Dans un village du Meghalaya, au nord-est de l’Inde, plusieurs jeunes hommes disparaissent mystérieusement durant la nuit. Alors que les anciens accusent de kidnapping les étrangers de passage, le prédicateur y voit les prémices d’une apocalypse de 40 jours et 40 nuits qui plongera les habitants du village dans l’obscurité. Vu à travers les yeux de Kasan, un garçon de dix ans souffrant de cécité nocturne, les forêts alentour n’ont jamais paru aussi terrifiantes.
Festival de Locarno 2023 – Cinéastes du Présent, Festival de Busan 2023 – Sélection officielle, Festival des 3 Continents 2023 – Compétition
Kasan Torikhu A. Sangma • Nengsal Handam R. Marak • Le prédicateur Celestine K. Sangma • Kimkime Balsrame A. Sangma •Sobel Johan Ch. Sangma • Amak Riksil K. Marak
Réalisation et scénario Dominic Sangma • Image Tojo Xavier • Son Vineet Vashishtha • Montage Mohan Kumar Valasala • Musique Anon Cheran Momin • Costumes Coretta A. Sangma • Décors Prashant Deshmane, Satish Ashok Potda • Direction artistique Gaido D. Sangma • Mixage son Vishnu Das • Producteurs Xu Jianshang, Eva Gunme R. Marak, Anu Rangachar, Sun Li, Harsh Agarwar, Aditya Grover, Stephen Zacharias, Dominic Sangm • Production Anna Films • Coproduction Joicy Entertainment • Avec le soutien de Hubert Bals Fund, Vision Sud Est, Doha Film Institute • Aide au développement Film Bazaar, Tokyo Talents, Berlinale Talents, La Fabrique du Cinéma
Dominic Sangma
Dominic Megam Sangma est diplômé du Satyajit Ray Film and Television Institute (SRFTI) à Calcutta. Il travaille pendant deux ans à la National Film and Development Corporation (NFDC), l’équivalent du CNC en Inde, avant de créer sa propre société de production, Anna Films.
Ma-Ama (2019), qui marque ses débuts derrière la caméra, devient le premier film en langue Garo à remporter un prix national et est multi-récompensé dans les festivals asiatiques. Il produit et réalise ensuite Rapture (2023), son deuxième long métrage tourné dans son village natal avec l’aide des habitants et de sa famille. Ce projet est développé à La Fabrique Cinéma de l’Institut français durant le Festival de Cannes 2019 avant d’être sélectionné à la Berlinale talents 2020. Le film est présenté en première mondiale au Festival de Locarno avant de participer à de nombreux festivals prestigieux tels que Busan ou les 3 Continents à Nantes.
Dominic Sangma enseigne également la réalisation et l’écriture de scénarios à l’Institut d’Itanagar et a cofondé le Kelvin Cinema Festival of Films, dont il est le directeur artistique. Il travaille actuellement à la réalisation de son troisième film.
Note d’intention
Rapture est né de ma propre expérience de la peur du noir lorsque j’ai souffert, plus jeune, de cécité nocturne. Au même âge, j’ai également connu la peur des rumeurs de kidnappeurs qui traquaient les enfants du village la nuit. Il n’y avait rien de plus effrayant que l’obscurité pour moi à l’époque.
Chaque nuit, les adultes se relayaient pour garder le village. Une fois, les anciens du village attrapèrent un étranger et l’interrogèrent sur le but de sa visite. Malheureusement, personne ne comprenait sa langue et il a été violemment battu, presque jusqu’à la mort. Les anciens ont trouvé une justification légitime à leur acte et nous ont conseillé de garder le silence. Cet incident a laissé une très forte impression sur l’enfant que j’étais et aurait pu faire naître en moi la peur de l’autre, de la différence. Avec ce film je veux effacer, ou au moins brouiller, la frontière entre «eux» et «nous».
