Dans un avenir proche, le Japon est victime d’attaques terroristes sur ses centrales nucléaires. Irradié, le pays est peu à peu évacué vers les états voisins. Tania, atteinte d’une longue maladie et originaire d’Afrique du Sud, attend son ordre d’évacuation dans une petite maison perdue dans les montagnes. Elle est veillée par Leona, son androïde de première génération que lui a offert son père. Toutes deux deviennent les dernières témoins d’un Japon qui s’éteint à petit feu et se vide par ordre de priorité, parfois selon des critères discriminatoires.
Mais doucement, l’effroi cède la place à la poésie et la beauté.
Avec : Bryerly Long (Tania), Geminoid F (Leona), Hirofumi Arai, Makiko Murata, Nijiro Murakami, Yuko Kibiki, Jerome Kircher, Irene Jacob
Image Akiko Ashizawa • Scénario Kôji Fukada d’après Oriza Hirata • Son, musique Hiroyuki Onogawa • Montage Naohiro Urabe • Production Phantom Film (Keisuke Konishi) – Tokyo Garage (Bryerly Long, Kôji Fukada)
Kôji Fukada
Kôji Fukada est né en 1 980. Il étudie le cinéma à la Film School of Tokyo où enseignent notamment Shinji Aoyama et Kiyoshi Kurosawa. Il réalise en 2002 un film auto-produit pour 2000 euros, La Chaise pour être ensuite embauché par la prestigieuse Toei pour réaliser un film d’animation, La Grenadière, adaptation d’une nouvelle de Balzac et récompensé au festival Kinotayo à Paris. Après Human Comedy in Tokyo (2008), il réalise Hospitalité primé au Festival International du Film de Tokyo et qui le fait connaître internationalement.
En 201 3, Au revoir l’été son nouveau film est sélectionné dans de nombreux festival de Tokyo à Rotterdam. Il est récompensé en 201 3 par la Montgolfière d’Or au festival des 3 Continents à Nantes. Kôji Fukada a par ailleurs fait partie de la célèbre Seinendan Theater Company, troupe théâtrale d’Oriza Hirata, auteur de Tokyo Notes et de Gens de Séoul et dont les pièces sont souvent
montrées en France. Kôji Fukada continue de collaborer avec la troupe pour ses films et adapte au cinéma, Sayonara la pièce de science-fiction d’Oriza Hirata qui fait jouer un véritable androïde sur scène. En 2016, son film Harmonium est sélectionné à Cannes et remporte le prix du jury de la section Un certain regard. Kôji Fukada, proche de jeunes cinéastes tels que Katsuya Tomita (Saudade, Bangkok Nites) ou de Kazuhiro Soda (Campaign) a initié une large réflexion sur le financement du jeune cinéma indépendant japonais qui travaille actuellement dans une indigence rare pour un pays industrialisé. Son site eiganabe.net fédère des jeunes réalisateurs japonais tels que Katsuya Tomita, Nami Iguchi et Tetsuya Mariko.
Une médiation sur l’intelligence articielle avec le premier acteur-robot.
NOTE DU RÉALISATEUR
Sayonara se déroule dans un avenir proche, dans un Japon presque
uchronique qui voit sa population fuir à l’étranger suite à des attaques
sur ses centrales nucléaires. Le personnage principal est une jeune
femme (Tania) en train de mourir, veillée par son amie androïde (Leona),
alors que tous les habitants quittent progressivement le pays.
Pourquoi ne fuit-elle pas avec les autres ? Parce qu’elle est déjà
gravement malade et parce que c’est une jeune femme étrangère, citoyenne
de second rang.
Trois motifs innervent ce film, à la fois universels et ancrés dans l’actualité japonaise.
Le premier est celui des centrales nucléaires. Autrement dit, la prise
de conscience vive après Fukushima que le Japon avait bâti son succès
économique sur un progrès technologique qui contenait aussi la
potentialité de sa destruction.
Le second, en filigrane, est la question du statut des immigrés au
Japon. Au même titre que les centrales nucléaires, c’est un sujet qui
crispe nombre de pays à travers le monde.
Et enfin le troisième est un thème plus introspectif, moins sociétal,
et c’est aussi le plus important pour moi : le memento mori
(« souviens-toi que tu mourras »). Tania et son robot confident s’avancent
vers la mort en résonance avec un monde qui s’achève et dont elles sont
comme les derniers témoins. Chacune à leur tour regarde ce Japon
s’éteindre, comme les dernières légataires d’une humanité. Il n’est pas
innocent de confier au regard du robot l’ultime destination de la beauté
de ce monde crépusciulaire.
