Film soutenu

Sauve qui peut

Alexe Poukine

Distribution : Singularis Films

Date de sortie : 04/06/2025

Belgique, France, Suisse | 2025 | 1h38

À l’hôpital, soignants et soignantes interrogent leur pratique lors d’ateliers de simulation avec des comédiens. Pour annoncer un cancer ou accompagner ses proches, l’empathie avec le patient se travaille. Mais l’idéal relationnel prôné en formation est-il applicable dans un système hospitalier de plus en plus à bout de force ? Peu à peu, la simulation devient un exutoire aux malaises qui rongent l’institution…

Cinéma du Réel 2024 – Prix du jury jeune Ciné + et Mention spéciale du prix des bibliothèques

Autrice et réalisatrice | Alexe Poukine · Image | Hélène Motteau, Camille Sultan, Jorge Piquer Rodriguez · Son | Thomas Grimm-Landsberg, Lucas Le Bart · Montage | Agnès Bruckert · Montage son | Colin Favre-Bulle · Mixage | Maxence Ciekawy · Étalonnage | Jorge Piquer Rodriguez · Production | Benoît Roland (Belgique – Wrong Men) · Coproduction | Pascaline Sordet (Suisse – Climage), Alexandre Perrier, François-Pierre Clavel (France – Kidam) · Distribution | Singularis Film

Alexe Poukine

Alexe Poukine est réalisatrice et scénariste. Après avoir suivi des cours d’art dramatique et de photographie, elle étudie l’anthropologie, la réalisation documentaire et l’écriture scénaristique. Petites morts, son film de fin d’études, est sélectionné dans plusieurs festivals internationaux. Après deux longs-métrages documentaires, Dormir, dormir dans les pierres (2013) et Sans frapper (2019), elle réalise en 2020 une première fiction, Palma. Elle vient de terminer le tournage de son premier long-métrage de fiction, Kika, qui sera distribué en 2025-2026 en France par Condor Distribution. 

FILMOGRAPHIE
2024 Kika (Festival de Cannes 2025, Semaine de la critique)
2023 – Sauve qui peut (98 minutes)
2020 – Palma (40 minutes)
2019 Sans frapper (85 minutes)
2013 – Dormir, dormir dans les pierres (74 minutes)
2008 Petites morts (13 minutes)

NOTE D’INTENTION d’Alexe Poukine

Il y a plusieurs années, enceinte de trois mois, je me suis mise à perdre du sang. J’avais déjà vécu une fausse-couche et la perspective que cela se reproduise me terrifiait. À l’hôpital, un médecin a procédé à une échographie. Au bout de quelques minutes, les yeux rivés sur son écran, il a lancé : « Soit j’ai de la merde dans les yeux, soit il est mort. »

Cette phrase m’a comme pulvérisée. Pourtant, je n’ai rien dit. Longtemps, je me suis racon­té que mon silence était dû à la peur qu’en le brusquant, la suite de ma prise en charge ne soit que plus pénible. Si je me sentais en effet à sa merci, la vérité est aussi que je me suis volontairement soumise car dans les représen­tations que j’avais à l’époque, le médecin était une figure d’autorité à qui on ne s’opposait pas.

Après mon film Sans frapper, je ne voulais plus me concentrer sur les violences déjà surve­nues, mais sur ce qui pouvait être fait pour les prévenir. Aussi, lorsqu’en 2019, à la suite d’une projection, une doctoresse est venue me par­ler du lien qu’elle voyait entre le dispositif de mon documentaire et la pratique de la simula­tion humaine, je me suis rendue dans plusieurs centres de simulations médicales en Belgique, en France et en Suisse.

J’ai pu y observer une pratique qui consiste à reproduire un environnement de soins réaliste dans lequel des personnes (ac­teur·ices professionnel·les ou non) jouent le rôle de patient·es face à de vrai.es thé­rapeutes (confirmé·es ou en devenir). Parce que j’aurais moi-même voulu avoir cette aptitude, ce qui m’a d’abord impres­sionnée, c’est la formation des patient·es simulé·es à qui on apprend à dire avec pré­cision comment chaque mot et chaque geste les ont atteint·es, au cours des faux entretiens médicaux.

Le principe de la simulation est que, loin d’être innées, les qualités humaines telles que l’em­pathie s’acquièrent et se cultivent. S’il peut aussi s’agir pour les soignant·es d’apprendre des gestes techniques, cette approche est de plus en plus utilisée pour leur fournir les outils nécessaires pour communiquer et exercer leur profession avec bienveillance.

Si au cours des premiers mois des repérages, j’ai été complètement fascinée par cette ap­proche, en écoutant des praticien·nes expé­rimenté.es s’exprimer sur leur travail, j’ai pro­gressivement vu émerger certaines ambiguïtés.

Beaucoup de soignant·es dénonçaient l’impossibilité, par manque de temps et de moyens matériels et humains, de mettre en pratique les valeurs humanistes enseignées en simulation. J’en suis venue à me de­mander si en cherchant à modifier les com­portements individuels plutôt qu’à question­ner la responsabilité de l’institution, on ne contribuait pas à culpabiliser des personnes déjà sous pression ? Au cours du processus qui m’a amenée à élaborer ce documentaire, j’ai souvent repensé au comportement du gynécologue qui m’a reçu lors de ma fausse-couche : était-ce la manifestation d’une ab­sence crasse d’éducation émotionnelle, d’une misogynie « ordinaire » ou le point d’issue d’une longue chaîne de violences débutant avec la logique économique du néo-manage­ment hospitalier ? Peut-être tout ça à la fois.

Il m’est en tout cas apparu inconcevable de ré­aliser un film sur la simulation en milieu médical sans évoquer la réalité quotidienne du per­sonnel de santé. Pour rendre partageable leur expérience, j’ai cherché une pratique où – comme dans les simulations – le « faux » révèle le « vrai » et parfois même le « transforme ».

J’ai découvert une troupe de théâtre forum composée de soignant·es qui, pendant leur temps libre, viennent rejouer des situations problématiques, voire traumatisantes, vécues à l’hôpital. Comme pour la simulation, il s’agit avec cette pratique de trouver les bons mots et les bons gestes pour se préparer au mieux à la « vraie vie ».

Mais ce que les soignant·es cherchent ici, ce n’est plus à endiguer leur propre violence, mais celle qu’on leur fait subir.