Dominic Sangma
ENTRETIEN AVEC DOMINIC SANGMA
Vous-êtes originaire de la région du Meghalaya, un territoire assez peu filmé dans le cinéma indien.
Il s’agit d’une région nichée sur les hauteurs du nord-est de l’Inde, qui partage une frontière commune avec le Bangladesh et appartient majoritairement à trois tribus : les Jaintia, les Khasi et les Garo, la mienne. Elle est culturellement et linguistiquement très différente du reste du pays, notamment parce que nous sommes chrétiens. Le christianisme s’est implanté dans cette région il y a fort longtemps, par le passage de nombreux missionnaires européens. Depuis, il y a une confusion au sein de la tribu. Elle est partagée entre une mémoire collective enracinée dans le chamanisme ou la foi indigène datant d’avant la colonisation et la foi chrétienne aujourd’hui majoritaire. Il existe encore des pratiques tribales qui se perpétuent dans certaines communautés indigènes, que nous cherchons à protéger, mais elles sont méprisées par les chrétiens locaux.
Rapture a pour point de départ vos souvenirs d’enfance, quels rôles jouent ils dans votre travail ?
Rapture est en fait le deuxième film d’une trilogie basée sur mon enfance dans le village où j’ai grandi. Mon premier film, Ma’ama, est également inspiré de mon histoire personnelle. J’ai en effet beaucoup de souvenirs que je voulais traiter et chasser de mon cœur, parce qu’ils m’empêchaient d’aller de l’avant. Dans Rapture, je dépeins un événement qui s’est réellement produit lorsque j’étais petit et que je souffrais de cécité nocturne : on nous a raconté qu’un étranger avait été lynché mais personne ne voulait en parler. Cette peur de l’autre, je l’ai vécue en tant qu’enfant. Tout comme moi, le personnage de Kasan soufre de cette maladie et est terrorisé par les étrangers. Ces histoires sont tellement ancrées en moi qu’elles sont venues naturellement à l’écriture.
Vous dépeignez la suspicion et la peur de l’autre. Comment avez-vous construit cette ambiance paranoïaque ?
Lorsque j’écrivais, je voulais que la peur s’empare des personnages et par extension, du spectateur. Dans ce village où j’ai grandi, la peur était omniprésente mais une personne extérieure pouvait ne pas la percevoir ou la comprendre. C’est pourquoi je voulais que le public soit très conscient dès le début de l’ambivalence de la peur. Celle-ci peut tirer sa source d’un phénomène naturel, une lune de sang ou la mort d’une vache, jusqu’à ce que la religion ou la politique se servent de cet événement pour semer le trouble. Je souhaitais avoir une vue d’ensemble sur cette peur, manipulée comme un outil de pouvoir, et ce qui se cache derrière. Que cette peur soit réelle ou non, les êtres humains ont besoin d’explications, alors ils cherchent à trouver un sens à ce qui leur arrive, par la religion notamment. Il me semblait important de dénoncer ceux qui l’utilisent pour asseoir leur influence.
Le film montre aussi comment l’enfance a façonné votre vision de votre communauté.
En grandissant dans un village isolé, j’ai observé la structure sociale et j’ai réalisé que dans la vie de chacun, les histoires et les secrets s’entremêlent de manière transparente. Dans le village, tout le monde connaît tout le monde et il ne peut y avoir de secrets ; tout secret du village devient un secret commun. Certains incidents de notre enfance restent dans notre subconscient, comme des morceaux indéfinis de matière noire. Ils ne disparaissent pas avec le temps mais, au contraire, deviennent une partie de notre être qui peut nous hanter. À cet âge, nous n’avons pas la capacité émotionnelle et intellectuelle de les gérer mais l’art nous aide à articuler et à définir ces expériences. Le cinéma est le meilleur moyen d’expression pour cela, car il traite du temps et peut le transformer en une réalité intelligible. Le cinéma m’aide à confronter mes propres préjugés, il n’y a rien d’immuable. J’ai l’impression qu’après avoir réalisé ces deux films, ma perception de la vie est rafraîchie.