Ce troisième mouvement s’ inspire fortement de la pièce originale
Sayonara du dramaturge Oriza Hirata, figure de proue du théâtre
contemporain Japonais et maître
important pour toute une génération de jeunes acteurs et metteurs en
scène. Il est difficile de résumer mon excitation lors de la découverte
de la pièce Sayonara. Il y avait la stupéfaction de voir jouer sur une
même scène un androïde et une comédienne, un dispositif inédit dans
l’histoire du théâtre. Bien entendu ce qui m’ intéresse dans la machine
du Geminoid F, qui joue aussi Leona dans le film, c’est qu’elle est le
reflet presque parfait de l’homme et qu’elle incarne en cela notre
désir, toujours reformulé par l’art ou la science, d’éloigner le seuil
de la mort.
ENTRETIEN PAR NICOLAS BARDOT
Sayonara est, à l’origine, une pièce de théâtre
d’Oriza Hirata. Qu’aviez-vous envie d’ajouter à cette histoire en termes
cinématographiques ?
J’ai eu envie d’adapter cette pièce d’abord parce que je la trouve très
intéressante. Je l’ai vue en 201 0, à Tokyo. C’est une pièce très
courte, d’un quart d’heure, qui ne met en scène que deux personnages :
un vrai robot et une jeune femme. C’est une simple conversation entre
les deux. Cette pièce m’a impressionné et j’ai demandé l’autorisation au
dramaturge de l’adapter. L’idée de la pièce était de faire jouer et
interagir un humain et un androïde. Mais ce qui m’a attiré avant tout,
c’est le motif de la mort. Le texte décrit ce qu’est la mort à travers
cette conversation entre un robot qui ne sait pas mourir et une fille
qui va mourir. Comme une sorte de mementomori. Dans la pièce,
l’utilisation faite de l’androïde est importante mais ce n’est pas ce
qui m’a intéressé en premier lieu car ce n’est pas quelque chose de
nouveau au cinéma. Mais une fois sur le plateau, ce robot m’a beaucoup
plus intéressé que ce que jepensais. C’était une véritable expérience de
travailler avec le technicien « robotiste » qui animait l’androïde. Des
effets numériques auraient permis de franchir certaines limites, or ce
qui était essentiel c’était de confronter physiquement l’androïde aux
limites du corps humain. C’était intéressant de travailler avec un robot
« réel » pour mettre en valeur ces limites.
Sayonara commence par un plan de flammes dans la nuit, avec une catastrophe vue à distance. Comment cette image vous est-elle venue ?
Dès le départ, j’avais décidé que le film débuterait par l’explosion
d’une centrale nucléaire. Dans la pièce, on est davantage sur le
processus de la mort de la jeune femme. Quand j’ai eu l’idée de faire
cette adaptation, j’ai voulu aussi décrire ce qui entoure cette femme,
et ce qui va mourir aussi. J’ai pensé que tout ça pourrait être la
conséquence d’explosions nucléaires simultanées, plutôt par exemple que
de la chute d’une météorite. Je voulais un événement qui nous paraisse
proche. Et le film s’ouvre donc par une explosion.
L’utilisation de la lumière crée dans votre film une atmosphère fantomatique. Sayonara
n’est pas un film de fantôme, mais ce robot hiératique, son visage
comme un masque, rappellent parfois une figure de fantôme. Quels ont été
vos choix esthétiques avec votre directrice de la photographie pour
donner cette dimension fantomatique ?
Nous avons beaucoup discuté en amont avec Akiko Ashizawa, ma chef opératrice (aussi de Kiyoshi Kurosawa, ndlr).
Tout d’abord ce que je voulais vraiment, c’était des plans où ombres et
lumières étaient bien distinctes. Par ailleurs, il y a dans le film ce
temps tranquille qui s’écoule, avec une image plutôt fixe. J’avais
besoin d’une lumière qui soit belle, mais qui suggère la présence de la
contamination nucléaire invisible à l’œil nu. Je voulais faire sentir au
spectateur la présence d’un air toxique. J’ai demandé dans ce but à
Akiko de faire « bouger la lumière » dans l’image fixe. Que la lumière
frémisse. Comme référence, j’ai montré à Akiko l’un de mes précédents
films, La Grenadière, qui est un moyen métrage d’animation, réalisé à
partir d’images fixes.
On retrouve cette ambivalence dans votre façon de filmer les
décors : ils ont quelque chose d’idyllique, ils sont beaux et
bucoliques, et pourtant il règne en permanence une atmosphère
crépusculaire de fin du monde. Comment avez-vous travaillé sur cette
ambivalence ?
A vrai dire en pensant à mes précédents films, je pensais que Sayonara
serait plus abstrait, plus allégorique. Dans la pièce originale, il n’y
avait pas de décor, juste des personnages dans le noir, sur scène. Je
ne sais pas pourquoi mais lorsque j’ai vu la pièce, instinctivement,
j’ai eu en tête l’image de cette fille allongée sur son canapé et qui
allait mourir, tandis que par la fenêtre on verrait une prairie et ce
décor isolé. Comme une réminiscence du tableau Christina’s World du
peintre américain Andrew Wyeth.
