Des crabes mélomanes, un casque rose fluo, un drôle de sac, un gâteau d’anniversaire, une biennale d’art contemporain, une ceinture d’explosifs, du rap palestinien, un Skype qui ne marche pas et un lit suédois à assembler mais pas assez de vis, vraiment pas assez de vis. Situations burlesques, coups du sort, deux jeunes femmes – Michal, artiste israélienne et Nadine, ouvrière palestinienne – vivant de chaque côté du mur de séparation, après une confusion à un check-point, se retrouvent à vivre la vie de l’autre.
SEMAINE DE LA CRITIQUE – FESTIVAL DE CANNES 2014
Avec : Sarah Adler Michal • Samira Saray Nadine • Doraid Liddawi Amar / Sachar • Na’ama Shoham Mika • Ziad Bakri Yussef
Réalisation Shira Geffen • Scénario Shira Geffen • Image Ziv Berkovich • Musique Amit Poznansky • Son Alex Claude, Daniel Meir • Montage Nili Feller • Casting Galit Eshkol • Décors Arad Sawat • Costumes Laura Sheim • Mixage Ashi Milo • Premier assistant réalisateur Raanan Tessler • Directeur de production Tamir Kfir • Post production Lee Shira • Producteur associé Keren Michael • Producteur exécutif Michal Graidy • Producteurs David Mandil, Moshe Edery, Leon Edery
Shira Geffen
Née
à Tel-Aviv en 1971, Shira Geffen tient une place importante sur la
scène artistique israélienne : comédienne, auteur dramatique, metteur en
scène, elle est également l’auteur de livres pour enfants qui ont
rencontré un beau succès.
En 2007, Shira Geffen co-réalise avec son mari Etgar Keret, LES
MEDUSES, adaptation du premier scénario qu’elle a écrit (paru chez Actes
Sud). Le film sélectionné au Festival de Cannes 2007 par la Semaine de
La Critique, a remporté la Caméra d’or.
SELF MADE est son deuxième long métrage
ENTRETIEN AVEC SHIRA GEFFEN
Genèse
Il y a dix ans, j’ai lu un article sur une femme palestinienne de
Bethléem envoyée commettre un attentat-suicide. Arrivée sur le lieu où
elle était censée se faire exploser – un centre commercial – elle voit
d’autres femmes faire leurs courses, des enfants jouer et décide
d’abandonner sa mission. Dans l’interview que j’ai lu d’elle, elle
explique s’être portée volontaire pour l’attentat après le meurtre de
son mari par l’armée israélienne. Mais une fois arrivée sur place, en
voyant des enfants manger leurs glaces et des gens aller et venir, elle a
décidé de laisser tomber. Elle a dit qu’elle voulait tout à coup se
joindre à eux.
Je l’ai imaginée rentrer dans le magasin avec sa ceinture d’explosifs
et essayer une robe. Le relief de la bombe sous la robe lui donnerait
l’allure d’une femme enceinte. Il y a quelque chose de commun entre le
fait d’être enceinte et le fait d’exploser. Dans mon cas, du moins,
accoucher est l’expérience qui m’a le plus rapproché de la mort.
Cela m’a fait réfléchir au moment où choisir la mort fait place à la
décision de choisir la vie et comment le lieu où l’on vit nous
influence. J’ai un peu creusé et me suis intéressée aux femmes qui
commettent des attentats-suicides. Je me suis rendue à Ramallah, chez la
mère de la première femme martyre. J’avais très peur de rencontrer
cette dame, cette mère, et je m’attendais à me trouver face à une
famille amère et révoltée. Mais il n’y avait là qu’une vieille femme
seule, et quand elle m’a vue, elle m’a enlacée. Dans cette étreinte,
j’ai eu le sentiment d’être sa propre fille et les choses ce sont
embrouillées dans ma tête. Derrière elle se trouvait la photo de sa
fille décédée qui me regardait dans les yeux. Cette rencontre a fait
germer l’idée du scénario qui a donné Self Made.
Six ans se sont écoulés entre le début de l’écriture et le film
terminé. Au départ j’avais écrit une pièce de théâtre, puis j’ai pensé
que le cinéma me laisserait plus de liberté créative, le film entretient
une filiation marquée avec le théâtre de l’absurde, où chaque scène
obéit à sa propre logique interne, une logique impossible à replacer
dans notre monde.
Après que Les Méduses, mon premier long métrage écrit et
réalisé en partenariat avec mon mari Etgar Keret, ait remporté la Caméra
d’Or à Cannes, j’ai cru que développer et produire mon prochain film
serait bien plus évident. Mais ça n’a pas été vraiment le cas. J’ai dû
surmonter pas mal d’obstacles avant de pouvoir tourner. Mais la Caméra
d’Or et l’accueil du film Les Méduses m’ont encouragée à garder confiance en mon travail et en ce nouveau projet.
Ambiance
L’atmosphère du film vient de mon goût immodéré pour les contes de
fées. J’essaie de créer un monde dans lequel tout peut arriver. J’ai
commencé avec Les Méduses.
Ce n’est pas déconnecté de la réalité, c’est au contraire très ancré
dans le réel qui lui-même est souvent franchement absurde, on glisse
petit à petit dans une sorte de folie, avec des situations de comédie,
comme l’interview de Michal sur le thème « Les 50 femmes les plus
influentes d’Israël », l’assemblage du lit suédois ou son questionnement
sur la représentation de son utérus à la Biennale d’art contemporain de
Venise, les déplacements professionnels de son mari, leur anniversaire
de mariage, bref finalement, elle ne sait plus très bien où elle en est.