Comment avez-vous trouvé le jeune acteur qui joue Kasan ?
Toutes les personnes qui jouent dans le film sont originaires des montagnes Garo et la plupart des figurants habitent dans mon village. En ce qui concerne Kasan, je l’ai trouvé dans un hôpital qui opère les becs-de-lièvre chez les enfants. Il a très vite trouvé ses marques et est devenu un excellent acteur. C’est un garçon très intelligent, à la fois espiègle derrière la caméra et extrêmement professionnel quand on tournait. J’espère pouvoir retravailler avec lui à l’avenir.
Quel est votre processus d’écriture ?
Tout me vient des souvenirs, pour moi, ce sont les images qui priment. Mais ce que je montre – le ramassage des cigales, la procession religieuse – ce sont des événements réels qui se produisent chaque année dans ma région. Ces images sont constamment présentes dans ma mémoire. Il me suffit de convoquer ces images mentales et de trouver le bon mouvement de caméra pour capturer leur essence. J’ai été formé à la SRFTI où j’ai pu découvrir des films et des livres des grands maîtres C’était comme croquer le fruit défendu : une fois que vous avez été touché par ces œuvres, votre vie ne peut que changer.. Le Temps scellé d’Andrei Tarkovski et Notes sur le cinématographe de Robert Bresson sont devenus les livres que je lis une fois par an. Ils m’ont donné le courage de créer ce film.
Comment travaillez-vous avec votre directeur de la photographie ?
J’ai d’abord pris une petite caméra avec laquelle j’ai fait des repérages dans la région. J’ai envoyé ces images à mon chef-opérateur resté à Bombay, afin que nous puissions discuter des intentions de mise en scène présentes dans le scénario. Nous voulions que le public fasse l’expérience de l’obscurité comme s’il y était englouti. Cette obscurité ne peut être dissipée que par un acte conscient, c’est-à-dire une source de lumière tenue par la main de l’Homme. C’est ce qui nous a conduits à ouvrir le film par une scène de noir absolu, où des personnes émergent de l’obscurité avec des torches. Pendant les repérages, je l’ai emmené dans le village la nuit, en lui demandant de reproduire la sensation de marcher sans la lumière de la lune. L’obscurité du village et de la ville a donné lieu à deux expériences distinctes. De plus, la profondeur de champ était particulièrement importante. Je voulais obtenir une vision proche de celle de l’œil humain pour représenter à la fois le village et ses habitants dans un même ensemble, comme si le spectateur était au milieu. Cela permet de mieux jouer avec sa perception des faits et de représenter les différentes couches de la société.
L’environnement sonore du film porte une grande attention aux sons du quotidien et aux activités des villageois. C’était une façon de créer l’immersion dans ce monde apparemment ordinaire ?
Nous nous sommes fermement opposés à l’idée de souligner les différentes émotions du film avec de la musique et des effets sonores. Nous voulions que le public s’immerge dans la beauté des sons naturels de la forêt et du village. Nous étions particulièrement soucieux de préserver l’authenticité du son. Je voulais que les habitants des montagnes Garo reconnaissent leur territoire à l’oreille seule.
Vous accordez également beaucoup d’importance au rêve, notamment celui de Kasan dans le film.
Dans Rapture, le rêve joue un rôle primordial et son impact sur le personnage principal est profond. Il est si important que Kasan croit qu’un petit cercueil lui est destiné, ce qui l’amène à brûler le cercueil pour empêcher qu’il ne devienne réalité. Je suis toujours fasciné par le pouvoir des rêves car je crois que lorsque nous dormons, nous devenons une partie de l’infini. Dans cet état tout peut nous arriver : les rêves sont comme des films projetés sur un écran multidimensionnel où nous sommes à la fois spectateurs et acteurs. Les rêves ont quelque chose de poétique et magique dans la mesure où ils m’aident à naviguer dans certaines situations, m’incitant même à changer le cours de ma vie. •