Il n’y a pas de mystère sur la nature du robot. Et pourtant,
il semble humain et parvient à susciter l’empathie. Comment crée-t-on
cela ?
Le dramaturge Oriza Hirata et le roboticien Hiroshi Ishiguro avaient déjà collaboré avant Sayonara, la pièce. Et Sayonara
est le fruit d’un travail fait en amont. Si vous avez eu l’impression
que cet androïde était capable de sentiments, c’est très intéressant.
Lorsque nous conversons avec d’autres êtres humains, on ne sait pas
forcément s’ils ont des sentiments – on le devine par leurs expressions
ou leurs gestes. En réalité, l’androïde n’a pas d’intelligence, ni même
d’intelligence artificielle, mais lorsqu’il baisse la tête, on imagine
qu’il est triste. C’est une forme de vie, il n’a pas de coeur mais ce
cœur finit par exister via la relation avec un être humain.
Il y a, à un moment de Sayonara, un choix esthétique assez gonflé avec cette image anamorphosée…
J’avais dès le départ parlé à Akiko de cette envie de déformer l’image.
Sur le plateau, on a utilisé des lentilles spéciales. Le but premier
était de rendre ambiguë la frontière entre l’humaine et le robot. Par
exemple, l’actrice parle japonais mais ce n’est pas sa langue maternelle
alors que le robot parle japonais naturellement. Ce robot perfectionné
se déplace dans un fauteuil tandis que l’héroïne malade marche. Cela
participe à renverser les rôles entre le robot et l’humaine. Pour
prolonger cette idée, je souhaitais manipuler l’image pour rendre plus
ambigüe le point de vue. Je pensais que déformer l’image pourrait
aboutir aussi à quelque chose de beau. Au départ, je pensais même
déformer l’image de tout le film mais c’était techniquement compliqué,
alors nous nous sommes un peu limités. Et puis mon équipe était contre
cette idée !
Il y a un autre moment sidérant dans Sayonara
: je pense à ce plan séquence avec le temps qui passe tandis que le
personnage principal se momifie sur le canapé. Comment avez-vous conçu
cette scène ?
Dans cette image, je voulais traiter le plus directement possible de la
nature de la mort. J’ai toujours été intéressé par l’art traitant plus
particulièrement du motif du memento mori. C’est difficile de comprendre
la mort, et c’est pourquoi des artistes des quatre coins du monde ont
traité du memento mori. C’est un sujet qui est très important pour moi.
Nous sommes tous censés mourir à un moment donné mais on ne peut pas
faire l’expérience de la mort tant qu’on est vivant. Et comme personne
ne sait réellement ce qu’est la mort, elle continue de faire peur. Au
Moyen-Âge, lorsque la peste s’est propagée en Europe, beaucoup de
peintures ont traité de ce sujet, de manière explicite, avec des
squelettes, des cadavres. Par l’art, on réfléchit sur la mort, c’est
comme une simulation de notre mort à venir. A l’opposé, dans notre
époque moderne, la mort est toujours cachée. C’est pourquoi l’art qui
traite de la mort aujourd’hui me semble
primordial.
Il y a, à un moment de Sayonara, un
décrochage narratif très audacieux. Pendant tout le film, le robot est
là, mais il reste au second plan. Il est présent, mais parmi les
humains. Or, lorsque le robot se retrouve isolé, c’est lui qu’on suit et
qui devient le principal protagoniste. Etait-ce ainsi dans la pièce ?
Comment avez-vous envisagé de virage narratif ?
Non en fait dans la pièce originale, le récit se termine avant. Je
voulais apporter plusieurs couches de temporalités dans le film. Il y a
le temps de Tania qui meurt, puis le temps du robot qui a une vie plus
longue, puis le temps de la nature, celui de ces fleurs de bambou qui ne
fleurissent que tous les 80 ans. Cela permettait d’approfondir
l’univers, de créer un nouvel espace.
Dans une interview, vous avez déclaré que Sayonara n’est pas tant un film sur demain qu’un film sur aujourd’hui.
Il y a deux éléments particulièrement contemporains dans Sayonara.
La première chose, c’est le problème des centrales nucléaires. C’est
quelque chose de tout à fait réaliste, qui pourrait se dérouler en Chine
comme en France. La deuxième chose concerne l’androïde. Le film décrit
un monde où la plupart des familles a un androïde. Là aussi, c’est
réaliste : l’année dernière, on a commencé à vendre au Japon un androïde
pour la famille (Pepper, qui est très mignon). La situation du film,
avec un humain qui meurt auprès de son robot, peut se passer dans le
Japon contemporain.