro, son amant, pouvait être au centre du film. Une fois l’acteur trouvé, on a commencé à faire des répétitions. Alejandra (la mère) souhaitait qu’il joue, mais Hugo (le père) ne s’entendait pas bien avec lui. Lors des essais, cela ne fonctionnait pas. J’ai alors décidé – dans un acte psychomagique – de ”tuer” le Hugo de la fiction. Puis j’ai étoffé le casting au fur et à mesure de l’écriture avec des acteurs et actrices comme Marcelo Barbosa [l’agent de sécurité] et Juliana Inae Risso [l’amie de Maribel], qui avaient déjà tourné dans mon premier film, Mauro. Il y a aussi des gens qui ont réellement travaillé dans le milieu des paris clandestins.

La famille est au cœur du dispositif mais dans cet univers très masculin le leadership appartient désormais aux femmes. Les temps ont changé. Pouvez-vous nous parler de cette prise de pouvoir par les femmes dans le film ?

Avant d’enquêter sur le monde de la Quiniela, je le connaissais déjà un peu. Lorsque mes parents se sont séparés, ma mère a travaillé un temps à saisir des données sur les paris. C’est le genre de travail que l’on fait dans des sortes de bunkers avec des ordinateurs. Généralement le rôle des femmes au sein de l’organisation est de se consacrer à l’administration, à compter l’argent et à gérer les appels téléphoniques. Pour se structurer, l’organisation peut compter sur la disponibilité de femmes veuves ou séparées et bénéficier de la complicité des gens du quartier où elle opère. J’ai découvert que lorsque la femme était veuve, soit elle s’associait avec un “banquier”, soit elle reprenait l’affaire à son compte avec les difficultés que cela impliquait dans un univers régit par des hommes et parfois violent.

Je me suis demandé ce qui se passerait si deux femmes prenaient en charge un business. C’est quelque chose qui s’est produit au sein de la famille d’une amie, Silvina Marcelino, qui joue dans le film et qui a été ma principale conseillère. L’entreprise a débuté quand sa grand-mère a dû prendre en charge sa famille ; son mari étant devenu aveugle. Elle a monté une organisation de paris clandestins toute seule, qui au final a été absorbée par d’autres “banquiers”. Elle s’est ensuite acoquinée avec un autre homme qui a fini par la trahir et garder le business. J’ai trouvé que ce conflit et ces tensions entre les sexes était un point de départ intéressant. Dès lors que les femmes prennent les commandes et que les rôles sont

inversés cela renvoie à une sorte de “révisionnisme” du genre comme dans Johnny Guitare de Nicholas Ray.

Vous avez également pensé au film de Coppola, Le Parrain, en écrivant le scénario ?

Oui, toute proportion gardée ! Disons que cette découverte des films de famille m’a permis de faire surgir l’idée d’une structure parallèle, de jouer entre le passé et le présent. Cette forme est typique des films de gangsters qui racontent la fondation, l’apogée et la chute d’une famille. Je pense surtout au deuxième volet de la trilogie du Parrain, à Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, et aux Affranchis de Scorsese, car ces films reposent sur cette structure parallèle avec un présent en crise, annonciateur de la fin d’un monde, et un passé fondateur.

Il faut également souligner le fait que lorsque j’ai enquêté sur la Quiniela, il y avait eu un changement de gouvernement en Argentine et une campagne massive menée contre les paris clandestins. Beaucoup de matériel a été rendu disponible. Et j’ai découvert de nombreuses écoutes téléphoniques faites par la police que j’ai pu exploiter dans le film. C’était donc une période de changement, non seulement par la décision du gouvernement de combattre ces pratiques, mais aussi par l’existence désormais d’un autre mode de fonctionnement avec les paris en ligne.

Votre style d’écriture est celui de la chronique, avec ce souffle épique qui infuse le récit et compose cette fresque familiale. Quelles sont les raisons de ce choix stylistique ?

Ce que j’aime dans la chronique journalistique et policière, c’est qu’il s’agit d’une sorte de littérature qui n’efface pas les traces de sa fabrication. Quand tu lis Leila Guerrero ou Ricardo Ragendorfer, qui écrivent sur le processus même de l’écriture, tu t’imprègnes de cela. Je me suis référé à cette “école” de l’investigation. Je ne pouvais pas me contenter d’écrire seul à la maison. Je devais aller à la rencontre des gens pour nourrir le récit fictionnel. On imagine souvent des choses que l’on doit vérifier ensuite en faisant des recherches. C’est une sorte d’écriture qui se rétro-alimente. Ce qui m’intéresse, c’est d’établir le portrait de ces personnages. Il y a quelque chose dans leur activité qui me captive et qui suscite une sorte d’intimité un peu amorale. Etre si proche d’eux ne m’autorise pas à porter un jugement sur leurs agissements.