De même Nadine, l’ouvrière palestinienne du magasin où Michal a acheté
le fameux lit, dont il manque une vis, et pour cause Nadine traverse
tous les jours le même check-point, casque vissé sur les oreilles, rap
palestinien à fond, joue les Petits Poucet en semant des vis pour
retrouver son chemin, et se voit désignée pour un attentat-suicide.
En fait avant de présenter le film à Cannes, je ne pensais pas qu’il était particulièrement drôle. Puis j’ai vu que le public riait. J’en ai été très heureuse. J’imagine que c’est dans mon écriture, que c’est mon style, j’aborde des sujets graves, des points profonds. L’humour c’est important, c’est un bon vecteur de messages.
L’autre personnage féminin de Self Made, la jeune fille
soldat qui accomplit son service militaire au poste de contrôle, est
une des illustrations des nombreuses situations comico-tragiques aux
quelles cette situation nous confronte. Comme Michal et Nadine c’est un
personnage enfermé dans un rôle malgré lui; une adolescente qui ne sait
pas quoi faire du fusil qu’on lui a donné, qui veut juste rentrer chez
elle, comme la grande majorité des soldat-es/adolescent-es stationné-es
aux check-points.
C’est une sorte de métaphore entre Michal et Nadine. Si les deux femmes
sont enfermées dans leur esprit, elle, est enfermée, au sens propre,
dans ce check-point, dans cette cage. Elles forment un triangle.
Postes de contrôle, frontières, identités
Jérusalem est le lieu idéal pour cette histoire. A l’instar de nos
protagonistes, la ville est divisée par des murs; c’est plus un symbole
qu’une ville. Jérusalem a soixante-dix noms, et pourtant il s’agit d’une
seule ville, tout comme Nadine et Michal sont deux facettes de la même
femme.
Le poste de contrôle au centre de l’histoire est une sorte de métaphore
de l’état psychologique des personnages. Michal et Nadine s’insèrent
l’une et l’autre dans une autre vie du fait de cette séparation, mais
tant qu’elles ne s’aventurent pas au-delà de leurs rôles très précis et
basiques dans la société, personne ne se rend compte qu’elles ont
échangé leurs vies. C’est cet écart entre ce que la société attend de
nous et ce que nous sommes que j’ai voulu explorer avec ce film.
Le fait de se perdre et se retrouver de nouveau est quelque chose
auquel je m’identifie; j’aime ça et je m’y encourage. Cela me fait
réfléchir, au lieu de juste tout faire de façon automatique. La femme
que je suis a de nombreuses identités – une fille, une femme âgée, une
personne autiste, un homme même.
Pour moi, Self Made est un film sur l’identité, le poste de
contrôle est le lieu principal où se déroule l’action mais il n’en est
pas l’enjeu. Il faut avoir en tête que ces barrages existent en Israël
et beaucoup de Palestiniens transitent par eux, se font contrôlés et
sont longuement arrêtés. Cela fait partie de leur quotidien et la
normalisation de ces postes est terrible, c’est juste quelque chose qui
est sur le chemin pour se rendre d’un point à un autre. Et que cela soit
devenu banal, est terrifiant.
Je n’ai pas cherché à faire un film politique sur Israël, mais je
pense que si je choisis de vivre dans un pays si complexe qu’Israël, je
me dois d’exprimer mon opinion et d’essayer à ma façon de faire bouger
un peu les choses.
S’assembler
Le premier contact entre les deux femmes se fait lorsque Michal
reçoit un nouveau lit qu’elle n’arrive pas à monter car (selon elle) il
lui manque une vis. Quant à Nadine, son travail est d’empaqueter les vis
à l’entrepôt du magasin et du coup elle se retrouve mise à la porte à
cause de cette vis manquante. Ce contact fait à partir d’un objet aussi
ordinaire qu’une vis évolue vers un univers absurde et fantastique au
fur et à mesure de l’histoire.
Les comptes des Frères Grimm ont eu une grande influence sur moi de
façon générale et plus particulièrement pour ce film, c’était Hansel et
Gretel. Mais à la place des miettes de pain ce sont des vis qui
permettent à Nadine de retrouver son chemin.
Je me suis également inspirée de l’Apprenti Sorcier de Fantasia, là il
s’agit d’un flot de meubles et non d’eau qui se déverse dans
l’appartement de Michal. J’ai déjà acheté ce genre de meubles à monter
soi-même. J’adore les assembler, mais à chaque fois, je coince sur une
étape. C’est très frustrant et je commence à douter de moi; si je ne
suis pas capable de monter une chaise avec des instructions si précises,
cela en dit long sur moi ! Le titre Self Made fait référence à l’assemblage de meubles et aussi à l’assemblage de sa propre personnalité.
Casting
Pour incarner ces femmes, une israélienne et une palestinienne, je
voulais des actrices à la fois complètement différentes et pourtant très
semblables, ce n’était pas évident. J’ai organisé des auditions. Je ne
recherchais pas des stars, et j’ai abordé le casting avec l’esprit
ouvert. J’avais Sarah Adler en tête dès le début pour le rôle de Michal
et pourtant j’ai quand même auditionné beaucoup d’actrices avant de
revenir à mon idée première.
Pour le personnage de Nadine, je recherchais une actrice qui puisse
communiquer une réelle force intérieure parce que son personnage a
beaucoup à exprimer sans trop parler. J’ai vu Samira Saraya dans une
série télévisée, elle m’a tout de suite envoûtée. Elle a la même force
intérieure et dégage la même tranquillité que Sarah. Quand je l’ai
rencontrée, j’ai tout de suite su qu’elle serait parfaite pour le rôle.
Samira est une personne qui a beaucoup de profondeur et elle exprime
tant de choses sans dire un mot. Elle a une vraie force à l’écran; c’est
son premier long métrage, incroyable non ?