Dans votre mise en scène, le hors champ et les conversations que l’on ne peut entendre jouent également un rôle majeur pour tenir le spectateur en haleine.

C’est en montant des documentaires de création que j’en ai pris conscience. On peut filmer sans limites et souvent en plans serrés. Il faut donc prendre ensuite des décisions radicales pour raconter certaines scènes. On ne peut pas tout savoir sur tout. Il y a une réalité qui demeure inaccessible.

Par ailleurs, j’aime l’idée que le spectateur participe activement, en l’invitant à reconstruire l’espace par exemple. Ou en utilisant l’ellipse.

Les arrangements que vous faites sur diverses compositions de Jean-Sébastien Bach distillent un parfum léger et entêtant, notamment dans toutes les séquences avec des images d’archives familiales. Comment s’est fait ce choix ?

Quand je regardais ces images et que je voyais Hugo et Alejandra ensemble, l’attention qu’ils portaient à leur petite fille, il y avait comme un souffle épique de la vie que la musique baroque pouvait évoquer.

Mais j’avais envie de dramatiser un peu à l’image cette musique si souvent présente au cinéma. J’ai donc utilisé le logiciel d’édition musicale MIDI et testé différents sons jusqu’à réaliser, presque par accident, que celui qui m’intéressait le plus était un son numérique pur qui produit une impulsion électrique, du registre de celles des écoutes téléphoniques. Ce fut tout un travail de recherche et de découvertes. J’ai pu avoir accès à toute l’œuvre de Bach en numérique. Vous imaginez, l’intégrale d’un des artistes les plus prolifiques ?! C’était vraiment impressionnant.

Algo viejo, algo nuevo, algo prestado. Pourquoi avoir choisi ce titre dont on a l’explication dans la séquence des préparatifs du mariage où Alejandra doit porter “quelque chose de vieux, quelque chose de nouveau, quelque chose emprunté” ?

La superstition est omniprésente dans le monde de la Quiniela en général et pour les Felpeto en particulier. Le mariage étant au cœur de l’histoire familiale, cette superstition concerne la manière d’habiller la mariée : quelque chose de vieux représente la continuité, quelque chose de nouveau annonce l’optimisme pour l’avenir et quelque chose d’emprunté symbolise le bonheur emprunté. Il y a aussi quelque chose de bleu dans la croyance pour représenter la pureté, l’amour et la fidélité.

Mais cela convoque aussi la nature même du film. Il est fait avec quelque chose de vieux, quelque chose de nouveau, quelque chose d’emprunté !

Il faut donc l’entendre avec ce double sens.

Vous avez étudié la musique et la philosophie, puis le montage à l’ENERC (Ecole nationale d’expérimentation et de réalisation cinématographique à Buenos Aires). Parmi les mesures prises par le gouvernement de Javier Milei [élu en décembre 2023] , il y a eu la décision de privatiser cette école. Vous qui enseignez aujourd’hui à l’Université du cinéma, comment avez-vous vécu cette décision ? Quelles en seront les conséquences selon vous ?

S’il y a bien une chose qui définit la richesse culturelle et la richesse du cinéma argentin dans sa grande diversité, c’est l’accès à l’éducation publique. À la différence des autres pays de la région, ce qui a caractérisé l’Argentine, c’est l’importance accordée historiquement par les principales forces politiques, qu’elles soient libérales ou marxistes, à l’accès à l’éducation publique. Et je crois que ce gouvernement, légitimé par une crise, vient dangereusement remettre cela en question ; à l’image de ce que la droite en général peut faire dans d’autres pays. Ce n’est pas une mesure d’austérité mais une attaque idéologique qui vise à frapper au cœur un secteur culturel dont les valeurs sont contraires à celles du gouvernement. C’est une bataille culturelle.

La possibilité d’une ascension sociale en Argentine relevait jusqu’alors de cet accès à l’éducation publique. Pour pouvoir ensuite travailler et avoir une meilleure vie. En 2002, quand j’ai commencé à étudier à l’ENERC, juste après la crise de 2001, toute ma famille était au plus mal. Ma mère était hospitalisée avec de nombreux problèmes de santé et pour moi l’école de l’Institut national du cinéma m’a donné la possibilité de travailler comme monteur pour la télévision, puis dans la publicité, ce qui m’a permis de financer et de produire mon premier film. Aujourd’hui, ce parcours vertueux serait impossible.